L’humanité s’est instruite par le besoin, par l’expérience : faisons sentir le besoin, apprêtons de l’expérience à l’enfant. […] Il avait le droit, après ses propres expériences, de chanter ses hymnes à la conscience et à la liberté, par lesquelles il s’était relevé. […] Quant aux expériences machinées, ici encore regardons plutôt le mécanisme en lui-même que les applications fournies par le tour d’esprit romanesque de Rousseau. L’expérience a été le grand maître de l’humanité ; et si l’enfant doit parcourir seul toutes les étapes de l’humanité, il faut l’abandonner aux leçons de l’expérience. […] S’il est légitime de le faire bénéficier des expériences des hommes qui l’ont précédé, n’est-il pas légitime aussi de régler, de diriger son expérience à lui, de l’aider à dégager des résultats plus rapides et plus certains ?
Tout en reconnaissant les résultats acquis de l’expérience, nous avons essayé de les séparer des conclusions contestables que nombre de physiologistes en tirent, et de fixer les limites précises où finit la compétence de l’expérience physiologique, où commence celle de la conscience. […] Cette science est née le jour où la psychologie a embrassé l’homme tout entier dans ses observations et ses expériences, où, comprenant enfin que la vie humaine est une résultante fort complexe, elle a cherché les rapports de l’être sentant, pensant, voulant, avec l’organisme, avec la nature extérieure, avec la société dont il fait partie. […] Il ne faut pas se le dissimuler, cette école ne répond que trop aujourd’hui à un sentiment profond et général de nos sociétés actuelles, où l’expérience de tant d’événements historiques contraires à la sagesse et à la conscience a glissé le doute dans les esprits et l’apathie dans les cœurs. […] Nous avons vu comment l’expérience physiologique tend à en faire une doctrine scientifique. On essaie de nous montrer également comment l’expérience historique tend à en faire une doctrine qui ait la rigueur et la précision d’une science.
Celles-ci, les femmes du xviiie siècle antérieures à Rousseau (et Mme de Staal-Delaunay en offre l’image la plus accomplie et la plus fidèle), sont purement des élèves de La Bruyère ; elles l’ont lu de bonne heure, elles l’ont promptement vérifié par l’expérience. […] Elles sont d’une expérience consommée, d’une haute sagesse, et charmantes encore jusque dans le suprême désabusement. […] Il est un degré d’expérience et de connaissance du fond, passé lequel il n’y a plus d’intérêt à rien, pas même au souvenir ; il faut se hâter, à cet endroit-là, de tirer la barre, et fermer à jamais le rideau. […] Nous n’avons personne été élevés au couvent, nous n’avons pas vécu à la petite cour de Sceaux ; mais quiconque a ressenti les vives impressions de la jeunesse, pour voir presque aussitôt ce premier charme se défleurir et la fraîcheur s’en aller au souffle de l’expérience, puis la vie se faire aride en même temps que turbulente et passionnée, jusqu’à ce qu’enfin cette aridité ne soit plus que de l’ennui, celui-là, en lisant ces Mémoires, s’y reconnaît et dit à chaque page : C’est vrai.
Il les en a remerciés dans son Épître à Huet, attestant par son expérience la vérité des enseignements de Boileau. […] Le principal intérêt de tous ces ouvrages, c’est de nous montrer souvent à l’état brut ou mal dégrossis encore des matériaux que le bonhomme recueille de ci de là, au hasard de ses expériences et de ses rencontres, et qu’il essaie, affine, concentre peu à peu, pour en faire ensuite les éléments de ses chefs-d’œuvre. […] Ainsi la vérité se recouvre de fantaisie ; elle se voile sans se dérober, et le charme du livre est fait en partie de ce contraste, qui nous fait passer incessamment de l’irréel au réel, et de la dure précision de l’expérience aux capricieuses libertés du rêve. […] Mais dans ces cadres traditionnels, La Fontaine a versé toute la richesse de sa nature, de ses émotions, de ses expériences.
Je n’oserais pas contester ce tableau si saisissant et si spécieux, et qui paraît vrai dans sa généralité ; mais d’une part Gall voyait tout avec son imagination, et d’un autre côté, quand on a quelque expérience de ces questions, on sait qu’il est bien rare que les faits s’y présentent avec cette parfaite simplicité. […] Une expérience en sens inverse de celles qui viennent d’être résumées a été faite sur le cerveau et sur le crâne des idiots. […] D’ailleurs, pour pouvoir nier d’une manière absolue l’aptitude de telle ou telle race à la civilisation, il faudrait faire des expériences qui n’ont pas été convenablement faites, parce qu’elles sont très difficiles. […] J’ajoute que, pour que l’expérience fût complète et concluante, il faudrait un couple et poursuivre les mêmes études sur plusieurs générations en évitant tout croisement.
— On demandait un jour à un homme considérable qui avait beaucoup connu Louis XVIII, si, vers la fin, lorsqu’il accepta et subit les ultra-royalistes et le parti du comte d’Artois, il avait bien toute sa tête ; cet homme considérable, et que nous pourrions nommer (Royer-Collard), répondit : « Il avait un peu baissé ; vers la fin il n’y avait plus en lui que ce qu’il était tout d’abord, le bel esprit, le petit esprit du XVIIIe siècle ; tout ce que l’expérience lui avait donné d’acquis dans l’intervalle s’en était allé. » — Ainsi cela arrive souvent en vieillissant ; on perd ce qui n’était qu’acquisition et emprunt ; on retombe au point de départ. — Eh bien, Louis XVIII, dans cette Correspondance avec M. de Saint-Priest, en est encore à ce point de départ, avant l’expérience acquise.
» — En d’autres termes, on l’imagine comme désolée et un instant après comme calme ; les deux représentations se contredisent, et, comme la seconde est munie de plus de soutiens, mieux liée à la somme de notre expérience antérieure, appuyée par l’ensemble de tous nos jugements généraux, c’est la première qui est niée, altérée, réprimée, jusqu’au moment où les incidents et souvenirs qui sont les promoteurs de sa rivale, disparaissant avec sa rivale, lui laisseront prendre à elle-même une autre minute d’ascendant. […] À ce titre, notre perception associée est trompeuse. — Mais, en vertu des expériences antérieures que nous avons faites et des lois générales que nous connaissons, nous la déclarons trompeuse, et nous nous représentons la canne comme droite ; en d’autres termes, nous imaginons une sensation tactile différente, celle que nous donnerait une canne effectivement droite. […] Ce malade a vérifié, par l’expérience de ses autres sens, que ces figures ne correspondent à rien de solide. […] Maintenant j’ai beau la faire glisser sur toute la ligne de mon expérience antérieure, elle ne s’accroche à aucun des chaînons successifs. […] Quelque chose vous passe devant les yeux ; c’est alors qu’il faut se jeter dessus, avidement ». — Ma propre expérience s’accorde avec ces remarques.
Michel Chevalier, en exposant le mécanisme de certaines institutions, et le jeu compliqué des intérêts, ont montré de plus quel respect inévitable le spectacle d’un pareil développement de société inspirait à l’un des esprits les moins prévenus en faveur des expériences démocratiques. […] L’étendue et l’importance des questions que soulève ce second volume, surtout relativement à notre Europe, se conçoivent aisément ; l’auteur, sans prétendre jamais résoudre à l’avance ce que recèle l’avenir, a rassemblé tous les éléments d’expérience, et posé les règles déjà évidentes pour les plus probables conjectures. […] L’expérience força bientôt de revenir à deux Chambres.