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12. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français, et de la question des anciens et des modernes, (suite et fin.) »

La difficulté de faire admirer et goûter les Anciens à ceux qui n’en veulent pas et qui les sentent peu, est extrême. […] Il ne craint pas même d’y découvrir et d’y voir une sorte de perfection morale naturelle qui ne s’est plus rencontrée depuis ; il y admire une morale primitive et populaire « qui ne se traduisait pas par des préceptes et des sentences, mais qui produisait de si grandes actions et de si grands peuples », — petits en nombre, grands par le cœur. […] Des lignes nettes, de purs horizons, des contours simples dans leur infinie variété, des formes à la fois sévères et gracieuses, qu’on admire sans effroi : nulle part de ces immensités qui humilient la pensée. […] Ceux-ci, en effet, admirent les Anciens d’abord et ensuite, en tout et partout, et tels qu’on les leur offre, ne s’inquiétant que de leur impression personnelle et directe, qu’ils confondent volontiers d’ailleurs avec la donnée traditionnelle. […] En attendant, la méthode est des plus utiles en elle-même : il est bon de douter de sa propre sagesse, il est bon de croire, il est bon d’admirer.

13. (1912) L’art de lire « Chapitre VIII. Les ennemis de la lecture »

Les auteurs ont toutes sortes de motifs de ne pas admirer, ni même goûter les ouvrages de leurs confrères, motifs dont l’amour-propre est seulement l’un, duquel, du reste, je n’irai pas jusqu’à dire qu’il est le plus faible. […] Il est un homme qui se détache de la troupe et qui prétend se faire admirer, au moins se faire écouter et nous divertir. […] Et si l’auteur doit l’être lui-même, ce que Nietzsche lui-même avoue, n’est-il pas vrai à plus forte raison qu’il faut que le lecteur le soit pour son plus grand plaisir, qui est l’admiration intelligente, l’admiration consciente, l’admiration qui sait pourquoi elle admire ? […] Tout de même, ou à peu près tout de même, admirer, c’est avouer que l’on est ébloui, fasciné, étourdi par le talent, l’habileté, l’adresse, la rouerie d’un auteur. […] Il se refuse le plaisir de l’admiration, sans doute, mais pour s’en donner un plus aigu et plus pénétrant qui est de se contempler n’admirant point et de se féliciter de n’admirer pas.

14. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 39, qu’il est des professions où le succès dépend plus du génie que du secours que l’art peut donner, et d’autres où le succès dépend plus du secours qu’on tire de l’art que du génie. On ne doit pas inferer qu’un siecle surpasse un autre siecle dans les professions du premier genre, parce qu’il le surpasse dans les professions du second genre » pp. 558-567

Je serai même aussi peu surpris qu’un homme qui auroit pris son idée du mérite des anciens sur leurs ouvrages de physique, de botanique, de geographie et d’astronomie, parce que sa profession l’auroit obligé à faire sa principale étude de ces sciences, n’admire point l’étendue des connoissances des anciens, que je suis peu surpris de voir l’homme qui a formé son idée du mérite des anciens, sur leurs ouvrages d’histoire, d’éloquence et de poesie, rempli de véneration pour eux. […] Ils admirent sans prétendre les égaler, sa pratique et ses prédictions sur le cours et sur la conclusion des maladies, bien qu’il les fit avec moins de secours que les médecins n’en ont presentement pour faire leurs prognostics. […] En effet, ces contemporains ne pouvoient point admirer les faux brillans et le stile hérissé de pointes des écrits de Seneque, qui annoncerent la décadence des esprits, tandis qu’ils continueroient d’admirer le stile noble et simple des écrivains du siecle d’Auguste.

15. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre septième »

En parlant de Massillon, je dirai comment Voltaire aurait pu moins admirer le Petit Carême sans cesser d’être juste. […] Mais s’il nous découvre ce qu’il y a de plus admirable dans les livres, il ne nous avertit pas de tout ce qui est à admirer. […] Quelques-uns rencontraient souvent la vérité, mais on les admirait plus souvent pour l’avoir manquée. […] Il ne veut pas affliger de ses préférences Fontenelle qu’il admire, quoique sans illusions. […] Encore ne l’admire-t-il que par déférence : il ne conteste plus, il ne croit pas encore.

16. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VI. Pour clientèle catholique »

(Peut-être va-t-il m’interdire naïvement de l’aimer et de l’admirer, moi qui ne suis pas catholique, et qui fais des réserves, et qui aime et admire autant des puissances et des beautés égales et différentes : mais mes sentiments ne dépendent ni de lui ni de moi). […] Il n’y a guère qu’à admirer la verve implacable avec laquelle Léon Bloy relève « les clichés Zola », « les isochrones formules de ce balancier inconscient ». […] Pour ma part, avec une inquiétude qui s’efforce d’admirer, je m’étonnais devant les Morticoles, devant le Voyage de Shakspeare et même encore, amoureux tenace, devant Suzanne. […] Je l’admirais comme un orage dont l’angoisse s’illumine à la brusque splendeur des éclairs ou parfois à je ne sais quels vastes frémissements lumineux. […] D’ordinaire, un vulgarisateur aime et admire les connaissances qu’il répand.

17. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — III » pp. 132-153

Il se montre très favorable au grand Frédéric, rien de mieux ; mais non seulement il admire ses écrits, il admire encore (juin 1754) l’apologie de sa politique : « Quel homme ! […] Sur Voltaire, par exemple, il est à écouter plus que personne : il était son camarade de collège ; il le goûtait vivement et l’admirait ; ministre, il avait tout fait pour l’employer, pour le mettre en lumière et en valeur. […] Je me bornerai à en citer deux ou trois des plus marquants, en avertissant bien à l’avance que d’Argenson ne se fait aucune illusion sur l’homme éminent qu’il admire ; il qualifie nettement ses défauts de caractère et de conduite, et il a même à ce sujet des paroles parfois si crues qu’on n’aime pas à s’en faire l’écho à cette distance. […] Il est très avancé dans la science politique ; il a tout manié, morale surtout et politique ; mais les défauts de son caractère percent à la vérité quelquefois dans ce qu’il prise, dans ce qu’il admire et dans ce qu’il rejette. […] Ce n’est point l’art ni la difficulté surmontée que je cherche et j’admire.

18. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIe entretien. Phidias, par Louis de Ronchaud (2e partie) » pp. 241-331

Quiconque a vu ce bloc gigantesque, qu’on admire aujourd’hui dans la galerie du prince Torlonia à Rome, sent que la force et la grâce sont sœurs dans l’âme des puissants génies. […] L’amour du beau pouvait seul révéler à un tel commentateur désintéressé la plus noble des passions, la passion d’admirer, qui fait tout comprendre ! […] la part du dilettante, la part d’admirer et de jouir de ce que tu admires ! […] Pour moi, je l’admire, et je m’en vais sans aucun désir de le revoir. […] L’œil ne peut s’en arracher ; on les regarde, on les suit, on les admire, on les plaint avec ce sentiment qu’on éprouverait pour des êtres qui auraient eu ou qui auraient encore le sentiment de la vie.

19. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse sociologique »

Stendhal admire le mélange de passion et de réalisme des anciennes chroniques italiennes, la douce volupté de la musique de Cimarosa ; il n’aime point le style oratoire des romantiques qu’il défend cependant pour la sincérité de leur lyrisme ; Mérimée dénigre Victor Hugo, admire Stendhal et parfois Byron ; Musset ne cachait pas sa préférence pour Byron ; Lamartine aimait Ossian ; Théophile Gautier et les parnassiens admirent Victor Hugo, dans lequel cependant ils préfèrent le versificateur et le styliste au penseur ; Baudelaire affectionne Poe, Gautier et Delacroix ; Flaubert admire à la fois Balzac, Hugo et certains livres de science, certaines cadences de phrase ; les Goncourt vont à Balzac, à Heine, aux peintres du joli et du mouvement, les Japonais et ceux du XVIIIe siècle ; M.  […] Zola, des tempéraments définis, une manière d’être dont les livres qu’ils admirent sont l’expression approchée. […] Or nous avons vu quel est le sens psychologique du phénomène de l’admiration, comment il provient d’une concordance entre l’organisation mentale de l’admirateur et celle de l’homme dont l’œuvre admirée est le signe. […] Une littérature, un art national comprennent une suite d’œuvres, signes à la fois de l’organisation mentale générale des masses qui les ont admirées, signes de l’organisation mentale particulière des hommes qui les ont faites. […] Les âmes qui retrouvent en cette œuvre leur âme, l’admirent, se groupent autour d’elle et se séparent des hommes d’âme diverse.

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