Un voyageur qui visita la Trappe du temps de l’abbé de Rancé raconte qu’étant au réfectoire pendant qu’on lisait quelque chapitre du Lévitique, il entendit un endroit qui l’effraya : Exterminaituur de populo anima ejus qui non fecerit Deo sacrificium in tempore suo, « et je compris mieux que jamais, dit-il, quel malheur c’est que de manquer le temps du sacrifice. » — Celui à qui est dû le Génie du Christianisme ne manqua point ce moment ; il sut mettre, à l’heure marquée, son talent en offrande sur l’autel : l’éclair brilla, mais alors même tout se répandit en lumière et en encens. […] Il se formoit de tout cela un certain air de douceur et de grandeur qui prévenoit agréablement et qui le faisoit aimer et respecter tout ensemble. » Avec une complexion très-délicate, on comprenait à peine qu’il pût suffire à des exercices aussi divers : il portait dès lors dans son activité aux choses disparates ce quelque chose d’excessif et d’infatigable qu’il a depuis poussé dans un seul sillon ; on aurait dit qu’il avait hâte d’exterminer le jeune homme en lui. […] « J’admirai, continue Rancé, la simplicité de cet homme, et le mettant en parallèle auprès des grands dont l’ambition est insatiable, et qui ne trouveroient pas de quoi se satisfaire quand ils jouiroient de toutes les fortunes, plaisirs et richesses d’ici-bas, je compris que ce n’étoit point la possession des biens de ce monde qui faisoit notre bonheur, mais l’innocence des mœurs, la simplicité et la modération des désirs, la privation des choses dont on se peut passer, la soumission à la volonté de Dieu, l’amour et l’estime de l’état dans lequel il a plu à Dieu de nous mettre. » Ce sont là (suivant l’heureuse expression de Dom Le Nain) de ces premiers coups de pinceau auxquels le grand Ouvrier se réservait d’en ajouter d’autres encore plus hardis pour conduire Rancé à la perfection. […] Rancé était une âme forte, une grande âme ; il comprit du premier jour qu’il avait perdu ce qu’il ne recouvrerait jamais, que recommencer sur les brisées d’hier une vie moindre, c’était indigne même d’une noble ambition humaine. […] Dans les premiers moments de sa retraite à Veretz, vers 1658, il avait bien pu borner ses vues à mener une vie innocente, confinée en une solitude exacte et entretenue de pieuses lectures ; mais il n’avait pas tardé, disait-il, à comprendre qu’un état si doux et si paisible ne convenait pas à un homme dont la jeunesse s’était passée dans de tels égarements.
Son intelligence s’est élargie, sa science s’est accrue ; il a étudié, appris, compris beaucoup de choses et de beaucoup de façons ; mais il n’a plus osé ni pu ni voulu vouloir. […] On vent comprendre sans croire, recevoir les idées ainsi que le ferait un miroir limpide, sans être déterminé pour cela, je ne dis pas à des actes, mais même à des conclusions. […] Le clergé, du sein duquel il sortait, se laissa aller unanimement d’abord au sentiment de l’admiration ; il eut l’air de comprendre ; il salua, il exalta d’un long cri d’espérance son athlète et son vengeur. […] Si M. de La Mennais explique et précise Fénelon, s’il est en ce moment l’aurore manifeste, bien que laborieuse, du jour dont Fénelon était comme l’aube blanchissante, Fénelon aussi, par ses signes précurseurs et la bienfaisance de son étoile catholique sous le despotisme de Louis XIV, garantit, absout, recommande à l’avance M. de La Mennais, et doit disposer les plus soupçonneux à le dignement comprendre. […] La difficulté pour lui était grande : il comprit assez vite, dans son essor progressif, qu’après une révolution comme la nôtre l’émancipation des peuples était signifiée hautement, et que la paternité tutélaire des Boniface VIII et des Grégoire VII ne pouvait se rétablir, même en supposant acquise la docilité des rois.
