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164. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Georges Caumont. Jugements d’un mourant sur la vie » pp. 417-429

La douleur lui a donné toutes les intensités qui font l’écrivain, et s’il n’était pas un écrivain, que serait-il ?… Je me le suis demandé plus haut, si cela aurait été meilleur pour sa gloire, en supposant que cet infortuné ait un jour son atome de gloire, de vivre que de mourir ; si, en vivant, il aurait mis un jour au service de quelque grande conception le talent de style contracté, affiné, acéré et passé au feu de toutes les douleurs, un jour ressenties ? […] Détaillons, — dit-il. — Dans mes poumons, c’est (en ce moment) la douleur physique et la suffocation.

165. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. » p. 232

À son retour d’Italie et dans les premiers temps de sa réinstallation à Paris, Mme Valmore revit ses chères Flandres ; elle traversa Douai, où elle embrassa tristement son frère, où le passé et le présent ravivèrent ses douleurs, et elle alla à Bruxelles, où M.  […] Je vivrais mille ans que je ne pourrais oublier cette merveille qui me poursuit, cette tête noyée de douleur et de reproches amers. […] Rien ne se guérit dans mon triste cœur ; mais aussi rien n’y sèche, et tout est vivant de mes larmes. » Cette dernière sœur elle-même mourait ; la mesure des deuils était comblée, et il y eut des moments où, dans sa plénitude d’amertume, l’humble cœur jusque-là sans murmure ne put toutefois s’empêcher d’élever des questions sur la Providence, comme Job, et de se demander le pourquoi de tant de douleurs et d’afflictions réunies en une seule destinée : « (A sa nièce, 30 janvier 1855)… J’ai depuis bien longtemps la stricte mesure de mon impuissance ; mais tu comprends qu’elle se fait sentir par secousses terribles quand je sonde l’abîme de tout ce qui m’est allié par le cœur et par la détresse. […] L’aspect nu de la réalité, tout ce qu’elle a d’inexorable et de fatal, revient assaillir, bon gré mal gré, ces âmes aimantes qui veulent espérer, et les envahit, les remplit de douleurs profondes. […] Mais quelle différence, me disais-je, entre les douleurs de l’une et celles de l’autre !

166. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LOYSON. — POLONIUS. — DE LOY. » pp. 276-306

D’assez fréquents voyages dans son pays natal, en Vendée, ou plus loin aux eaux des Pyrénées, ou à la terre de M. de Biran au bord de la Dordogne, ne diminuaient que peu ses douleurs toujours renaissantes. […] Oui, j’avais cru sentir dans des songes confus S’évanouir mon âme et défaillir ma vie ; La cruelle douleur, par degrés assoupie, Paraissait s’éloigner de mes sens suspendus, Et de ma pénible agonie Les tourments jusqu’à moi déjà n’arrivaient plus Que comme dans la nuit parvient à notre oreille Le murmure mourant de quelques sons lointains, Ou comme ces fantômes vains Qu’un mélange indécis de sommeil et de veille Figure vaguement à nos yeux incertains. […] Les poëtes qui ont commencé par le lyrisme intime, par l’expression de leurs plaintes et de leurs douleurs, ces poëtes, s’ils ont chanté vraiment par sensibilité et selon leur émotion sincère, s’arrêtent dans cette voie à un certain moment, et, au lieu de ressasser sans fin des sentiments sans plus de fraîcheur, et de multiplier autour d’eux, comme par gageure, des échos grossis, ces poëtes se taisent, ou cherchent à produire désormais leur talent dans des sujets extérieurs, dans des compositions impersonnelles. […] Le poëte aimé d’une femme Compte aussi des jours de douleurs, Mais les pleurs sont le bain de l’âme ; Les beaux vers naissent de nos pleurs ! […] Cousin prononça sur sa tombe quelques paroles pleines de douleur, bien qu’un peu dramatiques, dans lesquelles il s’écriait : Noble esprit, âme tendre, jeune sage !

167. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre premier. Existence de la volonté »

Les modernes partisans de la sensation transformée profitent de ce que les sensations superficielles des cinq sens, ou du moins celles de la vue, de l’ouïe et du toucher, sont devenues aujourd’hui presque indifférentes, presque des sensations pures et en apparence passives, tandis que les sensations organiques et celles mêmes du goût ou de l’odorat enveloppent clairement émotion et réaction ; ils brouillent le tout et supposent des sensations isolément passives et indifférentes, qui, combinées, produiraient : 1° l’apparence de l’activité ou de la volonté, 2° la réalité du plaisir ou de la douleur. […] Déplus, pourquoi le plaisir ou la douleur seraient-ils reconnus réels, tandis que le vouloir-vivre ne le serait pas, du moins en tant qu’activité véritable ? […] Fort bien ; mais est-il évident que la douleur soit elle-même une pure impression et purement sensorielle ? De plus, pourquoi la douleur excite-t-elle au mouvement, c’est-à-dire au changement, si elle ne rencontre pas une direction générale antécédente qu’elle contrarie, une appétition de bien-être à laquelle elle s’oppose ? […] On pourrait dire aussi : « L’idée d’un plaisir ou d’une peine est faible, donc le plaisir et la peine ne sont pas des états originaux. » Mais, au moment où nous jouissons et souffrons, l’état est intense ; si l’idée, au contraire, est tellement faible, c’est que le plaisir et la douleur, comme tels, ne sont pas des représentations d’objets, mais des états subjectifs ; et il en est de même du vouloir, de l’appétition, qui est le subjectif par excellence.

168. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Laprade, Victor de (1812-1883) »

Ils ont vu l’auteur de Psyché et d’Hermia devenir délicieusement chrétien dans les Poèmes évangéliques, s’enflammer jusqu’à la satire pour la défense de sa foi et de ses convictions, unir dans Pernette le drame à l’idylle, trouver, pendant les désastres de l’invasion allemande, des accents inoubliables de douleur et de patriotisme, répandre enfin, dans le Livre d’un père, les mâles et charmantes tendresses de son cœur. […] Quelques-unes des scènes évangéliques sont reproduites avec un rare bonheur, dans un ton de forte simplicité et de grandeur calme… Psyché, qui est le Désir de l’infini, les Poèmes évangéliques, qui sont la Charité, le Sacrifice, la Douleur, expriment presque au même titre l’idéalisme religieux chez M. de Laprade.

169. (1927) Quelques progrès dans l’étude du cœur humain (Freud et Proust)

« Si (nos biens intérieurs, nos joies passées, toutes nos douleurs) restent en nous, c’est la plupart du temps dans un domaine inconnu où elles ne sont de nul service pour nous. […] C’est pourquoi j’ai pu comparer Proust dans les quelques mots de douleur que sa mort m’a arrachés, à Képler, à Claude Bernard et à Auguste Comte. […] Un autre point — mais au fond c’est le même — sur lequel nos deux auteurs se trouvent en accord secret, c’est celui des relations entre l’amour et la douleur, entre le désir et l’angoisse. […] N’est-il pas évident que c’est la douleur qui fait l’amour et qu’il n’y a pas d’amour partagé ? […] au fond de quelles douleurs avait-il puisé cette force de Dieu, cette puissance illimitée de créer ?

170. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

Son sentiment du mal, au lieu de rester une douleur individuelle, s’élargit, se socialise en quelque sorte, et s’égale même à l’univers, « au prodige nocturne universel », à la nuit sans limites que nous appelons le monde. […] Ce n’est plus une sorte de fièvre de douleur, un vertige de désespoir ; c’est la vision illimitée d’un horizon noir où notre moi n’est qu’un point, d’un abîme où nous sommes engloutis. La mort, la douleur, le vice, le mal, la bestialité, la matière, la « grande ombre » sans bornes, « l’ombre athée », tout cela ne parle plus aux nerfs, mais à la pensée, qui cherche à pénétrer l’abîme et qui n’en a plus peur. […] » ………………………………………… Les douleurs finiront dans toute l’ombre : un ange Criera : « Commencement204 !  […] Douleurs, douleurs, douleurs, fermez vos yeux sacrés !

171. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Ampère »

Ce fut une grande douleur. […] Vers ce même temps, par une coïncidence heureuse, un Corpus pœtarum latinorum, ouvert au hasard, lui offrit quelques vers d’Horace dont l’harmonie, dans sa douleur, le transporta, et lui révéla la muse latine. […] Il errait tout le jour par les bois et les campagnes, herborisant, récitant aux vents des vers latins dont il s’enchantait, véritable magie qui endormait ses douleurs. […] L’absence, la douleur et l’exaltation chaste les réveillèrent avec puissance. […] Daignez me secourir pour qu’une vie passée dans la douleur me mérite une bonne mort dont je me suis rendu indigne.

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