Quand l’homme n’a plus rien en soit qui s’appartienne, Quand de ta volonté ta grâce a fait la sienne, Le corps est mort, et l’âme est Dieu ! […] Vous ne direz pas alors : Qui me délivrera de ce corps de mort ? […] La nature aime l’oisiveté et le repos du corps ; mais la grâce ne peut être oisive, et elle embrasse le travail avec plaisir. […] Car l’homme intérieur est, en ce monde, étrangement appesanti par les nécessités du corps. […] Tant que nous portons ce corps fragile, nous ne pouvons être sans péché, ni sans ennui, ni sans douleur.
La pensée cesse, pour ainsi dire, d’être pensée, c’est-à-dire immatérielle, en montant sur le théâtre ; elle est obligée de prendre un corps réel et de s’adresser aux sens autant qu’à l’âme. […] Ce n’est qu’alors aussi que se forment ces grands acteurs aussi rares que les grands poètes, qui, comme Roscius, Garrick, Talma, Rachel, Ristori, personnifient, dans un corps et dans une diction modelés sur la nature par l’art, les grandes ou touchantes figures que l’histoire ou l’imagination groupent sur la scène dans des poèmes dialogués pétris de sang et de pleurs. […] Nicole, après Pascal, le plus rude écrivain moraliste de cette école, avait écrit dans une de ses polémiques, « qu’un faiseur de romans ou un poète de théâtre était un empoisonneur public, non du corps, mais des âmes ; il avait ajouté qu’un tel poète devait s’accuser de la mort d’une multitude d’âmes qu’il avait perdues ou qu’il avait pu perdre par ses vers ». […] Cependant je ne cesserai point de prier Dieu qu’il vous fasse miséricorde, et à moi en vous la faisant, puisque votre salut m’est si cher. » Racine, pour toute réponse à ses torts de piété et de tendresse envers ses anciens maîtres, leur adressa deux lettres imprimées où la réfutation très aigre de leur doctrine était assaisonnée par les plus odieuses incriminations contre leur prétendue vanité de corps. […] Dans cette vue, elle faisait régner par elle l’Église et l’aristocratie à Versailles ; pour flatter ces deux esprits de corps, elle avait fondé à Saint-Cyr, dans le voisinage de ce palais, une maison royale d’éducation gratuite pour les filles de la haute noblesse militaire et déshéritées de la fortune.
La noblesse féodale fournira des mérites, des dévouements individuels : mais, à la prendre en corps, son rôle bienfaisant est fini ; elle fait décidément banqueroute à l’intérêt public ; elle devient l’obstacle, l’ennemie, et réunit contre elle la bourgeoisie et le roi, rendant dès lors inévitables ces deux étapes du développement national : la monarchie absolue et la Révolution. […] Enfin les passions populaires pénétreront ce corps où circule le sang du peuple, et contribueront à donner aux études une orientation, à la pensée une forme que l’Église n’a pas souhaitées. […] Comme lui, il ne fut d’Église que pour avoir part aux revenus de l’Église, du reste l’esprit le plus laïque qu’on puisse voir : comme lui, il recueillait de toutes bouches l’exact détail des événements, à grands frais et fatigue de corps, aujourd’hui à Londres, demain en Écosse, cette année à Paris ou en Auvergne, l’autre en Avignon, en Béarn, en Hollande, toujours interrogeant et notant, et de loin en loin se reposant dans son Hainaut pour classer et rédiger ses notes : indifférent du reste aux intérêts vitaux des peuples et des temps dont il fait l’histoire, ni Anglais, ni Français, ni même Flamand de cœur et de sentiment national, clerc aujourd’hui de Madame Philippe reine d’Angleterre, demain chapelain de Mgr le comte de Blois, à l’aise dans tous les partis, sans amour et sans haine, parce qu’il est sans patrie, curieux seulement de savoir et de conter. […] Pour le Français, routier ou prince, depuis Talebard Talebardon jusqu’au roi Jean, les deniers ne sont pas méprisables, sans doute, mais deviennent après autre chose : et cette autre chose, c’est l’aventure, la recherche du hasard périlleux qui met en jeu toutes les énergies du corps et de l’esprit. […] Même au xiv° siècle, quand les discordes civiles, les assemblées des États généraux, les soulèvements et les prétentions de la bourgeoisie parisienne et de l’Université font apparaître une ébauche d’éloquence politique, quand vers le même temps l’ordre de la procédure et des débats devant les tribunaux de légistes suscite le développement d’une éloquence judiciaire et la constitution d’un corps d’avocats, le sermon reste encore la forme type du discours oratoire.
La foi ne manquait pas aux Maillard, aux Menot, à ces fougueux va-nu-pieds de cordeliers, qui disaient leurs vérités à tout le monde, durement, impudemment, ne ménageant personne, ni la coquette bourgeoise, ni le prince luxurieux ; mais c’était une étrange éloquence que la leur, tandis qu’ils livraient leurs auditeurs, âme et corps, à Satan, et qu’à la chair joyeuse, éclatante de vie, ils donnaient le frisson de la mort soudainement découverte, le dégoût apeuré de la pourriture inévitable et prochaine. […] Vieillesse du corps, mort du corps, l’ami de « la belle heaumière » et de la « gente saucissière » ne regarde que cela dans la vieillesse et dans la mort. […] Des corps, il n’en aurait cure : les âmes, il les aurait vues au ciel, devant la face de Dieu. […] Et dans l’incompréhensible fatalité à laquelle nul ne se dérobe, ce pauvre diable qui a vécu dans les sales dessous de la société, saisit une grande et pathétique leçon d’égalité : mais c’est le corps encore qui la lui donne, l’entassement indiscernable des squelettes et des crânes dans les charniers ; ce sont les ossements anonymes, également nus, décharnés, dégoûtants.
