Comment concevez-vous, par exemple, la grande œuvre dramatique de demain ? » Je me rappellerai toujours la surprise de mon interlocuteur quand je lui répondis : « Si je savais ce que sera la grande œuvre dramatique de demain, je la ferais. » Je vis bien qu’il concevait l’œuvre future comme enfermée, dès alors, dans je ne sais quelle armoire aux possibles ; je devais, en considération de mes relations déjà anciennes avec la philosophie, avoir obtenu d’elle la clef de l’armoire. « Mais, lui dis-je, l’œuvre dont vous parlez n’est pas encore possible. » — « Il faut pourtant bien qu’elle le soit, puisqu’elle se réalisera. » — « Non, elle ne l’est pas.
Entre cette faculté souveraine et le genre dramatique, il semble que l’antipathie soit invincible. […] Cette entrée du second Empire dans l’histoire a eu pour grand homme politique le duc de Morny, — pour grand auteur dramatique Alexandre Dumas fils, pour grands romanciers Gustave Flaubert et les frères de Goncourt.
Il introduit des personnages fictifs, leur prête des dialogues, et transforme la leçon de morale en scène dramatique. […] Je ne parlerai pas de son intérêt dramatique ; il en a un pourtant, car c’est le récit d’une vie héroïque, et il est le seul poème du moyen âge qu’on réimprime tous les ans à Épinal, dans la Bibliothèque bleue pour les paysans.
Il charge ses pièces d’incidents, il multiplie l’action, il pousse la comédie jusqu’aux situations dramatiques ; il bouscule ses personnages à travers les coups de main et les violences, il va jusqu’à les fausser pour outrer la satire.
La plus longue tradition radicale, et la plus dramatique, et la plus lourde de signification, qui ait été vécue par un homme politique, est certainement celle que personnifie Clemenceau, et qui va du lendemain du coup d’État, où il vit son père emmené, menottes aux mains, par les gendarmes, jusqu’à ces traités de Versailles où il vit ou fit naître pour on ne sait quels redoutables destins une Europe nouvelle.
Du talent des artistes dramatiques, si désintéressés, eux, d’ailleurs, qu’en dire, sinon qu’il fut parfait, et combien de remerciements je leur adresse m’est impossible à dire.
Mais ce qui est utile pour les amateurs, c’est de savoir que non seulement les Anglois & les Italiens sont affranchis de la gêne de l’hémistiche, mais encore qu’ils se permettent tous les hiatus qui choquent nos oreilles, & qu’à cette liberté ils ajoûtent celle d’allonger & d’accourcir les mots selon le besoin, d’en changer la terminaison, de leur ôter des lettres ; qu’enfin, dans leurs pieces dramatiques, & dans quelques poëmes, ils ont secoué le joug de la rime : de sorte qu’il est plus aisé de faire cent vers italiens & anglois passables, que dix françois, à génie égal.
Sardou, père de l’auteur dramatique.