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154. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Émile de Girardin » pp. 45-61

Machiavel, qui se permettait aussi des comédies, mais non crépusculaires, qui inventait avant Molière un Tartufe d’une bien autre fierté et d’une bien autre profondeur, était un lettré, lui, et un lettré de premier ordre. […] Vous vous rappelez ces gentilshommes dont Molière s’est moqué et qui disaient « savoir tout sans avoir rien appris » ? Il paraît que les démocrates enrichis ont la même fatuité ; car, enfin, ce n’est pas un gentilhomme — pas même de Molière — que Μ. de Girardin !

155. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid. »

Après avoir commencé par demander un Lexique de Molière, l’Académie a mis au concours, en 1858, un Lexique de Corneille, indiquant assez par là même que le Commentaire de Voltaire sur le grand tragique était remis en question, et entièrement à refaire. […] Ce lutin dont parlait Molière, lorsqu’il voulait expliquer les inégalités de verve de Corneille, et duquel il disait encore plus poétiquement que plaisamment, qu’il venait, au moment où le pauvre grand homme était dans l’embarras, lui souffler à l’oreille quelques-uns de ses plus beaux vers et de ses plus belles scènes, pour disparaître la minute d’après, — ce lutin n’était autre, en bien des cas, que le Génie même de la République et de l’Empire, ce puissant fantôme évoqué sans cesse, et que les Brutus et les César avaient vu apparaître plus d’une fois dans leurs veilles ou dans leurs songes. […] Si nous avions un seul homme, un seul génie dramatique à déléguer dans ce congrès universel, ce ne serait pas Corneille, ce serait Molière qu’il faudrait y députer. […] Corneille, Racine et Molière, deux Cours sur la poésie dramatique française au xviie  siècle, par M. 

156. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « La Fontaine. » pp. 518-536

Le premier ouvrage qu’il publia fut la traduction en vers de L’Eunuque de Térence en 1654 ; il avait trente-trois ans ; cette traduction est contemporaine des premières pièces de Molière. […] Les Contes lui seraient aisément venus dans ce lieu-là, non pas les Fables ; les belles fables de La Fontaine, très probablement, ne seraient jamais écloses dans les jardins de Vaux et au milieu de ces molles délices : il fallut, pour qu’elles pussent naître avec toute leur morale agréable et forte, que le bonhomme eût senti élever son génie dans la compagnie de Boileau, de Racine, de Molière, et que, sans se laisser éblouir par Louis XIV, il eût pourtant subi insensiblement l’ascendant glorieux de cette grandeur. […] Mais au premier rang dans l’ordre de la beauté, il faut placer ces grandes fables morales Le Berger et le Roi, Le Paysan du Danube, où il entre un sentiment éloquent de l’histoire et presque de la politique ; puis ces autres fables qui, dans leur ensemble, sont un tableau complet, d’un tour plus terminé, et pleines également de philosophie, Le Vieillard et les Trois Jeunes Hommes, Le Savetier et le Financier, cette dernière parfaite en soi comme une grande scène, comme une comédie resserrée de Molière. […] Ma conviction bien paisible, c’est que La Fontaine, comme Molière, n’a rien qu’à gagner du temps ; le bon sens, si profondément mêlé à son talent unique et naïf, lui assure de plus en plus l’avenir.

157. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre premier. De l’invention dans les sujets particuliers »

Derrière cette vérité, notre Molière en aperçoit une autre, plus universelle, plus humaine, moins étroitement chrétienne : les dons isolément les plus précieux, naissance, beauté, amour, grâce, courage, esprit, intelligence, corrompus par leur assemblage même, tournés eu monstrueuse scélératesse par le dérèglement et l’impunité, et portant pour fruits l’égoïsme féroce, le scepticisme insolent, le libertinage capricieux. […] La valeur de chaque scène, de chaque mot vient de son rapport direct au type idéal qu’avait conçu Molière et sur lequel il dessinait le personnage.

158. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Lucrèce Borgia » (1833) »

Corneille et Molière avaient pour habitude de répondre en détail aux critiques que leurs ouvrages suscitaient, et ce n’est pas une chose peu curieuse aujourd’hui de voir ces géants du théâtre se débattre dans des avant-propos et des avis au lecteur sous l’inextricable réseau d’objections que la critique contemporaine ourdissait sans relâche autour d’eux. […] Ce qui sied à des hommes pleins d’autorité, comme Molière et Corneille, ne sied pas à d’autres.

159. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Émile Augier »

… Il faut que nous soyons bien indignes de nos spirituels aïeux pour que le public du théâtre de Corneille, de Racine, de Molière, de Regnard et de Beaumarchais, ait, pu prendre un moment Émile Augier pour le successeur naturel de ces auteurs charmants et superbes ! […] Voyez-vous Augier se posant en Molière ?

160. (1767) Sur l’harmonie des langues, et en particulier sur celle qu’on croit sentir dans les langues mortes

Quand je vois un orateur latin employer des mots de Térence, sur ce fondement que Térence est un auteur de la bonne latinité, c’est à peu près comme si un orateur français employait des phrases de Molière par la raison que Molière est un de nos meilleurs auteurs : « Messieurs, pourrait dire à son auditoire, ce harangueur si heureux en imitation, c’est une étrange affaire que d’avoir à se montrer face à face devant vous, et l’exemple de ceux qui s’y sont frottés est une leçon bien parlante pour moi. […] Et serait-ce louer un auteur de lettres écrites en français, de dire qu’en le lisant on croit lire Molière ? […] Mais Molière dont nous parlions tout à l’heure, et qu’on ne saurait trop citer ici, est plein de gallicismes ; aucun auteur n’est si riche en tours de phrases propres la langue française ; il est même, pour le dire en passant, beaucoup plus correct dans sa diction qu’on ne pense communément : d’après cette idée, un étranger qui écrirait en français, croirait, bien faire que d’emprunter beaucoup de phrases de Molière et se ferait moquer de lui ; faute d’avoir appris à distinguer dans les gallicismes, ceux qui sont admis dans le genre le plus noble, ceux qui sont permis dans le genre moins élevé, mais sérieux, et ceux qui ne sont propres qu’au genre familier.

161. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome II

(Molière.) […] Cette comédie, tout à la fois de caractère et d’intrigue, a le grand avantage d’avoir précédé les chefs-d’œuvre de Molière. […] Quelques années auparavant, Quinault avait déjà donné l’Amant indiscret, pièce qui eut beaucoup de succès, et qui est au fond la même chose que l’Étourdi de Molière. […] La scène du raccommodement entre les amants brouillés, quoique bonne, est encore inférieure à celle du Dépit amoureux de Molière, et cependant personne ne dira que le tendre Molière était le poète du sentiment. […] Molière lui-même fut souvent prodigue de ces expressions, que notre politesse a bannies de la conversation comme de la scène.

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