/ 1682
743. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Le Chevalier de Méré ou De l’honnête homme au dix-septième siècle. »

Par exemple, c’est bien La Rochefoucauld qui dit : « Nous devons quelque chose aux coutumes des lieux où nous vivons, pour ne pas choquer la révérence publique, quoique ces coutumes soient mauvaises ; mais nous ne leur devons que de l’apparence : il faut les en payer et se bien garder de les approuver dans son cœur » Puis c’est le chevalier qui, pour arrondir sa phrase, ajoute : de peur d’offenser la raison universelle qui les condamne . […] Je rétablis cette phrase telle qu’elle est dans l’édition de 1682 ; elle a été corrigée maladroitement dans la réimpression de Hollande. […] Ménage, dans l’Épître dédicatoire de ses Observations sur la Langue françoise, disait à M. de Méré : « Je vous prie de vous souvenir que, lorsque nous fesions notre cour ensemble à une dame de grande qualité et de grand mérite, quelque passion que j’eusse pour cette illustre personne, je souffrois volontiers qu’elle vous aimât plus que moi, parce que je vous aimois aussi plus que moi-même. » C’est sur cette seule phrase que porte la supposition ; on n’a pas mis en doute qu’il ne fût question de Mme de Sévigné, comme si Ménage ne connaissait pas d’autres grandes dames à qui il eut l’honneur de faire sa cour avec passion (style du temps). […] Je crois tout à fait que c’est de cette duchesse, déjà morte, qu’il s’agit dans la phrase précédente.

744. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre VI » pp. 394-434

Elle a disparu, cette maison de Bourbon, qui n’avait pas son égale sous le soleil, au dire de Bossuet, et nous avons gardé ce magasin de phrases toutes faites, et dont on se sert pour se féliciter les uns les autres. […] la griffe est la même ; aujourd’hui cependant, comme autrefois, « faire sa fortune » est une belle phrase, éloquente et splendide ; — elle a grandi, cette grande phrase ; elle est devenue un Évangile ! […] On se rappelle cette phrase de Marivaux ; « Ma beauté !

745. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre I. Des poëtes anciens. » pp. 2-93

C’est donc la partie systématique de son Poëme qu’il a travaillée avec le plus de soin, plus attentif à rendre le sens que les mots, les idées que les phrases. […] Souvent, pour trouver dans le texte le sens qu’il imagine, il ajoute des notes & des phrases entiéres dans sa traduction, & supplée quelquefois jusqu’à trois & quatre lignes, qu’il a néanmoins l’attention de mettre d’un caractère différent ; comme s’il y avoit des lacunes à remplir dans son original. […] in-12. est la meilleure qui ait été encore faite de ce Poëte, au moins pour la lettre ; car quelques critiques prétendent que le traducteur est trop froid, & que quelquefois il noye dans de longues phrases entortillées la poésie de Virgile. […] Ce qui doit rester de ces louanges excessives, c’est que “le traducteur, dit l’Abbé Goujet, prend en gros les idées de son auteur & les rend en des termes qu’on lit toujours avec plaisir, mais qui, comme il en convient lui-même, sont détachés & indépendans des phrases & des façons de parler d’Horaces” La traduction du P.

746. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

A l’appui de cette assertion, ils citent quelques phrases de Bossuet lui-même, celle-ci, par exemple, extraite d’un placet au roi : « Nous avons à cœur d’établir un ordre et union à Metz entre tous les sujets de Votre Majesté » ; ou encore cette autre : « Attirons les Réformés par la douceur, par l’insinuation, par de solides instructions, comme faisaient les Saints Pères. » Quel que soit mon respect pour le zèle pieux qui anima les Bausset, les Le Dieu, les Guettée et autres panégyristes du grand homme, je suis contraint, devant l’évidence des faits, de les accuser soit d’ignorance, soit de mensonge et d’hypocrisie. […] Lorsque ses biographes citent quelques-unes des phrases où le maître comédien fait appel à toute la douceur dont l’âme catholique peut déborder sur ses adversaires, ils oublient d’en transcrire quelques autres qui, mises en parallèle avec les premières, alourdiraient singulièrement leur lâche d’apologistes opiniâtres. […] Il lui oppose le dogme catholique, les éternels arguments pourris de la scolastique, les affirmations sans valeur sur lesquelles l’Église assoie sa domination spirituelle, toutes les pauvretés, en un mot, du fanatisme, rehaussées par l’orgueil de la phrase et du ton. « La stérilité de Bossuet est ici curieuse, observe justement Michelet… Il a recours aux plus pauvres moyens. » A-t-il osé une seule fois, au cours de ces Avertissements, se mesurer avec Jurieu, à armes loyales, c’est-à-dire sur le terrain même de son contradicteur, sur le terrain de l’humanité et du droit ? […] Aux yeux des premiers on faisait miroiter de riches alliances et des faveurs spéciales, tandis qu’on circonvenait les seconds, comme il advint du vieux ministre Ferri dont Bossuet tenta en vain la conversion ; ce qui fit inspira au ministre Bernegger cette phrase bien caractéristique : « Ces beaux projets d’accord ne me semblent, désormais, que de beaux songes ; et, quelquefois, la peau du lion, ne servant plus de rien, on prend celle du renard.

747. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — I. » pp. 134-154

Les phrases de ces secrétaires sont difficiles à citer, tant elles sont longues, chargées de parenthèses et d’incidences : les phrases d’Homère ou celles d’Hérodote ne sont pas plus difficiles à ponctuer que les leurs.

748. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — I. » pp. 473-493

Je ne veux pas dire un blasphème : certes, Fénelon a bien autrement d’esprit et de talent dans la moindre de ses phrases que Mme Dacier dans tout son style ; son Télémaque est souvent du plus charmant Homère, et toutefois, dans l’élégance de Fénelon, dans ce que sa phrase a de plus léger, de plus mince, il y a un certain désaccord fondamental avec l’abondance impétueuse et le plein courant d’Homère.

749. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Le président Hénault. Ses Mémoires écrits par lui-même, recueillis et mis en ordre par son arrière-neveu M. le baron de Vigan. » pp. 215-235

Il est question (p. 24) du comte de Verdun « dont la fille, dit-on, avait épousé la fille aînée du maréchal de Tallard. » Je serais dans une grande inquiétude et perplexité pour savoir, dans ce mariage, qui des deux était la fille ou le garçon, si Saint-Simon ne nous disait : « Le maréchal de Tallard s’en alla en Forez marier son fils aîné à la fille unique de Verdun, très riche héritière. » Le cardinal de Bouillon, qui a mécontenté Louis XIV, reçoit l’ordre de quitter Rome et d’aller en exil dans une de ses abbayes ; mais s’il quitte Rome, où le doyen des cardinaux se meurt, il court risque de ne pas devenir doyen du Sacré-Collège à son tour ; car il faut être à Rome pour succéder : « On peut juger de l’embarras du cardinal de Bouillon, entre l’exil et le décanat. » Ici on lit (p. 17) la même phrase avec cette différence : « … outre l’exil et le décanat », ce qui n’a aucun sens. […] C’est sans doute à une faute de ce genre qu’il faut attribuer cet étrange passage sur l’abbé de Bernis à ses débuts, « qui continuait, dit-on (p. 209), à faire des vers quelquefois obscènes, et toujours trop abondants… » Je suis persuadé, d’après le courant de la phrase et du sens, qu’au lieu de ce vilain mot, que ne justifient point les poésies légères de l’abbé de Bernis, il faut lire un tout autre mot plus simple, et par exemple : « Des vers quelquefois agréables, et toujours trop abondants. » Dans l’histoire des troubles du Parlement, il y a un exil et un retour qui sont racontés par le président avec assez d’intérêt.

750. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de l’Académie française, par Pellisson et d’Olivet, avec introduction et notes, par Ch.-L. Livet. » pp. 195-217

Les lettres patentes de 1635, et le projet qui avait précédé, exprimaient en termes très nets le but des études et l’objet des travaux de l’Académie ; l’espoir « que notre langue, plus parfaite déjà que pas une des autres vivantes, pourrait bien enfin succéder à la latine, comme la latine à la grecque, si on prenait plus de soin qu’on n’avait fait jusques ici de l’élocution, qui n’était pas à la vérité toute l’éloquence, mais qui en faisait une fort bonne et fort considérable partie » ; que, pour cet effet, il fallait en établir des règles certaines ; premièrement établir un usage certain des mots, régler les termes et les phrases par un ample Dictionnaire et une Grammaire exacte qui lui donneraient une partie des ornements qui lui manquaient, et qu’ensuite elle pourrait acquérir le reste par une Rhétorique et une Poétique que l’on composerait pour servir de règle à ceux qui voudraient écrire en vers et en prose : que, de cette sorte, on rendrait le langage français non seulement élégant, mais capable de traiter tous les arts et toutes les sciences, à commencer par le plus noble des arts, qui est l’éloquence, etc., etc. […] À propos d’une phrase de d’Olivet qui dit dans son article de Balzac : « Jusques à François Ier, notre langue fut assez négligée.

751. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « QUELQUES VÉRITÉS SUR LA SITUATION EN LITTÉRATURE. » pp. 415-441

Des Préaux s’y connaît en vers mieux que moi. » Aujourd’hui que ce genre de déférence et de patronage va peu à nos idées, que dans les conditions actuelles il courrait risque d’être peu accepté des hommes de talent, que tout poëte dirait volontiers tout d’abord au maître, s’il y en avait un : « Je m’y connais en matière d’État mieux que toi ; » et que, de leur côté, des gouvernants illustres, et en général capables sur tout sujet, vaquent à beaucoup de choses qu’ils croient plus essentielles que le soin des phrases, lesquelles ils manient eux-mêmes à merveille, qu’arrive-t-il et que voit-on ? […] Si tel écrivain habile a, par places, le style vide, enflé, intarissable, chargé tout d’un coup de grandes expressions néologiques ou scientifiques venues on ne sait d’où, c’est qu’il s’est accoutumé de bonne heure à battre sa phrase, à la tripler et quadrupler (pro nummis), en y mettant le moins de pensée possible : on a beau se surveiller ensuite, il en reste toujours quelque chose.

752. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Jules de Glouvet »

Toujours on nous cite les trois phrases de Mme de Sévigné sur le rossignol, la fenaison et les feuillages d’automne, quelques vers de La Fontaine et l’allée de tilleuls de Mme de Lafayette : c’est peu. […] Ailleurs il lui arrive de mêler, dans la même phrase, des archaïsmes et des locutions toutes modernes.

753. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Victor Duruy » pp. 67-94

Nisard la phrase célèbre : « Il y a deux morales », phrase qui dépassait assurément la pensée de M. 

754. (1890) La fin d’un art. Conclusions esthétiques sur le théâtre pp. 7-26

Il est vrai, une petite phrase fut extraite d’un dialogue rapide de Molière : la plupart se plurent à inclure en elle toute la dramatique de ce poète ; puis la paresse des généralisateurs pressés y découvrit le définition universelle du genre. […] Dans la phrase qu’on fit célèbre sans la comprendre, l’artiste épanchait son agacement contre cette médiocrité dorée, dont l’impertinente inattention devait faire encore de nos jours rugir le chroniqueur du Temps.

755. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XX. La fin du théâtre » pp. 241-268

Il est vrai, une petite phrase fut extraite d’un dialogue rapide de Molière : la plupart se plurent à inclure en elle toute la dramatique de ce poète ; puis la paresse des généralisateurs pressés y découvrit la définition universelle du genre. […] Dans la phrase qu’on fit célèbre sans la comprendre, l’artiste épanchait son agacement contre cette médiocrité dorée, dont l’impertinente attention devait faire encore de nos jours rugir le chroniqueur du Temps.

756. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de La Tour-Franqueville et Jean-Jacques Rousseau. » pp. 63-84

Quelques phrases de lui, à elles adressées, dans les premiers billets, phrases toutes littéraires dont elle s’exagérait le sens, et qu’elle relisait sans cesse, lui avaient fait croire qu’elle avait pu, un instant, occuper dans son cœur je ne sais quelle place qui n’était plus vacante pour personne, depuis que Mme d’Houdetot y avait passé.

757. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Monsieur de Bonald, (Article Bonald, dans Les Prophètes du passé, par M. Barbey d’Aurevilly, 1851.) » pp. 427-449

M. de Bonald avait pris pour épigraphe cette phrase de Rousseau dans le Contrat social : « Si le Législateur, se trompant dans son objet, établit un principe différent de celui qui naît de la nature des choses, l’État ne cessera d’être agité jusqu’à ce que ce principe soit détruit ou changé, et que l’invincible nature ait repris son empire. » — M. de Bonald se réservait de prouver qu’ici la nature n’était autre chose que la société même la plus étroitement liée et la plus forte, la religion et la monarchie. […] Cette phrase de M. de Bonald peut se lire au tome X des Œuvres in-8º, qui est le tome premier des Mélanges littéraires, politiques et philosophiques (Paris, 1819), p. 258.

758. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

Est-ce de Fontenelle, est-ce de Montesquieu que sont les phrases suivantes ? […] Un coup d’œil de divination perce comme un éclair dans cette phrase jetée en passant, et qui prédit l’émancipation de l’Amérique anglaise : « Je ne sais pas ce qui arrivera de tant d’habitants que l’on envoie d’Europe et d’Afrique dans les Indes occidentales ; mais je crois que, si quelque nation est abandonnée de ses colonies, cela commencera par la nation anglaise. » Je l’avouerai en toute humilité, dussé-je faire tort à mon sentiment de l’idéal, si l’on pouvait avoir dans toute sa suite ce journal de voyage de Montesquieu, ces notes toutes simples, toutes naturelles, dans leur jet sincère et primitif, je les aimerais mieux lire que L’Esprit des lois lui-même, et je les croirais plus utiles.

759. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Ivan Tourguénef »

Les phrases sont lâches, souvent inachevées, comme balbutiantes ou traînées. […] En deux phrases comme en une page, sans que le vocabulaire se colore ou que la période se déhanche, M. 

760. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre VI. Le beau serviteur du vrai »

Nous clouons sur la voie publique ces lugubres phrases, c’est notre devoir. […] Cette phrase « réussie », à ce qu’il paraît, a été fort répétée.

761. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Saint-Simon »

Saint-Simon, le duc de Saint-Simon, le plus altier des ducs, le féroce moraliste… contre les autres, l’austère janséniste, l’ami et le pénitent de Rancé, qui passait tous les ans un mois à la Trappe, se vautre, se dissout et s’escarbouille ainsi dans des effusions (comme il le dit) avec ce maraud et ce pied-plat de Dubois, de Dubois auquel il ne doit rien, malgré sa phrase sur « la solide grandeur et la décoration extérieure de sa maison » ; car ce n’est pas Dubois qui l’a nommé ambassadeur, c’est le Régent ! […] Je retrouve bien ici le Louis XIV des Mémoires, peint et diminué souvent par la passion de l’écrivain ; mais j’ai le secret maintenant de cette passion, et j’admire encore qu’après ce crime de Louis XIV, qu’il a sondé jusque dans le fond de son horreur, Saint-Simon soit resté si juste… IX Écrit de cette plume immortelle qui traîne sa vaste phrase comme un de ces lourds manteaux de pourpre que des épaules d’Hercule pourraient seules porter, le Mémoire sur les légitimés pourrait s’appeler hardiment : « la Bâtardise dans l’Histoire », car, à propos des légitimés de Louis XIV, c’est l’histoire de la bâtardise en France et de la bâtardise en soi.

762. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rivarol » pp. 245-272

Pour l’expression et pour le geste de sa phrase, Sainte-Beuve est allé jusqu’à comparer Rivarol à Joseph de Maistre, et nous avouons que de diction, de mouvement, de sentiment parfois, le rapport paraît exister entre eux deux. […] Il y a telles phrases de l’auteur des Tableaux de la Révolution qu’on pourrait recueillir, et qui sont comme des pierres d’attente de l’édifice que de Maistre et Bonald s’étaient chargés de rebâtir… Il est certainement de leur famille, comme le Fils Prodigue est le fils de son père… Il n’a ni la pureté de la vie ni la rectitude absolue d’entendement de ces deux grands esprits ; mais il est bâti sur le même axe, et la force de son esprit historique le sauve toujours des chimériques sottises de la philosophie… C’est par le sens de la politique et de l’histoire qu’il rejoignait la vérité chrétienne.

763. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « X. Ernest Renan »

» Quand l’Allemagne elle-même, si longtemps nommée la douce et religieuse Allemagne, mais qui a dernièrement recommencé le dix-huitième siècle en mettant de grands mots et des obscurités d’école où le dix-huitième avait émis de petites phrases claires comme de l’eau (car il ne faut pas profaner ce mot de lumière), quand l’Allemagne elle-même attaque Dieu, elle n’y va pas de main morte. […] « Les légendes des pays à demi ouverts à la culture rationnelle, dit-il page 63 du volume, ont été formées bien plus souvent par la perception indécise, par le vague de la tradition, par les ouï-dire grossissants, par l’éloignement entre le fait et le récit, par le désir de glorifier les héros, que par création pure comme cela a pu avoir lieu pour l’édifice presque entier des mythologies indo-européennes », et, suspendu entre le je ne sais qui et le je ne sais quoi, il ajoute alors cette incroyable phrase qu’il importe de recueillir : « Tous les procédés ont contribué dans des proportions indiscernables au tissu de ces broderies merveilleuses, qui mettent en défaut toutes les catégories scientifiques et à l’affirmation desquelles a présidé la plus insaisissable fantaisie. » Proportions indiscernables !

764. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Ernest Hello » pp. 207-235

Il y a toujours, quand il est bien lui, — car, il ne faut pas l’oublier, il est inégal ; il y a des moments où il s’interrompt d’être lui, et où, comme le disait si drôlement Walter Scott, avec sa charmante bonhomie : « le gentilhomme reste sous son nuage », — il y a toujours autour de sa phrase inspirée la petite flamme bleue que Virgile a fait frissonner autour des tempes du jeune Iule. […] Il en a marqué la différence dans une phrase sur les femmes, qui les classe d’un seul trait, du reste : « Les femmes aiment ce qui brille, — dit-il, — elles n’aiment pas ce qui resplendit. » Le livre de l’Homme est partout semé de mots semblables.

765. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XI : M. Jouffroy moraliste »

Ces deux phrases sont toute la morale. […] Jouffroy vécut à l’abri du style obscur et sublime ; ses phrases restèrent libres de généralités et de métaphores, et il ne fut point tenté d’étudier, au lieu des idées et des sensations, « les capacités et les facultés. » Il vécut retiré, presque toujours à la campagne, dans une petite maison, au pied d’une colline, près d’une jolie rivière murmurante, dans son comté de Kent.

766. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat. (suite et fin) »

Si la critique, trop choquée de ces phrases bizarres, eût harcelé un homme aussi ardent que l’évêque de Meaux, croit-on qu’elle l’eût corrigé ?

767. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. Lettres philosophiques adressées à un Berlinois »

Lerminier mettait en avant : ces personnes lui auraient conseillé volontiers d’enfermer son dernier mot dans sa première phrase.

768. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre III. Ce que c’est que le Romanticisme » pp. 44-54

Voilà, je le sens bien, une phrase peu digne.

769. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre III. Buffon »

Sa phrase, large, grave, va d’un mouvement régulier et majestueux, sans faux ornements, ni prétention, ni pompe.

770. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Pronostics pour l’année 1887. »

Quelques phrases au hasard : « Un ciel gris-perle avec des matités de cendre çà et là et des irisations de nacre vers le bas… Notre phoque familier allongeait sa tête de jeune chien entre les seins pointus et couleur de safran de ma petite amie, et parfois léchait doucement ses cheveux brillants d’huile.

771. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Laurent Tailhade à l’hôpital » pp. 168-177

C’est peut-être le seul (j’entends des fournisseurs habituels de nos grands quotidiens) qui ne soit pas assommant et qui ne se croie point obligé de pontifier, avec des phrases solennelles.

772. (1898) Inutilité de la calomnie (La Plume) pp. 625-627

Les phrases d’elles-mêmes paraissent lassées, tant leur rythme est morne et uni.

773. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Dédicace, préface et poème liminaire de « La Légende des siècles » (1859) — La vision d’où est sorti ce livre (1857) »

Ce n’était plus, parmi les brouillards où l’œil plonge, Que le débris difforme et chancelant d’un songe, Ayant le vague aspect d’un pont intermittent Qui tombe arche par arche et que le gouffre attend, Et de toute une flotte en détresse qui sombre ; Ressemblant à la phrase interrompue et sombre Que l’ouragan, ce bègue errant sur les sommets, Recommence toujours sans l’achever jamais.

774. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre III. Parallèle de la Bible et d’Homère. — Termes de comparaison. »

La seconde aime à s’étendre en paroles, et répète souvent dans les mêmes phrases ce qu’elle vient déjà de dire.

775. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « III »

Avec nos esthètes nous ne le savons pas, nous ne sommes pas admis à le savoir, on repousse toute définition, on aime mieux nous prêter des phrases de Bouvard et Pécuchet.‌

776. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LONGUEVILLE » pp. 322-357

Ce qui était plus éloquent que les phrases de M. d’Autun, c’étaient, à cet anniversaire de Mme de Longueville, Mlles de La Rochefoucauld qui pleuraient leur père ; c’était Mme de La Fayette, qu’au sortir de la cérémonie Mme de Sévigné visitait et trouvait en larmes ; car Mme de Longueville et M. de La Rochefoucauld étaient morts dans la même année : « Il y avoit bien à rêver sur ces deux noms !  […] Oraison funèbre d’Anne de Gonzague, depuis ces mots : « Pour la plonger entièrement dans l’amour du monde…, » jusqu’à cette phrase : « O éternel Roi des siècles, voilà ce qu’on vous préfère, voilà ce qui éblouit les âmes qu’on appelle grandes !  […] Mais qu’on aille au fond et au bout de ces longueurs de phrases, la finesse se retrouvera. — Et puis le style de Mme de La Vallière a été lui-même légèrement corrigé dans ces dernières éditions.

777. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hugo, Victor (1802-1885) »

Henri de Bornier Victor Hugo a écrit cette phrase dont on pourrait faire l’épigraphe de son théâtre : « Dieu frappe l’homme y l’homme jette un cri : ce cri, c’est le drame. […] Ils se servent d’épithètes et d’images, ils ont des alliances de termes et des surprises de rimes, des tours de phrases et des formes de pensée qui sont des réminiscences inconscientes de Victor Hugo. […] Dont l’acier clair et les éclairs Foudroient la nuit impure ; Doux chevalier pour les très doux enfants Dont vous baisiez les têtes De cette bouche au loin tonnante aux ouragans Et aux tempêtes ; Noir chevalier songeur par les soirs merveilleux Dont les feux immobiles Brûlaient dans la parole et dans les yeux Des soudaines Sybilles ; Clair chevalier et moissonneur d’azur Tantôt sur terre ou bien là-bas parmi les nues Où vous glaniez des phrases inconnues Pour définir te Dieu futur ; De par ton œuvre ouverte ainsi qu’une arche Devant l’humanité tragique ou triomphante, Poète en qui songeait l’hiérophante, Tu fus le rêve autour d’un monde en marche… [La Plume (1898).]

778. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1876 » pp. 252-303

Et Flaubert finit sa phrase d’un geste vaguement désespéré. […] Là-dedans tout seul… Tourguéneff ne finit pas sa phrase, mais une contraction de ses poings fermés sur sa poitrine, nous dit la jouissance et l’ivresse de cervelle, qu’il éprouve dans ce petit coin de la vieille Russie. […] Avec cette voix étoupée, cette voix morte qui ne fait pas de bruit, il lance ses ironiques petites phrases, terminées par un point d’interrogation de son malin petit œil.

