Mémoires de Mme Elliot sur la Révolution française, traduits de l’anglais par M. le comte de Baillon33 Lundi, 27 mai 1861. […] On n’a pas à craindre cet inconvénient avec Mme Elliott ; M. de Bâillon s’est borné à la traduire, et il l’a fait en homme d’esprit sans doute et en homme de goût, mais en la laissant d’autant plus elle-même, d’autant plus naturelle, tellement que ce livre a l’air d’avoir été écrit et raconté sous sa forme originale en français. Et c’est bien en français qu’il a été senti, si je puis dire. Quand Mme Elliott éprouvait toutes ses émotions, ses indignations, ses loyales colères, elle n’en allait pas demander l’expression à sa langue maternelle ; elle répondait à l’injure dans la même langue, elle avait son cri en français. […] Causant un jour avec Biron du procès du roi, elle lui dit « que c’était l’événement le plus cruel et le plus abominable qu’on eût vu jusqu’alors, et que son seul étonnement était qu’il ne se fût pas trouvé un brave chevalier français pour mettre le feu à la salle où siégeait la Convention, brûler les scélérats qui y étaient, et délivrer le roi et la reine de la prison du Temple ».
Weiss sur l’Histoire de la Littérature française de M. […] C’est un point sur lequel on ne peut lâcher pied sans que l’économie même de notre histoire moderne française soit bouleversée, et la vraie notion du progrès confondue. […] Pour moi, quand je lis Voltaire, que je rouvre presque à toutes les pages, je ne saurais voir en lui quelqu’un qui se fait la moindre illusion sur la nature française et parisienne. […] Non ; si inférieurs aux Retz et aux La Rochefoucauld pour l’ampleur et la qualité de la langue et pour le talent de graver ou de peindre, ils connaissaient la nature humaine et sociale aussi bien qu’eux, et infiniment mieux que la plupart des contemporains de Bossuet, ces moralistes ordinaires du xviiie siècle, ce Duclos au coup d’œil droit, au parler brusque, qui disait en 1750 : « Je ne sais si j’ai trop bonne opinion de mon siècle, mais il me semble qu’il y a une certaine fermentation de raison universelle qui tend à se développer, qu’on laissera peut-être se dissiper, et dont on pourrait assurer, diriger et hâter les progrès par une éducation bien entendue » ; le même qui portait sur les Français, en particulier ce jugement, vérifié tant de fois : « C’est le seul peuple dont les mœurs peuvent se dépraver sans que le fond du cœur se corrompe, ni que le courage s’altère… » Ils savaient mieux encore que la société des salons, ils connaissaient la matière humaine en gens avisés et déniaisés, et ce Grimm, le moins germain des Allemands, si net, si pratique, si bon esprit, si peu dupe, soit dans le jugement des écrits, soit dans le commerce des hommes ; — et ce Galiani, Napolitain de Paris, si vif, si pénétrant, si pétulant d’audace, et qui parfois saisissait au vol les grandes et lointaines vérités ; — et cette Du Deffand, l’aveugle clairvoyante, cette femme du meilleur esprit et du plus triste cœur, si desséchée, si ennuyée et qui était allée au fond de tout ; — et ce Chamfort qui poussait à la roue après 89 et qui ne s’arrêta que devant 93, esprit amer, organisation aigrie, ulcérée, mais qui a des pensées prises dans le vif et des maximes à l’eau-forte ; — et ce Sénac de Meilhan, aujourd’hui remis en pleine lumière40, simple observateur d’abord des mœurs de son temps, trempant dans les vices et les corruptions mêmes qu’il décrit, mais bientôt averti par les résultats, raffermi par le malheur et par l’exil, s’élevant ou plutôt creusant sous toutes ; les surfaces, et fixant son expérience concentrée, à fines doses, dans des pages ou des formules d’une vérité poignante ou piquante. Que serait-ce si, au nombre des moralistes français du xviiie siècle, on rangeait, comme on en a le droit, le grand Frédéric, notre compatriote littéraire, le plus sensé, le plus éclairé (quand il ne goguenarde pas trop), le plus ami de la raison et, pour tout dire, le plus cousin de Montaigne et de Bayle, parmi les écrivains porte-couronne !
Anthologie grecque traduite pour la première fois en français et de la question des anciens et des modernes (suite et fin.) […] Monsieur Jullien, j’ai lu de vos vers français, car vous en avez commis, et quels vers, bon Dieu ! […] des vers français d’un écolier de quatrième ! […] Il n’est aucun critique français aussi bien informé de l’état des questions que M. […] Le trait saillant me paraît saisi ; vous avez, par quelques mots, traduit pour des Français la situation respective des deux poètes dans la première phase de leur vie.