Horace, Virgile, le Tasse, sont les chefs les plus brillants de cette famille secondaire, réputée, et avec raison, inférieure à son aînée, mais d’ordinaire mieux comprise de tous, plus accessible et plus chérie. […] Pour le comprendre, l’esprit du spectateur découvre sans peine et monte avec une sorte d’orgueil paisible l’échelle d’idées par laquelle a passé le génie de l’artiste. […] Son propre cœur lui expliquait celui de Phèdre ; et si l’on suppose, comme il est assez vraisemblable, que ce qui le retenait malgré lui au théâtre était quelque attache amoureuse dont il avait peine à se dépouiller, la ressemblance devient plus intime et peut aider à faire comprendre tout ce qu’il a mis en cette circonstance de déchirant, de réellement senti et de plus particulier qu’à l’ordinaire dans les combats de cette passion. […] Toutefois, malgré la parenté des religions et la communauté de certaines croyances, il y a dans le judaïsme un élément à part, intime, primitif, oriental, qu’il importe de saisir et de mettre en saillie, sous peine d’être pâle et infidèle, même avec un air d’exactitude : et cet élément radical, si bien compris de Bossuet dans sa Politique sacrée, de M. de Maistre en tous ses écrits, et du peintre anglais Martin dans son art, n’était guère accessible au poëte doux et tendre qui ne voyait l’ancien Testament qu’à travers le nouveau, et n’avait pour guide vers Samuel que saint Paul. […] Des critiques sans portée ont abusé du droit de le citer pour modèle, et l’ont trop souvent proposé à l’imitation par ses qualités les plus inférieures ; mais, pour qui sait le comprendre, il a suffisamment, dans son œuvre et dans sa vie, de quoi se faire à jamais admirer comme grand poëte et chérir comme ami de cœur.
— Le critique doit chercher à comprendre, non à contenter. […] Et si j’ai des objections contre le critique « académique » ou « universitaire » c’est que, pour des raisons aisées à comprendre, il me paraît bien difficile qu’il réunisse la moitié seulement de ces vertus. […] Largement comprise, la critique en somme n’est que la philosophie, enlevée aux professionnels et mise à l’usage des gens qui ne se plaisent à lire que ce qui est lisible. […] Les innovateurs, qui seront les classiques de demain, seraient tous morts avant d’être compris. […] Max Daireaux lui fait écho : « Chercher à comprendre. » Il écrit immédiatement après : « Non à contenter. » Car plusieurs font de la critique comme les jeunes filles de l’aquarelle, « pour faire plaisir à leurs amis ».
. — « Si ce palais prenait une voix, il parlerait clairement ; quant à moi, je parle volontiers à ceux qui savent : pour qui ignore ou ne comprend pas, je ne sais rien, j’oublie tout. » — La terreur sort déjà de cette réticence de l’esclave. […] Des avertissements mystérieux lui viennent, qu’il répète sans les comprendre, il voudrait bénir et il menace malgré lui. […] Cassandre comprit depuis lors le chant des oiseaux et toutes les voix : éparses dans l’air. […] Si tu ne m’as point comprise, réponds-moi par gestes comme font les Barbares. » — Même immobilité, même silence. […] Mais Cassandre parle à des esprits assourdis par l’âge ; les vieillards comprennent ce qu’elle dit du passé, ils s’obstinent à ne pas entendre le sens urgent de ses prédictions.
M. de Tocqueville, né dans les rangs de l’aristocratie, a compris la démocratie : cela est admirable. […] Cependant il ne l’a ni tout à fait aimée, ni tout à fait comprise comme celui qui, sorti des classes autrefois déshéritées, a pu juger par lui-même quels biens il a conquis. […] Il est si habitué à gagner son pain à la sueur de son front, que son bon sens comprendra sans peine, malgré le cri de ses passions, que chacun doit se suffire, et que la fortune publique n’est faite que pour le bien public, et non pour les besoins et les appétits des particuliers. […] Ce sont ces libertés générales qui, loin d’être en contradiction avec la démocratie, sont de son essence même ; ce sont elles qu’elle doit conquérir, compléter, organiser, bien comprendre. […] Voilà la politique expérimentale telle que Tocqueville l’a comprise et l’a conçue.
Sans l’hypothèse d’une révolte de serviteurs, on ne peut comprendre comment les pères auraient consenti à assujettir leurs monarchies domestiques à la souveraineté de l’ordre dont ils faisaient partie. […] Tite-Live prétend que les nobles dédaignaient de présider au cens ; il n’a pas compris qu’ils repoussaient cette institution. […] Les hommes n’ayant encore que des idées très particulières, et ne pouvant comprendre ce que c’est que le bien commun, la Providence sut, au moyen de cette forme de gouvernement, les conduire à s’unir à leur patrie, dans le but de conserver un objet d’intérêt privé, aussi important pour eux que leur monarchie domestique ; de cette manière, sans aucun dessein, ils s’accordèrent dans cette généralité du bien social, qu’on appelle république. […] Le nombre, chose la plus abstraite de toutes, fut la dernière que comprirent les nations. […] Les philosophes seuls peuvent arriver à comprendre l’idée d’infini.
On ne comprend pas une œuvre de Mallarmé toute seule et d’abord. […] Il faut, a dit Hegel, comprendre l’inintelligible comme tel : éclaircissons le principe de cette obscurité. […] La Foule reste coite, attend sans doute, et le Poète comprend son devoir. […] C’est même cela souvent que l’on entend par ce mot : comprendre. […] De sorte que le plaisir apporté par cette poésie est, loin de demeurer inintelligible, de solliciter sans cesse l’intelligence, et non point d’être comprise, mais de faire comprendre.