Si l’on suppose une masse de substance vivante, de protoplasma ayant une irritabilité ou sensibilité confuse, sur laquelle tombe une excitation venue du dehors, il se produira dans cette masse un mouvement, et ce mouvement se propagera selon la ligne de la plus faible résistance entre les molécules les plus délicates, les plus facilement modifiables, les plus vibrantes. […] Les êtres chez qui elle ne s’est pas assez développée en intensité et en qualité ont été fatalement victimes des accidents de la température ; les autres ont survécu et, transmettant à leur génération des organes thermométriques de plus en plus délicats, achevé le triage des sensations de température ; ils ont donné à ces sensations une existence de plus en plus distincte dans la conscience, un relief et une saillie dans la sensibilité. […] Les animaux insensibles aux variations délicates de l’électricité ont donc pu survivre et perpétuer leur race : le germe des sensations électriques a dû ainsi s’atrophier faute d’usage, et l’homme est devenu, en quelque sorte, aveugle à l’électricité comme la taupe à la lumière. […] L’odorat révèle une action plus délicate, mais ayant toujours une certaine intensité ; les yeux sentent aussi l’intensité de la lumière. […] Avoir la sensation de couleur rouge, c’est avoir une sensation délicate de chocs nerveux rapides + quelque autre chose ; c’est aussi avoir des sensations musculaires ou prémusculaires quelque autre chose.
L’esprit est un gourmet ; servons-lui des plats savoureux, délicats, accommodés à son goût ; il mangera d’autant plus que la sensualité aiguisera l’appétit. […] Joignez à cela l’art exquis des cuisiniers, leur talent pour mélanger, proportionner et dissimuler les condiments, pour diversifier et ordonner les mets, leur sûreté de main, leur finesse de palais, leur expérience des procédés, la tradition et la pratique qui, depuis cent ans déjà, font de la prose française le plus délicat aliment de l’esprit. […] Nulle flatterie plus délicate ; nous lui savons gré de nous rendre contents de notre esprit. […] On peut le comparer à ces balances de précision qu’un souffle dérange, mais auprès desquelles tous les autres appareils de mesure sont inexacts et grossiers Dans cette balance délicate, il ne faut mettre que des poids très légers, de petits échantillons ; c’est à cette condition qu’elle pèse rigoureusement toutes les substances ; ainsi fait Voltaire, involontairement, par besoin d’esprit et pour lui-même autant que pour ses lecteurs. […] Rousseau aussi est un artisan, un homme du peuple mal adapté au monde élégant et délicat, hors de chez lui dans un salon, de plus mal né, mal élevé, sali par sa vilaine et précoce expérience, d’une sensualité échauffée et déplaisante, malade d’âme et de corps, tourmenté par des facultés supérieures et discordantes, dépourvu de tact, et portant les souillures de son imagination, de son tempérament et de son passé jusque dans sa morale la plus austère et dans ses idylles481 les plus pures ; sans verve d’ailleurs, et en cela le contraire parfait de Diderot, avouant lui-même « que ses idées s’arrangent dans sa tête avec la plus incroyable difficulté, que telle de ses périodes a été tournée et retournée cinq ou six nuits dans sa tête avant qu’elle fût en état d’être mise sur le papier, qu’une lettre sur les moindres sujets lui coûte des heures de fatigue », qu’il ne peut attraper le ton agréable et léger, ni réussir ailleurs que « dans les ouvrages qui demandent du travail482 » Par contre, dans ce foyer brûlant, sous les prises de cette méditation prolongée et intense, le style, incessamment forgé et reforgé, prend une densité et une trempe qu’il n’a pas ailleurs.
