Il songea à l’établir au Brésil, à Madagascar, sur les bords de la mer d’Aral ; puis il se convainquit que le siècle de fer où il vivait ne se prêtait pas à cette résurrection des mœurs innocentes qui avaient dû, suivant lui, exister à l’origine des temps, et il se décida, non sans soupirer, à reporter dans le passé ses rêves d’avenir, à se réfugier dans l’antiquité, à imaginer en Arcadie un peuple de bergers et de laboureurs vivant dans la paix, la candeur et la prospérité. […] La recette pour en fabriquer de pareils est si vieille et si connue qu’on pourrait la résumer en ces termes : Prenez deux ou trois couples de bergers et de bergères ; parez-les de tous les charmes, de toutes les grâces que vous pourrez imaginer ; faites-les tous, cela va sans dire, amoureux ; mais que des rivaux jaloux et des parents sévères traversent leur bonheur. […] Démocratie et aristocratie ne sont pas, comme l’imaginent les esprits simplistes, deux termes opposés et contradictoires.
J’ai cru d’abord qu’un peu de réflexion suffiroit pour détruire une idée aussi folle, démentie par l’uniformité de style, par celle des principes & par mille autres raisons ; mais rien n’est plus ordinaire, dans un certain monde, que de tout avancer & de tout faire croire, au mépris de l’évidence ; & c’est ce monde qu’on nous assure bonnement être le seul en état de penser & de raisonner, A présent qu’il ne m’est plus permis de douter que ce bruit ne soit une ruse philosophique, imaginée pour décréditer des censures & des jugemens avoués par la plus saine partie de la Nation, en les attribuant à des motifs étrangers, je déclare qu’aucun des Ecrivains, que je viens de nommer, n’a eu part à mon travail. […] Nos Descendans s'imagineront qu'il y a eu plusieurs Hommes de ce nom ; &, graces à lui, le Monde Intellectuel aura son Hercule, comme le Monde Fabuleux. […] J'ai vérifié la plupart des faits qu'il rapporte sans preuve & sans citer les sources, & je puis vous assurer que je suis parvenu à découvrir leur vérité, c'est-à-dire, à trouver des autorités capables de les appuyer, & qui prouvent du moins que M. de Voltaire ne les a point imaginés.
Imaginons donc un esprit qui soit toujours à ce qu’il vient de faire, jamais à ce qu’il fait, comme une mélodie qui retarderait sur son accompagnement. Imaginons une certaine inélasticité native des sens et de l’intelligence, qui fasse que l’on continue de voir ce qui n’est plus, d’entendre ce qui ne résonne plus, de dire ce qui ne convient plus, enfin de s’adapter à une situation passée et imaginaire quand on devrait se modeler sur la réalité présente. […] Si je vous demande d’imaginer une pièce qui puisse s’appeler le jaloux, par exemple, vous verrez que Sganarelle vous viendra à l’esprit, ou George Dandin, mais non pas Othello ; le Jaloux ne peut être qu’un titre de comédie.