779. (1920) Action, n° 3, avril 1920, Extraits

Cela, accentué par la phrase finale « Voici le moment de revenir parmi les hommesj » est fort sensible dans le chapitre « l’Océan ». […] Peut-être la recherche d’une phrase concise et mathématique est-elle le but de l’écrivain. […] — Paul Eluard (Le Sans Pareil). — Un talent infini dans cette plaquette, un talent qui s’apparente à celui des faiseurs de Tannkabi japonaises, Ces poèmes unissent en si peu de mots, tant de sensations que la phrase hésite à se reconnaître elle-même dans les quelques lignes que porte le papier.

780. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Edmond et Jules de Goncourt »

Je ruisselais des phrases et des descriptions de M.  […] Pour vous montrer dans quel délaiement, dans quel débordement d’épithètes et de phrases descriptives, le romancier sans idées et sans plan se coule et se noie, sur un livre de trois cent soixante-dix pages il y en a soixante-neuf (les soixante-neuf premières) de descriptions, accomplies quand, des deux clowns qui seront dans quinze ans les acteurs du roman… futur, l’un n’a que dix ans et l’autre vagit au berceau ! […] Eh bien, voici la phrase !

781. (1929) La société des grands esprits

Que Pascal seul ait pu écrire cette phrase illustre, c’est l’évidence pour quiconque a le sentiment du style. […] Fortunat Strowski douter que la phrase du silence éternel fût authentique. […] Cette phrase de Pascal, citée par M.  […] Cette phrase est ainsi conçue : « Chose admirable ! […] Des phrases me font pâmer qui leur paraissent fort ordinaires… ».

782. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [1] Rapport pp. -218

Est-ce qu’une phrase doucement émue d’un souvenir de femme eût gâté la bouffonne harmonie du chef-d’œuvre ? […] D’ailleurs, à Rabelais, prosateur incomparable, de qui la phrase s’écoule en rythmes onduleux, fut dénié le don du vers ; poète, il versifie, et rimeur, il rimaille. […] — j’admire avec vénération le modéré et délicat écrivain qui, de soi-même, élaguant de sa phrase les truculences à la mode, n’y laissa presque rien que l’avenir en pût écheniller. […] Je défie qu’on rappelle une phrase de moi, même proférée entre gais camarades, qu’on montre, imprimée, une ligne de moi, qui ait manqué de respect à ce sain et violent poète. […] Je sais ce qu’on a dit contre la rime : qu’elle oblige à des détours de pensée, à des torsions de phrase, et qu’elle lasse enfin l’oreille par le retour de sonorités prévues.

783. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Notes et pensées » pp. 441-535

Aussitôt cela su ou soupçonné, ce fut une surveillance infinie autour de lui : Mme de Chateaubriand, Mme Récamier étaient aux transes et se relevaient pour ne pas le perdre de vue ; à peine sorti seul, on le faisait chercher et suivre, jusqu’à ce qu’on se crût bien sûr que la velléité sublime lui avait passé et que d’autres idées roulaient par la tête de ce grand arrangeur de phrases et de tableaux. […] Il allait se gâter, on le savait bien là-haut, et l’on a mis un point à sa phrase quand il l’a fallu. » (Février 1839.) — Lui aussi, il n’est pas fâché de donner en passant non pas un soufflet, mais une chiquenaude, à André Chénier. […] Quand il écrit, ses phrases interminables, à enfilades de parenthèses, ne présentent plus aucun courant, la parole et l’accent n’étant plus là pour le déterminer ; on ne sait plus où trouver les verbes, tout comme en allemand ; il faut mettre le doigt sur le sujet, et avec l’autre doigt chercher le verbe dix lignes plus bas en enjambant, sans quoi on flotte dans une grande flaque d’eau douce qui ne vous porte plus en aucun sens. […] Planchese répétait sans cesse, il y avait nécessairement déjà un grand nombre des phrases du nouvel article qui étaient toutes composées. […] CLV Mme Sand peut faire encore bien du chemin avant d’arriver en fait d’idées sociales là où Mme de Charrière est allée droit sans phrase et du premier coup.

784. (1933) De mon temps…

En courtes phrases, brusques et coupantes, il salua en Edmond de Goncourt l’auteur de l’Histoire de la Société Française pendant la Révolution et le Directoire, l’auteur de La Patrie en danger. […] Le causeur aux développements confus et aux inextricables divagations se transformait en un écrivain infaillible à qui les mots obéissaient docilement pour s’ordonner en des phrases dont il réglait magistralement la vie verbale et la force expressive. […] Quand il avait fini de stationner devant la boutique de quelque éditeur, son inséparable « sapin » le conduisait de porte en porte, chez l’un ou chez l’autre qu’il venait fiévreusement consulter sur telle phrase du livre en préparation, sur telle épithète, sur tel tour de syntaxe, sur telle nuance d’expression. […] Il choisit ses mots avec une minutieuse exactitude et conduit sa phrase avec une charmante et fine rigueur. […] Peut-être fut-ce dans ce fauteuil qu’il passa les dernières journées qui précédèrent sa mort, à regarder la mer en assemblant dans son esprit les images de quelque suprême « Contrerime » ou en ajustant en pensée les mots d’une de ces phrases si purement françaises, de ces phrases « à la Toulet » auxquelles il a su donner un tour et un ton inimitables.

785. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gui Patin. — I. » pp. 88-109

Ce premier en date de nos journalistes a la phrase un peu longue ; pardonnons à l’enfance de l’art. […] Talon, on ne trouve point celle phrase, que M. 

786. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

Son verbe ne manque pas de marcher derrière, suivi d’un adverbe, etc. » L’abbé de Pons rend la pareille de cette moquerie au latin et aux phrases à la Cicéron, « à ces périodes immenses dont le sens vaste, mais confus, ne commence à se développer que lorsqu’il plaît au verbe dominant de se montrer, verbe que l’orateur romain s’obstine à faire marcher à la suite de toutes les idées qu’il aurait dû précéder selon l’ordre de nos conceptions ». […] Cette phrase ne figure pas dans la 1re édition.

787. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La femme au XVIIIe siècle, par MM. Edmond et Jules de Goncourt. » pp. 2-30

On dirait par moments qu’ils sont deux à écrire, tant leur phrase est piquée, excitée, et a des redoublements de galop ! […] Je crus m’apercevoir, dès la première visite, que, malgré mon air gauche et mes lourdes phrases, je ne lui déplaisais pas.

788. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Madame Roland, ses lettres à Buzot. Ses Mémoires. »

Il eût suffi, en cet endroit, d’un goût littéraire plus sévère et plus vrai pour empêcher Mme Roland de se laisser aller à une phrase, à une simple inadvertance déclamatoire, qui ressemble à un manque de tact moral. […] Elle commençait une phrase lorsque deux guichetiers de l’intérieur l’appelèrent pour le tribunal.

789. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France. »

Jomini, tout le premier, s’emparant de quelques phrases de la préface, a jugé très sévèrement l’ouvrage et ne paraît pas l’avoir pris un instant au sérieux9. […] ceci est trop fort, et la phrase est par trop jolie.

790. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [II] »

Quelques phrases qu’il m’adressa sur la Silésie, où il voulait laisser Vandamme pour faire des sièges, l’ordre donné à l’armée de franchir la Warta, les Polonais arrivant à Berlin en costume national, tout annonçait que nous allions chercher un Pultava. […] Au tome III (page 393 et suivantes) de son grand Traité, il rapprochait cette bataille de celle de Torgau, livrée par Frédéric en 1760, faisant remarquer toutefois que « s’il y avait de la ressemblance dans les résultats des deux affaires, il y avait une grande différence dans les dispositions antérieures et dans l’ordonnance du combat. » Il s’attachait à faire ressortir ce qu’il y avait de grand dans la combinaison première de Napoléon, « indépendamment de ce qu’il avait pu y avoir de fautif dans l’exécution. » Au sujet du retard de Ney, il l’attribuait à ce que l’aide de camp s’était « égaré en chemin », et, supposant les ordres donnés à temps, il concluait que « ce sont de ces choses qu’un général peut ordonner, mais qu’il ne peut pas forcer. » Il est à remarquer que cette phrase d’excuse et apologétique a disparu depuis dans l’édition définitive du Traité (chapitre xxvi), et qu’un paragraphe a été ajouté pour dire au contraire, par manière de critique, que « ces deux sanglantes journées prouvent également combien le succès d’une attaque est douteux, lorsqu’elle est dirigée sur le front et le centre d’un ennemi bien concentré ; en supposant même qu’on remporte la victoire, on l’achète toujours trop cher pour en profiter.

791. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DE LA LITTÉRATURE INDUSTRIELLE. » pp. 444-471

Les journaux s’élargissant, les feuilletons seiment, l’élas indéfiniment, l’élasticité des phrases a dû prêter, et l’on a redoublé de vains mots, de descriptions oiseuses, d’épithètes redondantes : le style s’est étiré dans tous ses fils comme les étoffes trop tendues. Il y a des auteurs qui n’écrivent plus leurs romans de feuilletons qu’en dialogue, parce qu’à chaque phrase, et quelquefois à chaque mot, il y a du blanc, et que l’on gagne une ligne.

792. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre V. Le roman »

Le choix d’un adjectif le fait suer d’angoisse ; il tourne et retourne sa phrase, la faisant passer par son gueuloir, jusqu’à ce qu’elle satisfasse son oreille par d’expressives harmonies. […] Ils ont créé vraiment le style impressionniste : un style très artistique, qui sacrifie la grammaire à l’impression, qui, par la suppression de tous les mots incolores, inexpressifs, que réclamait l’ancienne régularité de la construction grammaticale, par élimination de tout ce qui n’est qu’articulation de la phrase et signe de rapport, ne laisse subsister, juxtaposés dans une sorte de pointillé, que les termes producteurs de sensations.

793. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes décadents » pp. 63-99

Il avait d’autres visées que celles d’être un ciseleur de phrases, un délicat joueur de flûte. […] Il déclarait voulues les défaillances de son impression et l’insuffisance de son papier, sous prétexte d’archaïsme, et comme il y avait presque autant de coquilles que de mots et que les errata eussent tenu trop de place, il proclamait non sans fierté : « Le Décadent ne fait jamais d’erratum pour une coquille, même quand le sens d’une phrase en serait dénaturé.

794. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « V »

Malgré tout, ces lettres sont furieuses ; mais il ne faut pas oublier, en les lisant, de se reporter au texte original, chaque fois que la phrase française devient suspecte. […] Lorsque nous en parlâmes, la sévère et réfléchie Monique elle-même se mit de mon côté, plaisantant la jeune conseillère par cette phrase de Gœthe : « Ô toi, ange plein de défiance….

795. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame Émile de Girardin. (Poésies. — Élégies. — Napoline. — Cléopâtre. — Lettres parisiennes, etc., etc.) » pp. 384-406

Un grand sage, Confucius, disait, et je suis tout à fait de son avis quand je lis nos écrivains à belles phrases quand j’entends nos orateurs à beaux discours, ou quand je lis nos poètes à beaux vers : « Je déteste, disait-il, ce qui n’a que l’apparence sans la réalité ; je déteste l’ivraie, de peur qu’elle ne perde les récoltes ; je déteste les hommes habiles, de peur qu’ils ne confondent l’équité ; je déteste une bouche diserte, de peur qu’elle ne confonde la vérité… » Et j’ajoute, en continuant sa pensée : Je déteste la soi-disant belle poésie qui n’a que forme et son, de peur qu’on ne la prenne pour la vraie et qu’elle n’en usurpe la place, de peur qu’elle ne simule et ne ruine dans les esprits cette réalité divine, quelquefois éclatante, d’autres fois modeste et humble, toujours élevée, toujours profonde, et qui ne se révèle qu’à ses heures. […] Voilà une reine d’Égypte bien au fait des grandes phrases de nos gens de lettres de Paris.

796. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Lambert et madame Necker. » pp. 217-239

Son défaut le plus sensible à la longue est d’affecter continuellement l’analyse, d’aimer les phrases à plusieurs membres et à compartiments, qui forcent l’esprit à saisir des rapports complexes. […] À un endroit elle définira, par exemple, toutes les vertus d’après leur degré d’opposition avec l’amour-propre : « Tous les vices favorisent l’amour-propre, et toutes les vertus s’accordent à le combattre : la valeur l’expose, la modestie l’abaisse, la générosité le dépouille, la modération le mécontente, et le zèle du bien public l’immole. » C’est merveilleusement bien dit ; mais, du temps de Mme de Lambert, il ne fallait pas un grand nombre de ces phrases-là pour fatiguer quiconque n’était pas né à l’avance avec un esprit de forme psychologique et quelque peu doctrinaire.

797. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — I. » pp. 389-410

Son expression, exempte de toute phrase et sobre de couleur, se marque par une singulière propriété et une rigueur parfaite. […] « Montrez-moi, lui dit Mirabeau qui y montait, ce que vous avez à dire. » Et jetant les yeux sur le discours, il y saisit une phrase dont il tira parti l’instant d’après, et qui est devenue le mouvement célèbre : « Je vois d’ici cette fenêtre d’où partit l’arquebuse fatale qui a donné le signal du massacre de la Saint-Barthélemy. » Il paraît que l’idée première était de Volney : Mirabeau, s’en emparant et la mettant en situation, en fit un foudre oratoire.

798. (1860) Ceci n’est pas un livre « Hors barrières » pp. 241-298

Il faut qu’il prenne sa casquette de voyage pour que le Rhin commence à rouler dans le lit de phrases que lui creusent les journaliers de la chronique. […] Et je ne finirai certes pas ma phrase.

799. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Première partie. Théorie de la parole » pp. 268-299

L’autre imitation, qui est celle que nous faisons des anciens, devrait consister non point à les copier, non point à imiter leur manière la forme de leur style, la tournure de leurs phrases, leur système de composition, mais à imiter la nature, comme ils l’ont imitée, c’est-à-dire à peindre les objets par l’impression reçue. […] « L’absence du merveilleux, dit Thucydide, sera cause peut-être que les événements que je décris plairont moins à la lecture. » Le même écrivain dit encore : « Les anciens historiens ont plus songé à plaire à la lecture, qu’ils n’ont songé à dire la vérité. » Ces deux phrases sont remarquables en ce qu’elles indiquent bien les deux genres d’altérations que les premiers historiens ont apportées dans leurs rédactions en prose, altérations dont on leur a su gré, et qui ont cependant conduit à l’arbitraire.

800. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Nisard » pp. 81-110

Ils peuvent manquer de phrase et même d’orthographe, mais ils ne manqueront pas d’expression. […] En France, Byron a inspiré beaucoup de phrases poétiques et quelques beaux vers, mais de jugement sensé et élevé, je ne connais que M. 

801. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « V. M. Amédée Thierry » pp. 111-139

Si, dans une phrase de rhétorique assez heureuse, on a parlé des Gestes de Dieu par les Francks (Gesta Dei per Francos), les gestes de Dieu par les Barbares sont moins une phrase qu’un fait, bien plus visible encore.

802. (1889) La bataille littéraire. Première série (1875-1878) pp. -312

Vincent (l’enfant de chœur) marmotta une longue phrase latine dans laquelle il se perdit. […] tu n’es bon qu’à faire des phrases, des phrases assommantes ; et quant à la poussière et aux toiles d’araignée, tu t’en moques pas mal. » — Comprends-tu, dit Élie, que la poussière engendre des mites ? […] On entendait des phrases comme celle-ci : « Ce n’est pas étonnant avec une vie pareille !  […] On utilisa les phrases banales : Vous avez meilleure mine, ça ne sera rien ! […] Je ne crois pas qu’il lui soit possible d’y changer une idée, une phrase, un mot.

803. (1892) Un Hollandais à Paris en 1891 pp. -305

Jules Renard ne veut pas que la phrase chante et il en donne pour raison qu’il faut être naturel. […] Hassan ne fait pas de phrases. […] » me dit Jules Renard, « quand j’écris je veille uniquement à ce que mes phrases se tiennent bien. […] La forme doit revêtir le sens, sans le moindre pli ; à petite pensée, petite phrase. […] Non, je crois que l’obscurité des phrases que l’on reproche à Rosny vient d’une tout autre cause.

804. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Réception du père Lacordaire » pp. 122-129

Il y a eu je ne sais quelle phrase sur Tibère, à laquelle l’orateur a paru attacher beaucoup d’importance, et qui n’est que de mauvais goût.

805. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « VICTORIN FABRE (Œuvres mises en ordre par M. J. Sabbatier. (Tome II, 1844.) » pp. 144-153

Il commença d’une voix émue d’abord, mais surtout d’un accent rouillé, à lire un discours dont chaque phrase sentait la lampe, un discours à effets oratoires, tissu de compliments empesés, de précautions devenues inutiles, d’allusions devenues obscures ; rien ne s’y détachait bien nettement.

806. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Mignet : Histoire de la Révolution française, depuis 1789 jusqu’en 1814. 3e édition. »

Thiers ; je croirais plutôt qu’en les rencontrant sous sa plume l’écrivain a dédaigné de les éviter, et que, dans sa vigueur de composition, il a mieux aimé sciemment forcer la tournure de sa phrase que gêner l’allure de sa pensée.

807. (1874) Premiers lundis. Tome I « Walter Scott : Vie de Napoléon Bonaparte — II »

Le soldat anglais à qui on eût adressé de pareilles phrases d’éloquence, ou s’en serait moqué, ou aurait cru qu’on lui avait donné un comédien extravagant pour général.

808. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IX. De l’esprit général de la littérature chez les modernes » pp. 215-227

Je ne pense pas que, chez les anciens, aucun livre, aucun orateur ait égalé, dans l’art sublime de remuer les âmes, ni Bossuet, ni Rousseau, ni les Anglais dans quelques poésies, ni les Allemands dans quelques phrases.

809. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre VII. Éducation de la sensibilité »

On tient en grande estime la grammaire et l’orthographe : les candidats aux diplômes écrivent correctement les mots dont ils ne comprennent pas le sens, et analysent très exactement toutes les proportions qui composent une phrase : il n’y a que l’idée, dont ils ne savent que dire, ni si elle est juste ni si elle est fausse, ni même quelle elle est.

810. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préfaces de « Han d’Islande » (1823-1833) — Préface d’avril 1823 »

Un impertinent conseiller désirait qu’il mît au bas des feuillets la traduction de toutes les phrases latines que le docte Spiagudry sème dans cet ouvrage, pour l’intelligence — ajoutait ce quidam — de ceux de messieurs les maçons, chaudronniers ou perruquiers qui rédigent certains journaux où pourrait être jugé par hasard Han d’Islande.

811. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 40, si le pouvoir de la peinture sur les hommes est plus grand que le pouvoir de la poësie » pp. 393-405

Les phrases les plus nettes suppléent mal aux desseins, et il est rare que l’idée d’un bâtiment que notre imagination aura formée, même sur le rapport des gens du métier, se trouve conforme au bâtiment.

812. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 7, nouvelles preuves que la declamation théatrale des anciens étoit composée, et qu’elle s’écrivoit en notes. Preuve tirée de ce que l’acteur qui la recitoit, étoit accompagné par des instrumens » pp. 112-126

Non seulement l’orateur est le maître du rithme ou du mouvement de sa prononciation, mais comme il parle en prose et sans être obligé de se concerter avec personne, il est encore le maître de changer à son gré la mesure de ses phrases, de maniere qu’il ne prononce jamais d’une haleine qu’autant de sillabes qu’il en peut prononcer commodement.

813. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « IV »

L’imitation que nous conseillons serait l’imitation servile, « tout au plus bonne à réparer de vieilles phrases comme on répare de vieux souliers, en leur mettant des épithètes neuves », ou encore « à duper les ignorants ou les imbéciles, en transposant avec adresse quelque morceau célèbre.

814. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Gabrille d’Estrées et Henri IV »

Il y a bien une phrase dans l’introduction où il est question de l’image gracieuse de l’amour d’Henri IV et de Gabrielle ; mais c’est de suite fini, et l’auteur, qui a encore ce vieux œil de poudre sur la pensée, ne retourne plus à cette bergerie : il redevient et reste sérieux.

815. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La défection de Marmont »

Esprit essentiellement moderne, sensible, ouvert, trop ouvert, facile à tous les entraînements, depuis les dévergondages d’une générosité sans raison jusqu’à ce fait d’une défection qui n’a épouvanté ni son esprit ni sa conscience, le duc de Raguse a cru qu’en s’y prenant adroitement et de loin il ferait aisément illusion à un temps éclectique en toutes choses, qui aime à se payer de phrases, et pour qui le manque d’étendue est le fond de toute sévérité, fit que disons-nous ?

816. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Hebel »

« Un doux éclat de soleil couchant — nous dit-il plus loin, avec ce sentiment de poète qui sent la poésie dans les autres, — rayonne de l’âme de Hebel, pure et tranquille, et teint de rose toutes les hauteurs qu’il fait surgir. » Et Jean-Paul ajoute cette phrase mélodique et enchantée du ranz des vaches que son imagination pastorale jouait toujours : « Hebel embouche d’une main la trompe alpestre des aspirations et des joies juvéniles, tout en montrant, de l’autre, les reflets du couchant sur les hauts glaciers, et commence à prier quand la cloche du soir se met à sonner sur les montagnes. » De son côté, Goethe, ce grand critique, ce grand esprit lymphatique, ce Talleyrand littéraire qui fait illusion par la majesté de l’attitude sur la force de sa pensée, cet homme que l’on a cru un marbré parce qu’il en a la froideur, Goethe, ce blank dead, comme l’appelleraient les Anglais, ce système sans émotion et dont le talent fut à froid une combinaison perpétuelle, disait de cette voix glacée qui impose : « L’auteur des poésies allemaniques est en train de se conquérir une place sur le Parnasse allemand.

817. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Proudhon et Couture »

les allures bourgeoises et patriarcales de la phrase.

818. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Louandre »

Assurément, s’il est un homme fait pour mieux que le petit livre, c’est Louandre, le robuste traducteur de Tacite, un des érudits les plus râblés de ce temps, et dans tous les temps l’homme le plus capable d’œuvres fortes, noblement laborieuses et difficiles ; et cependant, obéissant, malgré lui sans doute, aux exigences de ce siècle superficiel et pressé, Louandre publie aussi un petit livre, comme s’il appartenait, lui, à la race des écrivains sans haleine qui ont inventé la phrase courte, le hachis des petits paragraphes et les écrits de quelques pages à l’usage d’une société qui ne lit plus !

819. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Docteur Véron »

Véron, disons-le à son honneur, au reste, a rendu fausse la fameuse phrase : « le moi est haïssable », de Pascal.

820. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — II »

A l’École Normale, où je m’occupais de choisir les principes qui ont déterminé ma vie, une phrase de Stendhal m’a frappé : « Tant qu’on n’a pas six mille francs de rentes, ne penser qu’à cela ; quand on les a, n’y plus penser. » Il faudrait ajouter : « Se choisir un milieu social, un ordre où passer sa vie avec régularité, et, cette élection faite, n’y plus penser. » Un ordre dans lequel on puisse d’ailleurs travailler en toute indépendance.‌

821. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXV. De Paul Jove, et de ses éloges. »

« Je te salue trois fois, très grand, auguste Charles-Quint, qui par le concours et l’union des vertus les plus rares, as mérité le surnom de très invincible empereur. » On reconnaît à cette grande phrase, que Charles-Quint devait lire l’article.

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