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856. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — W. — article » pp. 524-526

L'Art de peindre, est un Ouvrage qui assure à son Auteur une place parmi les Poëtes utiles. […] Si l'on fait attention aux difficultés du sujet qu'il a entrepris de traiter dans une Langue telle que la nôtre, & combien la Poésie Françoise se prête peu aux expressions techniques d'un Art dont la plupart des regles sont fondées sur l'Optique & l'Anatomie, on lui saura gré d'avoir surmonté de tels obstacles, & on passera sans peine sur le défaut d'intérêt & d'élégance, qu'on lui reproche, en lui tenant compte des vraies beautés qu'il a le plus souvent répandues sur une matiere ingrate par elle-même.

857. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Malherbe et son école. Mémoire sur la vie de Malherbe et sur ses œuvres par M. de Gournay, de l’Académie de Caen (1852.) » pp. 67-87

En même temps, André Chénier touche à un défaut trop réel chez Malherbe, la stérilité d’invention et d’idées : Au lieu, dit-il, de cet insupportable amas de fastidieuse galanterie dont il assassine cette pauvre reine, un poète fécond et véritablement lyrique, en parlant à une princesse du nom de Médicis, n’aurait pas oublié de s’étendre sur les louanges de cette famille illustre qui a ressuscité les lettres et les arts en Italie, et de là en Europe. Comme elle venait régner en France, il en aurait tiré un augure favorable pour les arts et la littérature de ce pays. […] Cette observation de Balzac et de Godeau se peut résumer ainsi : Ronsard et son école ne savaient pas l’art d’imiter ; dans leur ardeur et leur inexpérience première, ils transportaient tout de l’antiquité, l’arbre et les racines : Malherbe le premier sut et enseigna l’art de greffer les beautés poétiques. […] Horace, même quand il célèbre la campagne, est plus brillant, plus travaillé ; il y porte cette curiosité heureuse, cette ciselure de diction qui ne l’abandonne jamais dans ses odes et qui rappelle l’art ; son expression est vive et concise, son image serrée et polie jusqu’à l’éclat : elle luit comme un marbre de Paros, comme un portique d’Albano au soleil. […] Il a couronné toutes les images d’Horace par la plus vaste image funèbre, et c’est ainsi encore que, dans cet art des imitations combinées et fondues au sein d’une inspiration vive, il s’est montré un digne élève de Malherbe.

858. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de l’Académie française, par Pellisson et d’Olivet, avec introduction et notes, par Ch.-L. Livet. » pp. 195-217

Les lettres patentes de 1635, et le projet qui avait précédé, exprimaient en termes très nets le but des études et l’objet des travaux de l’Académie ; l’espoir « que notre langue, plus parfaite déjà que pas une des autres vivantes, pourrait bien enfin succéder à la latine, comme la latine à la grecque, si on prenait plus de soin qu’on n’avait fait jusques ici de l’élocution, qui n’était pas à la vérité toute l’éloquence, mais qui en faisait une fort bonne et fort considérable partie » ; que, pour cet effet, il fallait en établir des règles certaines ; premièrement établir un usage certain des mots, régler les termes et les phrases par un ample Dictionnaire et une Grammaire exacte qui lui donneraient une partie des ornements qui lui manquaient, et qu’ensuite elle pourrait acquérir le reste par une Rhétorique et une Poétique que l’on composerait pour servir de règle à ceux qui voudraient écrire en vers et en prose : que, de cette sorte, on rendrait le langage français non seulement élégant, mais capable de traiter tous les arts et toutes les sciences, à commencer par le plus noble des arts, qui est l’éloquence, etc., etc. […] Car en France, notez-le bien, on ne veut pas surtout s’amuser et se plaire à un ouvrage d’art ou d’esprit, ou en être touché, on veut savoir si l’on a eu droit de s’amuser et d’applaudir, et d’être ému ; on a peur de s’être compromis, d’avoir fait une chose ridicule ; on se retourne, on interroge son voisin ; on aime à rencontrer une autorité, à avoir quelqu’un à qui l’on puisse s’adresser dans son doute, un homme ou un corps. […] Elle sortit du chaos, pour ainsi dire, avec les sciences et les arts, dont ce prince fut plutôt le père que le restaurateur. […] Livet prend le soin de faire la remarque suivante : « La connaissance imparfaite de notre ancienne littérature a égaré Despréaux dans son Art poétique ; nous invoquons la même excuse en faveur de l’abbé d’Olivet, qui traite le même sujet d’une manière aussi peu conforme aux idées modernes. » Je crois qu’on pouvait se dispenser de cette note. […] Quant à Despréaux, il n’a pas donné, sans doute, une histoire exacte et complète de notre poésie dans les quelques vers de son Art poétique, qui en traitent d’ailleurs très élégamment ; mais on ne saurait dire précisément qu’il s’est égaré, en ne s’avançant pas au-delà de ce qu’on savait bien de son temps.

859. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. De Pontmartin. Causeries littéraires, causeries du samedi, les semaines littéraires, etc. »

Le Lamennais que nous rencontrions chez M. d’Ortigue, et qui semblait m’avoir tout à fait pardonné, je dois le dire, certains articles polémiques sévères, causait à ravir, parlait art, musique, immortalité de l’âme, et ne sentait pas du tout le fumier. […] Il est trop aisé de déclamer alors dans un sens ou dans un autre ; le thème est tout donné, on n’a qu’à le suivre ; mais l’appréciation véritable et distincte des œuvres de l’esprit demande plus de précaution et l’emploi d’un art tout différent, qui a ses principes aussi sans les afficher. […] Tout cela est dit en termes d’une fausse élégance, avec des tons demi-poétiques, des inversions d’adjectifs, « les délétères parfums, les monotones draperies… » Il ne lui reste plus, les autres mis ainsi de côté, qu’à inaugurer sa propre critique, à lui, la seule salutaire et la seule féconde, la seule propre à réconcilier l’art avec la religion, le monde et les honnêtes gens : « Telles sont, dit-il, après avoir posé quelques points, les questions que je veux effleurer ici, comme on plante un jalon à l’entrée d’une route. » Effleurer une question, de même qu’on plante un jalon, c’est drôle ; il n’y a guère de rapport naturel entre effleurer et planter ; qui fait l’un ne fait pas l’autre, et fait même le contraire de l’autre. […] Enfin, après une vague et partiale peinture de l’état des Lettres sous les divers régimes qui se sont succédé depuis cinquante ans, et encore sous le coup de la Révolution de Février, qui le préoccupe extraordinairement, et qui n’a été, après tout, qu’une révolution plus ou moins comme une autre, il en vient à établir son principe et à proclamer son spécifique littéraire, — le mot peut paraître assez naïvement choisi : « Il fallait, s’écrie-t-il, il fallait (au lendemain de cette Révolution) proclamer le spiritualisme chrétien dans l’art, comme le seul spécifique assez puissant pour le guérir (pour guérir l’art, entendons-nous bien), comme la seule piscine assez profonde pour le laver de ses souillures. » Remarquez-vous comme ces esprits chastes, sitôt qu’ils se mêlent de critique, sont continuellement préoccupés et remplis d’immondices et de souillures ? […] Aristote, je le pense, était un grand critique, et Lessing, et Schlegel, et Gœthe et Schiller lui-même : dites-leur donc d’appliquer dans l’art pour règle et pour mesure le principe du spiritualisme chrétien, c’est-à-dire un principe ascétique et qui appartient à un ordre tout différent !

860. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Monsieur de Bonald, (Article Bonald, dans Les Prophètes du passé, par M. Barbey d’Aurevilly, 1851.) » pp. 427-449

Développant pour la première fois cette pensée qu’il a depuis résumée ainsi et qui fait loi : « La littérature est l’expression de la société », M. de Bonald examine dans leurs rapports la décadence des arts et celle des mœurs : « Ce serait, ce me semble, nous dit-il, le sujet d’un ouvrage de littérature politique bien intéressant, que le rapprochement de l’état des arts chez les divers peuples avec la nature de leurs institutions. » Et il en donne à sa manière un aperçu, indiquant que la plus grande perfection des arts et des lettres, comme il les conçoit, répond généralement à l’état le plus parfait des institutions sociales, c’est-à-dire à la monarchie. […] Il n’entendait pas restreindre moins rigoureusement les arts du dessin ; il était sans pitié pour les statues : « Gouvernements, s’écriait-il, voulez-vous accroître la force de l’homme ? […] Qu’un tel régime de littérature spartiate ou romaine, comme le pourrait régler un Caton l’Ancien, soit souhaitable ou regrettable, je n’examine pas cette question, qui n’est autre que l’éternelle querelle entre les vieilles mœurs et le génie des arts ou de la pensée ; mais est-ce possible dans l’état actuel et prochain de la société, et sur les pentes nouvelles où se précipite le monde ? […] Jamais il ne parle des Grecs qu’avec mépris et dédain comme d’une nation de femmes et d’enfants , ne songeant qu’au plaisir, et qui, dans leurs arts, « ôtèrent la pudeur même à la chasteté » 55 : ou encore comme d’une « nation d’athlètes » devenue bien vite un peuple de rhéteurs et de sophistes, et qui, en philosophie, « ne cherchèrent jamais la sagesse que hors des voies de la raison ».

861. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Œuvres de Louis XIV. (6 vol. in-8º. — 1808.) » pp. 313-333

Rien de tel ne se montre dans les Mémoires de Louis XIV, non plus que dans ceux de Napoléon ; c’est de l’histoire toute pure, ce sont les réflexions d’hommes qui parlent de leur art, et le plus grand des arts, celui de régner. […] En commençant à vingt-trois ans à vouloir régner entièrement par lui-même, Louis XIV met au nombre de ses occupations essentielles et de ses devoirs, de noter par écrit ses actions principales, de s’en rendre compte, et d’en faire le sujet d’un enseignement à son fils qui, plus tard, pourra s’y former à l’art de régner. […] On a remarqué que ce fut là une apparence plus qu’une réalité, et que bientôt, à défaut de Premier ministre, il eut des premiers commis qui, par art et flatterie, surent lui faire adopter comme de sa propre impulsion ce qu’eux-mêmes ils désiraient. […] La connaissance des hommes, le discernement des esprits, et l’application de chacun à l’emploi auquel il est le plus propre et le plus utile au public, c’est là proprement le grand art et c’est peut-être le premier talent du souverain. […] La pensée religieuse qui s’y joint dans son esprit ajoute plutôt qu’elle n’ôte à ce que cette maxime royale a de politiquement remarquable ; et c’est en ces parties qu’on reconnaît chez lui le véritable homme de talent dans cet art difficile de régner : La sagesse, dit-il, veut qu’en certaines rencontres on donne beaucoup au hasard ; la raison elle-même conseille alors de suivre je ne sais quels mouvements ou instincts aveugles, au-dessus de la raison, et qui semblent venir du ciel, connus à tous les hommes, et plus dignes de considération en ceux qu’il a lui-même placés aux premiers rangs.

862. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — II. (Suite et fin.) » pp. 341-361

Ce sont les petites choses qui l’ont décidé, les petites vexations locales, de voir des abus de pouvoir dans l’endroit, de voir un homme trop puni pour avoir manqué au curé, d’entendre ce curé défendre le cabaret aux paysans le dimanche, enfin des querelles de maire et de garde champêtre ; c’est ce qui le décida pour l’opposition ; et, une fois piqué au jeu, il y prend goût : le talent, chez lui, qui cherchait jour et matière et qui s’ennuyait à ne point s’exercer, s’empare de ces riens et en fait à la fois des thèmes d’art achevés et de merveilleuses petites pièces de guerre. […] quelque part que je tourne les yeux, je ne vois que le crime triomphant et l’innocence opprimée… » ; ce qui, au point de vue de l’art, sent un peu trop l’avocat, le Cicéron ou le Gerbier qui plaide. […] Et ne dites pas que c’est assez s’il est le Franklin de notre pays : il y a dans Franklin, avec peu de souci d’art, une bien autre sève abondante et saine de bon sens utile et sans âcreté. […] Dans le dialogue original et vif qu’on supposerait de l’un à l’autre, ils ne seraient d’accord que sur le Jupiter Olympien et contre Napoléon ; tous deux hommes d’humeur et ne voyant qu’un côté des choses ; mais Quatremère de Quincy plus élevé, et, au nom même de l’art antique et de la religion du goût, faisant honte à Courier de sa popularité politique, de mettre ainsi un talent d’Athénien au service des gens de La Minerve, et d’avoir pu dire sérieusement, dans une lettre adressée au Drapeau blanc : « Le peuple m’aime ; et savez-vous, monsieur, ce que vaut cette amitié ? […] Courier, en vieillissant, et par disette de sujets, serait sans doute revenu à de pures applications d’art ; il nourrissait un grand projet sur Hérodote, et il en a donné un essai de traduction très remarqué.

863. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

Il est donc faux de dire qu’il ne faut point avoir de goût exclusif, si l’on entend par là qu’il faut supporter dans les ouvrages de l’art la médiocrité, et même tirer parti du mauvais. […] Mais, là où il le trouve incomparable, c’est dans l’art de dessiner des caractères, et de donner à tous ses personnages un air de vérité : Quel génie a pénétré jamais plus profondément dans tous les caractères et dans toutes les passions de la nature humaine ? […] Les services qu’il rendit par ses notices et ses livres agréables sur les sciences, par l’esprit philosophique qu’il y mit avec art et mesure, furent réels et se répandirent utilement dans la société de son temps : son style et son faux goût littéraire faillirent produire un mal durable. […] Grimm est classique en ce sens que, pour ce qui est de l’imagination et des arts, il croit un seul grand siècle dans une nation. […] qui porta jamais plus loin que Catherine le grand art des rois, celui de prendre et de donner ! 

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