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357. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

-l’imagination et le jugement sont deux qualités communes et presque opposées. L’imagination ne crée rien, elle imite, elle compose, combine, exagère, agrandit, rapetisse, elle s’occupe sans cesse de ressemblances. […] Le génie crée les beautés, la critique remarque les défauts ; il faut de l’imagination pour l’un, du jugement pour l’autre. […] Pourquoi met-on si fortement l’imagination de l’enfant en jeu, si difficilement celle de l’homme fait ? […] La nuit dérobe les formes, donne de l’horreur aux bruits ; ne fût-ce que celui d’une feuille, au fond d’une forêt, il met l’imagination en jeu, l’imagination secoue vivement les entrailles ; tout s’exagère.

358. (1772) Discours sur le progrès des lettres en France pp. 2-190

Ils furent écoutés avec transport par des hommes dont l’imagination brûlante s’enflammoit aisément. […] Quoi de plus susceptible d’images agréables, qu’une Religion faite exprès, où tout invitoit les sens à jouir, où la volupté présidoit aux mystères, où l’imagination enfin créoit à son gré des Déesses & des Dieux ! […] Quelle imagination ne se seroit pas enflammée à ce prix ? […] Cette impulsion une fois donnée, l’imagination s’allume à son tour, & produit sans peine & sans efforts les images les plus grandes & les plus frappantes. […] Mais quel triste retour sur nous-mêmes, quand nous sommes forcés d’avouer que c’est aux dépens du génie, du goût & de l’imagination !

359. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VI. De la littérature latine sous le règne d’Auguste » pp. 164-175

L’imagination, sous quelques rapports, n’a qu’un temps dans chaque pays ; elle précède ordinairement les idées philosophiques ; mais lorsqu’elle les trouve déjà connues et développées, elle fournit sa course avec bien plus d’éclat. […] Les anciens, qui se complaisaient dans l’admiration, qui ne cherchaient point à diminuer l’odieux du vice, ni le mérite de la vertu, avaient une qualité presque aussi nécessaire à l’intérêt de la vérité qu’à celui de la fiction ; ils étaient fidèles à l’enthousiasme comme au mépris, et souvent même les caractères étaient plus soutenus dans leurs tableaux historiques que dans leurs ouvrages d’imagination. […] C’est à ces diverses considérations qu’il faut attribuer la supériorité des anciens dans le genre de l’histoire : cette supériorité tient principalement à cet art de peindre et de raconter qui suppose le mouvement, l’intérêt, l’imagination, mais non la connaissance intime des secrets du cœur humain, ou des causes philosophiques des événements30.

360. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 239-252

L’étude des anciens modeles, sur-tout de Virgile, avait disposé sa Muse à cette vigueur d’imagination, à cette énergie de pinceau, qui font toujours les germes assurés du succès. […] La vue d’un Tableau de Raphaël sera plus d’impression sur un jeune Peintre ; la lecture d’une Oraison funebre de Bossuet, saisira plus un jeune Orateur, fécondera plus l’imagination de l’un & de l’autre, que tous les préceptes des Maîtres. […] Après sa sortie des Jésuites, il ne renonça pas aux Lettres ; mais la manie philosophique éteignit le feu de son imagination, & égara son jugement.

361. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre quatrième. L’aperception et son influence sur la liaison des idées »

Il est clair que le dé du tableau est une esquisse grossière qui éveille par association un souvenir plus précis, et ce souvenir, selon les hasards de l’imagination ou selon l’intérêt pris par nous à la chose, peut affecter lui-même deux formes diverses. […] Pareillement, on peut voir par l’imagination un grand nombre de formes dans les nuages, dans les roches, dans les simples accidents d’une table en bois. […] Ces faits prouvent que l’imagination n’est ni entièrement esclave ni entièrement indépendante des excitants extérieurs, et qu’il se fait une combinaison de ce qu’on voit avec ce qu’on imagine ; mais cette combinaison a toujours lieu par des points de contact, qui sont des points de contiguïté.

362. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes pensées bizarres sur le dessin » pp. 11-18

L’étude de l’écorché a sans doute ses avantages ; mais n’est-il pas à craindre que cet écorché ne reste perpétuellement dans l’imagination ; que l’artiste n’en devienne entêté de la vanité de se montrer savant ; que son œil corrompu ne puisse plus s’arrêter à la superficie ; qu’en dépit de la peau et des graisses, il n’entrevoie toujours le muscle, son origine, son attache et son insertion ; qu’il ne prononce tout fortement, qu’il ne soit dur et sec, et que je ne retrouve ce maudit écorché même dans ses figures de femmes ? […] Cependant la vérité de nature s’oublie, l’imagination se remplit d’actions, de positions et de figures fausses, apprêtées, ridicules et froides. […] De là vous observerez tout le jeu extérieur de la machine ; vous verrez comment certaines parties s’étendent, tandis que d’autres se raccourcissent, comment celles-là s’affaissent, tandis que celles-ci se gonflent ; et perpétuellement occupés d’un ensemble et d’un tout, vous réussirez à montrer dans la partie de l’objet que votre dessin présente, toute la correspondance convenable avec celle qu’on ne voit pas, et ne m’offrant qu’une face vous forcerez toutefois mon imagination à voir encore la face opposée ; et c’est alors que je m’écrierai que vous êtes un dessinateur surprenant.

363. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre II. Des éloges religieux, ou des hymnes. »

Dans ces temps d’effroi, les hymnes durent être animées par l’imagination et respirer l’enthousiasme ; car l’homme aux prises avec la nature conçoit des idées plus grandes par la vue de sa faiblesse même ; alors tout s’exagère à ses yeux ; ses expressions s’élèvent avec ses idées, il peint tout avec force, il emprunte de toute la nature des images pour louer celui à qui la nature est soumise. […] Cette hymne, trop peu connue, annonce en même temps une imagination forte et une âme épurée des superstitions. […] À imagination égale, cette impression même est plus forte chez les peuples qui habitent les campagnes, que chez les peuples renfermés dans l’enceinte des villes, et l’on sent bien que cela doit être : dans les villes on n’aperçoit pour ainsi dire que l’homme ; partout l’homme y rencontre sa grandeur.

364. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XVII. »

J’imagine donc que, pendant ces fêtes de Vénus où Pline le Naturaliste commençait à deux heures de nuit sa journée de travail, les temples, les bois sacrés des villes d’Italie, retentirent souvent de quelques strophes de l’hymne qui nous est parvenu, sans doute altéré par le temps, et moins peut-être par l’imagination de la foule que par le savoir prétentieux de quelque lettré : « Qu’il aime demain, celui qui n’a jamais aimé ! […] Les fureurs de ce hideux artiste plaisaient à l’imagination corrompue des Romains : et, comme jadis la pompe lyrique et musicale avait été, dans Athènes délivrée, l’inspirante apothéose des exploits héroïques, elle était aujourd’hui, dans le cirque et les jardins de César, le poison excitant de la rage et du meurtre. […] Philosophe avec plus d’imagination que de force d’âme, il devait se plaire et d’abord s’appuyer quelque peu à ces arts élégants, préludes et distractions d’une cour homicide.

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