La France, l’Angleterre, l’Allemagne, la Russie seront encore, dans des centaines d’années, et malgré les aventures qu’elles auront courues, des individualités historiques, les pièces essentielles d’un damier, dont les cases varient sans cesse d’importance et de grandeur, mais ne se confondent jamais tout à fait. […] L’oubli, et je dirai même l’erreur historique, sont un facteur essentiel de la création d’une nation, et c’est ainsi que le progrès des études historiques est souvent pour la nationalité un danger. L’investigation historique, en effet, remet en lumière les faits de violence qui se sont passés à l’origine de toutes les formations politiques, même de celles dont les conséquences ont été le plus bienfaisantes. […] La nation moderne est donc un résultat historique amené par une série de faits convergeant dans le même sens.
De là est sortie, au milieu de la lente et laborieuse préparation de l’Esprit des Lois, cette analyse profonde et subtile du génie politique de Rome, et de son évolution historique. […] La procédure et les formes, les procès particuliers l’ennuyèrent : les principes généraux et les sources historiques du droit captivèrent son attention. […] Il croit à l’efficacité de l’intervention humaine, individuelle, dans le cours des événements historiques. […] Il se persuade alors que les institutions artificielles sont aussi efficaces que les combinaisons naturelles, et qu’une loi bien trouvée peut suspendre ou détruire les fatalités historiques. […] Ainsi les lois d’un peuple ne sont ni le produit logique de la raison pure, ni l’institution arbitraire d’un législateur : elles sont le résultat d’une foule de conditions physiques, météorologiques, sociales, historiques.
C’est un solitaire historique, et c’est même un bonheur que sa solitude. […] Comme penseur historique, n’avons-nous pas son dernier mot, le mot transparent à travers lequel on voit le fond dans sa pensée : « Robespierre est un grand citoyen ! […] C’est là une saveur nouvelle dans la littérature historique. […] Les Femmes chrétiennes, les Héroïnes historiques du Christianisme, mises en regard des Héroïnes de la Révolution, c’était là un spectacle et c’était là une leçon ! […] En trois mots, voilà toute la question de la femme historique, et à ces trois termes nous défions d’en ajouter un de plus !
Rien, d’esprit, moins historique… De cela seul qu’il est un philosophe, Rémusat méconnaît le beau côté historique de l’Angleterre, pays avant tout de tradition et de coutumes, et qui a le bon sens et l’honneur de tenir même à ses préjugés, pour peu qu’ils soient séculaires. […] ce ne sont, à eux cinq, des héros d’aucune manière, et leur taille historique, moi qui ne suis pas whig, je ne la mesure pas au mètre de Rémusat. […] Excepté Horace Walpole peut être, ce persifleur de salon, qui est de proportion avec la largeur du lorgnon carré à travers lequel il le guigne, Rémusat a manqué ses portraits historiques. […] Trop fin toujours, et ne pouvant être que cela quand il a du talent, il a choisi — mais pour cette fois-là sans finesse — des portraits historiques à faire pour lesquels il fallait impérieusement toutes les qualités qu’il n’a pas : la force, l’éclat, la profondeur, toutes les vaillances ! […] Si j’avais, sur cette partie historique et désintéressée de l’Angleterre au xviiie siècle, à dire en un mot ma pensée, je dirais que tout ce qui est vraiment intéressant dans ce livre, c’est précisément tout ce que Rémusat n’y a pas fait !
Son Dictionnaire historique portatif conservera toujours sa supériorité sur tous les Ouvrages de ce genre qui l’ont précédé, & sur ceux même qu’on a publiés depuis. Il est moins complet que le nouveau Dictionnaire historique en six volumes ; mais on y trouve aussi moins d’inexactitudes, moins d’erreurs, moins de fausses citations, moins de faux jugemens, moins de fautes de style & de typographie. […] Ajoutons qu’ils ont souvent copié l’Auteur, qu’ils se sont efforcés de déprimer ; & quand ils ne l’ont pas copié, ce n’a été que pour s’égarer, ou montrer une partialité puisée dans le Dictionnaire historique, littéraire & critique, qu’ils ont également décrié.
