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286. (1868) Curiosités esthétiques « IV. Exposition universelle 1855 — Beaux-arts » pp. 211-244

Cette dose de bizarrerie qui constitue et définit l’individualité, sans laquelle il n’y a pas de beau, joue dans l’art (que l’exactitude de cette comparaison en fasse pardonner la trivialité) le rôle du goût ou de l’assaisonnement dans les mets, les mets ne différant les uns des autres, abstraction faite de leur utilité ou de la quantité de substance nutritive qu’ils contiennent, que par l’idée qu’ils révèlent à la langue. […] Mais ces maîtres, trop célébrés jadis, trop méprisés aujourd’hui, eurent le grand mérite, si l’on ne veut pas trop se préoccuper de leurs procédés et de leurs systèmes bizarres, de ramener le caractère français vers le goût de l’héroïsme. […] Ses préoccupations dominantes sont le goût de l’antique et le respect de l’école. […] Ingres a laissé voir son goût pour les Etrusques. […] Pour me résumer, je crois qu’abstraction faite de son érudition, de son goût intolérant et presque libertin de la beauté, la faculté qui a fait de M. 

287. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — I. » pp. 41-61

Toute cette première partie de la vie et de la jeunesse de Madame serait curieuse et importante à bien établir : « J’étais trop âgée, dit-elle, quand je vins en France, pour changer de caractère ; la base était jetée. » Tout en se soumettant avec courage et résolution aux devoirs de sa position nouvelle, elle gardera toujours ses goûts allemands ; elle les confessera, elle les affichera en plein Versailles et en plein Marly, et cette cour, qui était alors la règle de l’Europe, et qui donnait le ton, aurait pu s’en choquer si elle n’avait mieux aimé en sourire. […] Elle trouvait en France, aux choses les plus naturelles et les plus usuelles, un autre goût et un goût moindre qu’en Allemagne : Le lait et le beurre, disait-elle après cinquante ans de séjour, ne sont pas aussi bons que chez nous ; ils n’ont pas de saveur et sont comme de l’eau ; les choux ne sont pas bons non plus, car la terre n’est pas grasse, mais légère et sablonneuse, de sorte que les légumes n’ont pas de force et que le bétail ne peut donner de bon lait. […] Ils seraient plus de mon goût que tout ce que m’apprête mon maître d’hôtel. […] Il semblait que ce fût une ironie du sort d’avoir donné pour seconde femme à Monsieur, à ce prince si mou et si efféminé, une personne qui par ses goûts ressemblait le plus à un homme et qui avait le regret de ne pas être née garçon. […] Un goût et, si je puis m’exprimer de la sorte, une sympathie de grandeur attacha Madame à Louis XIV.

288. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — I. » pp. 473-493

Une femme savante de profession est odieuse ; mais une femme instruite, sensée, doucement sérieuse, qui entre dans les goûts, dans les études d’un mari, d’un frère ou d’un père ; qui, sans quitter son ouvrage d’aiguille, peut s’arrêter un instant, comprendre toutes les pensées et donner un avis naturel, quoi de plus simple, de plus désirable ? […] Son père, savant dans le goût du xvie  siècle, était de plus un homme d’esprit et qui pensait par lui-même ; nous en pouvons encore juger. […] Une de ces difficultés, c’est, dit-elle, que « la plupart des gens sont gâtés aujourd’hui par la lecture de quantité de livres vains et frivoles, et ne peuvent souffrir ce qui n’est pas dans le même goût. […] Et, en effet, ces faux romans de Cyrus, de Clélie, depuis longtemps tombés et surannés, avaient laissé pourtant dans le goût public je ne sais quelle fadeur galante qui se portait partout autre part que vers les poèmes sévères. Il y avait en France, comme répandu dans l’air, un goût de Quinault et d’Opéra.

289. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Collé. »

Il était impossible de nous servir du Collé avec un ragoût plus opposé au goût de Collé même et à toute espèce de goût. […] Quel dommage que le goût manque totalement là où est le zèle ! […] X… a du goût, que M.  […] Collé restait trop exclusivement gaulois et ne souffrait point qu’on fît un pas en avant ; il abondait dans son sens et dans ses goûts : c’était une fin et un bout du monde qu’une telle manière d’être non renouvelée. […] Il est bon, lorsqu’on prétend juger les hommes célèbres et d’un grand talent, vers qui, pourtant, on ne se sent pas porté de goût, de se contrarier un peu, de faire effort pour être juste ; il est bon, en un mot, d’être un peu gêné ; et Collé, n’écrivant contre Voltaire que pour lui seul ou pour des amis intimes, ne se gêne pas du tout.

290. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « DU ROMAN INTIME ou MADEMOISELLE DE LIRON » pp. 22-41

Le mieux, selon nous, est de s’en tenir étroitement au vrai et de viser au roman le moins possible12, omettant quelquefois avec goût, mais se faisant scrupule de rien ajouter. […] Je sais que l’héroïne ne doit avoir qu’un goût ; qu’il doit être pour quelqu’un de parfait et ne jamais finir, mais le vrai est comme il peut, et n’a de mérite que d’être ce qu’il est. […] Que ce malheur arrive, et je me retrouve dans le cas d’une jeune fille de seize ans, forcée de se marier sans avoir le temps de concilier les convenances avec ses goûts. […] Le chevalier avait les agréments de l’esprit et de la figure, un tour de sensibilité légèrement romanesque ; il était chevalier de Malte, mais avait eu des succès à la cour : la duchesse de Berry l’avait distingué et honoré d’un goût de princesse. […] Le style sent son dix-septième siècle du dernier goût et le meilleur monde d’alors.

291. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Il avait fait avec Berton un opéra-comique, Les Rigueurs du cloître (août 1790), dans le goût philosophique du jour. […] Fiévée croit qu’il aurait fait surtout des romans, et qu’il aurait eu assez d’imagination pour cela, mais que la Révolution, en y substituant en lui les passions de l’esprit et le goût des réflexions qu’elles font naître, changea par là même sa destination. […] La Dot de Suzette, qui ne semblait qu’une anecdote vraie, racontée avec intérêt et délicatesse par une femme (car la première édition était anonyme), donna satisfaction à ce désir d’un goût plus simple. […] Fiévée a manqué, sur ce point, du goût qui tient au sentiment du respect et à celui des proportions. […] Fiévée avait le goût et la spécialité des correspondances.

292. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres complètes de Saint-Amant. nouvelle édition, augmentée de pièces inédites, et précédée d’une notice par M. Ch.-L. Livet. 2 vol. » pp. 173-191

Les goûts et les vocations sont divers et à l’infini. […] Elle mit bien des gens en goût de solitude : il leur prenait, en la lisant, comme un soudain accès, un accès anticipé de pittoresque et de romantique. […] Elle ne satisfait point l’homme de sensibilité et de goût, comme le font les stances de Racan sur La Retraite ou l’ode de Maynard À Alcippe ; elle a cependant son charme et sa grâce par une touche large et naïve, bien qu’il s’y mêle des tons déplaisants et même incohérents. […] mais c’est cette opinion même qui renferme toute la question de goût au sujet du poète dont nous parlons. […] Pour moi, qui me réserve de faire un choix sévère dans cette masse de poésies, ma simple conclusion sera : relisons ces livres du passé, connaissons-les bien pour éviter les jugements tout faits et nous former le nôtre, pour nous faire une juste idée avant tout des mœurs et des modes d’esprit aux diverses époques ; soyons comme les naturalistes, faisons des collections ; ayons-les aussi variées et aussi complètes qu’il se peut, mais ne renonçons point pour cela au jugement définitif ni au goût, cette délicatesse vive : c’est assez que nous l’empêchions d’être trop impatiente et trop vite dégoûtée, ne l’abolissons pas.

293. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poème des champs, par M. Calemard de Lafayette (suite et fin) »

Calemard de Lafayette était, il y a une quinzaine d’années, un jeune littérateur de Paris ; il s’occupait de poésie et de critique ; il était du groupe de l’Artiste et en train de se faire un nom, tout en se livrant à ses goûts préférés, lorsque, vers ce temps, des circonstances de famille et de fortune l’enlevèrent à la vie parisienne : il avait le bonheur et l’embarras d’être propriétaire foncier ; il se retira dans ses terres aux environs du Puy, dans la Haute-Loire, et se mit à les exploiter lui-même ; il prit goût à l’agriculture, à l’amélioration du sol et des colons ; l’amour de la poésie l’y suivit, et il combina ces deux amours, celui des champs et celui des vers : il en est résulté le poème dont j’ai à parler et qui a paru il y a quelques mois. […] Il embrasse la pensée des mondes comme Lucrèce, mais il se rabat par choix et par goût à une philosophie moindre et plus pratique, plus d’accord aussi avec les besoins et les désirs des humbles mortels. […] L’esprit d’Hésiode, que le grand poète Léopardi qui le goûtait dans toute sa sincérité ( colla sua greca schiettezza ) estimait plus ancien qu’Homère lui-même comme étant encore plus simple et plus primitif, ne l’a pas tenté : Virgile est plus à notre portée, dans nos données à tous et selon nos goûts. […] Les autres, se faisant un idéal plus sage, Dans les goûts de leur caste et les jeux de leur âge Philosophiquement limitent leurs désirs, Sur un mode amphibie alternent leurs plaisirs, Et, dans le frais bourbier où se pavane une oie, Clapotant, barbotant, s’en donnent à cœur-joie. […] Mais, sans prétendre ici évaluer les mérites et faire la part exacte de chacun, une leçon de goût ressort, pour nous, de la comparaison avec les anciens peintres de l’école de la périphrase.

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