Les pasteurs protestants français prenaient ainsi,à leur entrée en fonction ; un nom nouveau qui déguisait celui de famille ; c’était leur nom du désert. […] Homme obscur, ignoré dans la république des lettres ; jeté, par cette force invisible qui maîtrise nos destinées, dans les agitations d’une vie errante et toujours malheureuse ; appelé, par un concours de circonstances extraordinaires, à des emplois redoutables, où le moment de la réflexion était sans cesse absorbé par la nécessité d’agir ; remplissant encore aujourd’hui des fonctions administratives, bien plus par l’amour de la justice et l’instinct du devoir que par la connaissance approfondie des principes sur lesquels nos grands maîtres ont établi l’art si difficile de l’administration publique ; demeuré, par une captivité longue et douloureuse, presque entièrement étranger aux nouveaux progrès que des savants recommandables ont fait faire à la science, mon premier devoir, Citoyens, est de faire ici l’aveu public de mon insuffisance, et de vous déclarer que tout ce que je puis offrir à cette Société respectable est l’hommage sincère, mais sans doute impuissant, de ma bonne volonté… » Et se voyant amené, par l’ordre des idées qu’il développait dans ce discours, à parler de la Révolution française, explosion et couronnement du xviiie siècle, de « cette Révolution à jamais étonnante qui, déplaçant tout, renversant tout, après des essais pénibles, souvent infructueux, quelquefois opposés, avait fini par tout remettre à sa véritable place », il s’écriait, cette fois avec le plein sentiment de son sujet et avec une véritable éloquence : « La Révolution ! […] Il nous faut des maîtres plus sensibles qu’instruits, plus raisonnables que savants, qui dans un lieu vaste et commode, hors des villes, hors de l’infection de l’air qu’on y respire et de la dépravation des mœurs qui s’introduit par tous les pores, soient les égaux, les amis, les compagnons de leurs élèves ; que toute la peine, que tout le travail de l’instruction soit pour le maître, et que les enfants ne se doutent même pas qu’ils sont à l’école ; que dans des conversations familières, en présence de la nature et sous cette voûte sacrée dont le brillant éclat excite l’étonnement et l’admiration, leur âme s’ouvre aux sentiments les plus purs ; qu’ils ne fassent pas un seul pas qui ne soit une leçon ; que le jour, la nuit, aux heures qui seront jugées les plus convenables, des courses plus ou moins longues dans les bois, sur les montagnes, sur les bords des rivières, des ruisseaux ou de la mer, leur fournissent l’occasion et les moyens de recevoir des instructions aussi variées que la nature elle-même, et qu’on s’attache moins à classer les idées dans leur tête qu’à les y faire arriver sans mélange d’erreur ou de confusion. » Vous voyez d’ici le tableau idéal et enchanteur de toutes ces écoles primaires et rurales de la République française, où chaque enfant serait traité comme Montaigne, Rabelais ou Jean-Jacques ont rêvé de former et de cultiver leur unique élève. […] La question de guerre primait tout à ses yeux ; il la voulait active, brûlante, offensive, conforme au génie français. […] Le convoi était escorté par le contre-amiral Vanstabel31, trop faible pour lutter contre les croisières anglaises : il fut décidé que la flotte française sortirait de Brest commandée par Villaret-Joyeuse, irait au-devant du convoi attendu et combattrait au besoin les forces anglaises pour protéger son entrée.
Les derniers travaux sur la Révolution française ont éclairci sans doute bien des points, mais n’ont peut-être pas également simplifié les idées. […] Ce goût pour les lettres proprement dites, quand on n’a que des études de l’antiquité fort faibles, qu’on sait à peine du latin et pas du tout de grec, est un des traits qui caractérisent le Français, surtout celui d’alors, et qui le différencient profondément des hommes politiques de l’Angleterre. Malouet, qui passe pour un des politiques français les plus amis de la Constitution anglaise, différait donc profondément des Anglais à l’origine et par l’éducation même. […] Après trois années environ de séjour en France (1773-1776), Malouet repartit donc, chargé d’une mission de confiance pour la Guyane française. […] Chabanon était un créole spirituel et d’une jolie figure, qui unissait des études sérieuses à des talents d’agrément, helléniste et bon violon, lisant en grec Homère, que Suard n’avait jamais pu lire en entier, même en français ; homme de société et sensible, d’un tour romanesque, qui ressentit et inspira de vives tendresses et des sympathies délicates ; qui fut cher à d’Alembert et à Chamfort.