Le roi confère gravement, longuement, comme d’une affaire d’État, du rang des bâtards ; et pour établir ce rang, voici ce qu’on imagine : « Il faut donner à M. le duc du Maine « le bonnet comme aux princes du sang qui depuis longtemps ne l’est plus aux pairs, mais lui faire prêter le même serment des pairs, sans aucune différence de la forme ni du cérémonial, pour en laisser une entière à l’avantage des princes du sang qui n’en prêtent point ; et pareillement le faire entrer et sortir de séance tout comme les pairs, au lieu que les princes du sang traversent le parquet ; l’appeler par son nom comme les autres pairs, en lui demandant son avis, mais avec le bonnet à la main un peu moins baissé que pour les princes du sang qui ne sont que regardés sans être nommés ; enfin le faire recevoir et conduire en carrosse par un seul huissier à chaque fois qu’il viendra au Parlement, à la différence des princes du sang qui le sont par deux, et des pairs dont aucun n’est reçu par un huissier au carrosse que le jour de sa réception, et qui, sortant de la séance deux à deux, sont conduits par un huissier jusqu’à la sortie de la grande salle seulement. » N’allons pas plus loin : de 1689, on aperçoit 1789. […] Chose inouïe dans ce siècle, il imagine le physique, comme Victor Hugo ; sans métaphore, ses portraits sont des portraits : « Harlay était un petit homme, vigoureux et maigre, un visage en losange, un nez grand et aquilin, des yeux beaux, parlants, perçants, qui ne regardaient qu’à la dérobée, mais qui, fixés sur un client ou sur un magistrat, étaient pour le faire rentrer en terre ; un habit peu ample, un rabat presque d’ecclésiastique, et des manchettes plates comme eux, une perruque fort brune et fort mêlée de blanc, touffue mais courte, avec une grande calotte par-dessus. […] Nous n’imaginons les objets que par ces précisions et ces contrastes ; il faut marquer les qualités distinctives pour rendre les gens visibles ; notre esprit est une toile unie où les choses n’apparaissent qu’en s’appropriant une forme arrêtée et un contour personnel.
Imagine-t-on Béranger chantant une ode guerrière, soutenu par l’orchestre des canons, à la bataille d’Austerlitz ? […] Une lumière idéale enveloppe sa poésie et jette son voile d’or sur les réalités de la vie ou de la nature. — Il n’appartient pas davantage à ce petit cénacle de fantaisistes épuisés qui s’imaginent prolonger dans les générations nouvelles l’illusion et l’écho de cette voix divine d’Alfred de Musset. […] Si l’homme n’était qu’une ombre impalpable, il n’aurait imaginé rien de pareil, et le nom même de justice serait inconnu. […] Le talent peut-il imaginer à plaisir de plus pénibles entraves et tenir contre lui-même une gageure plus singulière ? […] Cela était possible avec les ressources abondantes que lui offrait l’humanité telle que l’imaginent les naturalistes de cette école, l’histoire avant l’histoire.
L’homme ne peut imaginer ce qu’il possède, tandis que l’artiste possède ce qu’il imagine, et, en même temps, lui garde sa fleur d’imagination. […] On ne saurait imaginer de coupe plus significative que les deux points, et de verbe plus expressif que le simple auxiliaire dans « Charles était là ». […] La vie d’artiste figure sur son horizon lointain comme sur celui d’Homais : on ne l’imaginerait pas sur celui de Charles. […] Imaginez au contraire que dans chaque commune il y ait un bourgeois, un seul, ayant lu Bastiat, et que ce bourgeois-là soit respecté. […] On imagine une grande œuvre de Flaubert pensée et écrite ainsi, le contraire de l’Éducation et de Bouvard.
Toujours les mots, ils ne peuvent imaginer quelque chose derrière les mots. […] Ils n’imaginaient plus, ils ne contaient plus. […] Imaginez-vous un de ces salons qui faisaient la loi en matière littéraire. […] On ne saurait se l’imaginer écrivant avec des grâces. […] L’imagination, la faculté d’imaginer n’est pas toute là.
Hugo de m’avoir fourni une large donnée, et quant à lui, il ne perdra pas, j’imagine, à s’être fait le justiciable de tous ceux qui savent distinguer le bon du mauvais, en littérature. […] La renommée l’a touché du bout de son aile, et il ira loin encore, j’imagine sa belle page à la main. […] Ceux qui s’expliquent mieux l’envie que l’amitié, entre deux poètes de mérites divers, imagineront quelque mot nouveau pour en faire rire. […] S’il est vrai qu’elle soit vague, on n’en peut pas dire autant, j’imagine, des explications qui l’accompagnent. […] Les Allemands ont imaginé de distinguer les écrivains en deux classes et comme en deux espèces.