/ 2246
216. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — II. (Fin.) » pp. 513-532

Image exacte, presque gaie encore et riante, qui nous atteste le calme et la sérénité d’âme de saint Louis racontant de telles détresses ! […] Il a l’image parfaitement nette et qui joue à l’œil, la comparaison à la fois naturelle et poétique. […] Au xiiie  siècle on était, ce me semble, sur la voie des vraies images, comme les anciens ; mais depuis la société s’alambiqua ; on s’enferma dans les salons, et il fallut tout un effort à quelques peintres du xviiie  siècle pour revenir à l’image naturelle, en sortant de l’abstrait et du factice : aussi sent-on chez eux comme l’effort d’une conquête. […] Si ce beau règne exista quelque part dans le passé, ce fut certes sous saint Louis, durant ces quinze années de paix, à l’ombre du chêne de Vincennes, et c’est par la plume de Joinville qu’il nous a légué sa plus attrayante image. […] Et Isaïe emploie aussi cette expression : « Je crierai comme une femme en travail. » Ce sont de ces images primitives et que donne la pure nature.

217. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

on a toute la variété et les contrastes du tableau : un ancien eût fini peut-être par ce dernier trait et par cet image, mais Cowper ne s’y est pas tenu ; il y a mêlé son idée de fils d’Adam sur le travail qui est une peine et un châtiment, mais qui est devenu un moyen ou un gage de rachat. […] C’est du sein de cette habitude intérieure désolée qu’il se portait si vivement, pour se fuir lui-même, à ces occupations littéraires et poétiques où il a trouvé le charme et où il nous a rendu de si vives images du bonheur. On n’a jamais lutté avec plus de constance et de suite qu’il ne l’a fait contre une folie aussi présente et persistante, « une des plus furieuses tempêtes, disait-il, qui ait été déchaînée sur une âme humaine, et qui ait jamais bouleversé la navigation d’un matelot chrétien. » Une de ses dernières pièces de vers, intitulée Le Rejeté, est la peinture d’un matelot tombé en pleine mer pendant le voyage de l’amiral Anson, et s’efforçant de suivre à la nage le vaisseau d’où ses compagnons lui tendent en vain des câbles, et qu’emporte la tempête : il y voyait une image lugubre de sa destinée. […] Aussi, lorsque j’ai exprimé le regret que la France n’eût point, dès ce temps-là, une poésie pareille et comparable à celle des Anglais, je pensais moins encore à la peinture directe de la nature considérée en elle-même, peinture dont notre prose élevée présente de si belles et si magnifiques images, qu’à l’union de la poésie de la famille et du foyer avec celle de la nature. […] » Bernardin de Saint-Pierre, chez nous, a fréquemment mêlé aux peintures naturelles de vives images de la vie et de la félicité domestique : mais la poésie en vers était restée en arrière, on ne sait pourquoi.

218. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XV. De l’imagination des Anglais dans leurs poésies et leurs romans » pp. 307-323

Les romans des Anglais ne sont point fondés sur des faits merveilleux, sur des événements extraordinaires, tels que les contes arabes ou persans : ce qu’il leur reste de la religion du Nord, ce sont quelques images, et non une mythologie brillante et variée, comme celle des Grecs ; mais leurs poètes sont inépuisables dans les idées et les sentiments que fait naître le spectacle de la nature. […] Son ouvrage est surtout remarquable par la pensée ; la poésie qu’on y admire a été inspirée par le besoin d’égaler les images aux conceptions de l’esprit : c’est pour faire comprendre ses idées intellectuelles, que le poète a eu recours aux plus terribles tableaux qui puissent frapper l’imagination. […] Si l’on peut trouver de la monotonie dans l’Ossian, parce que ses images peu variées en elles-mêmes ne sont point mêlées à des réflexions qui puissent intéresser l’esprit, il n’en est pas ainsi des poètes anglais ; ils ne fatiguent point en s’abandonnant à leur tristesse philosophique : elle est d’accord avec la nature même de notre être, avec sa destinée. […] Ils exagèrent les images, ils subtilisent les idées, ils épuisent tout ce qu’ils expriment, et le goût ne les avertit pas de s’arrêter.

219. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « José-Maria de Heredia.. »

Cette poésie est, en effet, la seule où la forme soit vraiment tout, où l’on soit sûr, si on est séduit, de ne pas céder à un autre attrait que celui des belles images évoquées par des mots harmonieux. […] Il rêvait d’enfermer un monde d’images dans un petit nombre de vers absolument parfaits et de faire tenir les songes d’un dieu dans de petites coupes bien ciselées. […] M. de Heredia possède, à un plus haut degré peut-être qu’aucun autre poète, le don de saisir, entre les images, les idées, les sentiments — et le son des mots, la musique des syllabes, de mystérieuses et sûres harmonies. […] Écoutez cette fin, où l’image devient symbole : Cependant les soldats restaient silencieux, Éblouis par la pompe imposante des cieux.

220. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Anatole France, le Lys rouge »

Dès lors, hanté d’une image qui le torture et l’affole, il repousse celle qu’il aime (puisque cela s’appelle aimer). […] C’est devant une fresque de Fra Angelico, où de pâles figures, de peu de matière, expriment l’amour divin, que Jacques et Thérèse se donnent leur premier et brûlant et pesant baiser…    L’image des choses mortes excite leur lugubre ardeur de vivre. […] Ils s’aiment plus voracement sur la cendre des morts, plus harmonieusement parmi les images fanées de la beauté parfaite, plus solennellement parmi les témoignages de l’éternelle et divine inquiétude des cœurs. […] La précieuse et grêle et agaçante gaieté d’oiseau de Miss Bell, et les petites images gracieuses qui dansotent perpétuellement dans sa tête frisotée, n’empêchent point cette esthète d’être « très habile à gagner de l’argent » et d’épouser pour son torse un bellâtre italien.

221. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre V. L’Analyse et la Physique. »

Ces théories semblent des images calquées l’une sur l’autre ; elles s’éclairent mutuellement, en s’empruntant leur langage ; demandez aux électriciens s’ils ne se félicitent pas d’avoir inventé le mot de flux de force, suggéré par l’hydrodynamique et la théorie de la chaleur. […] De cette façon, dans l’étude des fonctions de variables complexes, l’analyste, à côté de l’image géométrique, qui est son instrument habituel, trouve plusieurs images physiques dont il peut faire usage avec le même succès. Grâce à ces images, il peut voir d’un coup d’œil ce que la déduction pure ne lui montrerait que successivement.

222. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXI. De Mascaron et de Bossuet. »

Ce jugement paraîtra sans doute extraordinaire ; mais si l’éloquence consiste à s’emparer fortement d’un sujet, à en connaître les ressources, à en mesurer l’étendue, à enchaîner toutes les parties, à faire succéder avec impétuosité les idées aux idées, et les sentiments aux sentiments, à être poussé par une force irrésistible qui vous entraîne, et à communiquer ce mouvement rapide et involontaire aux autres ; si elle consiste à peindre avec des images vives, à agrandir l’âme, à l’étonner, à répandre dans le discours un sentiment qui se mêle à chaque idée, et lui donne la vie ; si elle consiste à créer des expressions profondes et vastes qui enrichissent les langues, à enchanter l’oreille par une harmonie majestueuse, à n’avoir ni un ton, ni une manière fixe, mais à prendre toujours et le ton et la loi du moment, à marcher quelquefois avec une grandeur imposante et calme, puis tout à coup à s’élancer, à s’élever, à descendre, s’élever encore, imitant la nature, qui est irrégulière et grande, et qui embellit quelquefois l’ordre de l’univers par le désordre même ; si tel est le caractère de la sublime éloquence, qui parmi nous a jamais été aussi éloquent que Bossuet ? […] Il peint la terre sous l’image d’un débris vaste et universel ; il fait voir l’homme cherchant toujours à s’élever, et la puissance divine poussant l’orgueil de l’homme jusqu’au néant, et pour égaler à jamais les conditions, ne faisant de nous tous qu’une même cendre. […] « Jetez les yeux de toutes parts : voilà tout ce qu’a pu faire la magnificence et la piété pour honorer un héros ; des titres, des inscriptions, vaines marques de ce qui n’est plus, des figures qui semblent pleurer autour d’un tombeau, et de fragiles images d’une douleur que le temps emporte avec le reste ; des colonnes qui semblent vouloir porter jusqu’au ciel le magnifique témoignage de notre néant, et rien enfin ne manque dans tous ces honneurs que celui à qui on les rend. […] Toutes ses images sont des sensations vives ou terribles ; il les emprunte des objets les plus grands de la nature, et presque toujours d’objets en mouvement.

223. (1888) La critique scientifique « Appendice — Plan d’une étude complète d’esthopsychologie »

c) Des idées abstraites : Par métaphores, transposition en images. […] 2° Par le caractère absolu des mots, c’est-à-dire par le fait que le mot comprend un abstrait d’images absolument tranché : L’antithétisme général (des mots seulement pouvant être opposés). […] 4° Par le caractère signe du mot, c’est-à-dire par le fait qu’un grand nombre de mots sont de purs signes, auxquels aucune image ne correspond : Abondance de mots indéfinis.

/ 2246