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615. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — I » pp. 356-374

Une assez grande inégalité d’âge le séparait d’eux. Son frère cadet, le prince Auguste-Guillaume, était né en 1722, le prince Henri en 1726, et le prince Ferdinand en 1730, c’est-à-dire qu’au moment où Frédéric monta sur le trône en 1740, à l’âge de vingt-huit ans, un de ses frères en avait dix-huit, l’autre quatorze, l’autre dix. […] En même temps il s’inquiète en père de l’éducation des fils du prince Guillaume ; il dresse des instructions pour l’aîné de ses neveux, et quant au cadet qui mourra dans la fleur de l’âge, nous verrons avec quelle tendresse touchante il l’avait adopté et combien il l’aimait, et combien il le pleura.

616. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens. par M. Le Play, conseiller d’État. (Suite et fin.) »

» — « Le bon sens ou les habitudes d’un peuple d’agriculteurs sont bien plus près des plus hautes et des plus saines notions de la politique que tout l’esprit des oisifs de nos cités, quelles que soient leurs connaissances dans les arts et les sciences physiques. » — « Les grandes propriétés sont les véritables greniers d’abondance des nations civilisées, comme les grandes richesses des Corps en sont le trésor. » Il ne cesse d’insister sur les inconvénients du partage égal et forcé entre les enfants, établi par la Révolution et consacré par le Code civil : « Partout, dit-il, où le droit de primogéniture, respecté dans les temps les plus anciens et des peuples les plus sages, a été aboli, il a fallu y revenir d’une manière ou d’une autre, parce qu’il n’y a pas de famille propriétaire de terres qui puisse subsister avec l’égalité absolue de partage à chaque génération, égalité de partage qui, un peu plus tôt, un peu plus tard, détruit tout établissement agricole et ne produit à la fin qu’une égalité de misère. » Il trace un idéal d’ancienne famille stable et puissante, qui rappelle un âge d’or disparu : « S’il y avait, dit-il, dans les campagnes et dans chaque village une famille à qui une fortune considérable, relativement à celle de ses voisins, assurât une existence indépendante de spéculations et de salaires, et cette sorte de considération dont l’ancienneté et l’étendue de propriétés territoriales jouissent toujours auprès des habitants des campagnes ; une famille qui eût à la fois de la dignité dans son extérieur, et dans la vie privée beaucoup de modestie et de simplicité ; qui, soumise aux lois sévères de l’honneur, donna l’exemple de toutes les vertus ou de toutes les décences ; qui joignît aux dépenses nécessaires de son état et à une consommation indispensable, qui est déjà un avantage pour le peuple, cette bienfaisance journalière, qui, dans les campagnes, est une nécessité, si elle n’est pas une vertu ; une famille enfin qui fût uniquement occupée des devoirs de la vie publique ou exclusivement disponible pour le service de l’État, pense-t-on qu’il ne résultât pas de grands avantages, pour la morale et le bien-être des peuples, de cette institution, qui, sous une forme ou sous une autre, a longtemps existé en Europe, maintenue par les mœurs, et à qui il n’a manqué que d’être réglée par des lois ?  […] Les historiens de nos jours qui ont tout fait pour renouer le fil de cette tradition, pour triompher des préjugés révolutionnaires et des haines étroites, pour rendre justice, par-delà Louis XIV, à ce que renfermaient de bon les âges antérieurs et notamment le Moyen-Age, obtiennent ses sympathies et ses éloges. […] Le Play est loin de conclure, à la façon des publicistes ultra-conservateurs, que le régime de privilège détruit en 1789 doive être préféré à celui du droit commun inauguré depuis lors, et qu’il puisse avoir des chances de se relever : tous les champions, d’ailleurs, de cet ancien régime, tous « ces demeurants d’un autre âge » sont tombés l’un après l’autre et ont définitivement disparu ; aucun parti, à l’heure qu’il est, n’avoue ni ne défend plus leur programme.

617. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée, par M. le chevalier Alfred d’Arneth et à ce propos de la guerre de 1778 »

Décidément, l’âge est venu, et il a opéré un changement dans ce cœur altier : la mère en alarmes l’a emporté sur la souveraine ; elle a fléchi : « Schœnbrunn le 6 août 1778 « Madame ma chère fille, Mercy est chargé de vous informer de ma cruelle situation, comme souveraine et comme mère. […] Elle avait soixante ans et bien des infirmités de l’âge ; une religion extrême lui donnait des scrupules ; des vertus et des sollicitudes de famille attendrissaient et amollissaient sa politique. […] Les tourments que lui causa cette guerre de 1778, et les inquiétudes qui se prolongèrent plus d’une année, durent hâter sa fin, La dernière lettre de Marie-Thérèse à sa fille est du 3 novembre 1780 : elle mourait le 29 du même mois, à l’âge de soixante-trois ans, heureuse de n’avoir pas plus longtemps vécu67.

618. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Observations sur l’orthographe française, par M. Ambroise »

Quand je dis que cette langue romane des xie et xiie  siècles est sortie du latin vulgaire et populaire graduellement altéré, j’ai peur de me faire des querelles ; car, d’après les modernes historiens philologues, les transformations du latin vulgaire ne seraient point, à proprement parler, des altérations : ce seraient plutôt des développements, des métamorphoses, des états successifs soumis à des lois naturelles, et qui devinrent décidément progressifs à partir d’un certain moment : il en naquit comme par voie de végétation, vers le xe  siècle, une langue heureuse, assez riche déjà, bien formée, toute une flore vivante que ceux qui l’ont vue poindre, éclore et s’épanouir, sont presque tentés de préférer à la langue plus savante et plus forte, mais plus compliquée et moins naïve, des âges suivants. […] Ces mêmes historiens de la langue et qui l’admirent surtout aux xiie et xiiie  siècles, dans sa première fleur de jeunesse et sa simplicité, sont portés à proscrire, à juger sévèrement toute l’œuvre de la Renaissance, comme si elle n’était pas légitime à son moment et comme si elle ne formait pas, elle aussi, un des âges, une des saisons de la langue. […] Plus il avance en âge, plus il se cotonise et s’affadit.

619. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « La génération symboliste » pp. 34-56

Sully Prudhomme, alors en âge d’être père, se condamne au célibat parce qu’il ne se reconnaît pas le droit de disposer d’une existence et qu’il se ferait un crime de condamner à l’enfer de vivre, une créature innocente. […] Que chacun de nous s’examine ou se souvienne des confidences reçues dans son jeune âge. […] Chaque âge a sa spécialité d’arrivistes, depuis la révolution surtout, où le renversement des barrières a débridé l’essor des convoitises.

620. (1890) L’avenir de la science « V »

En supposant qu’un jour vienne où l’humanité n’aura plus besoin de croire à l’immortalité, quelles angoisses la destruction prématurée de cette foi consolante n’aura pas causées aux infortunés sacrifiés au destin durant notre âge de douleur. […] Conservez une bibliothèque, une école, un monument tant soit peu significatif, vous conservez la critique ou du moins le souvenir d’un âge critique. […] Si on entend par religion un ensemble de doctrines léguées traditionnellement, revêtant une forme mythique, exclusive et sectaire, il faut dire, sans hésiter, que les religions auront signalé un âge de l’humanité, mais qu’elles ne tiennent pas au fond même de la nature humaine 60 et qu’elles disparaîtront un jour.

621. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Pline le Naturaliste. Histoire naturelle, traduite par M. E. Littré. » pp. 44-62

Buffon, à l’égard de Pline, apporte ce je ne sais quoi de libéralité et de largesse qu’il est séant toujours aux nobles esprits de s’accorder entre eux à travers les âges. […] On ne sait pas avec précision à quel âge il mourut, mais on se le figure ayant toujours gardé quelque chose de jeune, de riant, de rougissant et de pur, un de ces visages qui sont tout étonnés d’avoir des cheveux blancs. […] Il avait à faire exécuter contre eux les édits, et, tout en y procédant selon les rigueurs d’usage, il éprouvait des scrupules d’humanité ; il en référait à Trajan : J’hésite beaucoup, dit-il, sur la différence des âges.

622. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Mme de Genlis. (Collection Didier.) » pp. 19-37

Dès l’âge de sept ans, ayant avisé, d’une terrasse voisine de sa chambre, de petits paysans qui venaient couper des joncs près d’un étang, elle imagina de leur donner des leçons et de leur enseigner ce qu’elle savait, le catéchisme, quelques vers des mauvaises tragédies d’une Mlle Barbier, et de la musique. […] Venue à Paris pour s’y fixer, vers l’âge de douze ou treize ans (1758), à la suite d’un revers de fortune, elle y débuta sur le pied d’un petit prodige et d’une rare virtuose : musette, clavecin, viole, mandoline, guitare, elle jouait de tout à merveille, mais la harpe était de préférence son instrument. […] Quelque opinion qu’on puisse garder d’elle en définitive, on conviendra qu’à cet âge elle dut être une enfant séduisante : les défauts ne se marquent comme tels que plus tard, la jeunesse couvre tout, et, puisque avec Mme de Genlis nous sommes à moitié dans la mythologie, je dirai : la jeunesse prête à nos défauts des ailes qui les empêchent de se faire trop sentir et de peser.

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