… Quel était votre chemin, délicat artiste, subtil et charmeur, caressant, si moderne en vos sensualités et vos mysticismes attifés ; de vous sont les sensations mièvrement féminines, et très nôtres, très actuelles, très parisiennes : des rêveries, des poèmes d’un songe printannier, une chanson de passant, des poèmes d’amours, une fête napolitaine, un soir d’Alsace que vous avez rêvé en votre esprit d’affiné, des danses de bayadères-pierrettes, des soupirs de Madeleines en satins et soies, une sensation ; et quelque action imaginaire et impossible, que l’on suive, yeux demi clos, dans le confort d’une heure joyeuse ; quelque chimérique action où s’enrouleraient les chœurs et les belles cavatines, les marches, les ballets qui de votre pensée diraient mieux les gentillesses, — un moderne opéra, Papagena ou Manon, — les fines émotions d’une vie légère, légèrement créée, — et jamais Wotan, ni Tristan, ni Kundry. […] Il est vrai que le français a une musique plus délicate, et moins monotonale par conséquent ; mais cela suffit pour relever à nos yeux l’opéra français et nous faire oublier le néant artificiel de nos entrepreneurs de musique. […] L’harmonie y est riche et palpitante, tantôt profonde, tantôt trillée, légère, vibrante, chaude et délicate. […] Le motif s’élargit et semble se solidifier en passant à la personnalité de Sachs, comme il s’était assoupli, féminisé en quelque sorte par sa chromatisation délicate, pour appartenir à Eva. […] » — On comprend la liaison des idées de printemps, de Saint-Jean, de fête et d’exaltation populaire. — Sous la forme 48, par une intention profondément sage de Richard Wagner, ce motif populaire, célébrant les joies de la cité, marque aussi la confiance de l’artiste dans le jugement du peuple, et, chose délicate, dans le bon sens féminin : « Der Frauensinn, dit Pogner, gar umbelehrt dunkt mich dem Sinn des Volks gleich werth !?
[Avertissement de Baudelaire] Les quatre articles suivants, qui représentent la pensée de quatre esprits délicats et sévères, n’ont pas été composés en vue de servir de plaidoirie. […] Les moralités délicates disaient qu’il allait tuer comme les tubéreuses tuent les femmes en couche, et il tue en effet de la même manière. […] Charles Baudelaire d’avoir pu évoquer, dans un esprit délicat et juste, un si grand souvenir ! […] J’ai parlé du don d’évocation comme d’un des plus particuliers à l’auteur des Fleurs du mal. — Un crime a été commis ; la police pénètre dans un appartement clos et mystérieux, où, parmi les splendeurs du luxe et de la volupté la plus délicate, un cadavre de femme gît sur un lit, la tête séparée du tronc. — De quel crime ténébreux, se demande le poète, cette malheureuse a-t-elle été victime ? […] Nous sommes tellement accoutumés à être lâchement encensés ; on nous a tant de fois répété à tous, grands ou petits, poètes, artistes, bourgeois, que nous sommes les plus vertueux, les plus parfaits, les plus délicats, qu’un poète qui vient nous secouer dans notre satisfaction hypocrite ou indolente nous fait peur ou nous irrite.
Quoi qu’il en soit, Béatrix et l’inspiration d’où elle est sortie étaient, certes, un sentiment nouveau dans le monde ; comme notre tradition n’est point fermée ni exclusive, nous sommes heureux de reconnaître ce sentiment délicat de l’amour et de la courtoisie chevaleresque, d’y voir un fleuron de plus qui vient s’ajouter à la couronne humaine, à côté de l’atticisme et de l’urbanité. […] Ici nous touchons à une question assez délicate ; car il ne s’agit pas de venir introduire dans l’enseignement des noms trop nouveaux, de juger hors de propos des ouvrages du jour, de confondre les fonctions et les rôles. […] Les gens de goût d’autrefois, dans leur appréciation littéraire des œuvres, étaient un peu trop paresseux, trop délicats et trop gens du monde ; ils s’arrêtaient aux moindres difficultés de recherche, et s’y rebutaient comme à des épines. […] Mais cela dit, et nonobstant ces suppléments d’enquête toujours ouverts, conservons, s’il se peut, la légèreté du goût, son impression délicate et prompte ; en présence des œuvres vives de l’esprit, osons avoir notre jugement net et vif aussi, et bien tranché, bien dégagé, sûr de ce qu’il est, même sans pièces à l’appui.
