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530. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — I. » pp. 166-193

Elle-même, si elle avait été homme, eût-elle pu devenir ce bon génie patriotique, sauveur de l’empire ? […] Ce ne devait pas être là encore la passion sérieuse, véritable, longtemps retardée, qui saisit enfin l’âme puissante de Mme Roland, et à laquelle elle fait allusion en deux endroits de ses Mémoires, lorsqu’elle parle des bonnes raisons qui, vers le 31 mai, la poussaient au départ pour la campagne, et lorsque, saluant l’empire de la philosophie qui succédait chez elle au sentiment religieux, elle ajoute que ces sauvegardes ininterrompues semblaient devoir la préserver à jamais de l’orage des passions, dont pourtant, avec la vigueur d’un athlète, elle sauve à peine l’âge mûr ! […] A ceux qui citeraient Mme Roland pour exemple, nous rappellerons qu’elle ne négligeait pas d’ordinaire ces formes, ces grâces qui lui étaient un empire commun avec les personnes de son sexe ; et que ce génie qui perçait malgré tout et s’imposait souvent, n’appartenant qu’à elle seule, ne saurait, sans une étrange illusion, faire autorité pour d’autres.

531. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la loi sur la presse »

Il y a eu dans les années précédentes, aux époques antérieures de l’Empire, des instants où le changement de système semblait désiré, attendu, espéré de la France presque entière avec une vivacité qu’il est à regretter peut-être qu’on n’ait point satisfaite à temps, du moment que cette satisfaction plus ou moins complète devait venir. […] Il n’est pas moins vrai qu’il est profondément à regretter que, pour un acte public destiné à instituer comme un second temps, une seconde époque dans l’Empire, à donner un autre cours, une impulsion vigoureuse à l’opinion publique, et à manifester un renouvellement d’intentions dans le sens libéral, on ait dès l’abord, dans les sphères officielles, attaché par avance à la loi qui était présentée le commentaire extérieur le plus gratuitement illibéral : je veux parler du procès pour les comptes rendus. […] On sait les craintes, les obstacles qu’on s’exagérait peut-être, les péripéties du débat, l’éclat de l’éloquence qui y fut déployée, la joie qui suivit le succès : il y eut un moment où l’on crut réellement (et dans cette supposition je me place en dehors du Sénat, et je me tiens avec le simple public), — où l’on crut tout de bon qu’on entrait à pleines voiles dans un second bassin politique, dans la seconde période toute libérale de l’Empire.

532. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVe entretien. Chateaubriand, (suite) »

J’ai vidé comme toi la coupe empoisonnée ; Mes yeux, comme les tiens, sans voir se sont ouverts ; J’ai cherché vainement le mot de l’univers ; J’ai demandé sa cause à toute la nature… ………… Des empires détruits je méditai la cendre ; Dans ses sacrés tombeaux Rome m’a vu descendre ; Des mânes les plus saints troublant le froid repos, J’ai pesé dans mes mains la cendre des héros ; J’allais redemander à leur vaine poussière Cette immortalité que tout mortel espère. […] Les excès en tout sont la nature de la France, les réactions sont sa loi ; Bonaparte, son héros, fut un despote ; Chateaubriand, son écrivain, fut un apôtre peu convaincu du passé ; l’opinion publique, leur pondérateur naturel, au lieu de les contenir l’un et l’autre, les encouragea ; elle poussa l’un à l’empire, l’autre au treizième siècle : la conquête pour diplomatie, le concordat pour liberté religieuse, furent les deux pôles du gouvernement des soldats et du gouvernement des consciences. […] LXXVI Aussi voyez comme, à ses premières lignes, tout se bouleverse dans la littérature de la France et de l’empire !

533. (1889) Les premières armes du symbolisme pp. 5-50

Verlaine, dans un sonnet très admiré, il s’imaginera qu’il est à lui seul l’empire romain tout entier : Je suis l’empire à la fin de la décadence Qui regarde passer les grands barbares blancs, En composant des acrostiches indolents D’un style d’or où la langueur du soleil danse. […] Aux plus mauvais jours, quand elle expire décidément, comme par exemple sous le premier Empire, ce n’est pas l’emphase et l’abus des ornements qui la tuent, c’est la platitude.

534. (1809) Quelques réflexions sur la tragédie de Wallstein et sur le théâtre allemand

Le traité de Westphalie donna à l’empire germanique une constitution très-compliquée ; mais cette constitution, en divisant ce corps immense en une foule de petites souverainetés particulières, valut à la nation allemande, à quelques exceptions près, un siècle et demi de liberté civile et d’administration douce et modérée. […] C’est ainsi que Goëthe, l’auteur de Werther, a peint dans Goetz de Berlichingen 1 la lutte de la chevalerie expirante contre l’autorité de l’empire ; et Schiller a de même voulu retracer, dans Wallstein, les derniers efforts de l’esprit militaire, et cette vie indépendante et presque sauvage des camps, à laquelle les progrès de la civilisation ont fait succéder, dans les camps mêmes, l’uniformité, l’obéissance et la discipline. […] Ce tableau, qu’il serait impossible de transporter sur la scène française, fait toujours éprouver aux spectateurs un frémissement universel ; ils se sentent frappés à la fois, et de la proscription qui poursuit, jusque dans les lieux les plus reculés, la libératrice d’un grand empire, et de la disposition des esprits, qui rend cette proscription plus inévitable et plus cruelle.

535. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Μ. Ε. Renan » pp. 109-147

Il le fut des autres, et de lui-même… Il le fut de Lucius Verus, l’imbécile Lucius Verus, qu’il associa à l’empire. […] Il le fut de son fils, de son fils Commode, le crapuleux boucher auquel il laissa lâchement l’Empire du monde. […] Renan, Marc-Aurèle avait été un esprit religieux, il aurait eu l’initiative du temps qui devait suivre et il aurait ouvert son empire aux idées chrétiennes.

536. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre II. La qualité des unités sociales. Homogénéité et hétérogénéité »

» De nos jours encore, dans ces deux grands Empires qui sont, moralement comme géographiquement, sur la limite de l’Europe, c’est l’adhésion à la religion d’État, c’est la prise du turban on le passage par les cuves orthodoxes qui confère tous les droits. […] Quelle singulière bigarrure de toutes les statures, de toutes les couleurs de cheveux, de toutes les formes de crânes devaient, offrir ces armées de l’Empire où les Hongrois fraternisaient avec les Espagnols, les Syriens avec les Francs, les Slavons avec les Bretons ? […] Et c’est pourquoi, si « tyrannique » que soit l’empire de la mode, on ne le voit pas, comme celui de la coutume, oblitérer jusqu’à l’idée de la personnalité.

537. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre IV. Conclusions » pp. 183-231

Or, si nous écartons, comme il faut le faire, les groupements artificiels, dus à la conquête brutale (l’empire d’Alexandre, l’empire romain, celui de Napoléon), et si nous constatons qu’il y a des groupes disparus par leurs propres discordes, nous voyons que l’importance des groupes de contiguïté s’en va chronologiquement du plus étroit au plus vaste, de la famille à la tribu, de la tribu à la commune, de la commune à la province, de la province à la nation ; il y a agrégation progressive ; les groupes anciens, tout en subsistant, se subordonnent nécessairement au groupe nouveau, de sorte que, arrivés aujourd’hui à l’étape nationale, nous entrevoyons déjà, par l’union de quelques États, une marche lente vers l’humanité. […] Sur les ruines de l’empire romain, qui était une unité factice, militaire et bureaucratique, la féodalité institue des groupements nouveaux, conscients et solides.

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