Et la pensée exprimée, autrement dit littérature, étant la plus noble fonction de l’homme, un seul groupe d’hommes pensants dans un siècle vaut mieux pour l’histoire que des multitudes qui sèment et qui broutent : Fruges consumere nati !
Et c’est pourquoi une psychologie qui s’en tient au tout fait, qui ne connaît que des choses et ignore les progrès, n’apercevra de ce mouvement que les extrémités entre lesquelles il oseille ; elle fera coïncider l’idée générale tantôt avec l’action qui la joue ou le mot qui l’exprime, tantôt avec les images multiples, en nombre indéfini, qui en sont l’équivalent dans la mémoire.
Quand le roi soupire, tout un monde gémit216. » Voilà trois images coup sur coup pour exprimer la même pensée. […] Du milieu de sa conception complexe et de sa demi-vision colorée, il arrache un fragment, quelque fibre palpitante, et vous le montre ; à vous, sur ce débris, de deviner le reste ; derrière le mot il y a tout un tableau, une attitude, un long raisonnement en raccourci, un amas d’idées fourmillantes ; vous les connaissez, ces sortes de mots abréviatifs et pleins : ce sont ceux que l’on crie dans la fougue de l’invention ou dans l’accès de la passion, termes d’argot et de mode qui font appel aux souvenirs locaux et à l’expérience personnelle220, petites phrases hachées et incorrectes qui expriment par leur irrégularité la brusquerie et les cassures du sentiment intérieur, mots triviaux, figures excessives221.
Son portrait s’exprimait ; il récitait des vers par consonances, tremblances et soupirances, traitait Victor Hugo et Goetheb de crétins, Balzac et Flaubert de ramollis. […] Francis Chevassu ne craint pas de forcer certains traits, d’en exagérer le caractère, non pas jusqu’à la caricature, mais de façon à bien exprimer l’impression reçue.
Les littérateurs, ceux-là surtout qui excellent à décrire l’invisible et à exprimer l’ineffable, doivent être tentés parfois d’aggraver nos corruptions, afin d’observer à la loupe les aspects changeants, toutes les demi-teintes et tous les faibles spasmes de nos cœurs décomposés. […] Si l’on veut connaître par le menu ce qu’était la Turquie au temps de Soliman le Magnifique, il faut s’enfermer dans quelque ville obscure de l’Anatolie, à Mylasa ou à Moughla ; en causant le soir, sur les terrasses fleuries, on entendrait les imans, dont la robe prend, au clair de lune, de délicieuses teintes réséda, exprimer leur profond mépris pour les Nemzets (Hongrois), louer, en cérémonie, le Ghazi (victorieux) qui règne à Stamboul, et annoncer posément aux fidèles que l’on attend, l’année prochaine, pour les harems des Pachas, un important convoi de belles filles de Moscovie. […] Elle a exprimé ses sentiments en des termes qui en disent plus long que toutes les biographies. […] Ces nouveaux Trissotins, chez lesquels il y a du cuistre et du paltoquet, du Rastignac et du Giboyer, de la malice et de l’ineptie, ces parfaits exemplaires de veulerie malfaisante, et, si j’ose m’exprimer ainsi, de « muflerie », sont dignes d’être fustigés en public.
« Derrière les dames était un espalier de jasmins naturels, qui faisait tellement ressortir leur beauté, et surtout celle de Diego, qu’il m’est impossible de l’exprimer ; c’est ainsi que nous fîmes la meilleure chère du monde.
« Le roi, en s’en allant, me laissa si rempli de ses bontés, que j’aurais peine à l’exprimer.
« C’est ce sérieux, ce tour de réflexion noble et tendre, ce principe d’élévation dans la douceur et jusque dans les faiblesses, qui est le fond de la nature de Virgile, et qu’on ne doit jamais perdre de vue à son sujet. » XVI La reconnaissance pour Auguste, à qui il doit la restitution de son petit bien aux bords du Mincio, s’exprime bientôt après en vers magnifiques dans le commencement du livre III de son second ouvrage, les Géorgiques.