/ 1781
407. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Dans un état démocratique, il faut craindre sans cesse que le désir de la popularité n’entraîne à l’imitation des mœurs vulgaires ; bientôt on se persuaderait qu’il est inutile et presque nuisible d’avoir une supériorité trop marquée sur la multitude qu’on veut captiver. […] Il faut faire naître le désir, au lieu de commander l’obéissance ; et lors même qu’avec raison le gouvernement souhaite que telles institutions soient établies, il doit ménager assez l’opinion publique, pour avoir l’air d’accorder ce qu’il désire. […] Ils évaluent d’abord la force du gouvernement, quel qu’il soit ; et comme ils ne forment d’autre désir que de se livrer en paix à l’activité de leurs travaux, ils sont portés à l’obéissance envers l’autorité qui domine.

408. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

Sans les passions, les gouvernements seraient une machine aussi simple que tous les leviers dont la force est proportionnée au poids qu’ils doivent soulever, et la destinée de l’homme ne serait composée que d’un juste équilibre entre les désirs, et la possibilité de les satisfaire. […] Sans s’arrêter longtemps sur les motifs de la préférence que la sagesse conseillerait, peut-être, de donner aux États comme aux destinées obscures, il est aisé de prouver que par la nature même des hommes, ils tendent à sortir de cette situation, qu’ils se réunissent pour multiplier les chocs, qu’ils conquièrent pour étendre leur puissance ; enfin, que voulant exciter leurs facultés, reculer en tout genre les bornes de l’esprit humain, ils appellent autour d’eux d’un commun accord les circonstances qui secondent ce désir, et cette impulsion. […] Il y a du bien pour la masse dans l’ordre même des choses, et cependant il n’est pas de félicité pour les individus ; tout concourt à la conservation de l’espèce, tout s’oppose aux désirs de chacun, et les gouvernements, à quelques égards, représentant l’ensemble de la nature, peuvent atteindre à la perfection dont l’ordre général offre l’exemple ; mais les moralistes, parlant aux hommes individuellement, à tous ces êtres emportés dans le mouvement de l’univers, ne peuvent leur promettre avec certitude aucune jouissance personnelle, que dans ce qui dépend toujours d’eux-mêmes.

409. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis »

Charles devint, par l’appui de son père, chanoine de Prato, et l’un des notaires apostoliques ; et comme il résidait ordinairement à Rome, son père et ses frères eurent souvent recours à lui pour se procurer, par ses soins et par ses conseils, les manuscrits anciens et les autres précieux restes de l’antiquité, dont la possession était l’objet de leurs désirs. […] Il exprima le désir que ses funérailles se fissent avec le moins de pompe qu’il serait possible, et finit ses exhortations paternelles en annonçant qu’il était entièrement résigné et prêt à se soumettre à la Providence, aussitôt qu’il lui plairait de l’appeler. […] Le jeune Riario cependant exprima, comme envoyé du pape, son oncle, le désir d’assister au sacrifice solennel, le dimanche 26 avril 1478.

410. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre II. Les romans bretons »

Elles trouvent faveur d’abord auprès de la partie de l’aristocratie anglo-normande et française, qui commençait à subir l’influence de ce Midi où la vie était plus facile, tout égayée de luxe éclatant et d’amour raffiné, en qui la poésie aux formes riches, les sentiments noblement subtils des troubadours insinuaient des mœurs plus douces, et le désir inconnu des commerces aimables et du bien-être raffiné. […] C’est une scène exquise, dans le Chevalier au lion, que l’éveil de l’amour dans l’âme d’une veuve éplorée ; curiosité, égoïsme, désir de plaire, fierté, sentiment des convenances, semblant de résistance et manège adroit pour se faire forcer la main, il se fait là dans un cœur de femme tout un petit remue-ménage que le bon Chrétien a su noter : il y a un grain de Marivaux dans ce Champenois. […] Ces romans de Graal inspirés du même esprit qui animait les grands ascètes et les ardents mystiques du xiie et du xiiie  siècle, étaient trop en contradiction avec les goûts, les désirs et les nécessités même de la société laïque, pour représenter autre chose que l’idéal exceptionnellement conçu par quelques âmes tourmentées.

411. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre III. Littérature didactique et morale »

Le fondement du plaisir ; que procurent ces pièces, c’est qu’elles évoquent pour l’auditeur l’image des choses familières : elles utilisent la vie réelle en jouissances d’art, et portent vilains ou bourgeois à la contemplation désintéressée du monde vulgaire où leur existence de désirs et de peines est enclose. […] Elle l’accueille courtoisement d’un visage gracieux : encouragé, il se hasarde à dire son désir. […] La nature prescrit, à l’homme ses besoins, et par là lui prescrit aussi ses désirs : tonie passion qui va au-delà du besoin naturel est factice et mauvaise.

412. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre II. La jeunesse de Voltaire, (1694-1755) »

Au sortir du collège, c’est un grand garçon maigre, dégingandé, à la physionomie vive, aux yeux pétillants d’esprit et de malice, dévoré du désir de jouir et du désir de parvenir, enfiévré de vanité, d’ambition, d’amour du luxe et du plaisir, enragé d’être un bourgeois, et se promettant bien de ne pas languir dans une étude et sur la procédure. […] Une religion qui gêne la nature, qui attache du péché au désir et au plaisir, lui fait l’effet d’un monstrueux non-sens.

413. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XIV, l’Orestie. — Agamemnon. »

Tant qu’il resta près d’elle, l’épouse résista aux désirs d’Égisthe : la chaste lyre était là pour chasser de son cœur les pensées mauvaises. […] Ceux-là disaient à voix basse, en la voyant monter à la tour de Scée : « Certes, ce n’est pas sans raison que les Troyens et les Achéens aux belles cnémides endurent pour une telle femme des maux si affreux, car elle ressemble par sa beauté aux Déesses immortelles. » Ceux-ci l’appellent, en la maudissant, des noms qu’on donne aux enchanteresses : « Ame sereine comme la mer tranquille… parure de la richesse… trait charmant des yeux… fleur du désir enivrant le cœur. » — Plus tard, dans l’Oreste d’Euripide, Electre insulte d’abord Hélène, lorsqu’elle rentre de nuit dans Argos, « craignant les pères de ceux qui sont morts sous les murs d’Ilion ». […] Poursuivie par Ajax ivre de désir, Cassandre s’était réfugiée dans le sanctuaire de Pallas, elle embrassait éperduement sa statue : Ajax l’arracha par les cheveux de cette étreinte suppliante, et la viola sur l’autel.

414. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XI. »

Veuf de lui-même, selon la parole du poëte, cherchant la fin de ses maux dans un désir passionné de la mort, mais repoussé de la mort par l’inexorable puissance de Jupiter, il est tout à coup délivré par le fils même de ce dieu, et il peut s’écrier : Ô fils pour moi très cher d’un père abhorré !  […] Au rivage de Munychium furent attachés les câbles, pour descendre ; et dès lors, sous le coup d’impures amours, elle a été frappée dans l’âme de la terrible maladie d’Aphrodite ; et, soumise à un cruel malheur, elle attachera elle-même aux voûtes nuptiales le cordon fatal qui va serrer son cou d’albâtre, par effroi de l’implacable déesse, par désir jaloux de bonne renommée, et pour écarter de son âme les peines de l’amour. » Sous les détours, et comme sous les plis onduleux de cette poésie, le dénouement même prédit ne semble-t-il pas se voiler à demi, avec cet art suprême des Grecs de ne pas épuiser l’horreur et de garder toujours la dignité et presque la grâce austère dans la douleur ? […] Dans le cercle infini de l’Érèbe, avant tout, la Nuit aux ailes noires produisit un œuf non couvé, d’où, par la révolution du temps, jaillit l’Amour, père des Désirs, battant son dos de ses ailes dorées, et semblable lui-même aux tourbillons de la tempête.

/ 1781