La vie revenant aux chairs sous le flasque épidémie, le sang qui reflue et rubéfie les artérioles, les lèvres se détendant, s’arquant, les paupières qui battent, et la frêle poitrine qui palpite, puis ce corps frémissant cadavérisé, le recroquevillement des traits, la lividité des chairs et la viscosité de la peau, sont suivis et retracés sans un sursaut, en une succession d’images si mémorables qu’elles hantent. […] L’ensemble de circonstances par lesquelles Poe prépare la déduction que le corps de Marie Roget a été jeté à l’eau après le meurtre, est cohérent. […] Sur son dos où une partie de la chemise avait été arrachée et laissait voir le nu, se tenait une mouette énorme, qui se gorgeait activement de l’horrible viande, son bec et ses serres profondément enfouis dans le corps, et son blanc plumage tout éclaboussé de sang. Comme le brick continuait à tourner, comme pour nous voir de plus près, l’oiseau retira péniblement du trou sa tète sanglante, et, après nous avoir considérés un moment stupéfié, se détacha paresseusement du corps sur lequel il se régalait, puis il prit droit son vol au-dessus de notre pont et plana quelque temps dans l’air avec un morceau de la substance coagulée et quasi-vivante dans son bec. […] Sur le fond ténébreux d’une demeure somptueuse et muette, se profilent les traits pâles de l’incestueux l’époux de Morella, croyant reconnaître en sa fille l’âme transfuse de celle qu’il n’avait su aimer vivante ; la lutte folle de Ligéia contre la mort, la douleur somnolente de son amant et sa fantastique rêverie dans la longue nuit, où il crut voir la forme immatérielle de la décédée se glisser dans le corps tiède de lady Rowena ; Roderick Usher, peureux d’avoir peur, les mains nues, la voix trémulante, dardant de tous côtés son regard trop aigu, égaré par la délicatesse de ses sens, l’esprit sursautant, vacillant et défaillant, au point de succomber dans un spasme d’effroi, en cette mystérieuse nuit, dont la description demeure inoubliable.
Ici-bas, ce grand corps n’a que trois pieds détour ; Mais si je le voyais là-haut dans son séjour, Que serait-ce à mes yeux que l’œil de la nature ? […] Un corps sans connaissance. […] Remarquez, de plus, que l’ordre des corps célestes est immuable et que les destinées humaines sont changeantes et pleines de péripéties. […] Le firmament se meut ; les astres font leur cours ; Le soleil nous luit tous les jours ; Tous les jours sa clarté succède à l’ombre noire, Sans que nous en puissions autre chose inférer Que la nécessité de luire et d’éclairer, D’amener les saisons, de mûrir les semences, De verser sur les corps certaines influences. […] Ils disent donc Que la bête est une machine ; Qu’en elle tout se fait sans choix et par ressorts : Nul sentiment, point d’âme ; en elle tout est corps.
Un jour, en 1648, il a une velléité de voyage, quoique en général il goûte peu les voyages et les estime « une agitation de corps et d’esprit en pure perte ». […] L’abbé-médecin Bourdelot, revenu de Suède et qui est dans le train moderne, essaye de lui donner quelque idée de la philosophie nouvelle ; Gui Patin résiste et nous dit en se raillant de Bourdelot : Il est tout atrabilaire de corps et d’esprit, sec et fondu, qui dit que tout le monde est ignorant, qu’il n’y a jamais eu au monde de philosophe pareil à M. […] C’est un trait de plus dans le portrait de Gui Patin que ce dédain pour les personnes du sexe au moment où elles s’établissaient plus généralement dans la société, et où elles allaient y introduire ce qui surtout lui manquait, à lui et aux autres savants cantonnés dans les corps, je veux dire la politesse. […] Un corps bien rédigé des lettres de Gui Patin n’offrirait pas seulement un tableau de l’histoire de la médecine durant cinquante ans : on y verrait un coin très étendu des mœurs et de la littérature avant Louis XIV.
Ce genre de vie, auquel il est si peu propre, l’engage au milieu des situations les plus amusantes pour nous, sinon pour lui, comme dans cette scène de boudoir où la coquette essaye de le séduire, ou bien lorsque, remplissant un rôle de femme dans un rendez-vous de nuit, il reçoit, à son corps défendant, les baisers passionnés de l’amant qui n’y voit goutte. […] La loi des chrétiens, qui a suivi celle des Juifs, étoit beaucoup plus parfaite, parce qu’elle donnoit tout à l’esprit, qui est sans contredit au-dessus du corps… C’est un second état par lequel ce Dieu bon a voulu faire passer les hommes… Et maintenant enfin ce ne sont plus les seuls biens du corps, comme dans la loi des Juifs, ni les seuls biens spirituels, comme dans l’Évangile des chrétiens, c’est la félicité du corps et de l’esprit que l’Alcoran promet tout à la fois aux véritables croyants. » Il est curieux que Salem, c’est-à-dire notre abbé Prévost, ait conçu une manière d’union des lois juive et chrétienne au sein de la loi musulmane, par un raisonnement tout pareil à celui qui vient d’être si hardiment développé de nos jours dans le saint-simonisme.