La réalité est donc bien ici un compromis entre deux forces dont l’une tend à convertir en objet — matière inanimée, spontanéité inconsciente ou automatisme — toute la substance de l’Être ou du moi, dont l’autre tend à transformer en sujet — miroir, œil, regard, contemplation — toute cette même substance de l’Être ou du moi. […] C’est ainsi que la force d’analyse que nous usons à prendre conscience de nos émotions est soustraite à la force au moyen de laquelle nous les éprouvons : notre colère tombe sitôt que nous nous absorbons tout entiers à la considérer. […] Ce n’est point sans vérité que l’on a constaté que les grandes passions sont muettes et sont inhabiles à se dépeindre : de fait elles ne se connaissent pas, toute leur force, tendue vers l’acte, est aveugle sur elle-même. […] Avec l’abolition totale de cette activité, voici abolie, avec l’objet qui se reflétait dans la conscience, l’activité elle-même de la conscience où plus rien n’apparaît, Nietzsche s’est élevé avec force dans son Zarathoustracontre ces purs contemplatifs, contre ces dévots « de l’immaculée connaissance » qui se posent devant la réalité objective ainsi que des miroirs aux cent faces et ne veulent être que des reflets, renonçant, pour mieux connaître, à se mêler aux acteurs du drame phénoménal et retranchant de leur âme toute passion et tout désir. […] Ce qu’il faut retenir de ces développements, c’est que la réalité psychologique de quelque façon qu’on l’imagine, est bien un compromis entre deux forces dont l’une s’exprime en une tendance à agir et l’autre en une tendance à prendre conscience, à titre de spectacle, des actes accomplis, c’est que cette réalité qui a pour support les combinaisons les plus diverses, les états d’équilibre les plus variés entre ces deux tendances, se voit abolie dès que l’une d’elles, triomphant de l’autre absolument, l’exclut : en sorte que, selon un Bovarysme essentiel, l’existence de quelque réalité psychologique suppose l’antagonisme de ces deux forces, dont chacune tient les conditions de sa mort pour les conditions de son triomphe et ne persiste dans l’être que par la vertu de sa défaite tout au moins partielle.
Il faut avoir longtemps mesuré ses forces ; il faut avoir appris à les gouverner avec souplesse, pour savoir les arrêter au besoin. […] Sans aucune chaîne apparente, tout se tint, tout fut entraîné par la force des choses même. […] L’orateur républicain use de sa force tout entière ; l’orateur d’une monarchie est toujours occupé d’arrêter la sienne. […] Alors les esprits comme les caractères se combattent ; tout se heurte et se repousse ; tout prend le poids que lui donne sa force. […] Des écrivains lui avaient donné la richesse et l’harmonie, d’autres la précision et la force.
Il y a une concentration extrême des forces et il n’y a aucune déperdition ou dispersion de force. […] Ils sont de grandes et belles forces. […] C’est cela qui est la force d’un homme et la force d’un État. […] Auparavant elle était une force latente, et c’est dire qu’elle n’était pas une force. […] L’excellence est en effet une force.
Force de l’idée. […] Toute idée peut donc avoir une double force, 1° une force comme acte de représentation, qui fait qu’elle tend à croître par cela seul qu’elle est, car toute représentation comme telle, même d’un objet pénible, est un exercice d’activité intellectuelle tendant à se maintenir ; 2° une force comme sentiment, comme dépression ou surcroît de notre activité totale, non plus seulement de notre activité intellectuelle. Ces deux forces de ridée peuvent être en opposition : une idée peut tendre à être maintenue comme pensée et à être supprimée comme sentiment. Quand les deux forces de l’idée coïncident, il y a à la fois attention croissante à l’idée et désir croissant de réaliser l’idée. […] Quant à l’activité spontanée dont parle Bain, elle est toute relative : elle désigne de la force emmagasinée, un ensemble de forces de tension, qui demandent nécessairement à se décharger sous les excitations vagues venues des profondeurs de l’organisme.