L’histoire de la Révolution n’a pas moins de soixante années, — soixante années qu’Hippolyte Castille, qui comprend un peu l’unité historique comme la Convention comprenait l’unité politique, prétend faire tenir, bon gré, mal gré, dans dix volumes, — ni plus ni moins, — par la seule force du poignet. […] Si ceux qui vont le suivre ne contiennent pas plus de matière historique, — et pourquoi en contiendraient-ils davantage ? […] Le mal vient de plus loin ; il tient à quelque chose de plus profond qu’un manque de justesse et d’architecture : il tient à la conception historique de Castille, aux racines mêmes de l’homme et du livre, et c’est ce qu’il nous faut d’abord signaler. […] ni à faire flamber au-dessus du drame de l’histoire cette grande illusion de moralité dont il ne sourit même pas, car les mécaniques ne sourient pas, et il est une mécanique historique. […] Évidemment, l’homme qui se sert de cette plume-là et sait partager, en la racontant, l’impatience de sang et de fierté des hommes qui furent les ennemis de sa cause, est fait pour autre chose que pour être un fataliste historique et rester l’écrivain qui, par amour du style, ne trouve rien de mieux que de mettre le mot « trombe » à la place du mot Dieu !
José-Maria de Heredia a placé à la tête de sa traduction deux tableaux historiques qui lui appartiennent en propre : le tableau de l’Espagne de 1513 à 1514, et celui de la jeunesse de Cortez ; et ces deux tableaux introduisent et classent très haut leur auteur dans la littérature historique de ce temps. […] … C’est là, en effet, qu’il faut en venir, puisqu’il s’agit de Heredia, de ce grand coloriste en prose inconnu encore, même dans le coloriste en vers qu’on connaissait, et qui rayonne et se projette en ces deux morceaux historiques comme une promesse, faite à l’Histoire, d’un artiste pour plus tard de la plus singulière puissance de plasticité. La couleur, cette chose moderne qui est devenue une exigence, était rare dans la littérature historique d’autrefois, plus grave et plus nerveuse que colorée. […] Il lui faut, à ce peintre de masses, à ce maître de la fresque qui procède toujours par de magnifiques accumulations de détails, et qui, pour les entasser, a besoin d’espace, il lui faut, pour jouer dans sa force, le pourtour d’un peuple, l’hémicycle d’une société ou d’une époque, et je ne connais guères que Macaulay, dans plusieurs de ses beaux Essais historiques, publiés dans La Revue d’Edimbourg, qui ait cette étendue et cette largeur d’embrasse ; mais Macaulay, bien plus littéraire que plastique, n’a pas la couleur de José-Maria de Heredia, quoique Macaulay, comme Heredia, ait été un poète avant de devenir un prosateur ! […] Mais le grand historien va peut-être surgir et éclater à son tour… José-Maria de Heredia nous annonce non plus des tableaux historiques, mais une histoire complète de la conquête du Mexique, et l’historien, qui est fait de hauteur de vue et de moralité, va-t-il planer ici sur la vie de sa couleur, et s’y dresser dans l’auguste attitude de cette double force nouvelle ?
Et cependant le sujet historique que Labutte n’a pas craint d’aborder n’en restera pas moins un des plus intéressants et des plus magnifiques sujets qu’un homme d’imagination et de science pût traiter, s’il l’avait compris. […] Esprits raccourcis et passionnés, nous ne pensons, guères qu’à ce bout de toile historique dont nous sommes les tisserands d’un jour ou à ce qui peut directement s’y rattacher, et nous oublions trop que l’Histoire est particulièrement, dans sa notion pure et profonde, le récit des choses entièrement finies, des mondes entièrement disparus. […] Il est de cette école historique qui n’a pas de nom encore, — car un nom compromet, — mais qui a une existence très positive et très puissante dans l’éducation et la littérature contemporaines. […] nous ne lui aurions donc pas demandé, à lui, le dernier venu, si inférieur d’ailleurs à ses devanciers, ce que ces devanciers ignorent, c’est-à-dire la loi historique de ces faits tant de fois maudits et qu’il recommence de maudire, sans ajouter rien à la vulgarité de ces caduques malédictions. […] C’est un de ces pleurards historiques qui versent, sur les malheurs de l’humanité au Moyen Âge, ces larmes de crocodile qui ont toujours le même succès sur les esprits ignorants et les âmes sensibles.