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14. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse psychologique »

L’interprétation des émotions sera simple et directe s’il s’agit d’œuvres évidemment et franchement passionnées ; il faudra recourir à des détours quand, par impassibilité, par ironie ou par toute autre cause, l’auteur semble s’efforcer d’empêcher que l’on aperçoive quelles émotions il a voulu suggérer, ou même que l’on en ressente une. […] L’interprétation psychologique des émotions indiquées et suggérées dans ces œuvres est facile. […] Dans les deux cas, ces émotions sont celles-là mêmes qu’il importe de déterminer chez l’artiste qu’on étudie, et, de fait, la plupart des œuvres littéraires, qui appartiennent à ce genre sont autobiographiques ; dans les deux cas on peut conclure directement à l’existence permanente chez l’auteur des émotions de l’œuvre, et déduire de celle-ci les conditions mentales qu’elles supposent. […] Leurs œuvres sont froides et l’émotion y résulte des spectacles même qu’ils représentent et des idées qu’ils émettent. […] D’autre part, celui-ci réalise nécessairement dans son œuvre son idéal de beauté, et cherche à susciter certaines émotions esthétiques pures, auxquelles il sera légitime de le croire enclin.

15. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre V. Du jeu, de l’avarice, de l’ivresse, etc. »

Examinons cependant, malgré le dégoût qu’un tel sujet inspire, les deux principes de ces passions, le besoin d’émotion et l’égoïsme. Le premier produit l’amour du jeu, et le second l’avarice ; quoiqu’on puisse supposer qu’il faut aimer l’argent pour aimer le jeu, ce n’est point là, la source de ce penchant effréné : la cause élémentaire, la jouissance unique, peut-être, de toutes les passions, c’est le besoin et le plaisir de l’émotion. On ne trouve de bon dans la vie que ce qui la fait oublier ; et si l’émotion pouvait être un état durable, bien peu de philosophes se refuseraient à convenir, qu’elle serait le souverain bien. […] Dans un moment d’émotion, il n’y a plus de jugement, il n’y a que de l’espérance et de la crainte ; on éprouve quelque chose du plaisir des rêves, les limites s’effacent, l’extraordinaire paraît possible, et les bornes ou les chaînes de ce qui est, et de ce qui sera, s’éloignent ou se soulèvent à vos yeux. […] Cet état devient quelquefois tellement nécessaire à ceux qui l’ont éprouvé, qu’on voit des marins traverser de nouveau les mers, seulement pour ressentir l’émotion des dangers auxquels ils ont échappé.

16. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

C’est ce qui arrive dans l’émotion musicale, par exemple. […] Mais Rousseau a créé, à propos d’elle, une émotion neuve et originale. […] Création signifie, avant tout, émotion. […] Mais si l’atmosphère d’émotion est là, si je l’ai respirée, si l’émotion me pénètre, j’agirai selon elle, soulevé par elle. […] C’est qu’il est, lui-même, retour au mouvement, et qu’il émane d’une émotion — communicative comme toute émotion — apparentée à l’acte créateur.

17. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Edgar Allan Poe  »

par une inversion subite, le poète touche la région cérébrale, désigne l’émotion qu’il va surexciter. […] Les descriptions montrent des choses et des scènes fictives ; le style se déroule en formes multiples, volontairement adapté aux émotions que le conteur veut suggérer. […] Nous sommes ici aux contins du possible et au sommet de la gamme d’émotions terrifiantes que Poe scande dans son œuvre. […] Edgar Poe a limité son effort à produire parfaitement des émotions de curiosité et d’horreur. […] Les aptitudes rationnelles, réglant les autres, les empêchent de devenir chez leur auteur même des sources d’émotion.

18. (1856) Cours familier de littérature. I « IVe entretien. [Philosophie et littérature de l’Inde primitive (suite)]. I » pp. 241-320

L’épi est utile, mais l’alouette vit, le grillon chante, la brise pleure, le cœur sympathise, la mémoire se souvient, l’image surgit, l’émotion naît ; avec l’émotion naît la poésie dans l’âme. […] Tout ce qui a son émotion a sa poésie. […] Nous répondons en deux mots : Parce qu’elle a plus d’émotion pour nos yeux, pour notre pensée, pour notre âme. […] Ce mouvement et cette instabilité produisent en nous une première impression de plaisir ou de terreur. — Émotion ! […] — Émotion !

19. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

La peinture a produit les œuvres symphoniques des Vinci et des Rubens, évoquant l’émotion par l’agencement des couleurs et des ligues ; la littérature a produit un art symphonique, la Poésie, évoquant l’émotion par l’agencement musical des rythmes et des syllabes. […] Certaines âmes affinées connurent la tristesse alanguie et la brûlante joie de maintes syllabes : elles y trouvèrent la notation d’émotions musicales, mais aussi différentes des émotions de la pure musique, que des émotions produites par les procédés plastiques. […] Victor Hugo créa la poésie romantique, évoquant les émotions seules de vies tout sensuelles. […] Nul d’eux ne donne une symphonie véritable, où soit analysée et développée la marche d’une émotion. […] Mallarmé tenta une poésie savamment composée, en vue de l’émotion totale.

20. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. James Mill — Chapitre III : Sentiments et Volonté »

Évidemment l’idéal de la psychologie, ce serait de pouvoir expliquer tous les sentiments par une double méthode d’analyse et de synthèse ; d’être en état de ramener une émotion très complexe à une émotion plus simple, et de remonter ainsi graduellement jusqu’à un fait irréductible ; ou bien au contraire de partir des phénomènes affectifs les plus simples, et de montrer comment, par addition, se forment des agrégats d’émotions de plus en plus complexes, et de reconstituer ainsi théoriquement la réalité. […] Les émotions fondamentales irréductibles ne sont pas même déterminées. […] Notre auteur, exclusivement préoccupé du point de vue humain, s’est attaché à montrer comment les émotions complexes résultent des émotions simples par association. […] L’exposition des conditions physiologiques des sentiments et des émotions manque dans l’ouvrage. […] Ces émotions esthétiques52 se ramènent encore à une association.

21. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 février 1886. »

On devine à l’émotion de Senta, pendant qu’elle chante, qu’un désir inouï la harcèle sans relâche. […] Il faut donc, pour que la musique réponde à son but en provoquant dans notre âme des émotions, que les auditeurs aient déjà une habitude, et la même chez tous, d’associer à certains signes musicaux certaines émotions intérieures. […] Leur musique suit pas à pas le jeu des émotions : c’est la mélodie infinie, le récitatif continu. […] Ils se sont dit que, la musique devant traduire des émotions définies, les œuvres dramatiques des grands poètes antérieurs pouvaient leur fournir les indications les plus nettes et les plus belles des émotions à traduire. […] Elle est chez Wagner expression de l’émotion, là où, chez les Russes, l’émotion est exprimée par le chant, ce qui ouvre de nombreux débats.

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