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471. (1853) Portraits littéraires. Tome I (3e éd.) pp. 1-363

Le poème de l’Invention, qui nous est parvenu tout entier, offre l’alliance heureuse de l’imagination et de la raison. […] C’est une sorte de confession plutôt qu’une œuvre d’imagination ; c’est avec le cœur plutôt qu’avec l’esprit qu’il faut le comprendre et le juger. […] Le portrait des deux sœurs, Marianna et Noëmi, fait le plus grand honneur à l’imagination de M.  […] Son imagination ne parle pas moins haut que son cœur. […] L’imagination la plus heureuse ne saurait deviner toutes les tracasseries, toutes les piqûres d’épingle dont se compose la vie de Karl Henry.

472. (1907) Propos littéraires. Quatrième série

Il a un autre beau défaut, qui est l’imagination, une merveilleuse imagination. Son imagination est une lorgnette marine. […] C’est encore une fois se laisser un peu entraîner à l’imagination. […] Il faut avoir de l’esprit dans l’imagination et de l’imagination dans l’esprit pour trouver ces cruelles petites choses-là. […] Vite il faut exploiter cela, et Boche devient romancier d’imagination.

473. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre IV. Des Livres nécessaires pour l’étude de l’Histoire. » pp. 87-211

Ces tableaux offrent les couleurs les plus brillantes ; mais il en résulte souvent des portraits d’imagination. […] Cet Ecrivain a l’imagination belle, l’expression noble, une éloquence admirable. […] Jamais historien ne pensa si profondément ; mais peut-être qu’à force de vouloir expliquer tout, son imagination lui a fait quelquefois faire des systêmes. […] Mais le style n’ayant pas ces graces qui plaisent à l’imagination, cet ouvrage a été plus acheté que lu. […] Mais les agrémens que l’imagination de l’auteur répand sur tout ce qu’il traite ont affoibli la plûpart de ses critiques dans l’esprit du plus grand nombre de lecteurs.

474. (1860) Cours familier de littérature. IX « XLIXe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier » pp. 6-80

Mon imagination s’était idéalisé cette figure. […] Sa mission était un éternel sursum corda des yeux et de l’imagination de son siècle. […] J’aime mieux garder le mien froid et spéculatif dans mon imagination que de le voir évaporé en vain devant une idole distraite et saturée d’encens. […] Elle était dans l’ivresse de ses souvenirs en les visitant avec moi ; elle désirait beaucoup entrevoir au moins ces figures d’hommes nouveaux et de femmes célèbres qui portaient des noms chers à son imagination ou à sa piété. […] Le talent de M. de Chateaubriand était lyrique et non scénique ; son imagination le soutenait sur ses ailes dans des régions trop élevées de la pensée pour s’abattre en face d’un parterre et pour faire dialoguer des hommes d’os et de chair.

475. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIIe entretien. Fior d’Aliza » pp. 177-256

J’avais eu l’occasion, l’année précédente, de rencontrer à Chambéry une jeune personne anglaise, d’un extérieur gracieux, d’une imagination poétique, d’une naissance distinguée, alliée aux plus illustres familles de son pays. […] Il s’imagina, dans sa douleur, et inspiré d’étranges imaginations, de se rapprocher au moins par le regard de la place où elle s’était évanouie de la terre. […] Lord Byron avait commencé sa réputation immortelle par la publication d’un poème en quatre chants, ou plutôt d’une grande excentricité poétique, aussi originale et aussi vagabonde que son imagination, intitulée le Pèlerinage de Childe Harold. […] Ce poème avait allumé l’imagination de son temps à proportion du plus ou moins d’élément combustible que ces imaginations portaient en elles-mêmes. […] Cette imprécation renferme ce que renferme toute imprécation, c’est-à-dire tout ce que l’imagination d’un poète, quand il rencontre un pareil sujet, peut lui fournir de plus fort, de plus général, de plus exagéré, de plus vague, contre la chose ou le pays sur lesquels s’exerce la fureur poétique de son héros.

476. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Charles Dickens »

