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530. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Werther. Correspondance de Goethe et de Kestner, traduite par M. L. Poley » pp. 289-315

On y voit qu’il fit, au printemps de l’année suivante probablement (car les dates précises n’y sont point marquées), un voyage près de Coblentz pour s’y distraire, et qu’il y devint légèrement amoureux d’une des filles de Mme de La Hoche : « Rien n’est plus agréable, dit-il à ce sujet, que de sentir une nouvelle passion s’élever en nous lorsque la flamme dont on brûlait auparavant n’est pas tout à fait éteinte : ainsi à l’heure où le soleil se couche, nous voyons avec plaisir l’astre des nuits se lever du côté opposé de l’horizon : on jouit alors du double éclat des deux flambeaux célestes. » Cela nous apprend du moins que l’amour qu’il pouvait avoir gardé pour Charlotte n’avait rien de furieux ni d’égaré. […] L’artiste sain, vigoureux, généreux, avait substitué à sa propre méthode de guérison dont il gardait le secret, une solution maladive et banale à l’usage du vulgaire. […] Je l’ai dit : s’il est permis de conjecturer, je crois que Kestner dut toujours garder quelque chose de pénible sur le cœur à l’occasion de Werther, mais Lotte au fond n’en fut point offensée : je me la figure plutôt tacitement enorgueillie et satisfaite dans son silence.

531. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre II. Lois de la renaissance et de l’effacement des images » pp. 129-161

I Lorsque nous voyons ou touchons un objet, lorsque nous entendons un son, lorsque nous éprouvons une sensation de saveur, d’odeur, de froid, de douleur, bref, une sensation quelconque, nous en gardons l’image ordinairement pendant une seconde ou deux, à moins que quelque autre sensation, image ou idée, se jetant à la traverse, ne supprime à l’instant cette prolongation et cet écho. […] Certaines personnes gardent, sans le vouloir, des lambeaux ressuscitants d’impressions lointaines. — « Il me revenait souvent à l’esprit, dit M.  […] Tout était expliqué ; ma mémoire, excellente pour les mots, gardait le souvenir de ces noms associés, sur lesquels mes yeux avaient dû se porter, alors que je cherchais (et cela avait eu lieu deux mois auparavant) un dépôt d’eaux minérales.

532. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre IV. Racine »

Il lut donc Saint Thomas et les Pères : mais le monde le garda ; les beaux esprits du lieu, les dames avaient bien reçu ce jeune poète qui avait l’air de Paris et connaissait Chapelain ; ses amis parisiens l’entretenaient aussi de pensées profanes. […] Quatre cantiques spirituels (1694), des épigrammes mordantes contre de méchants auteurs et de méchantes tragédies, firent encore voir qu’il gardait toute la vivacité, toutes les ressources de son esprit. […] Mais à chaque sujet il s’efforce de garder son caractère, de faire revivre en son imagination les âges lointains, les civilisations disparues.

533. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre premier »

Mais ce sera pour en garder le lecteur, et pour le détourner de donner aux vains écrits marqués de ces caractères, un temps que l’époque où nous vivons nous compte d’une main avare, et qui suffit à peine à nous pourvoir de l’indispensable. […] Les figures, les métaphores, sont des pièges du même genre, et dont il n’est guère plus facile de se garder. […] Notre langue, c’est la parole d’affranchissement et de civilisation : gardons ce dépôt pour nous et pour tous.

534. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre cinquième »

Le malheur dans les amours de tête était un titre assuré aux charges et aux biens d’Église ; aussi se gardait-on bien d’être heureux. […] S’il faut en croire Racan, il lui arriva, dans une rencontre, de pousser Sully si vivement l’espace de deux ou trois lieues, que celui-ci en garda toujours du dépit et que ce fut la cause de la situation médiocre de Malherbe à la cour de Henri IV. […] Apollon à portes ouvertes Laisse indifféremment cueillir Ces belles feuilles toujours vertes Qui gardent les noms de vieillir.

535. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre dixième. »

Il avait retenu de l’école de Voiture, qui doit en garder l’honneur, le goût pour la description. […] Qui de nous n’a visité ces royaumes-là, et gardé dans son imagination la fraîcheur humide de quelque marécage solitaire, que le travail de l’homme n’a pas encore disputé au vent et à l’eau ? […] Nature heureuse entre toutes, il a les qualités sans les défauts, il peut aimer sans haïr, et il sait garder, jusque dans la perfection, je ne sais quelle aisance qui donne à la pureté de son goût l’air d’un instinct.

536. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quinzième. »

Il aimait Mme de Sévigné par cette idée vraie et charmante, que dans les choses où les femmes sont supérieures, elles le sont aux hommes les plus habiles, sans compter la grâce du sexe, qu’elles gardent jusque dans la force. […] Tous les deux sont admirables, toute proportion gardée, par tout ce qu’ils ont tiré de subtilité, d’émotion et de force, de la pensée qui les possédait. […] Il a pris un certain archaïsme qu’il a gardé jusque vers le milieu du dix-huitième siècle, comme une mode du temps.

537. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre IV. L’ironie comme attitude morale » pp. 135-174

Bien qu’il y ait certains liens de dépendance entre tous ces éléments du monde, ils restent souvent assez mal coordonnés entre eux, et gardent une vie suffisamment indépendante. […] Il jouera de son mieux et s’efforcera vers le triomphe, mais se gardera peut-être aussi des joies outrecuidantes et des désillusions amères. […] Le tiers esprit se gardera de cet écueil.

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