Dans toutes les parties de l’Amérique que j’ai parcourues, je n’ai pas trouvé un seul Anglais qui ne se trouvât Américain, pas un seul Français qui ne se trouvât étranger. » Après l’inclination et l’habitude, il relève l’intérêt, cet autre mobile tout-puissant, surtout dans un pays nouveau où « la grande affaire est incontestablement d’accroître sa fortune. » Et comment ne seraient-elles point encore de Talleyrand ces réflexions morales si justement conques, exprimées si nettement, sur l’égalité et la multiplicité des cultes, dont il a été témoin, sur cet esprit de religion qui, bien que sincère, est surtout un sentiment d’habitude et qui se neutralise dans ses diversités mêmes, subordonné qu’il est chez tous (sauf de rares exceptions) à l’ardeur dominante du moment, à la poursuite des moyens d’accroître promptement son bien-être ? […] J’ai dit dans mon dernier article que je regrettais qu’il n’eût point substitué le texte français original à la traduction de l’anglais, pour certains passages cités de Talleyrand. […] Il a bien réellement introduit le texte français primitif ; « mais, ajoute-t-il, c’est que M. de Talleyrand écrit très mal pour son compte, quand il n’a pas d’auxiliaire et de secrétaire. » Je ne suis pas aussi absolu, et je crois qu’il y a à distinguer. […] Et qu’on lise aussi dans le Bibliophile français (n° du 1er août 1868) deux lettres de Talleyrand dans sa jeunesse, du Talleyrand d’avant la Révolution, d’avant l’épiscopat adressées en 1787 à son ami Choiseul-Goufïier, ambassadeur à Constantinople : c’est vif, court, agréable, aimable, en même temps qu’on y sent un premier souffle de libéralisme sincère, un souci des intérêts populaires qui semble, en vérité, venir du cœur autant que de l’esprit. […] Répondant dans cet écrit à ses ennemis et ses détracteurs, il disait : « Ils osent affirmer que c’est moi qui ai aliéné de nous les États-Unis, lorsqu’ils savent bien qu’au moment précis où ils impriment cet étrange reproche, des négociateurs américains arrivent en France, et qu’ils ne peuvent ignorer la part qu’il m’est permis de prendre dans cet événement, à raison du langage plein de déférence, de modération et j’ose dire aussi de dignité, que je leur ai adressé au nom du Gouvernement français… » Il sut les attirer en effet par d’adroites paroles ; mais comment les actes et les procédés y répondirent-ils, et que devint cette dignité de ton en présence des faits ?
Valeur et sens politique de la pièce : image de l’état d’esprit de la société française après la prédication philosophique. […] Diffusion de l’esprit philosophique La diffusion des doctrines philosophiques à travers la société française se fait avec une prodigieuse puissance. […] Ce ne seront plus, au lieu de nos sévères jardins français, que parcs à l’anglaise, pelouses, perspectives adroitement ménagées, ponts rustiques, grottes artificielles, lacs et rivières d’ornement, montagnes en miniature couronnées de temples grecs dédiés à l’amour ou à l’amitié, propres bosquets dans l’ombre desquels se dérobe une statue sentimentale ou quelque autel symbolique. […] 3. « Le Barbier de Séville » Quand éclata l’affaire Goëzman, Beaumarchais avait une pièce reçue à la Comédie Française : c’était le Barbier de Séville, parade écrite pour la société d’Étioles, puis opéra-comique, et enfin comédie en quatre actes. […] Il se charge, avec l’assentiment et l’appui du ministère français, de fournir des armes aux insurgents américains, et reste, pour de fortes sommes, créancier des Etats-Unis.
« Il ne s’agit point, disait le programme primitif, de faire un cours de littérature ni une rhétorique française, ni des leçons d’esthétique, mais simplement une série de lectures. […] Il conviendrait, indépendamment du cours d’histoire proprement dit, d’établir un cours très simple, très clair, de littérature générale moderne et de littérature française en particulier, celle-ci, comme dans le cas précèdent, ayant droit au principal développement. […] Dans ces deux cours je voudrais que, tout en insistant sur les beautés et sur les grandeurs de la littérature française et de l’histoire nationale, on se gardât bien de dire ce qui se dit et se répète partout, dans les collèges et même dans les académies, aux jours de solennité, que le peuple français est le plus grand et le plus sensé de tous les peuples, et notre littérature la première de toutes les littératures. […] Souvestre, dans les commencements, avait risqué le joli conte d’Andrieux, Le Procès du sénat de Capoue, où il est question D’impertinents bavards, soi-disant orateurs, Des meilleurs citoyens ardents persécuteursg, et qui se termine par ce vers : Français, ce trait s’appelle un avis aux lecteurs !