Mais pour réduire l’homme à cet état, il faut le tourmenter sans cesse ; car tendant toujours à y échapper par la force même de la nature, pour arrêter cette tendance, il faut le précipiter par la douleur dans l’abrutissement. […] Si la route de la pensée vers le perfectionnement des facultés n’était pas impérieusement tracée, il faudrait donc observer sans cesse l’opinion qui domine chaque jour, se consumer dans le calcul qui peut démontrer l’avantage actuel d’une résolution, se consumer aussi dans le regret, si cette résolution n’a point d’effets immédiatement utiles ; quel travail pourrait-on faire alors sur soi-même qui n’avilit et ne dégradât la raison ? […] On se trompe sans cesse sur l’esprit dans ses rapports avec les grandes conceptions politiques. […] à chaque page de ce livre où reparaissait cet amour de la philosophie et de la liberté, que n’ont encore étouffé dans mon cœur ni ses ennemis, ni ses amis, je redoutais sans cesse qu’une injuste et perfide interprétation ne me représentât comme indifférente aux crimes que je déteste, aux malheurs que j’ai secourus de toute la puissance que peut avoir encore l’esprit sans adresse, et l’âme sans déguisement. […] Tel qu’il est cependant, je le publie, cet ouvrage : alors qu’on a cessé d’être inconnue, encore vaut-il mieux donner de ce qu’on peut être une idée vraie, que de s’en remettre au perfide hasard des inventions calomnieuses.
C’est un approfondissement, un arrangement, une suite d’opérations, soit pour remonter aux principes, soit pour tirer les conséquences », Couper court, en finir, retrancher tout ce qui n’est pas essentiel, éviter un semblant d’exactitude éblouissante qui nuit au nécessaire par le superflu, c’est là le conseil qui revient sans cesse et qui ne s’applique pas moins aux choses de ce monde qu’à celles de Dieu. À la comtesse de Grammont, railleuse et piquante, Fénelon conseillait de jeûner de conversation mondaine ; au duc de Chevreuse, spéculatif et renfermé en lui-même, il conseille de jeûner de raisonnement : « Quand vous cesserez de raisonner, vous mourrez à vous-même, car la raison est toute votre vie… Plus vous raisonnerez, plus vous donnerez d’aliment à cette vie philosophique. […] Le duc de Chevreuse, pour peu qu’on le laisse faire, est tenté de passer sa vie dans son cabinet à lire, à étudier, à se morigéner sans cesse, à s’imposer pour soi ou pour les autres des occupations de tout genre, politiques, théologiques, des occupations dont quelques-unes en elles-mêmes peuvent sembler fructueuses et nourrissantes. […] Le vidame d’Amiens était un peu comme son père et avait du penchant à se perdre dans le détail, à s’ensevelir dans les papiers : « Prenez sobrement les affaires, lui dit sans cesse Fénelon ; embrassez-les avec ordre, sans vous noyer dans les détails, et coupant court avec une décision précise et tranchante sur chaque article. » Il le lui redit non moins vivement qu’à son père : « Point d’amusements de curiosité. […] Pendant toute l’année 1710 et au commencement de 1711, quand il touche cette corde délicate, Fénelon fait sans cesse résonner le même son : soutenir, redresser, élargir le cœur du jeune prince ; il lui voudrait et il demande pour lui au ciel un cœur large comme la mer.
