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14. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Léon Gozlan » pp. 213-230

C’est celui qui retentit le mieux, et le seul qu’on ne puisse pas crever… Eh bien, nous aussi, nous nous permettrons d’y donner notre petit coup de baguette tout comme les autres ! […] Son merveilleux coup de burin rencontre le rayon endormi et le fait jaillir, éblouissant, comme s’il le créait ! […] Mais cette infériorité une fois reconnue, que de qualités surgissent et apparaissent tout à coup dans cet esprit qui n’est qu’individuel, mais qui l’est avec une intensité qu’on adore. […] Composition, architecture, genres qu’on croit éternels et qui tout à coup s’en vont en mille miettes, toutes les formes littéraires finissent par mourir. […] Gozlan avait longtemps vécu dans l’intimité de Balzac, comme il était allé je ne sais où en Afrique sur un vaisseau négrier, et il avait gardé ces deux coups de soleil : l’impression de Balzac sur sa pensée, la lumière d’Afrique dans ses yeux ; il s’était doré à ces deux choses.

15. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXIXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (2e partie) » pp. 5-63

Il avait conquis du premier coup la première. […] Véritable fidélité à son propre honneur, cela est vrai ; mais fidélité aux Bourbons qui ne se révèle tout à coup qu’après la chute de Napoléon. […] Là commence son rôle politique ; il se montra homme de tact du premier coup de plume ; il vit juste, il vit loin, il vit en grand toute chose. […] La législation des coups d’État, c’est la conscience de celui qui les tente, mais il ne faut pas les manquer. […] Qu’importait au monde actuel un poème épique de plus sur les exploits de Bacchus, chanté après coup par un Grec chrétien, comme un écho mort que chanterait une croyance finie ?

16. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre troisième. La reconnaissance des souvenirs. Son rapport à l’appétit et au mouvement. »

Reid demande avec un mélange de naïveté et d’ingéniosité si un petit coup sur la tête nous paraît une simple image et un grand coup une perception actuelle ; Paul Janet a reproduit cette objection. On peut répondre, d’abord, qu’il y a une différence notable entre un petit coup et un souvenir de coup : c’est que le second ne fait aucun mal. […] C’est que précisément, en vertu de la force qui appartient à toute idée, l’image intérieure d’un coup sur la tête nous paraîtrait un coup réel si elle était seule, si sa force propre et sa tendance à produire des mouvements n’était pas contrebalancée par la force d’autres idées, ou, selon l’expression de Taine, refrénée. […] L’action réflexe, à son tour, décrit un arc de cercle plus ou moins étendu : une petite impression, comme un léger coup sur la tête, provoque une petite réaction, qui ne dépasse guère le cerveau ; une autre plus forte va jusqu’aux membres ; un coup violent met tout le corps en mouvement dans l’espace, etc. […] L’image d’un coup est elle-même, en somme, extérieure et objective ; seulement elle demeure cérébrale et n’est pas projetée hors de notre corps.

17. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1877 » pp. 308-348

… Alors Flaubert se met à attaquer — toutefois avec des coups, de très grands coups de chapeau, au talent de l’auteur — se met à attaquer les préfaces, les doctrines, les professions de foi naturalistes de Zola. […] « J’ai d’abord posé un clou, et d’un coup de marteau, je l’ai fait entrer d’un centimètre dans la cervelle du public, puis d’un second coup, je l’ai fait entrer de deux centimètres… Eh bien mon marteau, c’est le journalisme, que je fais moi-même autour de mes œuvres. » * * * — Chez quelques chirurgiens, leur travail de tous les jours, dans le muscle, dans la chair, leur apporte quelquefois le dégoût de la viande. […] J’aurai fait la plus ordurière chose pornographique, je n’aurais cherché ni l’élévation austère de la pensée, ni la rigidité du style, ni le coup d’aile poétique, que je serais absolument traité comme je le suis. […] Il continue, par un certain orgueil d’artiste, par l’amour du beau qui est en lui, de faire le mieux qu’il peut, mais le coup de fouet du succès n’a plus d’aiguillon pour lui. […] Le livre, sans que j’y mène ma pensée fait tout à coup son entrée chez moi par une élévation du pouls et une petite fièvre de la cervelle.

18. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

En arrivant sur le haut d’une montagne, on voit tout d’un coup Bethléem de l’autre côté d’un ravin profond. […] Il songea tout d’un coup que peut-être, à travers la suite des âges et les vicissitudes des révolutions, les mêmes usages, les mêmes coutumes et costumes, transmis dans la race ou imposés par le climat, avaient pu se perpétuer presque invariables. […] Que ce soit à coups de trompette ou à coups de canon que les murs de Jéricho soient tombés, le résultat est le même pour eux. […] … Plus je reviens sur les émotions qu’elle m’a fait éprouver, plus elles prennent de force, et je me sens tout jeune. » Si la verve et l’enthousiasme, si le mouvement naturel de poésie, si le coup de soleil de l’imagination n’est pas là sensible, je ne sais plus où les trouver. […] « Voilà encore, me dit l’empereur, votre malheureux roi éprouvé par un coup plus terrible que tous ceux qu’on a tirés sur lui.

19. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XI. Suite des machines poétiques. — Songe d’Énée. Songe d’Athalie. »

C’étoit l’heure où, du jour adoucissant les peines, Le sommeil, grâce aux dieux, se glisse dans nos veines ; Tout à coup, le front pâle et chargé de douleurs, Hector, près de mon lit, a paru tout en pleurs, Et tel qu’après son char la victoire inhumaine, Noir de poudre et de sang, le traîna sur l’arène. […] le sang de toutes parts Souilloit sa barbe épaisse et ses cheveux épars, Et son sein étaloit à ma vue attendrie Tous les coups qu’il reçut autour de sa patrie. […] Quel Hector paraît au premier moment devant Énée, quel il se montre à la fin : mais la pompe, mais l’éclat emprunté de Jésabel, Pour réparer des ans l’irréparable outrage, suivi tout à coup, non d’une forme entière, mais ………………… De lambeaux affreux Que des chiens dévorants se disputoient entre eux, est une sorte de changement d’état, de péripétie, qui donne au songe de Racine une beauté qui manque à celui de Virgile. Enfin, cette ombre d’une mère qui se baisse vers le lit de sa fille, comme pour s’y cacher, et qui se transforme tout à coup en os et en chairs meurtris, est une de ces beautés vagues, de ces circonstances effrayantes de la vraie nature du fantôme.

20. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Guizot » pp. 201-215

Guizot, qui a bien d’autres motifs d’être heureux et tranquille, semblait depuis longtemps l’avoir aussi oublié que le public, quand le succès, très vif et très mérité, de François-Victor Hugo a réveillé tout à coup cette antique prétention de traduction et de critique, qu’on croyait morte et qui n’était qu’endormie. […] II C’est Emerson qui avait écrit cette parole, commode aux historiens, que voilà congédiés tout à coup, renvoyés chez eux avec armes et bagages. […] Oui, funeste à Shakespeare que, de fait, ce système rapetisse, dans le livre même d’Emerson ; funeste à tous les grands hommes, dont il est la décapitation évidente ; et funeste par cela seul à l’histoire, qui n’est faite qu’à coups de grands hommes, — ou du moins qu’à coups de grandes individualités. […] — enfin, revenant, sans gloire (si la gloire est le bruit), mourir dans sa bourgade, jeune encore d’âge et inépuisable de génie, et même — ce dernier coup de l’ironie !  […] Guizot a bien indiqué le mariage probablement troublé de Shakespeare, son éloignement et son abandon de sa femme, le silence qu’il a gardé sur elle, le legs presque injurieux qu’il lui fait, en interligne, dans son testament, comme s’il se la rappelait tout à coup comme on se rappelle une chose oubliée ; mais il ne va pas plus loin, il ne presse pas plus fort ce point douloureux, saignant, misérablement humain et toujours le même dans tous ces grands hommes, petits par là, qu’ils s’appellent Byron, Molière ou même Shakespeare !

21. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Octave Feuillet »

Ce livre, c’est L’Ensorcelée, dans lequel le héros s’envoie un coup de tromblon chargé de dix-huit balles par la figure, et, s’il manque son cerveau, il ne manque pas sa figure, que le coup emporte, tandis que le suicidé de Monsieur de Camors se tue roide, et n’est pas le héros du roman. […] Un peu plus à fond dans le coup à porter, et ce serait bien ! […] Mais le plus à fond n’arrive pas, et il n’y a jamais, du reste, avec Feuillet, de coup à porter… Cependant, ne vous y trompez pas ! […] Je ne lui reproche pas de l’avoir faite de jalouse, généreuse : tout à coup attendrie par le sang du front de sa rivale qu’elle vient de faire couler. […] Il n’avait besoin que d’un dénouement, du coup de théâtre final, et il a tranché tout, comme au théâtre ; et l’homme de théâtre qu’est Feuillet, de préoccupation, avant tout, a sacrifié le romancier.

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