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728. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVIII. Formule générale et tableau d’une époque » pp. 463-482

La comédie, bien que par nature elle soit le miroir grossissant de la société ambiante, reproduit volontiers des types et des travers dessinés par Plaute, par Térence, par Aristophane. […] Descartes ne considère pas la nature comme un ensemble vivant, dont toutes les parties fermentent et agissent incessamment les unes sur les autres ; la nature est à ses yeux quelque chose d’inerte et d’inanimé. […] On n’ignore pas seulement la nature, on la redoute. […] Mais une formule est, de sa nature, sèche et rigide comme la science ; et l’histoire, surtout l’histoire d’une littérature, ne peut pas être seulement scientifique ; elle doit être en sus. quelque chose de souple, de vivant, de littéraire. […] Chaque époque a de la sorte son genre ou ses genres de prédilection qui révèlent sa nature.

729. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Huet, évêque d’Avranches, par M. Christian Bartholmèss. (1850.) » pp. 163-186

Il écrivait cela en songeant à la seconde moitié du siècle de Louis XIV, ce qui est pourtant de nature à nous consoler, en nous montrant qu’on peut ne plus être savant à proprement parler, et valoir encore quelque chose. […] Nous touchons ici à l’un des traits essentiels du caractère de Huet, et qui explique toute sa nature, nature forte, persistante et puissante, bien que trop indifférente et impassible. […] Il pensait que, comme toutes ces disputes et ces questions touchant la nature de l’entendement ne peuvent être décidées que par l’entendement même, qui est d’une nature douteuse, il n’y a pas de solution possible : « Pour bien comprendre et entendre parfaitement, dit-il, la nature de l’entendement humain, il faudrait un autre entendement que le nôtre. » Tout cela n’est pas si déraisonnable. […] Huet sentait à merveille l’antique poésie ; il y mêlait l’amour de la nature et de la campagne, et il en a plus d’une fois exprimé le sentiment avec charme. […] Il appréciait chez celui-ci le don des métaphores, cette fertilité vive qui est le signe particulier d’une heureuse et riche nature.

730. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

Ses amis (car il en eut) assurent qu’en s’emparant ainsi du sceptre, il n’en était nullement orgueilleux au fond : « Ne se considérant que comme une combinaison heureuse de la nature, convaincu qu’il devait bien plus à son organisation qu’à l’étude ou au travail, il ne s’estimait que comme un métal plus rare et plus fin. » C’était sa manière de modestie. […] ne soyez pas plus savants que la nature. […] Il considère la parole comme « la physique expérimentale de l’esprit », et il en prend occasion d’analyser l’esprit, l’entendement, et tout l’être humain dans ses éléments constitutifs et dans ses idées principales ; il le compare avec les animaux et marque les différences essentielles de nature : puis il se livre, en finissant, à des considérations éloquentes sur Dieu, sur les passions, sur la religion, sur la supériorité sociale des croyances religieuses comparativement à la philosophie. […] dira-t-il encore avec un accent bien senti et qui ne se peut méconnaître ; les objections contre l’existence de Dieu sont épuisées, et ses preuves augmentent tous les jours : elles croissent et marchent sur trois ordres : dans l’intérieur des corps, toutes les substances et leurs affinités ; dans les cieux, tous les globes et les lois de l’attraction ; au milieu, la nature, animée de toutes ses pompes. […] Or, l’esprit est le côté partiel de l’homme ; le cœur est tout… Aussi la religion, même la plus mal conçue, est-elle infiniment plus favorable à l’ordre politique, et plus conforme à la nature humaine en général, que la philosophie, parce qu’elle ne dit pas à l’homme d’aimer Dieu de tout son esprit, mais de tout son cœur : elle nous prend par ce côté sensible et vaste qui est à peu près le même dans tous les individus, et non par le côté raisonneur, inégal et borné, qu’on appelle esprit.

731. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Rollin. » pp. 261-282

Il est essentiel de remarquer que cette nature sobre, frugale, simple, austère et ingénue de Rollin s’était de bonne heure rangée aux doctrines morales du parti qu’on appelait janséniste ; il y penchait par goût, il s’y engagea par ses relations, et plus peut-être qu’il n’eût convenu à un chrétien aussi soumis et aussi modeste. […] Pluche, auteur du Spectacle de la nature, et qui est un peu le Rollin de l’histoire naturelle. […] Sans vouloir déprécier cette modestie et sans prétendre nier que, chez quelques natures délicates, un sentiment de réserve et de pudeur excessive ne fasse tort au mérite et aux facultés réelles dont ces natures sont pourvues, je dirai pourtant qu’une habitude de modestie et d’humilité, au degré où l’avait Rollin, suppose toujours aussi un sentiment d’une secrète faiblesse qui évite le développement où elle se trahirait. […] Sa vie entière se présente comme une de ces années orageuses et frappées de stérilité, où l’on dirait que le cours des saisons et l’ordre de la nature sont intervertis ; et, dans cette confusion, les facultés les plus heureuses se sont tournées contre elles-mêmes. […] Pour rendre à ces nouveaux venus le respect des lettres et des nobles études, on ne saurait les présenter trop sérieuses, trop essentielles à la nature humaine et à son développement, trop liées avec tout ce qui est utile dans l’histoire, dans la politique, trop conformes à la vraie connaissance morale et à l’expérience.

732. (1888) La critique scientifique « La critique et l’histoire »

Mais l’émotion esthétique, tout en étant fin en soi et en ne produisant pas sur le coup d’effets pratiques, en provoque cependant à la longue d’importants, et par le fait de sa nature générale et par le fait de la nature particulière qu’elle peut présenter. […] Car s’il est vrai que les images, les sentiments, les sensations que ces œuvres suggèrent, sont faits pour surgir dans l’esprit d’hommes dont la vertu ou le crime importent à leurs semblables, s’il est vrai que ces images et ces sentiments influent sur la nature et la force de leur âme, il ne saurait être admis que, socialement, toute œuvre d’art paraisse innocente, soit pour la cité, soit plus profondément, pour le bien mémo de la race. […] Que l’on considère en outre que de plus en plus, à mesure que la civilisation s’affine à mesure que les hommes deviennent plus paisibles et plus vertueux, les actes absorbent une moindre partie de l’énergie, et ont derrière la nature brute de la volonté qu’ils expriment, un arrière-fonds plus ténébreux de pensées et d’émotions qu’ils sont impuissants à signifier. […] Même, en vertu de la substitution qui peut s’opérer entre une émotion réelle et une émotion esthétique, en vertu de l’affaiblissement de force active que cause chez un individu ou un peuple la prévalence des sentiments esthétiques, nous pourrons, par l’analyse, arriver à connaître et l’intensité et la nature de la volonté, dans un ensemble social possédant un art. […] En effet, dans son article étudiant « La répétition universelle » (La Revue philosophique, 1882), le philosophe pense simultanément et analogiquement la répétition dans la nature et la répétition dans la société ; il décrit alors l’imitation sociale, métaphoriquement, en termes d’« onde » et de « vibration ».

733. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre II. Shakespeare — Son œuvre. Les points culminants »

Les types vont et viennent de plain-pied dans l’art et dans la nature. […] Cependant on pleure autour de lui, la terre se désespère, les nuées femmes, les cinquante océanides, viennent adorer le titan, on entend les forêts crier, les bêtes fauves gémir, les vents hurler, les vagues sangloter, les éléments se lamenter, le monde souffre en Prométhée, la vie universelle a pour ligature son carcan, une immense participation au supplice du demi-dieu semble être désormais la volupté tragique de toute la nature ; l’anxiété de l’avenir s’y mêle, et comment faire maintenant ? […] Enfin la catastrophe arrive, la forêt de Birnam se met en marche ; Macbeth a tout enfreint, tout franchi, tout violé, tout brisé, et cette outrance finit par gagner la nature elle-même ; la nature perd patience, la nature entre en action contre Macbeth ; la nature devient âme contre l’homme qui est devenu force.” […] Geoffroy Saint-Hilaire me disait un jour : Quand le lion a mangé, il est en paix avec la nature. […] Il porte d’abord l’empire, puis l’ingratitude, puis l’isolement, puis le désespoir, puis la faim et la soif, puis la folie, puis toute la nature.

734. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Études sur Blaise Pascal par M. A. Vinet. »

Vinet dans la nature morale de Pascal, et n’a fait voir plus sensiblement que sous le héros chrétien il y avait l’ homme . […] L’éclat soudain de cette vive parole, l’impétuosité et presque la brusquerie du geste et de l’accent, font croire à quelque chose d’excessif, et même de maladif, qui tient à une singularité de nature. […] La théologie de l’auteur des Pensées, à la bien voir et en la dégageant des accessoires qui n’y tiennent pas essentiellement, porte en plein sur la nature morale de l’homme ; c’est là sa force et son honneur. […] Vinet et à ses amis, et que les théologiens protestants ont volontiers accueillie, c’est que les Pensées de Pascal, dans l’état où les a mises la controverse récente, et ramenées plus que jamais à l’état de purs fragments grandioses et nus, sont par là même plus propres à un genre de démonstration chrétienne qui prend l’individu au vif, et peuvent devenir la base d’une apologétique véritable, tout entière fondée sur la nature humaine.

735. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vielé-Griffin, Francis (1864-1937) »

Aussi, jamais chez aucun écrivain les rapports entre la nature et l’art n’ont-ils paru si harmoniques et fonciers. La nature, dont le vrai rôle est d’être toujours le rythme de l’art, apparaît réellement chez lui inspiratrice divine, source et mère d’émotion, en qui convergent toute chanson et tout cœur. […] Malheureusement, ma nature répugne au mensonge, qu’il doive être bleu ou noir. » M.  […] Je n’imagine pas un être plus radical, une nature d’homme plus loyale et plus spontanée.

736. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre IX. L’avenir de la Physique mathématique. »

Ainsi au lieu de supposer que les corps en mouvement subissent une contraction dans le sens du mouvement et que cette contraction est la même quelle que soit la nature de ces corps et les forces auxquelles ils sont d’ailleurs soumis, ne pourrait-on pas faire une hypothèse plus simple et plus naturelle ? […] Les lois sont plus simples, mais elles sont de toute autre nature et pour ne citer qu’une de ces différences, pour les harmoniques d’ordre élevé le nombre des vibrations tend vers une limite finie ; au lieu de croître indéfiniment. De cela on n’a pas encore rendu compte, et je crois que c’est là un des plus importants secrets de la nature. […] On a supposé que le radium n’était qu’un intermédiaire, qu’il ne faisait qu’emmagasiner des radiations de nature inconnue qui sillonnaient l’espace dans tous les sens, en traversant tous les corps, sauf le radium, sans être altérées par ce passage et sans exercer sur eux aucune action.

737. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VIII. La mécanique cérébrale »

Prétendrait-on connaître la nature ou l’action d’une locomotive, parce qu’on saurait que, pour transporter une somme donnée de voyageurs, elle doit avoir tel poids déterminé, ou parce qu’on saurait encore qu’étant brisée, elle devient incapable de faire son service ? […] Alors, s’il vient à être subitement soustrait à la cause excitante, il tend à regagner son état normal par une marche analogue à celle d’un ressort qui, écarté de sa l’orme d’équilibre, revient à cette forme par des oscillations décroissantes, en vertu desquelles il la dépasse alternativement en deux sens opposés… De là des phases dont les unes sont de la même nature que la sensation primitive et peuvent être appelées les phases positives, tandis que les unes sont de nature contraire et peuvent être appelées négatives. » Or, suivant M.  […] Non-seulement nous ne comprenons pas et nous ne comprendrons jamais comment des traces quelconques imprimées dans notre cervelle peuvent être perçues de notre esprit ou y produire des images, mais, quelque délicates que soient nos recherches, ces traces ne se montrent en aucune façon à nos yeux, et nous ignorons entièrement quelle est leur nature. » Le savant et profond physiologiste allemand Müller s’exprime en termes non moins significatifs.

738. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 40, si le pouvoir de la peinture sur les hommes est plus grand que le pouvoir de la poësie » pp. 393-405

Ils tirent leur force du rapport que la nature elle-même a pris soin de mettre entre les objets extérieurs et nos organes, afin de procurer notre conservation. […] C’est la nature elle-même que la peinture met sous nos yeux. […] La figure des objets, leur couleur, les reflais de la lumiere, les ombres, enfin tout ce que l’oeil peut appercevoir, se trouve dans un tableau comme nous le voïons dans la nature. […] D’ailleurs il est une de ces operations, celle qui se fait quand le mot reveille l’idée dont il est le signe, qui ne se fait pas en vertu des loix de la nature.

739. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre premier. De la louange et de l’amour de la gloire. »

de la nature même de l’homme. […] Ne l’attendez pas d’un peuple pauvre, je ne dis pas celui qui, resté près de la nature et de l’égalité, borne ses désirs, vit de peu, et met les vertus à la place des richesses, mais celui qui, environné de grandes richesses qu’il ne partage pas, se trouve entre le spectacle du faste et la misère, et voit l’extrême pauvreté sortir de l’extrême opulence ; ce peuple occupé et avili par ses besoins, ne peut avoir l’idée d’un besoin plus noble. […] La plupart des hommes, faibles par leur nature, faibles par le peu de rapport qu’il y a entre leur esprit et leur caractère, plus faibles encore par les exemples qui les assiègent, par le prix que les circonstances mettent trop souvent à la bassesse et au crime, n’ayant ni assez de courage pour être toujours bons, ni assez de courage pour être toujours méchants, embrassant tour à tour et le bien et le mal, sans pouvoir se fixer ni à l’un ni à l’autre, sentent la vertu par le remords, et ne sont avertis de leur force que par le reproche secret qu’ils se font de leur faiblesse. […] Dès que le mérite parut, l’envie naquit, et la persécution se montra ; mais au même instant la nature créa la gloire, et lui ordonna de servir de contrepoids au malheur.

740. (1860) Cours familier de littérature. IX « XLIXe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier » pp. 6-80

Mais soyons justes et compatissants ; si elle ne descendit jamais de ce socle virginal dans les bras d’un Pygmalion, ce ne fut pas, dit-on, la faute de son cœur, ce fut la faute de la nature. […] Aucun peintre n’a pu trouver des lignes et des couleurs pour le reproduire ; la nature en elle a défié le pinceau de David, de Girodet, de Proudhon, de Gérard, de Camuccini ; le ciseau de Canova y a échoué. […] Ce salon était tout littéraire ; la noblesse de naissance n’y figurait que pour s’ennoblir par la fréquentation de la noblesse de nature : le génie ! […] La mère et la fille étaient pauvres, mais le salon d’entresol était agrandi par les hôtes, meublé par les décorations de la nature : la beauté et le génie. […] On a beau faire, quand on a du sang de Louis XIV dans les veines, l’orgueil de race prévaut malgré soi sur les nécessités de la royauté : les rôles sont dans la politique, mais les sentiments sont dans la nature.

741. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre neuvième »

était plus près de la nature que la comédie ; c’était une caricature exagérée, mais on pouvait y entrevoir l’original. […] Une fois averti des puissants effets de la nature bien observée, Molière n’eut plus besoin de la comédie d’intrigue : il se passa des personnages de convention. […] Il a craint que la vérité de la nature ne fît pas assez d’effet ; il l’a quelquefois chargée pour la faire applaudir. […] C’est la révolte de sa noble nature contre ce vice, le plus odieux de tous, parce qu’il sert de couverture à tous. […] L’imitation est aussi innocente de plagiat dans les pages du poète que sur la toile du peintre ; tout ce qui rend la nature y est fait de génie.

742. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIIe entretien » pp. 87-159

En diction poétique, après lui on peut descendre, mais on ne peut plus remonter, à moins de monter plus haut que nature. […] La nature a fait la chair, l’homme a fait l’étoffe et la draperie. […] l’écrivain ne le sait pas lui-même ; c’est un don de sa nature, comme la couleur de ses cheveux ou comme la sensibilité de son tact. […] Aucun autre lieu, aucune autre fonction, aucun autre costume ne siéent à cette nature. […] La nature et la profession sont si indissolublement liées et confondues en lui que la pensée même ne peut les séparer.

743. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « III. M. Michelet » pp. 47-96

Il le fut par son âme, si fière de nature, et basse d’actes par nécessité. […] En tenant compte, bien entendu, de la différence de nature qu’il y a entre Proudhon et M.  […] Michelet est une nature de poète. […] Il l’avait épousée devant le soleil et devant la Nature. […] Même l’adoration de la Nature et de ses forces est encore trop pour M. 

744. (1892) Sur Goethe : études critiques de littérature allemande

Il aime : voilà le trait dominant de sa nature. […] La nature et le devoir de l’homme, dit Robert, est d’aspirer au divin ! […] Or, en des opinions de cette nature, c’est surtout la pratique qui nous importe. […] Freytag use et abuse du droit qu’ont les poètes de personnifier les objets de la nature. […] Elle gardera fidèlement, au milieu des agitations de toute nature, son génie national.

745. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Voix intérieures » (1837) »

— Cette musique, la nature aussi l’a en elle. […] Si l’homme a sa voix, si la nature a la sienne, les événements ont aussi la leur. […] Le foyer, qui est notre cœur même ; le champ, où la nature nous parle ; la rue, ou tempête, à travers les coups de fouet des partis, cet embarras de charrettes qu’on appelle les événements politiques.

746. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre III. Coup d’œil sur le monde politique, ancien et moderne, considéré relativement au but de la science nouvelle » pp. 371-375

S’il est encore des nations barbares dans les parties les plus reculées du nord et du midi, c’est que la nature y favorise peu l’espèce humaine, et que l’instinct naturel de l’humanité y a été longtemps dominé par des religions farouches et bizarres. — Nous voyons d’abord au septentrion le czar de Moscovie qui est à la vérité chrétien, mais qui commande à des hommes d’un esprit lent et paresseux. — Le kan de Tartarie, qui a réuni à son vaste empire celui de la Chine, gouverne un peuple efféminé, tels que le furent les seres des anciens. — Le négus d’Éthiopie, et les rois de Fez et de Maroc règnent sur des peuples faibles et peu nombreux. Mais sous la zone tempérée, où la nature a mis dans les facultés de l’homme un plus heureux équilibre, nous trouvons, en partant des extrémités de l’Orient, l’empire du Japon, dont les mœurs ont quelque analogie avec celles des Romains pendant les guerres puniques ; c’est le même esprit belliqueux, et si l’on en croit quelques savants voyageurs la langue japonaise présente à l’oreille une certaine analogie avec le latin. […] Il y a droit par son sujet : la nature commune des nations ; sujet vraiment universel, dont l’idée embrasse toute science digne de ce nom.

747. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Première série

les belles chevauchées que celles faites avec la nature entière ! […] Il ne cache point son parti pris contre la nature du nord, la nature des pays de sapins, nourrice des rêves mystiques, des sentiments antihumains, des songes vagues et des mœurs dures. […] En réalité, aimer la nature et la « comprendre », qu’est-ce que cela ? […] Sont-ce là toutes les façons d’être ému en face de la nature ? […] La femme tient de plus près à la nature que l’homme.

748. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

Le prince, en agissant ainsi, fut plus insensé que le poète, et plus féroce que la nature : l’amitié se lassa en lui, et l’ami se changea en persécuteur. […] Les grands hommes sont sacrés par la nature et par la Providence. […] Aucune vraisemblance, aucune vérité, aucune conformité à la poésie, à la nature des lieux, des temps et des choses. […] Le cardinal Cinthio voulait à lui seul venger l’injustice du siècle et l’injustice de la nature envers le Tasse. […] L’histoire ne déclame pas comme la rhétorique, elle raconte ; les malheurs du Tasse furent le tort de la nature, bien plus que le tort de la société.

749. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 257-320

pour maudire une terre à laquelle la nature et le ciel ont prodigué tous leurs dons, dont l’histoire est encore un des trophées du genre humain ? […] La nature en cela n’avait rien laissé à désirer dans les yeux, dans la chevelure, dans les traits, dans les bras, dans tout le galbe enfin de madame de Bombelles. […] Ô Père de la nature, Source, abîme de tout bien, Rien à toi ne se mesure : Ah ! […] Mais aussitôt qu’on a traversé la capitale, on découvre, sur le penchant des montagnes, une nature infiniment plus accidentée, plus ombragée, plus arrosée, plus creusée, plus étagée, plus alpestre, plus apennine, que la nature en Toscane : les cimes, voilées de châtaigniers et dentelées de roches, se perdent en une hauteur immense dans le ciel. […] On voit bien, du reste, que rien ici ne sent l’effet ou la prétention de l’invention, et que cela est vrai comme la nature.

750. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Préface de la seconde édition » pp. 3-24

De tels efforts étouffent les dons de la nature, au lieu de les perfectionner. […] Lorsque Pascal a écrit : L’homme est un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant , un critique séparant la première phrase de la seconde, aurait pu dire : Savez-vous que Pascal appelle l’homme un roseau pensant ? […] Mais le talent consiste à savoir respecter les vrais préceptes du goût, en introduisant dans notre littérature tout ce qu’il y a de beau, de sublime, de touchant, dans la nature sombre, que les écrivains du Nord ont su peindre ; et si c’est ignorer l’art que de vouloir faire adopter en France toutes les incohérences des tragiques anglais et allemands, il faut être insensible au génie de l’éloquence, il faut être à jamais privé du talent d’émouvoir fortement les âmes, pour ne pas admirer ce qu’il y a de passionné dans les affections, ce qu’il y a de profond dans les pensées que ces habitants du Nord savent éprouver et transmettre. […] L’air et le feu leur servent à se tuer, et la nature entière est entre leurs mains un moyen de destruction. […] Enfin, comment peut-on imaginer que l’on mettra les sciences tellement en dehors de la pensée, que la raison humaine ne se ressentira point des immenses progrès que l’on fait chaque jour dans l’art d’observer et de diriger la nature physique ?

751. (1888) Demain : questions d’esthétique pp. 5-30

Je vous avouerai, et mes lecteurs le savent, que j’ai peu de goût à disputer sur la nature du beau, Je n’ai qu’une confiance médiocre dans les formules métaphysiques. […] Il marquait 1111 retour à la nature, que le romantisme avait outragée. […] Et puis, à un point de vue secondaire, et selon la scolie de Virgile, si « On se lasse do tout, excepté do comprendre », pourquoi ne donnerions-nous pas un peu de temps à disputer, comme vous dites, sur la nature du beau ? […] Je vous demandais, Monsieur, à propos d’un livre ou je tâche de préciser le sens de la Littérature de tout à l’heure, votre sentiment sur la direction des efforts jeunes vers le beau, — quelle que soit sa nature. […] Quant à nos pensées, plus elles seront selon la nature, moins elles resteront accessibles aux générations qui grandiront sur des vélocipèdes à l’ombre de la Tour Eiffel...

752. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXVIII. Caractère essentiel de l’œuvre de Jésus. »

Il se peut que, dans la « Physique » et dans la « Météorologie » des temps modernes, il ne se retrouve pas un mot des traités d’Aristote qui portent ces titres ; Aristote n’en reste pas moins le fondateur de la science de la nature. […] Prenons un sentiment plus large des pouvoirs que la nature recèle en son sein. […] Que la médecine ait des noms pour exprimer ces grands écarts de la nature humaine ; qu’elle soutienne que le génie est une maladie du cerveau ; qu’elle voie dans une certaine délicatesse de moralité un commencement d’étisie ; qu’elle classe l’enthousiasme et l’amour parmi les accidents nerveux, peu importe. […] Aucun travail de réflexion ne réussit à produire ensuite les chefs-d’œuvre que la nature crée à ces moments-là par des génies inspirés. […] En lui s’est condensé tout ce qu’il y a de bon et d’élevé dans notre nature.

753. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre III, naissance du théâtre »

Déjà hiératique, encore populaire, un pied dans les Mystères, l’autre dans la nature, entrecoupé de lumières joyeuses et d’ombres profondes, riant et béant à la foule par une de ses faces, comme un mascaron de fontaine, se présentant de l’autre à ses initiés, le front plein de rêves, le doigt sur les lèvres. […] Blasés par l’habitude héréditaire de longs siècles sur les alternatives régulières qui flétrissent et renouvellent la nature, nous pouvons à peine comprendre les sensations d’une race encore neuve, à la vue des phénomènes que ramène le cours des saisons. […] Un drame indistinct dont les péripéties étaient le combat des éléments déchaînés, dont le dénouement, tour à tour serein et terrible, était la croissance et l’abréviation du jour, la défaite hivernale de la nature et sa revanche printanière, se jouait confusément devant lui. […] Tous les sentiments dramatiques que le théâtre futur allait bientôt faire connaître aux âmes, terreur et pitié, angoisse et espoir, étaient en germe dans les émotions que les contrastes de la nature suscitaient en lui. […] Son règne végétal, étendu sur les arbres fruitiers rattachés aux vignes, comprenant aussi les moissons, par son alliance avec Perséphone, l’identifiait à toute la nature.

754. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre III : Le présent et l’avenir du spiritualisme »

Ce problème se produit d’une manière différente suivant la nature des doctrines ; mais il existe dans toutes sous une forme ou sous une autre. […] Les autres ne sont pas disposés à se contenter aussi facilement ; l’immobilité d’une doctrine une fois faite ne leur paraît guère conforme à la nature de l’esprit humain, surtout dans l’ordre purement philosophique ; avec le besoin de croire, ils éprouvent en même temps le besoin de penser ; la fermeté de leurs convictions ne tarit pas chez eux l’activité de l’investigation scientifique. […] Ce grand mouvement critique auquel nous assistons ne prouve certainement pas que le spiritualisme ait tort ; mais il prouve, à n’en pas douter, que nos moyens de démonstration sont insuffisants, qu’il y a des lacunes dans nos doctrines, qu’elles ne sont pas complètement appropriées aux lumières de notre temps, qu’elles laissent en dehors d’elles un trop grand nombre de faits inexpliqués, qu’elles se sont montrées trop indifférentes à l’égard des sciences physiques et naturelles, qu’elles ont trop abandonné la nature aux savants, enfin qu’elles ont trop préféré en général l’analyse à la synthèse. […] Il n’est pas dans la nature des choses qu’une doctrine philosophique reste immobile et stagnante comme un dogme théologique. […] Magy (la Science et la Nature), ont commencé à jeter les bases d’une philosophie naturelle.

755. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Dargaud »

La critique, qui connaît son devoir et sa limite, n’a rien à opposer à la nature humaine et à l’individualité d’une œuvre. […] C’est de la lumière qui tremble sur des larmes, des larmes qui tremblent sur des fleurs, et des arcs-en-ciel qui tremblent à leur tour sur ces fleurs, sur ces larmes et sur cette lumière, Dargaud est une nature poétique. […] qui, pendant la Révolution française, firent à Dieu, par l’organe de Robespierre, cette politesse de « la fête de l’Être suprême », et plus tard ce furent eux encore qui offrirent, sur l’autel idyllique de la Réveillère-Lépeaux, des fleurs au Dieu de la nature. […] Contradiction plus commune qu’on ne croit entre la pensée d’un homme et la nature de son génie ! […] Avant lui, il n’y a que les balbuties et les mouvements rudimentaires et déjà corrompus de la nature humaine.

756. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Edgar Quinet »

Toujours frères et amis, Michelet et Quinet, ces historiens de la démocratie et de la libre pensée, qui se sont fait trente ans pendant l’un à l’autre, comme le fifre et le tambour sur le même panneau d’une salle à danser, se sont improvisés également les historiens de la nature pour avoir lu, de hasard, quelques bouquins d’histoire naturelle. […] Le livre de la Création, qu’il est donné à chacun de feuilleter désormais page par page, — (comme un almanach), — a beau être interrompu par des vides, il en sort une force d’ascension vers le mieux que ne peut contrebalancer toute l’inertie de la nature morte. […] Il voit des sauts dans la nature, comme une vieille femme qui verrait des trous dans ses bas et ne saurait comment s’y prendre pour les remmailler. « Tout n’est pas progrès — dit-il — dans la nature et dans l’histoire. » Qu’il s’en souvienne pour une autre fois ! […] IV Parmi les nombreux romanciers modernes qui forment chaque jour un genre plus formidable, les plus romanciers, c’est-à-dire les plus incroyables, ce sont ces romanciers qui se croient bonnement les historiens de la nature.

757. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Madame Ackermann »

Dans ses poèmes, qui étaient pour lui, comme pour tous les poètes, la vraie réalité de sa vie, il n’était et ne fut jamais que le beau panthéiste dont les vers — malgré lui et retournés contre lui — sont des adorations de Dieu à travers les adorations de la nature. […] La femme qui a écrit ces terribles choses : L’Amour et la Mort, Le Positivisme, les Paroles d’un Amant, L’Homme à la Nature, La Nature à l’Homme, le Dernier Mot, Le Cri, est tout à la fois un monstre et un prodige, — un prodige par le talent et un monstre par la pensée. […] Je voudrais donner une idée de ce splendide désastre d’une philosophie impuissante à calmer les instincts affamés d’une âme de nature immortelle, mais ce qui fait la beauté exceptionnelle des poésies de madame Ackermann, c’est la largeur d’une aile qu’on ne peut guères enfermer dans le tour d’un chapitre. […] Par la nature de son inspiration bien plus que par celle de ses facultés, l’auteur des Poésies philosophiques ne devait-il pas être forcément plus ou moins stérile ?

758. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Arthur de Gravillon »

Ici, Gravillon n’est pas si franc de nature. […] … Il fut un temps où l’on trouvait de mauvais goût la cathédrale gothique… C’était le temps absolu du style simple, comme le vantent les incapables d’enluminure… il a passé, et la nature et l’art, reprenant tous leurs droits, de nouveau se sont épanouis. […] ; il le dédouble pour n’en prendre que le côté qui répond à sa nature. Et cette nature délicate, plus délicate que solide, et qui pourra, je l’espère, se solidifier, a glissé sur cette tangente misérable des idées du temps. […] Il en a cette sensibilité pour laquelle je voudrais trouver un nom qui ne fût pas une injure, et qui, malgré la distinction de sa nature (cette distinction qui ne sert absolument dans ce monde qu’à être distingué, comme la blancheur des lys ne sert qu’à les faire blancs, dans leur royauté inutile), le mène droit, lui !

759. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVI. Des éloges académiques ; des éloges des savants, par M. de Fontenelle, et de quelques autres. »

Tous les objets dont on s’y occupe sont grands, et en même temps sont utiles ; c’est l’empire des connaissances humaines ; c’est là que vous voyez paraître tour à tour la géométrie qui analyse les grandeurs, et ouvre à la physique les portes de la nature ; l’algèbre, espèce de langue qui représente, par un signe, une suite innombrable de pensées, espèce de guide, qui marche un bandeau sur les yeux, et qui, à travers les nuages, poursuit et atteint ce qu’il ne connaît pas ; l’astronomie, qui mesure le soleil, compte les mondes, et de cent soixante-cinq millions de lieues, tire des lignes de communication avec l’homme ; la géographie, qui connaît la terre par les cieux ; la navigation, qui demande sa route aux satellites de Jupiter, et que ces astres guident en s’éclipsant ; la manœuvre, qui, par le calcul des résistances et des forces, apprend à marcher sur les mers ; la science des eaux, qui mesure, sépare, unit, fait voyager, fait monter, fait descendre les fleuves, et les travaille, pour ainsi dire, de la main de l’homme ; le génie qui sert dans les combats ; la mécanique qui multiplie les forces par le mouvement, et les arts par l’industrie, et sous des mains stupides crée des prodiges ; l’optique qui donne à l’homme un nouveau sens, comme la mécanique lui donne de nouveaux bras ; enfin les sciences qui s’occupent uniquement de notre conservation ; l’anatomie par l’étude des corps organisés et sensibles ; la botanique par celle des végétaux ; la chimie par la décomposition des liqueurs, des minéraux et des plantes ; et la science, aussi dangereuse que sublime, qui naît des trois ensemble, et qui applique leurs lumières réunies aux maux physiques qui nous désolent. […] Vous les voyez presque tous nés avec une espèce d’instinct qui se déclare dès le berceau et les entraîne ; c’est l’énigme de la nature : qui pourra l’expliquer ? […] Vous en voyez plusieurs passionnés pour l’étude, et indifférents pour la gloire ; éloignés de cette ostentation, qui est toujours faiblesse ; ne s’apercevant pas même de ce qu’ils sont, ce qui est la vraie modestie ; honorant leurs bienfaiteurs, louant leurs rivaux, assez fiers pour faire du bien à leurs ennemis ; vous en voyez quelques-uns, ornés des grâces, qui, dans le monde, font pardonner les vertus ; mais ce qui fait le caractère du plus grand nombre, ce sont toutes les qualités que donne l’habitude de vivre plus avec les livres qu’avec les hommes : je veux dire des mœurs, les sentiments de la nature ; cette candeur si éloignée de toute espèce d’art ; Cette bonne foi de caractère qui agit d’après les choses, non d’après les conventions, et ne songe jamais à prendre son avantage avec les hommes ; une simplicité qui contraste si bien avec le désir éternel d’occuper de soi, vice des cœurs froids et des âmes vides ; l’ignorance de presque tout, hors des choses utiles et grandes ; une politesse qui quelquefois néglige les dehors, mais qui, au lieu d’être ou un calcul fin d’amour-propre, ou une vanité puérile, ou une fausseté barbare, est tout simplement de l’humanité ; enfin cette tranquillité d’âme, qui, ayant apprécié tout, et n’estimant dans ce songe de la vie que ce qui mérite de l’être, c’est-à-dire, bien peu de choses, ne se passionne pour rien, et se trouve au-dessus des agitations et des faiblesses. […] Pour les âmes passionnées, il n’existe dans la nature que de grandes masses ; tout ce qui est fin disparaît ; mais lui, toujours tranquille, et à la distance qu’il fallait de tout, avait le loisir d’observer les nuances, et de les peindre. […] Plus heureux cependant, ceux qui ont reçu de la nature une âme ouverte à toutes les impressions, qui suivent avec plaisir un enchaînement d’idées vastes ou profondes, et ne s’en livrent pas avec moins de transport à un sentiment impétueux ou tendre.

760. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome II

parce qu’il n’y a dans tous ces romans ni naturel, ni poésie, ni vérité, tandis que l’Iliade est une peinture vivante de la nature et des passions : les personnages n’en sont pas polis, mais ils sont vrais : la nature y paraît grossière, mais c’est la nature : souvent même, la grande et belle nature s’y trouve. […] mais c’est la nature et la vérité de ce temps-là. […] C’est là, selon le critique, la belle nature, la nature qu’il convient d’imiter. […] Le temps casse les arrêts de l’opinion et confirme les jugements de la nature. […] Le combat de la nature et de l’ambition est de tous les temps et de tous les pays, parce que les passions, partout où il y a des hommes, luttent contre la nature.

761. (1895) Hommes et livres

Tous deux étaient bons Français, de goût et d’esprit, et allaient directement à la nature. […] C’est une volonté ; là est le trait saillant, caractéristique, de sa nature. […] Cela est espagnol, c’est la nature là-bas, je veux bien le croire : mais cette nature est bien exceptionnelle. […] On l’acceptait par convention, et par convention elle exprimait la nature. […] Il nous fait penser aux qualités du sujet plus qu’à la nature de l’objet.

762. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XII : Distribution géographique (suite) »

Ces jeunes mollusques nouvellement éclos, quoique exclusivement aquatiques par leur nature, survécurent cependant sur la patte du Canard, et dans l’air humide pendant douze à vingt heures. […] La nature, comme un jardinier habile, recueille ainsi ses graines sur un sol qui leur est particulièrement favorable, et ensuite les sème sur un autre qui leur convient également. […] Au contraire, la nature volcanique du sol, le climat, l’altitude et la grandeur de ces îles sont autant de points de ressemblance que les Galapagos ont avec les îles du Cap Vert ; mais quelle différence complète entre leurs habitants ! […] On ne saurait contester cependant que la nature des autres formes vivantes auxquelles chacun d’eux doit faire concurrence est au moins aussi importante et généralement même beaucoup plus importante à leur succès dans la vie. […] Alph. de Candolle a confirmée en ce qui concerne les plantes, c’est que, plus un groupe d’organisme est placé bas dans l’échelle de la nature, et plus il est susceptible d’acquérir une grande extension.

763. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VII. L’antinomie pédagogique » pp. 135-157

Il y a des natures plastiques (les natures moyennes) et d’autres qui ne le sont pas ou le sont peu. […] Si vous avez affaire à une nature fine, délicate et sensitive, l’enfant ne se laissera toucher que par ce qui convient à sa propre sensibilité et est susceptible de l’intéresser ; si vous avez affaire à une nature apathique et flegmatique, l’appel au sentiment restera lettre morte. […] Si habilement qu’on s’y prenne, on se heurtera à l’antinomie que nous avons signalée et qui tient à la double nature de l’homme, à la fois être individuel et être social. […] L’Église à laquelle l’école d’aujourd’hui se substitue et dont on apprend par cœur le catéchisme avant d’être admis à la communion ne procède pas autrement pour retenir ses fidèles ; les liens sont de nature fort voisine ici et là. » « L’école nous demande non de nous enquérir de ce que sont les idées, mais de les acquérir ainsi. » Voilà un enseignement qui ne fait guère de place à la spontanéité de l’élève et dont l’idéal semble bien être de faire de lui une machine à répétition.

764. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre troisième. L’idée-force du moi et son influence »

Il n’en est pas moins vrai que la nature réalise le mouvement, comme elle réalise la conscience : des deux côtés, c’est une réelle continuité ; seulement, dans la conscience, les positions successives du mobile vivant laissent une trace. […] — Quelle que soit la nature radicale du moi, il est certain que le moi est une idée, et une idée qui tend à se réaliser par cela même qu’elle se conçoit. […] Le moi est prolongé par l’imagination dans un temps incertain, avec un ensemble d’activités également incertaines dans leurs effets, comme dans leur nature et dans leur degré de développement. […] Enfin, le commerce avec les forces de la nature est encore une interprétation analogue, qui fut d’abord fétichiste, anthropomorphique et zoomorphique, et qui ne se dépouilla que peu à peu des formes concrètes de l’animation universelle. […] C’est, le cas de dire que la nature vivante a horreur du vide, qu’elle tend à tout s’assimiler et s’annexer : c’est une endosmose continuelle, au physique et au mental.

765. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 13, qu’il est des sujets propres specialement pour la poësie, et d’autres specialement propres pour la peinture. Moïens de les reconnoître » pp. 81-107

Nous allons voir aussi qu’il est bien des beautez dans la nature que le peintre copie plus facilement, et dont il fait des imitations beaucoup plus touchantes que le poëte. […] La nature a mis en nous un instinct, pour faire le discernement du caractere des hommes, qui va plus vîte et plus loin que ne peuvent aller nos reflexions sur les indices et sur les signes sensibles de ces caracteres. Or cette diversité d’expression imite merveilleusement la nature qui, nonobstant son uniformité, est toujours marquée dans chaque sujet à un coin particulier. Où je ne trouve pas cette diversité, je ne vois plus la nature et je reconnois l’art. Le tableau dans lequel plusieurs têtes et plusieurs expressions sont les mêmes, ne fut jamais fait d’après la nature.

766. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rimbaud, Arthur (1854-1891) »

S’ils font vibrer en nous plusieurs des fibres les plus essentielles de l’âme, c’est parce que, pénétrant loin sous les sentiments émoussés dont nous revêtons d’habitude les plus humains de nos désirs, ils chantent l’hymne de la Nature raillant l’inconnaissable. […] Nature violente, exprimant toutes les aspirations et — cyniquement — jusqu’aux pires faiblesses de la nature humaine, Arthur Rimbaud, s’il ne s’est point purifié par le verbe, s’est régénéré dans l’action.

767. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XVI. Le Paradis. »

Autre est de danser et de faire des festins, autre de connaître la nature des choses, de lire dans l’avenir, de voir les révolutions des globes, enfin d’être comme associé à l’omniscience, sinon à la toute-puissance de Dieu. […] Il est de la nature de l’homme de ne sympathiser qu’avec les choses qui ont des rapports avec lui, et qui le saisissent par un certain côté, tel, par exemple, que le malheur. […] Par ces divers moyens, on ferait naître des harmonies entre notre nature bornée et une constitution plus sublime, entre nos fins rapides et les choses éternelles : nous serions moins portés à regarder comme une fiction un bonheur qui, semblable au nôtre, serait mêlé de changements et de larmes.

768. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Un petit corollaire de ce qui précède [Mon mot sur l’architecture] » pp. 77-79

La nature et l’art qui la copie, ne disent rien à l’homme stupide ou froid ; peu de chose à l’homme ignorant. […] Les hommes froids, sévères et tranquilles observateurs de la nature, connaissent souvent mieux les cordes délicates qu’il faut pincer. […] On ne l’apprécie qu’en le rapportant immédiatement à la nature.

769. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Furetière »

« Le Roman bourgeois — dit avec raison Asselineau — est le premier roman d’observation qu’ait produit la littérature française. » La manière de l’auteur, ce vieux raillard, comme parlerait Rabelais (le père à tous de ces observateurs ricanants de la nature humaine et du monde), la manière de l’auteur, incisive, colorée, gauloise, étreignant la réalité, et quelquefois jusqu’au cynisme, est caractérisée avec beaucoup de bonheur par Charles Asselineau. […] Peintre de mœurs dans un cadre étroit et qu’il n’a pas dépassé, il a créé des types auprès desquels les types de la comédie en qui nous croyons le plus, les Chrysale, les Dandin, les Vadius, les Jourdain, les Chicaneau, ne sont que de véritables maigreurs dramatiques ; car le drame ne permet pas de faire le tour d’un type comme le roman, dans lequel un personnage plus grand que nature ne cesse pas pour cela d’être nature.

770. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

Plus on l’étudie dans sa vie et dans sa nature particulière, et mieux on se rend compte de cette préférence. […] Il a tout d’abord un retour de plaisir sur la bonté de la nature qui, ayant pu aussi bien le faire naître esclave, sauvage ou paysan, a placé son berceau dans un pays libre et civilisé, à une époque de science et de philosophie, au sein d’une famille d’un rang honorable et convenablement partagée des dons de la fortune. […] Aux approches de sa seizième année, la nature fit un effort en sa faveur et déploya ses forces secrètes ; ses crises nerveuses disparurent, et il acquit une santé suffisante, de laquelle il n’abusa jamais. […] Même lorsqu’il est le plus amoureux, Gibbon garde la marque de sa nature essentiellement modérée ; il s’accommode de son malheur sans trop d’orage : au fond, il est doux et tranquille, même aux heures de passion. […] Mais, dans tous ces passages, c’est encore le studieux chez Gibbon qui goûte la nature, et, soit qu’il parle en son nom, soit qu’il se souvienne de son digne précepteur, c’est toujours entre une lecture et une autre, et ayant., pour ainsi dire, le livre entrouvert sur sa table, qu’il aime à donner accès à la distraction champêtre, à s’accorder les perspectives naturelles, et à en savourer le sentiment tout à fait sobre, sincère pourtant chez lui et très doux.

771. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — II. (Fin.) » pp. 322-341

En face de cette nature « où le climat est le plus grand des artistes », ses Promenades ont le mérite de donner la note vive, rapide, élevée ; lisez-les en voiturin ou sur le pont d’un bateau à vapeur, ou le soir après avoir vu ce que l’auteur a indiqué, vous y trouvez l’impression vraie, idéale, italienne ou grecque : il a des éclairs de sensibilité naturelle et d’attendrissement sincère, qu’il secoue vite, mais qu’il communique. […] Le défaut de Beyle comme romancier est de n’être venu à ce genre de composition que par la critique, et d’après certaines idées antérieures et préconçues ; il n’a point reçu de la nature ce talent large et fécond d’un récit dans lequel entrent à l’aise et se meuvent ensuite, selon le cours des choses, les personnages tels qu’on les a créés ; il forme ses personnages avec deux ou trois idées qu’il croit justes et surtout piquantes, et qu’il est occupé à tout moment à rappeler. […] Parfaitement honnête homme et homme d’honneur dans son procédé et ses actions, il n’avait pas, en écrivant, la même mesure morale que nous ; il voyait de l’hypocrisie là où il n’y a qu’un sentiment de convenance légitime et une observation de la nature raisonnable et honnête, telle que nous la voulons retrouver même à travers les passions. […] Beyle, dans ses écrits antérieurs, a donné une définition de l’amour passionné qu’il attribue presque en propre à l’Italien et aux natures du Midi : Fabrice est un personnage à l’appui de sa théorie ; il le fait sortir chaque matin à la recherche de cet amour, et ce n’est que tout à la fin qu’il le lui fait éprouver ; celui-ci alors y sacrifie tout, comme du reste il faisait précédemment au plaisir. […] Au sortir de cette lecture, j’ai besoin de relire quelque roman tout simple et tout uni, d’une bonne et large nature humaine, où les tantes ne soient pas éprises de leurs neveux, où les coadjuteurs ne soient pas aussi libertins et aussi hypocrites que Retz pouvait l’être dans sa jeunesse, et beaucoup moins spirituels ; où l’empoisonnement, la tromperie, les lettres anonymes, toutes les noirceurs, ne soient pas les moyens ordinaires et acceptés comme indifférents ; où, sous prétexte d’être simple et de fuir l’effet, on ne me jette pas dans des complications incroyables et dans mille dédales plus effrayants et plus tortueux que ceux de l’antique Crète.

772. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Les frères Le Nain, peintres sous Louis XIII, par M. Champfleury »

Une idée domine les différentes publications dont j’ai à parler : cette idée, c’est que la copie fidèle de la nature, sa reproduction exacte, sincère, convaincue, faite avec suite et menée à fin avec une entière bonne foi, fût-elle accompagnée de fautes, d’incorrections et de gaucheries, même visibles, a son prix inestimable, son attrait, je ne sais quel charme auprès des esprits et des cœurs droits et simples. […] A la manière dont il en parle d’abord et dont il les envisage, il est évident qu’il a vu en eux, qu’il a rencontré ou transporté en leur image et sous leurs traits comme un idéal de ses qualités et de ses défauts : tant il est vrai que l’idéal est aussi un produit de nature, et que ceux même qui s’en passent le mieux dans la pratique journalière le mettent quelque part en dehors et au-dessus d’eux ! […] « On peut donner une façon matérielle de reconnaître les tableaux des Le Nain, à l’entassement de chaudrons, écuelles, légumes, qui se trouvent souvent sur le premier plan… « Ce sont des peintres de pauvres gens. » Théorie vraie, mais un peu absolue toutefois ; car, sans compter les tableaux de sainteté qui, par leur nature, sortent du programme, il faut toujours faire exception pour celui des trois frères qu’on appelait le chevalier Le Nain, le gros monsieur et le grand seigneur de la famille, celui qui peignait Cinq-Mars et Anne d’Autriche. […] Au xviiie siècle, l’excellent peintre de genre, Chardin, semble avoir voulu renouer à eux pour les scènes d’intérieur et la représentation des objets naturels : « C’est là, c’est chez lui, disait Diderot, l’un de ses grands admirateurs, qu’on voit qu’il n’y a guère d’objets ingrats dans la nature, et que le point est de les rendre. » Chardin, qui était, en outre, un homme de beaucoup d’esprit, répandait sur ses reproductions naturelles une qualité que les Le Nain avaient trop négligée ou ignorée, l’agrément : ceux-ci lui restaient supérieurs peut-être par un trait moral plus prononcé, par une bonhomie plus antique. […] C’est une solution de bonne nature et toute morale.

773. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite et fin.) »

Loin de là, nul, en nous faisant pénétrer dans le talent de chaque peintre, dans la nature et dans l’intention de chaque œuvre, ne nous met plus à même de les qualifier. […] « Ce n’est pas la nature qu’il faut rendre, mais l’apparence et la physionomie de la nature. […] D’ailleurs, on n’est pas plus ouvert que lui à tous les genres, ni plus sensible à toutes les natures de talents. […] ô stoïcien de l’art, qui affectez parfois plus d’impassibilité que vous n’en avez ; ne vous repentez pas d’avoir obéi un moment à la nature et d’avoir trahi cette source du cœur qui est en vous ! […] Il aime mieux voir la nature à travers un léger travestissement.

774. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Florian. (Fables illustrées.) » pp. 229-248

Il avait peu à faire pour devenir indiscret, léger, séducteur et inconstant, un peu fat en un mot ; mais sa bonne nature, aidée du patronage moral du duc de Penthièvre, contint et régla ses défauts, lors même qu’elle n’en triompha point. […] L’auteur est bien dans son élément : plus tard, dans Numa, dans Gonzalve, il visera à je ne sais quel idéal, il se guindera ; mais ici c’est bien Florianet au complet, tel que l’a baptisé Voltaire et que l’a adopté le duc de Penthièvre, c’est lui dans tout le vrai et dans tout le vif de sa nature. […] Les éloges y étaient prodigués : Buffon venait de mourir, et Florian dit que la vie de l’immortel écrivain serait comptée au nombre des époques de la nature, ce qui parut pourtant un peu excessif. […] En composant Estelle et Galatée, il était sincère encore et il obéissait sans doute à une inclination de sa nature languedocienne ; mais il en supprimait toute une moitié non moins essentielle, et il ne se montrait qu’à demi. […] Lacretelle, dans ses Dix années d’épreuves, nous a raconté plus d’un trait qui témoigne de l’effroi que commençait à ressentir Florian, et de l’altération qui en résultait dans sa nature, jusque-là si sociable et si expansive.

775. (1824) Discours sur le romantisme pp. 3-28

La nature et l’homme sont invariables au fond ; mais ils reçoivent, des climats ou des siècles divers, quelques changements de forme ou de costume. […] Aucun système de littérature ne peut s’attribuer exclusivement, et contester au système opposé ce principe de la double vérité du fond et de la forme, de la nature et du costume. […] Les classiques ne sont pas si peu instruits qu’on le suppose de la nature des facultés morales de l’homme, des besoins qu’elles éprouvent, et des moyens qu’on doit employer pour les satisfaire. […] Les genres ont été reconnus et fixés ; on ne peut en changer la nature, ni en augmenter le nombre : on les confond, on les accouple monstrueusement, et l’on croit en avoir créé de nouveaux. […] Peignez la nature avec vérité, mais avec choix, et sans marquer minutieusement ses moindres traits, comme cet artiste sans génie, qui trouve avec raison plus facile de tromper l’œil que de le charmer.

776. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre III : M. Maine de Biran »

Une fois la force constatée et comprise, la nature s’ouvre et les sciences entrent en révolution. […] En découvrant la nature du moi, M. de Biran a révélé la nature du tout. […] Par définition et par nature, elle suppose un moment qui la précède et où elle n’existe pas. […] Avant de chercher si loin et avec tant de peine la nature de la force et l’origine de son idée, il fallait analyser le sens du mot qui l’exprime. […] Il serait absurde qu’une loi de la nature étant donnée, cette loi fût démentie.

777. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

Sans doute la nature se moque effrontément de nous en faisant briller à nos yeux dans notre postérité le mirage d’une éternelle survivance ; mais il faut bien que la nature dupe l’humanité pour la faire collaborer à ses fins. […] Les regains de foi religieuse sont des trompe-l’œil de même nature, et notre paradoxale fin de siècle nous présente précisément ce spectacle. […] L’essence de l’originalité vraie est d’être inconsciente, de procéder de la nature et non de la volonté d’être original. […] Ils se complaisent, devant le génie comme devant la nature, dans une demi-terreur sacrée qui n’est pas sans charmes. […] Heureux ceux auxquels leur nature enthousiaste fait sentir la beauté des chefs-d’œuvre avant que la science la leur ait expliquée !

778. (1890) La vie littéraire. Deuxième série pp. -366

Il aspire à comprendre la nature dont il jouit. […] Quoi qu’en dise Fénelon, la nature n’est pas édifiante. […] D’ailleurs leurs natures ne sympathisaient point. […] c’est la nature elle-même qui enseigne le crime. […] Il est, par nature, inutile et charmant.

779. (1905) Études et portraits. Portraits d’écrivains‌ et notes d’esthétique‌. Tome I.

L’art étant une seconde nature, le créateur de cette nature-là doit agir par des procédés analogues. […] Le livre est devant vous, réellement, comme une chose de la nature. […] Il n’y a pas une nature à côté ou au-delà de la nature, un univers à côté ou au-delà de note univers. […] En nature humaine, tout ce qui est très intense est aussi très compliqué. […] Cette simplicité résulte de la conception même que l’auteur se forme de la nature.

780. (1874) Portraits contemporains : littérateurs, peintres, sculpteurs, artistes dramatiques

Il fallait être bien disgracié de la nature pour n’être pas jugé propre à faire de la chair à canon. […] Labruyère et Larochefoucauld, ces impitoyables anatomistes, ne plongent pas le scalpel plus avant dans une nature. […] On méprise et on éloigne le vulgaire ; mais s’il se le tient pour dit et ne vient pas, les plus fières natures en conçoivent des tristesses mortelles. […] M. de Laberge, résolu à ne plus rien peindre que la nature sous les yeux, recommença ses excursions et ses études. […] Jamais nature ne nous fut plus sympathique ; nous aimions chez lui l’homme autant que le peintre, et le peintre autant que l’homme.

781. (1890) Les princes de la jeune critique pp. -299

Tout être est porté à se servir des armes qu’il a reçues de la nature et M.  […] On dit même qu’ils le remercièrent et se promirent d’être à l’avenir moins prompts à corriger la nature. […] Le génie échappe aux lois de la nature ; il est tout individuel. […] On dirait qu’il les regarde comme des êtres d’une nature étrange et meilleure. […] La nature l’intéresse toutefois moins que l’humanité, ou, pour mieux dire, c’est encore l’humanité qu’il cherche ou met dans la nature.

782. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XIII : Affinités mutuelles des êtres organisés »

Mais il en est tout autrement dans la nature, car il est notoire qu’on observe très communément des habitudes différentes chez les membres du même sous-groupe. […] Pyrame de Candolle a fait des observations très analogues sur la nature générale des affinités de plusieurs familles de plantes distinctes. […] Owen, dans son intéressant ouvrage sur la Nature des Membres, a expressément reconnu l’impossibilité d’y parvenir. […] Dans des changements de cette nature, il ne saurait y avoir qu’une tendance bien faible à modifier le plan originel et aucune à en transposer les parties. […] Agassiz pense que c’est une loi générale de la nature ; mais j’avoue que j’espère seulement la voir un jour prouvée vraie dans son universalité.

783. (1903) Hommes et idées du XIXe siècle

C’est une loi de la nature qu’elle ne procède jamais par innovations brusques. […] Monter plus haut, toujours plus haut, c’est la loi et la fatalité de sa nature. […] l’homme tend à la nature une coupe aussi large et aussi vide qu’elle. […] Il reste en Italie pendant les Cent-Jours, parce qu’il y est retenu par des raisons de même nature. […] Après sa mort, cette nature hémorragique attesta encore sa puissance.

784. (1904) En lisant Nietzsche pp. 1-362

Il a bien raison ; mais il obéit encore à un des instincts antérieurs de sa nature. […] Quand aurons-nous entièrement dépouillé la nature de ses attributs divins ; ce qui revient à dire : quand aurons-nous fini d’humaniser la nature ?  […] Nous sommes dans la nature. Cette nature a ses lois, établies de Dieu, peut-être ; mais elle a ses lois. […] Tout ce qu’ils reconnaissent appartenir à leur nature, ils l’honorent.

785. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VI. De la littérature latine sous le règne d’Auguste » pp. 164-175

Ils invoquent, ils rappellent avec délices la fraîcheur de la nature, pour échapper à leur soleil dévorant ; mais les Romains demandent de plus à la campagne un abri contre la tyrannie, c’était pour se reposer des sentiments pénibles, c’était pour oublier un joug avilissant, qu’ils se retiraient loin des cités habitées. […] C’est une puissance majestueuse qui vous émeut d’autant plus en s’abandonnant aux mouvements de la nature, que vous êtes plus accoutumés à la respecter. […] On ne désire point, il est vrai, ce genre de supériorité dans l’histoire ; il faut que la nature humaine y soit représentée seulement dans son ensemble, il faut que les héros y restent grands, qu’ils paraissent tels à travers les siècles. […] Peut-on oublier d’ailleurs quel avantage prodigieux les historiens anciens ont sur les historiens modernes par la nature même des faits qu’ils racontent ?

786. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mistral, Frédéric (1830-1914) »

Homère, nous n’en avons lu aucun qui ait eu pour nous un charme plus inattendu, plus naïf, plus émané de la pure nature, que le poète villageois de Maillane — Si nous étions riche, si nous étions ministre de l’instruction publique ou si nous étions seulement membre influent d’une de ces associations qui se donnent charitablement la mission de répandre ce qu’on appelle les bons livres dans les mansardes et dans les chaumières, nous ferions imprimer à six millions d’exemplaires le petit poème épique dont nous venons de donner une si brève et si imparfaite analyse et nous l’enverrions gratuitement, par une nuée de facteurs ruraux, à toutes les portes où il y a une mère de famille, un fils, un vieillard, un enfant capable d’épeler ce catéchisme de sentiment, de poésie et de vertu, que le paysan de Maillane vient de donner à la Provence, à la France et bientôt à l’Europe. […] Quelques pièces dispersées çà et là, tantôt de belles imitations virgiliennes, tantôt des peintures directement inspirées de la nature provençale, furent ses premiers essais… Personne, disions-nous, ne regrette plus que lui la mollesse d’idées et de style qui a été si fatale au génie de ses aïeux. Il ne renonce pas à l’élégance, mais quel sentiment hardi de la réalité, quelle énergie redoutable dans ses peintures, soit qu’il chante la Belle d’août et qu’avec une grâce funèbre il associe toute la nature éplorée aux malheurs de son héroïne ; — soit que, dans l’étrange pièce intitulée : Amarum, il attaque le débauché, le secoue, le flagelle, et l’enferme, épouvanté, au fond du sépulcre infect ; — soit que, devant un épi de folle avoine, son ironie vengeresse châtie l’oisiveté insolente, toujours il y a chez lui une pensée généreuse, une imagination agreste, un langage imprégné des plus franches odeurs du terroir. […] Paul Mariéton Le plus glorieux de ces disciples de la nature, l’un des plus jeunes aussi, Frédéric Mistral, est né en 1830 d’une famille de riches paysans vivant sur leurs terres à Maillane, dans cette plaine aux larges horizons qui s’étend d’Avignon à la mer, barrée en son milieu par la chaîne bleue des Alpilles.

787. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Samuel Bailey »

Au milieu des honneurs prodigués aux recherches sur les recoins les plus cachés du monde matériel, entendrons-nous dire que l’examen exact, minutieux, pénétrant de notre nature mentale est un travail vain et superflu, sans bénéfice, sans issue qui vaille ? […] La science de l’acoustique, dit-il, est inutile pour faire de bonne musique : de même, connaître les moyens physiques ou mécaniques qui engendrent ou influencent les phénomènes psychologiques, ce n’est pas en pénétrer la nature. […] Quoique l’ensemble de ses arguments ne paraisse pas de nature à produire la conviction, il faut reconnaître qu’il a produit des faits difficiles à expliquer dans l’opinion contraire à la sienne. […] La hausse et la baisse, les fluctuations du change, les variations de l’offre et de la demande, le retour du papier chez le banquier après une émission excessive, la disparition des espèces, tous les faits de cette nature résultent de causes déterminées qui agissent avec régularité.

788. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre quatrième. L’aperception et son influence sur la liaison des idées »

Nature de l’aperception. […] II La réaction appétitive qui produit d’abord l’attention ou réaction volontaire, puis la réaction intellectuelle ou aperception, est-elle indéterminée de sa nature, ou, comme toute réaction, est-elle en rapport nécessaire avec l’action subie ? […] Il y a assurément dans ces théories, qui rappellent le progrès de Condillac à Laromiguière, une part de vérité ; mais il faut s’entendre sur la vraie nature de la force déployée dans l’attention et l’aperception. […] Il est clair que l’esprit n’est pas un miroir passif : l’être vivant fait un triage dans ses sensations suivant les convenances et les nécessités de sa nature, comme les cordes tendues vibrent seulement sous l’influence des sons qui ont avec elles des rapports harmoniques.

789. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre sixième. »

Je crois que la morale du premier Apologue aurait pu être : connaissez bien la nature du péril dans lequel vous allez vous engager. […] La nature est ainsi faite chez les tortues et chez les hommes. […] Ce défaut vient de ce qu’il est dans la nature qu’un autour mange une allouette, et qu’il n’est pas dans la nature bien ordonnée qu’un homme nuise à son semblable.

790. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre III. Suite des Époux. — Adam et Ève. »

Ni vous non plus, mystérieux ouvrages de la nature, vous n’étiez point cachés alors ; alors toute honte coupable, toute honte criminelle était inconnue. […] Il ne s’élève pas au-dessus de la nature humaine, mais au-dessus de la nature humaine corrompue ; et comme il n’y a pas d’exemple d’un pareil amour, il n’y en a point d’une pareille poésie16. » Si l’on compare les amours d’Ulysse et de Pénélope à celles d’Adam et d’Ève, on trouve que la simplicité d’Homère est plus ingénue, celle de Milton plus magnifique. […] Il faut donc toujours, dans nos tableaux, unir le bonheur à l’infortune, et faire la somme des maux un peu plus forte que celle des biens, comme dans la nature.

791. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre V. Du gouvernement de la famille, ou économie, dans les âges poétiques » pp. 174-185

De la famille composée des parents et des enfants, sans esclaves ni serviteurs Les héros sentirent, par l’instinct de la nature humaine, les deux vérités qui constituent toute la science économique, et que les Latins conservèrent dans les mots educere, educare, relatifs, l’un à l’éducation de l’âme, l’autre à celle du corps. […] Cette société dont l’utilité était le but, fut d’une nature servile. […] Corollaires relatifs aux contrats qui se font par le simple consentement des parties Les nations héroïques, ne s’occupant que des choses nécessaires à la vie, ne recueillant d’autres fruits que les productions spontanées de la nature, ignorant l’usage de la monnaie, et étant pour ainsi dire tout corps, toute matière, ne pouvaient certainement connaître les contrats qui, selon l’expression moderne, se font par le seul consentement. […] Mais à cette époque où les hommes avaient encore tout l’orgueil farouche de la liberté bestiale, cette simplicité grossière où ils se contentaient des productions spontanées de la nature pour aliments, de l’eau des fontaines pour boisson, et des cavernes pour abri pendant leur sommeil ; dans cette égalité naturelle où tous les pères étaient souverains de leur famille, on ne peut comprendre comment la fraude ou la force eussent assujéti tous les hommes à un seul.

792. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre premier »

C’est au christianisme que nous devons le bienfait de cet agrandissement de notre nature. […] Plus indépendante du corps que la sensibilité et l’imagination, elle ne souffre pas que la nature entreprenne sur ses droits. De là, dans le même homme, ce merveilleux spectacle d’un être intelligent qui sépare en lui le terrestre du divin, qui se préfère à lui-même, qui sacrifie la nature à la raison. […] Là, la nature est à peu près maîtresse, et cet équilibre de toutes les facultés, que j’admire dans nos grands écrivains, y est à chaque instant rompu. […] Je regarde d’abord sa nature, et je n’y trouve ni accent ni inversion.

793. (1863) Le réalisme épique dans le roman pp. 840-860

Ce qu’il y a de plus élevé dans la nature humaine et ce qu’il y a de plus bas, le réel et l’idéal, tout est confondu pêle-mêle. […] Nous prions le lecteur de nous pardonner une discussion de cette nature ; mais puisque de telles choses sont proposées à notre administration, il faut bien expliquer d’où viennent nos répugnances. […] Et l’on n’est pas dédommagé des tortures qu’il vous cause par la joie que pourrait faire éprouver la représentation exacte de la nature humaine, des caractères humains ; non, tout au contraire, la nature et la vérité sont absentes de ces pages. […] Il cherche la variété de la nature, et il aboutit à la monotonie du système. […] Aura-t-il l’ambition de marquer sa place parmi les peintres émus et respectueux de la grande nature humaine ?

794. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Chamfort. » pp. 539-566

Cette petite Betty, un joli échantillon de sauvage, une Atala et une Céluta en miniature, qui ne savait pas écrire et qui s’étonnait de tout ce qu’elle voyait, savait pourtant parler en vers, comprendre les métaphores de flamme et d’hyménée, et vanter à tout propos la nature comme si elle n’en était pas. […] Par exemple : La nature, en nous accablant de tant de misère et en nous donnant un attachement invincible pour la vie, semble en avoir agi avec l’homme comme un incendiaire qui mettrait le feu à notre maison, après avoir posé des sentinelles à notre porte. […] Il n’épargne pas plus les gens de lettres ses confrères qu’il n’a épargné la société et la nature : Au ton qui règne depuis dix ans dans la littérature, la célébrité littéraire me paraît une espèce de diffamation qui n’a pas encore tout à fait autant de mauvais effets que le carcan, mais cela viendra. […] « Quiconque n’est pas misanthrope à quarante ans, pensait-il, n’a jamais aimé les hommes. » Cela n’est vrai que du célibataire ; car la nature se venge d’ordinaire sur lui, s’il n’y prend garde, par des âcretés et des sécheresses, de n’avoir pas été satisfaite et obéie dans ses fins légitimes. […] Sa fin de carrière est un exemple terrible du germe de fanatisme qui peut se loger et se développer jusqu’au sein des natures les plus distinguées, les plus cultivées, et même les plus blasées en apparence.

795. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Octave Feuillet »

Il n’est pas, il ne fut jamais, il ne pourrait pas être, un grand écrivain de nature humaine, qui la prend aux entrailles et la secoue avec puissance, mais il est très bien l’écrivain d’une petite société incapable de fortes sensations. […] Sa houle donne aux natures médiocres le mal de cœur que donne la mer aux estomacs faibles. […] Seulement, fidèle à sa manière, qui tient à sa nature, l’auteur a de ces choses inappuyées qui, sous une plume plus vigoureuse que la sienne, et qui, les reprenant en sous-œuvre les foncerait, deviendraient superbes. […] » et qui se tourne en hennissant vers Paris, l’abreuvoir de toutes les soifs de son âme, — ce vis-à-vis se serait enflammé des passions des deux personnages, nature et plus grands que nature, — car il faut faire, dans les romans, plus grand que nature, contrairement aux basses théories de la littérature d’à présent ! […] Beaucoup de ceux qui lisent Feuillet ont nié la vérité, en nature féminine, de ce changement, mais, moi, je le crois d’une vérité absolue.

796. (1834) Des destinées de la poésie pp. 4-75

Créature d’élite et d’exception dont la nature n’a pas donné deux épreuves ; réunissant en elle Corinne et Mirabeau ! […] Par je ne sais quel instinct de leur nature, ils pressentaient un vengeur dans cet homme qui les charmait malgré eux. […] C’était la nature parlant par ces mille voix au cœur encore vierge de l’homme ; mais enfin c’était de la poésie. […] C’est l’incarnation de ce que l’homme a de plus intime dans le cœur, et de plus divin dans la pensée ; dans ce que la nature visible a de plus magnifique dans les images et de plus mélodieux dans les sons ! […] Cette poésie est à créer ; l’époque la demande, le peuple en a soif ; il est plus poète par l’âme que nous, car il est plus près de la nature ; mais il a besoin d’un interprète entre cette nature et lui ; c’est à nous de lui en servir, et de lui expliquer par ses sentiments rendus dans sa langue, ce que Dieu a mis de bonté, de noblesse, de générosité, de patriotisme et de piété enthousiaste dans son cœur.

797. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

Tout Paris réclama pour la vérité selon la nature humaine, contre la vérité selon les casuistes de Richelieu. […] Cette grandeur est quelquefois hors de la nature. […] Le poète reçoit ses sujets de l’histoire et de la nature humaine ; Corneille croyait qu’il doit les inventer. […] Autant vaudrait dire que la nature humaine est du droit du poète. […] Et maintenant il ne faut pas Quitter la nature d’un pas.

798. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre III. Les immoralités de la morale » pp. 81-134

Sous sa forme abstraite et systématisée, elle s’est toujours montrée incapable de remplir sa mission, par impuissance, par maladresse ou par ignorance de son but réel dont elle s’est même interdit de connaître la vraie nature. […] Il est trop évident que si une morale représente bien l’effort d’une société pour se former et se conserver, ou le résultat acquis par cet effort, ses principes et ses préceptes doivent dépendre étroitement de la nature de cette société. […] À la première, à la ruse des instincts égoïstes, toute une partie de la casuistique par où les instincts égoïstes s’efforcent de tourner la loi pour se satisfaire en ayant l’air de la respecter, et toutes les petites hypocrisies de même nature, si fréquentes dans la vie. […] L’idée du libre arbitre est admirable pour vicier les jugements moraux, en les faisant dépendre, non pas de la nature de l’être à juger, mais de l’emploi d’un pouvoir hypothétique qui ne dépend pas de cette nature, et de la résistance même à cette nature, comme si un homme pouvait résister à ses désirs et à ses idées avec quelque chose qui ne soit pas aussi son idée et son désir ! […] Par là se révèle la nature vraie de la vertu.

799. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre II. La poésie lyrique » pp. 81-134

Mais il a des dons précieux d’émotion contenue, un amour trop raisonné de la nature. […] Il ne prend point d’attitudes triomphales devant la nature. […] Sa déesse, la seule qu’elle invoque avec foi, c’est la Nature. […] elle s’écrie : “Nature !” […] Le culte de la nature mène à la sensualité la plus vive.

800. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Proudhon » pp. 29-79

Plus fait, du reste, tant sa nature était mâle ! […] Jamais les facultés de Proudhon ne se sont mues et n’ont mieux joué dans un milieu qui convînt davantage à son talent et à sa nature. […] Il alla à toute sa nature, qui était chrétienne comme elle était sensée. […] de nature, cet irréligieux, cet athée, ce matérialiste ; ce haïsseur de l’Église, car il était encore plus haïsseur de l’Église que matérialiste et athée, était chrétien. […] Il est inhérent à la nature humaine.

801. (1858) Cours familier de littérature. V « XXXe entretien. La musique de Mozart (2e partie) » pp. 361-440

On lui offre tous les honneurs et tous les bénéfices de l’Église, s’il veut entrer dans l’état ecclésiastique ; sa nature légère et libre se refuse à la gravité de cette profession. […] Laissons d’Aponte, qui ne nous révèle que des anecdotes ; prenons Scudo, qui nous révèle deux mondes superposés dans la partition de Don Juan : le monde des passions dans le poème, le monde des saintetés dans la musique ; la nature corruptrice et corrompue en bas, la nature surnaturelle et incorruptible en haut. […] Vous penseriez que ces deux arts sortent des conditions propres que la nature leur a assignées, pour produire plus d’effets peut-être ; mais quels effets ! […] Il y a de l’adultère entre un art et un autre art : leur vraie nature leur interdit certaines unions, sous peine de se diminuer en croyant se grandir. L’antiquité le savait : la Grèce, qui avait tout inventé, n’avait pas inventé ces associations contre nature.

802. (1862) Notices des œuvres de Shakespeare

Il a voulu que le caractère instinctif de son héros relevât en quelque sorte la nature humaine des méfiances et des anathèmes dont sa mélancolie philosophique l’accablait. […] « C’est ici surtout, dit Warburton, que la sublime et merveilleuse imagination de Shakespeare s’élève au-dessus de la nature sans abandonner la raison, ou plutôt entraîne avec elle la nature par-delà ses limites convenues. » Tout est à la fois, dans ce tableau, fantastique et vrai. […] Ce génie vaste et vrai veut être mesuré sur une échelle plus large ; c’est à la nature, c’est au monde qu’il faut comparer Shakespeare : et, dans chaque cas particulier, c’est entre la portion du monde et de la nature qu’il a dessein de représenter et le tableau qu’il en fait, que se doit établir la comparaison. […] Je n’aime pas moins l’homme, mais j’aime davantage la nature. […] Hotspur n’est plus là pour donner à ces faits une vie qui leur appartienne, et l’horrible trahison de Westmoreland n’est pas de nature à fonder un intérêt dramatique.

803. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VII. Suite du précédent. — Paul et Virginie. »

Les périodes de leur vie se réglaient sur celles de la nature. […] Bernardin de Saint-Pierre, qui, dans ses Études de la Nature, cherche à justifier les voies de Dieu et à prouver la beauté de la religion, a dû nourrir son génie de la lecture des livres saints. […] On nous fera peut-être une objection : on dira que ce n’est pas le charme emprunté des livres saints qui donne à Bernardin de Saint-Pierre la supériorité sur Théocrite, mais son talent pour peindre la nature.

804. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Vernet » pp. 227-230

Alors toute la nature sortant comme du chaos, s’éclaire d’une manière enchanteresse, et reprend tous ses charmes. […] Il a volé à la nature son secret : tout ce qu’elle produit, il peut le répéter. […] Regardez le Port de La Rochelle avec une lunette qui embrasse le champ du tableau, et qui exclut la bordure ; et oubliant tout à coup que vous examinez un morceau de peinture, vous vous écrierez, comme si vous étiez placé au haut d’une montagne, spectateur de la nature même : Ô le beau point de vue !

805. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre I. De la sagesse philosophique que l’on a attribuée à Homère » pp. 252-257

Ses caractères les plus sublimes choquent en tout les idées d’un âge civilisé, mais ils sont pleins de convenance, si on les rapporte à la nature héroïque des hommes passionnés et irritables qu’il a voulu peindre. […] Scaliger s’indigne de voir toutes ces comparaisons tirées des objets les plus sauvages, de la nature la plus farouche. […] Ces mœurs sauvages et grossières, fières et farouches, ces caractères déraisonnables et déraisonnablement obstinés, quoique souvent d’une mobilité et d’une légèreté puériles, ne pouvaient appartenir, comme nous l’avons démontré (livre II, Corollaires de la nature héroïque), qu’à des hommes faibles d’esprit comme des enfants, doués d’une imagination vive comme celle des femmes, emportés dans leurs passions comme les jeunes gens les plus violents.

806. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome I pp. 1-402

La nature de son génie l’appelait-elle à l’accomplissement de cette tâche difficile ? […] Comme le poète écossais, Béranger s’est toujours tenu près de la nature ; c’est à la nature, et non aux livres, qu’il a demandé ses inspirations. […] Les natures vraiment riches, vraiment fécondes, ne peuvent se dérober à l’amour. […] De quelle nature était cette autorité ? […] La nature de la pensée n’étant pas la même, comment la forme serait-elle pareille ?

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