Elles sont possibles, parce que leur condition, qui est un certain état de mon appareil acoustique et de mes centres sensitifs, est donnée ; si cette condition cessait d’être donnée, elles cesseraient d’être possibles ; je ne serais plus capable d’entendre des sons ; je serais sourd. — Pareillement, un homme a la faculté ou pouvoir de percevoir les corps extérieurs, notamment par la vue ; cela signifie que des perceptions de la vue qui, si elles naissent, seront siennes, sont possibles. […] Les événements distincts dont la succession l’a constitué pendant cet intervalle cessent d’être distincts ; ils sont effacés par les abréviations et la vitesse ; rien ne surnage du parcours, sinon un caractère commun à tous les éléments parcourus, la particularité qu’ils ont d’être internes. […] Répétée incessamment, chaque jour plus vive, entretenue par une passion maîtresse, par la vanité, par l’amour, par le scrupule religieux, soutenue par de fausses sensations mal interprétées, confirmée par un groupe d’explications appropriées, elle prend l’ascendant définitif, annule les souvenirs contradictoires ; n’étant plus niée, elle se trouve affirmative ; et le roman, qui d’abord avait été déclaré roman, semble une histoire vraie. — Ainsi notre idée de notre personne est un groupe d’éléments coordonnés dont les associations mutuelles, sans cesse attaquées, sans cesse triomphantes, se maintiennent pendant la veille et la raison, comme la composition d’un organe se maintient pendant la santé et la vie. […] Or, on a vu que la sensation, après qu’elle a cessé, a la propriété de renaître par son image ; en règle générale, presque toute image nette et circonstanciée suppose une sensation antécédente ; de sorte que, si notre jugement est toujours faux en soi, il est presque toujours vrai par contrecoup. […] À présent, supposez que la sensation cesse, qu’il n’en subsiste que l’image avec les appendices, c’est-à-dire une représentation de la bille, et admettez qu’une sensation différente naisse en même temps avec son cortège propre.
S’il existait une religion qui s’occupât sans cesse de mettre un frein aux passions de l’homme, cette religion augmenterait nécessairement le jeu des passions dans le drame et dans l’Épopée ; elle serait plus favorable à la peinture des sentiments que toute institution religieuse qui, ne connaissant point des délits du cœur, n’agirait sur nous que par des scènes extérieures. […] Pour que deux hommes soient parfaits amis, ils doivent s’attirer et se repousser sans cesse, par quelque endroit ; il faut qu’ils aient des génies d’une même force, mais d’une différente espèce ; des opinions opposées, des principes semblables ; des haines et des amours diverses, mais au fond la même sensibilité ; des humeurs tranchantes, et pourtant des goûts pareils ; en un mot, de grands contrastes de caractère et de grandes harmonies du cœur. […] C’est une imprudence que d’appliquer sans cesse son jugement à la partie aimante de son être, de porter l’esprit raisonnable dans les passions.
Ce moi supérieur et complet, cette vie réelle et vraiment vivante, ce sentiment au sein duquel la conscience réfléchie, c’est-à-dire la connaissance, n’est qu’un redoublement plus marqué, échappe aux psychologistes qui se laissent prendre sans cesse à leurs propres abstractions. […] Nous, nous disons : Il n’y a qu’une cause que nous connaissons directement, c’est celle que nous sentons penser et agir, comprendre et pouvoir en nous, sentir, aimer, vivre en un mot ; vivre de la vie complète, profonde et intime, non-seulement de la vie nette et claire de la conscience réfléchie et de l’acte voulu, mais de la vie multiple et convergente qui nous afflue de tous les points de notre être ; que nous sentons parfois de la sensation la plus irrécusable, couler dans notre sang, frissonner dans notre moelle, frémir dans notre chair, se dresser dans nos cheveux, gémir en nos entrailles, sourdre et murmurer au sein des tissus ; de la vie une, insécable, qui dans sa réalité physiologique embrasse en nous depuis le mouvement le plus obscur jusqu’à la volonté la mieux déclarée, qui tient tout l’homme et l’étreint, fonctions et organes, dans le réseau d’une irradiation sympathique ; qui, dans les organes les plus élémentaires et les plus simples, ne peut se concevoir sans esprit, pas plus que, dans les fonctions les plus hautes et les plus perfectionnées, elle ne peut se concevoir sans matière ; de la vie qui ne conçoit et ne connaît qu’elle, mais qui ne se contient pas en elle et qui aspire sans cesse, et par la connaissance et par l’action, par l’amour en un mot ou le désir, à se lier à la vie du non-moi, à la vie de l’humanité et de la nature, et en définitive, à la vie universelle, à Dieu, dont elle se sent faire partie ; car à ce point de vue elle ne conçoit Dieu que comme elle-même élevée aux proportions de l’infini ; elle ne se sent elle-même que comme Dieu fini et localisé en l’homme, et elle tend perpétuellement sous le triple aspect de l’intelligence, de l’activité et de l’amour, à s’éclairer, à produire, à grandir en Dieu par un côté ou par un autre, et à monter du fini à l’infini dans un progrès infatigable et éternel. […] La puissance encore indomptée de la nature accablait à chaque instant son activité gauche, inégale, sans cesse refoulée sur elle-même ; la férocité des monstres sauvages, l’inclémence des éléments, les déluges, apportaient de tous les points de l’horizon l’effroi et la haine à cet être qui était fait pour aimer. […] L’activité matérielle délaissée s’égara, s’abrutit même, ou du moins cessa pour un temps de se perfectionner ; la violence et la guerre se déchaînèrent avec une inconcevable furie ; l’industrie rétrograda. […] L’humanité cessa de tendre à la perfection métaphysique pour laquelle elle n’était point faite ; les sciences profanes et l’industrie, marchant de concert, ruinèrent sur tous les points de la société la pratique chrétienne.
