Ne serait-ce pas une contradiction de commander la conviction à la faculté qui crée la conviction ?
On mêlait un travail manuel aux conversations ; on composait des habits sur des mannequins pour servir de règle à la parure, pour créer une mode53.
M. de Girardin avait créé un grand organe politique, la Presse, puissance d’opinion qui comptait avec les puissances de fait.
Il a créé des marécages tapissés de toutes les écumes, de toutes les mousses, de toutes les lies, de toutes les perles verdâtres de la corruption végétale.
Ainsi, pressé entre la nécessité d’observer pour se former des théories réelles et la nécessité non moins impérieuse de se créer des théories quelconques pour se livrer à des observations suivies, l’esprit humain, à sa naissance, se trouverait enfermé dans un cercle vicieux dont il n’aurait jamais eu aucun moyen de sortir, s’il ne se fût heureusement ouvert une issue naturelle par le développement spontané des conceptions théologiques, qui ont présenté un point de ralliement à ses efforts, et fourni un aliment à son activité.
Même pour ceux-là qui ne croient plus à elle, la Royauté fut une si grande chose qu’on ne raconte pas ce qu’elle est devenue sans porter involontairement sur sa pensée la réverbération de sa grandeur et de la misère de sa fin ; mais quand, au lieu d’être un historien qui raconte, on veut être un artiste qui crée et combine des effets saisissants, des effets d’art, pathétiques ou impitoyables, dans ce navrant sujet d’histoire contemporaine, la tentative ne fait pas le génie, non !
Quelques-unes de ses découvertes en ce genre sont demeurées justement célèbres : il ne s’est point contenté d’affirmer que les nez sont faits pour porter des lunettes ; mais il a trouvé que, si « le melon a des côtes, c’est pour être mangé en famille » ; et on lui doit de savoir qu’aux premiers jours du monde, par un effet assez peu connu de la bonté de la Providence, « des cadavres furent créés pour les animaux carnassiers ». […] Il y faut seulement un art supérieur, des qualités plus rares, et un détachement de soi-même, une préoccupation de son sujet qui ne fut pas la moindre des vertus littéraires de Feuillet, Le plus « romanesque » de nos romanciers n’est pas seulement l’un de ceux qui a créé le plus de figures vivantes et réelles, c’est l’un aussi de ceux qui a le mieux connu son temps, et dont les fictions auront enseigné le plus de nobles et de hautes leçons. […] L’homme, pour eux, avait reçu l’univers comme en fief, et les oiseaux du ciel, comme les poissons des eaux, n’avaient en quelque sorte été créés qu’à son usage. […] L’homme offense le Dieu qui l’avait créé ; l’injustice qui semble gouverner le monde est la punition de cette offense ; et nul ne la vaincra qu’en se remettant lui-même aux mains de Dieu. […] Pas de civilisation moderne sans le christianisme reçu ou combattu ; pas de christianisme sans le judaïsme ; pas de judaïsme sans un petit peuple qui ait sacrifié sa fortune politique à sa vocation religieuse ; et pas de confiance enfin, ou de sentiment de cette vocation, sans les prophètes qui l’ont soutenue parmi les défaillances, qui lui ont donné sa forme avec sa voix, et dont on serait tenté de dire qu’ils l’ont créée.
Il est dangereux pour un artiste d’être excellent théoricien ; l’esprit qui crée s’accommode mal avec l’esprit qui juge ; celui qui, tranquillement assis sur le bord, disserte et compare, n’est guère capable de se lancer droit et audacieusement dans la mer orageuse de l’invention. […] Enfin ils entendirent chanter le coucou folâtre, dont la note proclamait la fête du printemps792. » On démêle sous ses vers réguliers une âme d’artiste793 ; quoique rétréci par les habitudes du raisonnement classique, quoique roidi par la controverse et la polémique, quoique impuissant à créer des âmes ou à peindre les sentiments naïfs et fins, il reste vraiment poëte ; il est troublé, soulevé par les beaux sons et les belles formes ; il écrit hardiment sous la pression d’idées véhémentes ; il s’entoure volontiers d’images magnifiques ; il s’émeut au bruissement de leurs essaims, au chatoiement de leurs splendeurs ; il est au besoin musicien et peintre ; il écrit des airs de bravoure qui ébranlent tous les sens, s’ils ne descendent pas jusqu’au cœur.