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331. (1856) Cours familier de littérature. I « IVe entretien. [Philosophie et littérature de l’Inde primitive (suite)]. I » pp. 241-320

Et pourquoi ces trois petits phénomènes et ces trois petites images sont-elles à nos yeux la seule poésie de ce vaste espace ? Parce que de ces trois phénomènes et de ces trois images il sort pour nous une émotion, et que de cette immense plaine d’épis il ne sort que de la richesse. […] L’épi est utile, mais l’alouette vit, le grillon chante, la brise pleure, le cœur sympathise, la mémoire se souvient, l’image surgit, l’émotion naît ; avec l’émotion naît la poésie dans l’âme. […] Cet amour, le plus éthéré et le plus saint que l’homme puisse sentir, s’y exprime par les images sensuelles du Cantique des cantiques, mais avec une candeur d’expression que l’hébreu lui-même n’atteint pas. […] « C’est la sagesse biblique des patriarches conçue dans une forme brève, et exprimée dans un rythme grave par une image frappante et simple qui s’imprime comme l’empreinte d’un cachet dans la mémoire.

332. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIIe entretien » pp. 87-159

Il fait de la langue poétique de la France une musique où le sens, l’image et l’harmonie confondus donnent au mot la magie du son, au son le sentiment du mot. […] L’accent de l’hébreu et ses âpres images passent avec lui dans le français, et en fait une langue d’airain. […] Cicéron n’a pas plus de culture et d’abondance ; Démosthène n’a pas plus de violence de persuasion ; Chatham n’a pas plus de poésie oratoire ; Mirabeau n’a pas plus de courant ; Vergniaud n’a pas plus d’images. […] Vous aurez dans cette image des traits immortels : je vous y verrai tel que vous étiez à ce dernier jour sous la main de Dieu, lorsque sa gloire sembla commencer à vous apparaître. […] N’y a-t-il pas là aussi de quoi imprimer à la langue une ampleur, une dignité, une force, une sublimité de tons et d’images qui dépassent mille fois ce que toutes les autres tribunes comportent de grandeur, de solennité et d’élévation ?

333. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. EDGAR QUINET.— Napoléon, poëme. — » pp. 307-326

On ne sait pas bien physiquement où il se termine, où l’homme, l’individu existe véritablement, et à partir de quel endroit le tourbillon d’idées environnantes imite et continue l’image. […] Or, d’une part, ce Napoléon a beaucoup du héros féodal ; la multitude d’images de chevalerie qui parsèment la peinture, les termes de fauconnerie qui escortent son aigle impériale, nous figurent plutôt un baron, un conquérant du moyen âge. […] La coupe de ma victoire, le vin de mon combat, ces fumeuses images reviennent souvent dans ses vers et accusent précisément l’excès de chaleur de cette poésie généreuse, de cette muse inculte et brave, dit quelque part André Chénier. — Vers 1813, en Prusse et bientôt par toute l’Allemagne la jeunesse teutonique confédérée eut ses poëtes patriotes, ses Tyrtées. […] La peinture de cette barbarie demi-orientale, en proie aux flammes et aux hurlements, ces minarets croulants qui, la veille, sous leurs turbans de neige, rêvaient au Bosphore, la grande tour de Saint-Ivan qui, en brûlant et fondant, se tord comme une sorcière penchée sur la chaudière immense, ce sont là de reconnaissables images, des marques solennelles qui sacrent au front le poëte.

334. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Jean-Baptiste Rousseau »

Victime foible et tremblante, A cette image sanglante Je soupire nuit et jour, Et, dans ma crainte mortelle, Je suis comme l’hirondelle Sous la griffe du vautour. […] S’il rime avec soin, c’est presque toujours aux dépens du sens et de la précision ; la rime ne lui donne jamais l’image, comme il arrive aux vrais poëtes ; mais elle l’induit en dépense d’épithètes et de périphrases. […] Cette strophe commence avec éclat, puis finit en détonnant ; cette métaphore qui promettait avorte ; cette image est brillante, mais jure au milieu de son entourage terne, comme de l’argent plaqué sur de l’étain. […] Son style a de la gravité, quelque noblesse, mais peu d’images, peu de consistance, nulle originalité ; il y a de beaux traits, mais ils sont pris.

335. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre III. Théorie de la fable poétique »

Ils parlent eux-mêmes, avec esprit, véhémence ou tendresse ; ils discutent, et les réponses jaillissent sans qu’on les cherche ; ils délibèrent, et les raisonnements pressés s’ordonnent sans qu’on les range : le poëte écoute et ressent leurs émotions ; il raconte les détails, car les détails apparaissent d’eux-mêmes quand l’image de l’objet est vive et expresse. […] La poésie alors est l’image de la nature. […] N’est-elle que l’image de la nature ? […] Mais il se déroulera uniforme, décoloré, avec un abandon enfantin, comme une longue complainte ; ce sera le bruit régulier, sourd, incessant et doux d’une eau molle et terne où nulle image ne se reflète, où toute lumière s’éteint, où tout mouvement s’alanguit, qui s’attarde en longs détours, et à qui l’on s’abandonne immobile et presque endormi. — L’auteur s’effacera comme les personnages.

336. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. James Mill — Chapitre I : Sensations et idées. »

Ce qui survit ainsi à la sensation, je l’appelle « une copie, une image de la sensation, quelquefois une représentation ou une trace de la sensation. » Cette copie c’est l’idée23. […] Nous connaissons les sensations simples et ces sentiments secondaires qui en sont les images. […] Depuis Aristote qui disait : « Nous ne pensons pas sans images, et ce sont des images que les mots », jusqu’au groupe presque contemporain des idéologues, l’école sensualiste a compris de tout temps l’importance du langage.

337. (1785) De la vie et des poëmes de Dante pp. 19-42

L’imagination passe toujours de la surprise que lui cause la description d’une cause incroyable à l’effroi que lui donne nécessairement la vérité du tableau : il arrive de là que ce monde visible ayant fourni au poëte autant d’images pour peindre son monde idéal, il conduit et ramène sans cesse le lecteur de l’un à l’autre ; et ce mélange d’événements si invraisemblables et de couleurs si vraies fait toute la magie de son poëme. […] Les noms d’ombre, de spectre, de simulacre et de fantôme signifient donc tous image et représentation de l’homme. […] La Genèse, en disant que Dieu fit l’homme à son image, semble indiquer aussi cette première portion de l’homme. […] Tels sont sans doute aussi les beaux vers de Virgile et d’Homère ; ils offrent à la fois la pensée, l’image et le sentiment : ce sont de vrais polypes, vivants dans le tout, et vivants dans chaque partie ; et dans cette plénitude de poésie, il ne peut se trouver un mot qui n’ait une grande intention.

338. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Remarquez que Lamartine ne connaissait qu’à peine et de loin seulement Mme Valmore ; mais la divination du génie est comme une seconde vue, et du premier coup d’œil il avait tout compris de cette existence, il avait tout exprimé en images vivantes et dans un tableau immortel : Ils n’ont, disais-je, dans la vie Que cette tente et ces trésors ; Ces trois planches sont leur patrie. […] Est l’image de ton destin. […] Mais voici une image qui, moins noble, présente le même sens et se trouve d’une parfaite vérité.

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