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12. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Nicole, Bourdaloue, Fénelon »

Sacy, qui nous vante Nicole (nous avons dit pourquoi), met sous la garde des éloges de Voltaire le traité des Moyens de conserver la paix avec les hommes, mais Voltaire avait bien de la grâce pour se soucier de Nicole, lui qui ne croyait ni à l’humaine ni à la divine ! […] l’homme tout entier, être, réflexion, liberté, n’existe que sur le piédestal de la grâce, de même (littérairement), il ne vit que par elle, dans un autre sens. Les œuvres dénuées de grâce ne durent pas, — et, comme les ossements arides ne se lèvent que sous le souffle des prophètes, toutes les préfaces de Sacy ne feront pas trouver de saveur dans un moraliste comme Nicole à la génération qui a eu le bonheur de lire Joubert, — un délicieux livre à réimprimer, par parenthèse, et que Techener ne réimprime pas. […] Mais, à part le ton de sa foi, littérairement Fénelon montre dans ses Lettres spirituelles un talent exquis et ravissant, et même religieusement il peut faire du bien à quelques âmes Il a le charme, il a la grâce, — ce rien de la grâce que n’avait pas Nicole, et avec lequel on solde tout !

13. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français et de la question des Anciens et des Modernes »

Méléagre vivait cent ans environ avant Jésus-Christ ; charmant poète lui-même, auteur d’idylles et d’épigrammes amoureuses remplies de grâce ou de flamme, il réunissait toutes les conditions pour réussir à un travail qui demandait une main heureuse. […] Platon est resté fidèle à son grand goût jusque dans la grâce de ses épigrammes ; par exemple : Laïs consacre son miroir à Vénus. […] Ô le plus grand des peintres, tu es sans doute un génie, mais il était bien temps de laisser respirer de ses maux ce mortel de tant de douleur. » Il demande grâce pour le héros torturé, tant il prend au sérieux la peinture ! […] Il se plaisait avant tout au commerce délicat des Grâces, et il était dans la mémoire de tous, Aristocratès. […] Par Cybèle et Cérès, et sa fille adorée, Une grâce légère, une grâce sacrée.

14. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame de Créqui »

La marquise des Mémoires a de l’éclat, de l’imagination, une voix timbrée, une manière de prendre du tabac dans sa boîte d’or en secouant ses jabots de dentelle, qui a tout ensemble de la grâce, de l’impertinence et de la grandeur. […] L’auteur de Volupté a-t-il bien vu et pouvait-il bien voir, sous son extérieur de grâce patricienne, cette femme qui répugne au pastel et qui méritait d’être peinte, non par une main plus habile que la sienne, mais peut-être plus sympathique ? […] Si, de son vivant, quelque ami littéraire lui avait exposé la théorie de son historien futur, elle l’eût bientôt coupé en quatre, comme dit Sainte-Beuve, avec un de ces mots comme il en bondissait de son esprit, puis elle aurait tourné sur les hauts talons de ses mules, et tous ceux qui aiment la grâce même dans l’impertinence, lui auraient pardonné. La grâce et le bon sens, précieux et trop rare alliage absent de tant d’œuvres et qu’on trouve ici dans quelques lettres et quelques billets ! Souvent nous avons vu un peu de grâce faire passer par-dessus beaucoup de folie, mais que dire de beaucoup de grâce consacrée à nous faire aimer beaucoup de bon sens ?

15. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Madame de Krüdner et ce qu’en aurait dit Saint-Évremond. Vie de madame de Krüdner, par M. Charles Eynard »

Il est si sûr de nous la présenter ensuite parfaitement convertie, qu’il s’inquiète peu de nous la voiler avec grâce comme pécheresse. […] Grâce à lui, on sait maintenant à point nommé le dessous de cartes, car il y en avait un, et chacun va en juger. […] Pourquoi la retraite nous enlève-t-elle tes grâces, ton esprit ? […] Tes grâces, tes talents y seront admirés comme ils doivent l’être. […] Je me plais du moins à noter ce procédé-ci à titre de bon goût et de bonne grâce.

16. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

Sa taille se dessinait avec grâce, et elle avait la main parfaitement faite. […] Je ne lui trouvai point l’élégance aisée d’une Parisienne qu’elle s’attribue dans ses Mémoires ; je ne veux point dire qu’elle eût de la gaucherie, parce que ce qui est simple et naturel ne saurait manquer de grâce. […] On ne peut mieux nous donner l’idée de cette grâce correcte et parfaite, non pas affectée ni étudiée, et dans laquelle la nature et l’art semblaient ne faire qu’un. […] Il n’est donné qu’à une Caylus, née et nourrie dans les élégances de Cour et dans la politesse de Saint-Cyr, de se jouer ensuite dans l’urbanité légère et de se permettre les grâces négligées. […] Sa modeste parure n’ôtait rien à ses grâces, et quoique ses travaux fussent d’un homme, elle ornait son mérite de tous les charmes extérieurs de son sexe.

17. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie Stuart, par M. Mignet. (2 vol. in-8º. — Paulin, 1851.) » pp. 409-426

Plus aimable qu’habile, très ardente et nullement circonspecte, elle y revenait avec une grâce déplacée, une beauté dangereuse, une intelligence vive mais mobile, une âme généreuse mais emportée, le goût des arts, l’amour des aventures, toutes les passions d’une femme, jointes à l’extrême liberté d’une veuve. […] Mais déjà une nouvelle passion est éclose dans le cœur ouvert de Marie Stuart ; celui qu’elle choisit cette fois n’a ni la faiblesse de Darnley, ni les grâces de salon d’un Riccio : c’est le comte de Bothwell, âgé de trente ans, laid, mais à l’aspect martial, brave, hardi, violent et capable de tout oser. […] Ici encore, non pas pour excuser, mais pour expliquer Marie Stuart, on a besoin de se représenter la morale du temps : bon nombre des mêmes seigneurs qui avaient pris part au meurtre de Riccio, et qui s’étaient ligués de fait et par écrit, s’offrirent à elle et, pour rentrer en grâce, lui firent entrevoir le moyen de se débarrasser d’un époux à charge et trop importun. […] Cette faculté d’espérance, qui l’a tant de fois trompée, lui devient ici une grâce d’état et une vertu. […] L’humanité, la pitié, la religion, la grâce poétique suprême, toutes ces puissances invincibles et immortelles se sentent intéressées dans sa personne, et crient pour elle à travers les âges.

18. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Ce que tout le monde sait sur l’expression, et quelque chose que tout le monde ne sait pas » pp. 39-53

Dans la monarchie où l’on commande et l’on obéit, le caractère, l’expression sera celle de l’affabilité et de la grâce, de la douceur, de l’honneur, de la galanterie. […] L’ovale du visage, arrondi dans la femme, dans l’enfant : caractère de jeunesse, principe de la grâce. […] Sachez donc ce que c’est que la grâce, ou cette rigoureuse et précise conformité des membres avec la nature de l’action. […] La grâce de l’action et celle de Marcel se contredisent exactement. […] C’est le souris des Grâces, c’est la jeunesse d’Hébé ; ce sont les doigts de l’Aurore ; c’est la gorge, c’est le bras, c’est l’épaule, ce sont les cuisses, ce sont les yeux de Vénus.

19. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Deltuf » pp. 203-214

Il est délicat, il est gracieux, il n’est pas fort ; il a la grâce d’Omphale ; il n’a pas la force d’Hercule. […] … Sera-t-il le Marivaux du dix-neuvième siècle, un Marivaux inespéré, avec la couleur que le dix-huitième siècle, qui ne mit du rouge qu’aux joues de ses femmes, ne connaissait pas, et que n’avait point Marivaux, dont les grâces étaient incolores, mais qui s’en vengeait par l’expression et le mouvement. […] Deltuf n’aurait-il pas, lui, des grâces irisées, ayant le mot brillant par-dessus le mouvement qui charme, le mot que le mouvement même de la pensée ferait mieux briller ? […] Deltuf, — celle qu’il a intitulée La Confession d’Antoinette, et celle qu’il a tout simplement appelée Scepticisme, — on trouve, avec la grâce vive et subtile de Marivaux, une couleur aussi éveillée que cette grâce. […] nous savions bien que l’esprit guérit tout, que c’est le dictame qu’il faut s’appliquer sur le cœur lorsque ce malheureux blessé saigne ; nous savions bien que l’esprit prend son parti de tout, mais l’avoir prouvé une fois de plus avec cette grâce, avoir fait tenir tant de sanglot étouffé dans tant de sourire, avoir fait si divinement trembler la voix en disant des choses si légères, voilà le mérite et l’originalité de M. 

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