Le détail des Bucoliques est d’une continuelle et parfaite observation rurale, d’une peinture fidèle, prise sur nature, et du rendu le plus délicat ; elles sont bien d’un poète qui a vécu aux champs et qui les aime, et chaque fois qu’on sort de les relire, on ne peut que répéter avec M. de Maistre : « l’Énéide est belle, mais les Bucoliques sont aimables. » Ayant écrit moi-même autrefois une Étude sur Virgile, il m’est resté quelque surcroît d’idées et de remarques que je demande à joindre ici comme un dernier hommage et tribut au souverain poète à qui j’aurais aimé, moi aussi, à élever mon autel. […] Pour peu qu’on prenne la peine de suivre et de refaire par soi-même, devant son Homère et son Virgile ouverts en regard, le petit travail délicat que je viens de décrire, on arrivera, comme moi, à rendre parfaitement compte de ce procédé accompli de la poésie studieuse et réfléchie du tendre Virgile : deux ou trois couleurs qui viennent se fondre en un seul rayon, deux ou trois sucs divers qui ne font qu’un seul et même miel. Mais n’allez point pour cela appeler Virgile un « compilateur de génie », comme je vois que l’a fait tout récemment un professeur de rhétorique, d’ailleurs fort estimable, et qui a cru bien dire ; tout mon sens critique se révolte contre une pareille appellation qui tend à confondre le vulgaire et le rare, le grossier et le délicat, l’engeance des Trublet et la famille des Virgile, et à méconnaître une des formes les plus fines, une des sources les plus secrètes de l’invention poétique. […] La France et l’armée viennent de perdre un militaire de distinction, esprit poli, délicat, homme de bien, — homme comme il faut, — le duc de Fezensac.
Elle avait rencontré, en effet, sur sa triste route bien des amis qui n’avaient été ni insensibles ni inactifs ; mais elle-même avec sa pudeur délicate ne se prêtait guère aux bienfaits ; elle n’allait volontiers au-devant des services que quand c’étaient des services à rendre, non à recevoir. […] De ces deux filles qu’elle eut la douleur de voir mourir avant elle, la plus jeune, Inès, délicate, poétique, une sensitive douloureuse ; méfiante d’elle-même, tendrement jalouse, « l’enfant de ce monde, disait sa mère, qui a le plus besoin de caresses », atteinte d’une maladie de langueur étrange, s’éteignit la première, à l’âge de vingt ans, le 4 décembre 1846. […] Te relever, te grandir jour par jour ; — faire rougir ou du moins attendrir ceux qui nous ont dédaignés, les rendre même fiers d’être nos alliés ou nos anciens amis, il y a encore là de quoi bénir la vie. » Aucune des piétés, des fraîcheurs morales les plus délicates ne s’est ni fanée ni ternie un seul instant durant cette vie errante. — Et ceci encore : « Je t’aime bien et te remercie de planter ton nom, comme tu fais, dans l’estime de ce qui t’entoure. — Grain à grain, c’est une moisson qui ne trompe pas. […] Sainte-Beuve de bien près : « (9 avril 1869)… Cette existence si peu connue d’une femme délicate laisse un grand charme.
Ils ont des façons de s’exprimer à la fois plus délicates et plus gaillardes (lætiores) pour parler avec Montaigne. […] Ainsi Saint-Évremond nous est l’exemplaire le plus parfait et le plus distinct par le tour, de ce qu’était un des hommes les plus spirituels et les plus délicats de la cour de France vers 1661. […] Les âmes délicates s’en étaient révoltées, et la noble nature de Mme de Sablé la première. […] Une des pièces les plus intéressantes qu’il nous ait laissées et des plus délicates (pour employer une de ses expressions favorites), la principale peut-être aux yeux du biographe et comme offrant l’expression entière de sa nature, c’est sa lettre à l’un de ses anciens amis restés des plus affectionnés et des plus fidèles, le maréchal de Créqui, qui lui avait demandé en quelle situation était son esprit, et ce qu’il pensait de toutes choses dans sa vieillesse.