Venues de loin, issues d’une race étrangère, datées d’un temps presque passé, elles ont fait surgir dans mille têtes de jeunes gens, de jeunes filles de France, tout un monde de singulières imaginations, de lieux noirs et étranges, de faces grimées, touchantes, grotesques, risibles, effrayantes, d’aventures compliquées à faire peur, de scènes comiques ou pathétiques. […] Les mobiles de la conduite des personnages sont encore purement fantastiques ; c’est tantôt une bonté stupide, tantôt la méchanceté pure, tantôt une rapacité ou un désintéressement également extrêmes, au contraire, les grands intérêts passionnels ou spirituels humains, l’amour, ce pivot de presque toutes nos œuvres d’imagination, l’ambition, la soif de science, de gloire, de pouvoir, de jouissance, ne jouent aucun rôle presque dans ces singuliers livres. […] Un écrivain humoristique sera donc un homme qui tend à n’éprouver et, par conséquent, à ne rendre chacune de ses sensations, de ses idées, de ses imaginations, de ses perceptions totales ou fragmentaires, que sous forme de sentiments, d’affections, de passions, d’émotions d’aversion, de crainte, de pitié, d’intérêt, de gaieté, et qui s’émeut ainsi sans cesse et, pour des gens autrement constitués, sans raison. […] En se souvenant encore de quelques fantastiques harpagons de Dickens, tels que le vieux Gride de Nicolas Nickleby ou le vieux Scrooge de l’un des Contes de Noël, on aura de bons exemples de ce que peut donner un art essentiellement réticent et suggestif, qui se borne à de rares indications disconnexes en laissant à l’imagination des lecteurs le soin de compléter les linéaments des figures ainsi esquissées dans l’ombre. […] Les préceptes religieux qui sont généralement de cet ordre ont pu prendre l’imagination, modifier nos spéculations, inspirer même des actes antinaturels ; ils n’ont jamais dicté de conduite ni réformé de peuple, et la permanence des grands traits de la nature humaine, dans tous les âges et dans toutes les contrées, est garante de cette impuissance des morales édictées.

477. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

La jeune école littéraire du réalisme qui s’évertue aujourd’hui à le réhabiliter, ne parviendra qu’à se salir l’imagination sans parvenir à le laver. […] Il apprit de l’un l’art des vers ; il apprit trop peut-être de l’autre l’art de dépenser sa jeunesse en loisirs infructueux, en nonchalances d’imagination, en voluptés paresseuses d’esprit. […] Le sujet de Don Juan a été et sera mille fois encore l’éternelle tentation des imaginations poétiques. […] Ce fut un grand malheur que cette rencontre au printemps de leur vie, entre deux grandes imaginations et entre deux belles jeunesses qui n’étaient pas nées pour se refléter l’une à l’autre des clartés, mais des ombres. […] Son âme, qui n’était que grâce, flexibilité et souplesse comme son talent, s’inclinait à tout vent de l’imagination.

478. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La Divine Comédie de Dante. traduite par M. Mesnard, premier vice-président du Sénat et président à la Cour de cassation. » pp. 198-214

Quoi qu’il en soit, ce dilettante brillant et incrédule dut à quelque chose de fier et de hardi qu’il avait dans l’imagination, et qui tenait sans doute à ses origines méridionales, d’être le premier chez nous à parler dignement de Dante, et même de le juger très finement sur des beautés de détail et d’exécution qui semblaient être du ressort des seuls Italiens : Il faut surtout varier ses inversions, disait-il en pensant au travail imposé aux traducteurs ; le Dante dessine quelquefois l’attitude de ses personnages par la coupe de ses phrases ; il a des brusqueries de style qui produisent de grands effets ; et souvent, dans la peinture de ses supplices, il emploie une fatigue de mots qui rend merveilleusement celle des tourmentés. — Quand il est beau, disait-il encore, rien ne lui est comparable. […] Le poème de Dante, c’est l’expression de l’histoire de son temps prise au sens le plus étendu, l’expression non seulement des passions, des haines politiques, des luttes, mais encore de la science, des croyances et des imaginations d’alors. […] Mais nous autres que la philosophie du Moyen Âge intéresse moins que ce qui y perce d’imagination gracieuse et d’éternelle sensibilité humaine, ce sera toujours à un point de vue plus réel et plus ému que nous nous plairons, au milieu de toutes les difficultés et des énigmes du voyage, à noter des endroits comme ceux-ci, où le poète, guidé par Béatrix dans les cercles du ciel, et approchant de la dernière béatitude, se montre ingénument suspendu à son regard, et nous la montre, elle, dans l’attitude de la vigilance et de la plus tendre maternité : Comme l’oiseau, au-dedans de son feuillage chéri, posé sur le nid de ses doux nouveau-nés, la nuit, quand toutes choses se dérobent ; qui, pour voir l’aspect des lieux désirés, et pour trouver la nourriture qu’il y va chercher pour les siens et qui le paiera de toutes ses peines, prévient le moment sur la branche entr’ouverte, et d’une ardente affection attend le soleil, regardant fixement jusqu’à ce que l’aube paraisse : ainsi ma dame se tenait droite et attentive, tournée vers l’horizon, etc., etc. […] S’il nous est donné aujourd’hui, grâce à tant de travaux dont il a été l’objet, de le mieux comprendre dans son esprit, et de le révérer inviolablement dans son ensemble, nous ne saurions abjurer (je parle au moins avec la confiance de sentir comme une certaine classe d’esprits) notre goût intime, nos habitudes naturelles et primitives de raisonnement, de logique, et nos formes plus sobres et plus simples d’imagination ; plus il est de son siècle, moins il est du nôtre.

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