La Providence, qui veut que toutes les blessures de l’âme humaine puissent être guéries, vient au secours de celui qu’elle a frappé d’un coup plus fort que ses forces. […] L’amour-propre, l’irritation, l’impatience sont des ennemis contre lesquels la conscience nous oblige à lutter, et le tissu de la vie d’un être moral se compose presque en entier de l’action et de la réaction continuelle de la force intérieure contre les circonstances du dehors, et des circonstances extérieures contre cette force. […] C’est ainsi que dans la force de l’âge même, souvent la destinée nous donne le signal de ce détachement de l’existence que le temps nous commandera tôt ou tard. […] Je repoussai doucement cette main, et me recueillant par la prière j’y trouvai la force de répondre ainsi. […] Mon âme sans force ne sait souhaiter par-delà le tombeau que le retour de la vie actuelle !
Idée de l’univers physique comme d’un ensemble de moteurs : mobiles assujettis à la loi de la conservation de la force. […] Or la raison qui détermine cette orbite est une somme de raisons distinctes, dont l’une est l’impulsion initiale, ou force tangentielle, avec sa quantité dans le cas en question, dont l’autre est la gravitation ou force centripète, avec sa quantité dans le cas en question, dont la dernière enfin est la distance de la terre au soleil à un moment et en un point fixés. […] Ici encore, il faut distinguer. — Tantôt les intermédiaires simultanés sont d’espèce différente ; tels sont, dans le cas précédent, la force tangentielle, la force centripète et la distance donnée de la terre au soleil. […] C’est ainsi que depuis quinze ans l’on a retrouvé les traces et marqué les progrès successifs de la race humaine qui a précédé notre époque géologique ; et une loi toute récente, celle de la conservation de la force, dérive par transformation toutes les forces actuelles des forces primitives que la nébuleuse de Laplace enfermait à son plus ancien état120. […] Voir à ce sujet Helmholtz, Mémoire sur la conservation de la force, traduit par Pérard, p. 31, 34 et suivantes.
L’orage des idées n’est que la manifestation superficielle d’un orage plus profond, comme les éclairs visibles révèlent, dans les nuages, une lutte de forces invisibles. […] A force de vouloir tout ramener à la relativité, on oublie les termes réels de toute relation, on intellectualise toute chose ou, ce qui revient au même, on ramène tout au mécanique en même temps qu’au logique. […] Nous avons vu que le plaisir et la douleur sont liés, dans le système nerveux, à un dégagement de la force ; mais ce dégagement même présuppose une force accumulée, une force de tension antécédente : c’est cette force de tension que l’on désigne psychologiquement par le mot de tendance et, en ce sens, la tendance précède le sentiment. […] On peut donc dire que la peine est une force et l’appeler même vis a tergo ; le plaisir est aussi une force, mais attractive. […] Un requin est ouvert, on enlève son cœur et ses viscères, et pendant plusieurs heures l’animal privé de cœur, de sang et d’entrailles, se débat, essaie de mordre, témoigne d’une force prodigieuse.
Ainsi, à la lumière des principes développés dans le chapitre précédent, nous verrons apparaître un moi dont l’activité ne saurait être comparée à celle d’aucune autre force. […] Dès lors il y aurait absurdité à jamais considérer le temps, même le nôtre, comme une cause de gain ou de perte, comme une réalité concrète, comme une force à sa manière. […] Mais d’autre part, cette idée de force, transportée dans la nature, ayant cheminé côte à côte avec l’idée de nécessité, revient corrompue de ce voyage. […] Il s’est opéré comme un compromis entre l’idée de force et celle de détermination nécessaire. […] Ceux mêmes qui, avec Faraday, remplacent les atomes étendus par des points dynamiques, traiteront les centres de force et les lignes de force mathématiquement, sans se soucier de la force elle-même, considérée comme activité ou effort.