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442. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Deuxième leçon »

On en peut citer un exemple bien remarquable dans les belles spéculations des géomètres grecs sur les sections coniques, qui, après une longue suite de générations, ont servi, en déterminant la rénovation de l’astronomie, à conduire finalement l’art de la navigation au degré de perfectionnement qu’il a atteint dans ces derniers temps, et auquel il ne serait jamais parvenu sans les travaux si purement théoriques d’Archimède et d’Apollonius ; tellement que Condorcet a pu dire avec raison à cet égard : « Le matelot, qu’une exacte observation de la longitude préserve du naufrage, doit la vie à une théorie conçue, deux mille ans auparavant, par des hommes de génie qui avaient en vue de simples spéculations géométriques. » Il est donc évident qu’après avoir conçu d’une manière générale l’étude de la nature comme servant de base rationnelle à l’action sur la nature, l’esprit humain doit procéder aux recherches théoriques, en faisant complètement abstraction de toute considération pratique ; car nos moyens pour découvrir la vérité sont tellement faibles que, si nous ne les concentrions pas exclusivement vers ce but, et si, en cherchant la vérité, nous nous imposions en même temps la condition étrangère d’y trouver une utilité pratique immédiate, il nous serait presque toujours impossible d’y parvenir. […] En effet, le but principal que l’on doit avoir en vue dans tout travail encyclopédique, c’est de disposer les sciences dans l’ordre de leur enchaînement naturel, en suivant leur dépendance mutuelle ; de telle sorte qu’on puisse les exposer successivement, sans jamais être entraîné dans le moindre cercle vicieux. […] Il est clair, d’après cela, que, quoiqu’il soit infiniment plus facile et plus court d’apprendre que d’inventer, il serait certainement impossible d’atteindre le but proposé si l’on voulait assujettir chaque esprit individuel à passer successivement par les mêmes intermédiaires qu’a dû suivre nécessairement le génie collectif de l’espèce humaine. […] Une seule science ne suffirait point pour atteindre ce but, même en la choisissant le plus judicieusement possible.

443. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre V : Règles relatives à l’explication des faits sociaux »

L’un cherchera à le changer pour le mettre en harmonie avec ses besoins ; l’autre aimera mieux se changer soi-même et modérer ses désirs, et, pour arriver à un même but, que de voies différentes peuvent être et sont effectivement suivies ! […] Nous nous servons du mot de fonction de préférence à celui de fin ou de but, précisément parce que les phénomènes sociaux n’existent généralement pas en vue des résultats utiles qu’ils produisent. […] En un mot, étant admis qu’elles sont les moyens nécessaires pour atteindre le but poursuivi, la question reste tout entière : Comment, c’est-à-dire de quoi et par quoi ces moyens ont-ils été constitués ? […] Si, en effet, on se représente l’évolution historique comme mue par une sorte de vis a tergo qui pousse les hommes en avant, puisqu’une tendance motrice ne peut avoir qu’un but et qu’un seul, il ne peut y avoir qu’un point de repère par rapport auquel on calcule l’utilité ou la nocivité des phénomènes sociaux.

444. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre VI. L’effort intellectuel »

À quelques pas de là, nous tirions de notre poche un crayon et du papier, et nous luttions séparément à qui décrirait un plus grand nombre d’objets que nous avions pu saisir au passage… Il arrivait souvent à mon fils d’inscrire une quarantaine d’objets… » Le but de cette éducation spéciale était de mettre l’enfant à même de saisir d’un seul coup d’œil, dans une salle de spectacle, tous les objets portés sur eux par tous les assistants : alors, les yeux bandés, il simulait la seconde-vue en décrivant, sur un signe conventionnel de son père, un objet choisi au hasard par un des spectateurs. […] Mais peut-être aussi le travail destiné à convertir le schéma en image avait-il dépassé le but, évoquant alors, au lieu de l’image elle-même, les circonstances qui l’avaient encadrée primitivement. […] À ce que le travail « ne va pas tout seul », à ce qu’il éprouve une gêne ou rencontre un obstacle, enfin à ce qu’il met plus de temps qu’on ne voudrait à atteindre le but. […] Cette perception, nous la confions à notre mémoire ; et dès lors notre but sera d’obtenir de nos jambes des mouvements qui donnent à nos yeux une impression semblable à celle que notre mémoire avait gardée.

445. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — II » pp. 261-274

Mais si Bossuet pourtant s’oublie dans une oraison funèbre jusqu’à faire de l’ancien secrétaire d’État Le Tellier, de cet homme d’esprit doucereux et fin, une majestueuse figure de chef de justice et un pendant de L’Hôpital, on n’est pas fâché d’entendre l’abbé de Saint-Pierre réduire la figure à ses justes proportions, et mettant, comme on dit vulgairement, les pieds dans le plat, nous dire crûment : Il (Le Tellier) n’eut durant sa vie que le même but qu’ont les hommes du commun dans la leur, et ce but fut d’enrichir sa famille et d’augmenter son pouvoir tous les jours par des charges, par des emplois, par des alliances, par des richesses, par des dignités et surtout par la faveur du roi.

446. (1874) Premiers lundis. Tome II « Hippolyte Fortoul. Grandeur de la vie privée. »

L’auteur ne s’est pas proposé le contraste dans une intention littéraire et pour but d’agrément, mais toujours d’après sa même vue morale. […] La meilleure démonstration serait celle qui transpirerait dans une suite de récits fidèles et de peintures variées ; on oublierait souvent le but, on ne le discuterait jamais ; puis, à un certain moment, comme après un doux et captivant séjour chez, des amis heureux, on se sentirait devenu autre, converti à leur vertueux bonheur et le voulant mériter.

447. (1892) Boileau « Chapitre III. La critique de Boileau. La polémique des « Satires » » pp. 73-88

Le public, d’abord étonné de voir ce jeune homme inconnu prendre plaisir à se mettre à dos toute la bande rancunière des écrivains, comprit insensiblement le sens et le but de ces attaques, en les voyant multiplier et redoubler. […] Du jour où Boileau marqua le but, ils furent coupables de tâtonner et de dévier ; comme il avait trouvé, ils étaient ridicules de chercher encore.

448. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre II. Signes de la prochaine transformation »

Mais le monde dont l’inquiète analyse est excitée par la vaine peur de paraître dupe, qui dissout par jeu la foi, l’autorité, la tradition, et ne tend qu’à mouvoir son intelligence, sans poursuivre de solides ou bienfaisants résultats, le monde s’épuise dans la continuité de l’action intellectuelle, sans but et sans passion. […] Il se demande ce qu’il est, où il va, le but et la fin de son agitation.

449. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre IV. Cause immédiate d’une œuvre littéraire. L’auteur. Moyens de le connaître » pp. 57-67

Certains déchiffreurs de paperasses ont fini par croire ou faire croire que le but principal de l’histoire est d’exhumer et d’étaler au grand soleil ces débris émiettés du passé ; ils ont oublié que sa tâche, plus noble et plus difficile, consiste surtout à interpréter et à résumer cette masse de documents humains. […] Mais mon but en cet ouvrage est, je ne saurais trop le répéter, d’indiquer en quelle voie il faut marcher et non de détailler ce qu’on trouvera sur la route et au bout.

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