Je crois me rappeler qu’en effet, après l’article sur les Affaires de Rome, je rencontrai un jour sur la place de l’Odéon, au bras de je ne sais plus qui, M. de La Mennais que depuis quelque temps j’avais cessé de voir ; je ne me souviens pas de la mine que je pus faire, car on ne se voit point soi-même. […] De son côté, il n’avait cessé de m’exhorter directement ou indirectement à me fixer, à croire… Mais, je le demande, que pouvais-je faire lorsque, tout d’un coup, je le vis passer du blanc au noir ou au rouge, et dans sa pétulance sauter par-dessus ma tête, m’enjamber comme au jeu du cheval fondu pour aller tomber tout d’un bond du catholicisme dans l’extrême démagogie ? […] La vérité aussi, c’est que M. de La Mennais, avec ses jugements absolus, devait assez peu goûter ma forme de critique d’alors et même celle où, de tout temps, ma curiosité n’a cessé de se complaire.
S’il vient à mourir, il ne cessera pas d’exister. […] De jour et de nuit, n’a cessé d’assister les blessés et d’exalter l’enthousiasme des combattants par sa parole et son attitude. […] N’a cessé de circuler en première ligne les 29 et 30 mars, réconfortant les blessés et mourants, et donnant le plus bel encouragement, ainsi que l’exemple du mépris absolu du danger. » (13 avril 1916 ; J. […] Le Père Brottier (Daniel-Jales-Alexis), des Pères du Saint-Esprit, aumônier volontaire d’une division d’infanterie : « Depuis le début de la campagne, n’a cessé de prodiguer ses soins aux blessés avec un courage et une abnégation au-dessus de tout éloge. […] Dans l’assaut du 25 septembre 1915, n’a cessé d’encourager ses camarades, les aidant à franchir les parallèles de départ.
La plus grande partie des idées métaphysiques que je viens d’essayer de développer, sont indiquées par les fables reçues sur le destin des grands criminels ; le tonneau des Danaïdes, Sisyphe, roulant sans cesse une pierre, et la remontant au haut de la même montagne, pour la rouler en bas de nouveau, sont l’image de ce besoin d’agir, même sans objet, qui force un criminel à l’action la plus pénible, dès qu’elle le soustrait à ce qu’il ne peut supporter, le repos. Tantale, approchant sans cesse d’un but qui s’éloigne toujours devant lui, peint le supplice habituel des hommes qui se sont livrés au crime ; ils ne peuvent atteindre à aucun bien, ni cesser de le désirer. Enfin, les anciens poètes philosophes ont senti que ce n’était pas assez de peindre les peines du repentir, qu’il fallait plus pour l’enfer, qu’il fallait montrer ce qu’on éprouvait au plus fort de l’enivrement, ce que faisait souffrir la passion du crime avant que, par le remord même, elle eut cessé d’exister.