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313. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 16, des pantomimes ou des acteurs qui joüoient sans parler » pp. 265-295

Vous étiez d’abord au fait de ce que Caramalus et Phabaton représentoient sans prononcer une parole, en se faisant entendre par un geste parlant, pour ainsi dire, et en s’exprimant tantôt d’un signe de tête, tantôt de la main, et tantôt par un autre mouvement du corps. […] Tous les membres du corps d’un pantomime sont autant de langues, à l’aide desquelles il parle sans ouvrir la bouche. […] Il falloit que les romains se fussent mis en tête que l’operation qu’on feroit à leurs pantomimes pour les rendre eunuques, leur conserveroit dans tout le corps une souplesse que des hommes ne peuvent point avoir. […] Combien, dit Tertullien dans son traité contre les spectacles, un pantomime est-il obligé de souffrir de maux dans son corps, afin qu’il puisse devenir un comédien ?

314. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre III. Les explications anthropologique, idéologique, sociologique »

Et en effet, il est impossible de fournir de la race une définition précise, et de lui assigner une action originale, — si on ne la tient pour un ensemble de qualités fondées dans le corps, comme telles relativement immuables et transmissibles héréditairement. […] Mais les peuples de l’Orient diffèrent de ceux de l’Occident par bien d’autres caractères que par la forme des corps ; ils en diffèrent, par exemple, par la forme des sociétés : dès lors, qui nous dit que, encadrés en des groupements analogues, leurs membres, différents de nous par le sang, n’auraient pas été capables de comprendre les idées égalitaires ? […] L’expansion de l’idée de l’égalité n’est qu’un cas particulier des « lois de l’imitation49 » : comme de corps en corps les microbes invisibles, elle passe de conscience en conscience et fait ainsi le tour des sociétés.

315. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre IV. De l’analogie. — Comparaisons et contrastes. — Allégories »

Alors, comme elle aimait les rumeurs de la guerre,            La poudre, les tambours battants, Pour champ de course, alors, tu lui donnas la terre,            Et des combats pour passe-temps : Alors, plus de repos, plus de nuits, plus de sommes ;            Toujours l’air, toujours le travail, Toujours comme du sable écraser des corps d’hommes,            Toujours du sang jusqu’au poitrail. […] Les esprits jeunes ne savent guère opérer sur des abstractions : elles manquent de corps et échappent à la prise de l’imagination.

316. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 139-145

On fait que, pendant qu’il étoit occupé à défendre son honneur & son état contre les principaux Membres du Corps des Avocats, dont l’amour-propre jaloux se croyoit intéressé à l’éloigner du Barreau, plusieurs Champions de la Secte Encyclopédique & Economique ont choisi ce moment pour se déchaîner contre lui d’une maniere aussi injuste que peu loyale. On sait encore qu’après avoir contribué, par leurs libelles & par leurs intrigues, à le faire exclure de son Corps, ils sont parvenus, par de nouvelles menées, à surprendre des ordres à l’autorité pour lui ôter la rédaction du Journal de Politique & de Littérature, & le dépouiller ainsi du seul bien qui lui restoit : ce bien est devenu aussi-tôt la proie du plus acharné de ses ennemis, qui, au mépris des bienséances les plus indispensables, n’a pas rougi de le briguer & de s’en revêtir.

317. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre XI. Le Guerrier. — Définition du beau idéal. »

Celui-ci se forme en cachant avec adresse la partie infirme des objets ; l’autre, en dérobant à la vue certains côtés faibles de l’âme : l’âme a ses besoins honteux et ses bassesses comme le corps. […] Il est étrange, et cependant rigoureusement vrai que tandis que nos pères étaient des barbares pour tout le reste, la morale, au moyen de l’Évangile, s’était élevée chez eux à son dernier point de perfection : de sorte que l’on vit des hommes, si nous osons parler ainsi, à la fois sauvages par le corps, et civilisés par l’âme.

318. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre III. Massillon. »

Lisez, par exemple, cette peinture du pécheur mourant : « Enfin, au milieu de ses tristes efforts, ses yeux se fixent, ses traits changent, son visage se défigure, sa bouche livide s’entrouvre d’elle-même, tout son esprit frémit ; et, par ce dernier effort, son âme s’arrache avec regret de ce corps de boue, et se trouve seule au pied du tribunal redoutable193. » À ce tableau de l’homme impie dans la mort, joignez celui des choses du monde dans le néant. […] Convenez de leurs maximes, et l’univers entier retombe dans un affreux chaos ; et tout est confondu sur la terre ; et toutes les idées du vice et de la vertu sont renversées ; et les lois les plus inviolables de la société s’évanouissent ; et la discipline des mœurs périt ; et le gouvernement des États et des Empires n’a plus de règle ; et toute l’harmonie des corps politiques s’écroule ; et le genre humain n’est plus qu’un assemblage d’insensés, de barbares, de fourbes, de dénaturés, qui n’ont plus d’autres lois que la force, plus d’autre frein que leurs passions et la crainte de l’autorité, plus d’autre lien que l’irréligion et l’indépendance, plus d’autres dieux qu’eux-mêmes : voilà le monde des impies ; et si ce plan de république vous plaît, formez, si vous le pouvez, une société de ces hommes monstrueux : tout ce qui nous reste à vous dire, c’est que vous êtes dignes d’y occuper une place. » Que l’on compare Cicéron à Massillon, Bossuet à Démosthène, et l’on trouvera toujours entre leur éloquence les différences que nous avons indiquées ; dans les orateurs chrétiens, un ordre d’idées plus général, une connaissance du cœur humain plus profonde, une chaîne de raisonnements plus claire, enfin une éloquence religieuse et triste, ignorée de l’antiquité.

319. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Un petit corollaire de ce qui précède [Mon mot sur l’architecture] » pp. 77-79

Si la solution du problème des trois corps n’est que le mouvement de trois points donnés sur un chiffon de papier, ce n’est rien ; c’est une vérité purement spéculative. Mais si l’un de ces trois corps est l’astre qui nous éclaire pendant le jour, l’autre, l’astre qui nous luit pendant la nuit, et le troisième, le globe que nous habitons, tout à coup la vérité devient grande et belle.

320. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Doyen  » pp. 153-155

Au-dessus de la gaze qu’elle aurait tenue suspendue de ses doigts délicats, se serait montrée la tête divine de la déesse, sa gorge d’albâtre, ses beaux bras, et le reste de son corps mollement balancé dans les airs. […] Il fallait pour cela leur donner encore plus de transparence, plus de légèreté, moins de corps et de solidité ; mais en revanche leur chercher un caractère divin, et les mettre dans une activité incroyable ; comme on les voit dans le morceau de Bouchardon où Ulisse évoque l’ombre de Tiresias, et où cette foule de démons étranges accourent à son sacrifice.

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