L’état de conscience qui résulte d’une circulation saine peut être considéré comme la sensation caractéristique de l’existence animale. […] Nous lui devons les sentiments agréables provenant du bon état des organes digestifs, l’influence maligne exercée par leur mauvais état, les sensations de nausée et de dégoût, la mélancolie causée par les maladies d’estomac et d’intestins. Ajoutons-y les sensations de chaud et de froid, leur influence sur l’activité des fonctions organiques, — enfin les sensations d’état électrique, soit qu’elles résultent de l’emploi des machines, soit qu’elles aient une cause naturelle, comme l’état de malaise qui précède un orage. […] Tous ces faits et nombre d’autres peuvent se réduire au principe suivant : Les états de plaisirs sont unis avec un accroissement, les états de peine à une diminution de toutes les fonctions vitales ou de quelques-unes. […] Que l’on remarque, d’ailleurs, que la force nerveuse ne peut être répandue également partout, et que les centres nerveux ne sont pas également chargés ; que l’état du fœtus ne ressemble pas à celui de l’âne de Buridan ; mais qu’il y a un état de vigueur nutritive ou constitutionnelle qui détermine le fœtus à remuer tel pied plutôt que tel autre.
La fusion en un tout d’une multitude de plaisirs ou de peines à l’état naissant a fini par paraître étrangère au plaisir et à la peine, mais ne vous laissez pas prendre à cette apparence : toute sensation de chaleur ou de fraîcheur est du plaisir ou de la peine qui commence, c’est de l’émotion qui s’apprête et sollicite la volonté, c’est un ébranlement qui se prépare à passer de l’état moléculaire à l’état massif. […] Touchez un fil de télégraphe, vous ne sentirez pas si ses particules sont à l’état de repos ou de mouvement électrique. […] Le changement dont j’ai conscience me paraît plus ou moins intense selon le degré de modification interne, et ce degré est celui de la différence que j’aperçois entre l’état antérieur et l’état présent. […] Mais subjectivement, n’y a-t-il conscience que du changement ou mouvement, de la relation entre deux états différents, et les deux états eux-mêmes, ou au moins le premier, sont-ils, comme tels, hors de la conscience ? […] N’est-il pas plus naturel de dire que je saisis la différence d’état produite par la stimulation nouvelle (comme une étincelle électrique) dans mon état précédent, dont j’avais une conscience spontanée et générale ?
Inversement, la douleur accompagne bien des états, comme la faim, la fatigue, la parturition qui sont des phénomènes purement physiologiques. […] Mais d’abord — nous aurons plus loin à revenir sur ce point — il n’est pas du tout démontré que chaque état de l’organisme soit en correspondance avec quelque état externe. […] La santé serait l’état d’un organisme où ces chances sont à leur maximum et la maladie, au contraire, tout ce qui a pour effet de les diminuer. […] Comment, cependant, qualifier de maladif un état dont l’absence ou la disparition prématurée constituent incontestablement un phénomène pathologique ? […] Il est vrai que, couramment, on entend aussi par santé un état généralement préférable à la maladie.
La parole intérieure ordinaire et vulgaire, celle de la solitude rêveuse et insouciante, du travail mental, de la lecture curieuse et sans enthousiasme, de moi qui écris ces pages, de vous qui me lisez, est un état fixe, un état limite233. […] Les états forts, faisant d’ordinaire illusion, comprennent la plupart des hallucinations, en particulier la plupart des hallucinations de l’ouïe, donc la plupart des paroles intérieures anormales qui sont, à tort, aliénées et externées ; la parole intérieure vive fait partie des états semi-forts, la parole intérieure proprement dite des états faibles. Les états très faibles ne comprennent rien de la parole intérieure ; nous avons expliqué pourquoi [§ 2, fin]. […] L’activité novatrice de la pensée, voilà le principe qui la maintient à l’état d’habitude générale. […] En s’élevant à cette fonction, le son, état faible, est dégagé peu à peu de toute association localisatrice ; dépouillé des caractères de l’extériorité, il reprend, avec l’apparence d’une pure succession, son état primitif, que la première opération lui avait fait perdre.
Mais pour ne point laisser de doute sur cette succession naturelle, nous examinerons comment chaque état se combine avec le gouvernement de l’état précédent ; mélange fondé sur l’axiome : lorsque les hommes changent, ils conservent quelque temps l’impression de leurs premières habitudes. […] Aucun état n’aurait pu subsister avec deux pouvoirs législatifs souverains, sans se diviser en deux états. […] Ainsi les états populaires furent gouvernés par un corps aristocratique. […] Maintenant nous lui demandons comment la monarchie put sortir d’un tel état de famille. […] Les autres républiques sont des états populaires avec un gouvernement aristocratique.
Ce fait prouve que l’opération nerveuse est en partie semblable dans les deux cas, dans la perception et le souvenir, et que le souvenir n’est point un état tout intellectuel. […] Une telle conception de la mémoire, en effet, prend le cerveau à l’état de repos ; on y considère les images comme fixées, clichées, photographiées, ce qui n’est pas exact. […] Les émotions sont le retentissement affectif des états de conscience ; il faut que ces états se renouvellent pour que les émotions reparaissent ; et encore faut-il qu’ils se renouvellent avec les mêmes rapports. Les états de conscience primitifs sont donc ou des actes ou des sensations, et les émotions sont des intermédiaires. […] Il est des philosophes qui déclarent la chose impossible et qui prétendent qu’on reproduit seulement les perceptions et états intellectuels concomitants, ainsi que les mots.
La lutte est le caractère de l’état d’analyse. […] L’état analytique que nous traversons fût-il absolument inférieur à l’état primitif (et il ne l’est qu’à quelques égards), l’analyse serait encore plus avancée que le syncrétisme, parce qu’elle est un intermédiaire nécessaire pour arriver à un état supérieur. […] Ceux qui rêvent la paix en cet état rêvent la mort. […] La paix n’est pas le partage de l’état d’analyse, et l’état d’analyse est nécessaire pour le progrès de l’esprit humain. […] L’état primitif était l’âge de la solidarité.
Cette loi consiste en ce que chacune de nos conceptions principales, chaque branche de nos connaissances, passe successivement par trois états théoriques différents : l’état théologique, ou fictif ; l’état métaphysique, ou abstrait ; l’état scientifique, ou positif. […] Cette maxime fondamentale est évidemment incontestable, si on l’applique comme il convient à l’état viril de notre intelligence. Mais, en se reportant à la formation de nos connaissances, il n’en est pas moins certain que l’esprit humain, dans son état primitif, ne pouvait ni ne devait penser ainsi. […] Il s’agit de la question, encore indécise, qui consiste à déterminer si l’azote doit être regardé, dans l’état présent de nos connaissances, comme un corps simple ou comme un corps composé. […] Mettons-la enfin en état de prendre un rôle actif, sans nous inquiéter plus longtemps de débats devenus inutiles.