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686. (1767) Salon de 1767 « De la manière » pp. 336-339

De la manière Sujet difficile, trop difficile peut-être, pour celui qui n’en sait pas plus que moi ; matière à réflexions fines et profondes, qui demande une grande étendue de connaissances, et surtout une liberté d’esprit que je n’ai pas.

687. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Wallon »

Fidèle aux traditions qui la gouvernent, cette maison, historique elle-même, a voulu que le plus beau sujet historique qu’il y eût dans l’histoire de France fût traité avec une magistralité si grandiose et un ensemble si complet qu’après ce livre il n’y eût plus à revenir sur ce sujet, et que la matière en fût épuisée.

688. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre III. Trois espèces de jurisprudences, d’autorités, de raisons ; corollaires relatifs à la politique et au droit des Romains » pp. 299-308

L’équité civile soumettait naturellement toute chose à cette loi, reine de toutes les autres, que Cicéron exprime avec une gravité digne de la matière : la loi suprême c’est le salut du peuple , suprema lex populi salus esto .

689. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la liberté de l’enseignement »

Me plaçant, messieurs, à un point de vue qui n’est peut-être celui d’aucun d’entre vous, pour parler de ces choses qui intéressent à quelque degré les croyances, je voudrais que vous me permissiez d’exposer brièvement mon principe en telle matière : non que j’espère vous le faire accepter, mais au moins pour vous montrer que je ne parle point à la légère devant une aussi grave assemblée, ni sans y avoir mûrement réfléchi. […] C’est une maxime gouvernementale. — Oui, mais dans des matières aussi indépendantes et aussi distinctes de la religion, l’enseignement, s’il ne doit pas être irréligieux, ne doit pas être religieux non plus (ce qui n’aurait aucun sens) : il doit être strictement scientifique. […] Tout ce qui, en matière d’éducation de femmes, n’est pas dans la main du clergé, a son anathème.

690. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « III »

Ce poème, connu aussi sous le nom de Lohengrin, termine en quelque sorte le cycle du Saint-Gral : de plus, il relie la « matière de Bretagne » à la « matière de France » pour parler comme nos trouvères, par le lieu où se passe l’aventure et les versions diverses qui l’ont rattachée dans la suite au cycle de Charlemagne. […] Francis Nantet, le signataire de l’article, a découvert que « l’orchestre joue une fugue en matière d’introduction » au premier acte.

691. (1856) La critique et les critiques en France au XIXe siècle pp. 1-54

C’est néanmoins au xixe  siècle, c’est depuis trente années surtout, que par son alliance avec l’histoire, la philosophie, l’éloquence, par la grandeur et l’universalité de ses travaux, par le sentiment d’artiste dont elle a su animer ses appréciations et son style, la critique a mérité de prendre place parmi les genres littéraires les plus importants, les plus goûtés, et d’être à son tour l’objet d’une étude sérieuse, la matière d’une nouvelle critique. […] Un écrivain allemand, fort compétent dans cette matière, Wendt, formulait ainsi en 1818 les questions que l’esthétique laissait encore à résoudre, après les travaux si nombreux de ses compatriotes. […] Une des matières les plus neuves de l’enseignement, celle que semblait appeler le mouvement littéraire de l’époque, c’était la question du beau et de l’art.

692. (1903) Propos de théâtre. Première série

Comment elle acheva de se faire, ce sera la matière du second volume que M.  […] Comme il arrive toujours en pareille matière, démodée dans la tragédie, elle se réfugie dans la comédie. […] Il offre la matière d’une étude curieuse pour le psychologue et l’historien du cœur humain. […] C’est le fond qui manquera le moins, et tout peut être matière à procès. […] Voilà la matière même de la caricature ou de la comédie bouffe.

693. (1901) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Deuxième série

Votre succès a été nul ; car en pareille matière les chiffres sont tout, et, treize mois après la mise en vente, les restes lourds d’une édition rondement tirée à mille exemplaires pèsent encore sur les rayons de la librairie H…. […] Mon espoir obstiné se fonde sur ce que j’élabore, avec autant de soin et d’amour qu’un romancier ferait son roman le plus cher, une matière intéressante pour d’autres que pour moi. […] Non, rien ; j’estime qu’en cette matière le public n’est pas plus sensible qu’une souche. […] Le scepticisme, qui en pareille matière est la sagesse, ira même jusqu’à nous persuader peu à peu que les usurpateurs sont princes légitimes, en nous faisant découvrir mille belles choses dans les platitudes consacrées. […] Les faits et les lois, « rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses », demeurent ; ils subsistent par eux-mêmes ; ils sont effectivement ou théoriquement vérifiables, et c’est la matière solide des sciences.

694. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Première série

J’avoue que l’Éthique de Spinoza se mettrait difficilement en vers ; mais l’idée que l’Éthique nous donne du monde et la disposition morale où elle nous laisse sont certainement matière à poésie. […] Je n’ai pas besoin d’indiquer tout ce qu’il est permis d’y opposer, encore qu’en ces matières tout soit à peu près également probable et également indémontrable. […] Brunetière sur Madame Bovary : « Tout conspire pour achever, je ne veux pas dire la beauté, mais la perfection de l’œuvre. » On ne saurait avouer plus clairement qu’on fait dépendre la beauté, non de l’art même, qualité de la matière où il s’applique, ou tout au moins que cette qualité de la matière, si elle ne constitue pas à elle seule la beauté, en est une condition absolue. […] Il est visible qu’il y a des livres qui ne sont pas matière de critique, des livres non avenus (et le nombre des éditions n’y fait rien). […] Cela emporte une idée d’excellence ; cela implique aussi la clarté, la sobriété, l’art de la composition ; cela veut dire enfin que la raison, avant l’imagination et la sensibilité, préside à l’exécution de l’œuvre et que l’écrivain domine sa matière.

695. (1890) Causeries littéraires (1872-1888)

Quand Victor Hugo trouve une de ces matières-là, il l’exploite à outrance. […] Tel est mon vœu : un peu d’esprit dans cette matière, une âme à ces corps. […] Peu de matière et beaucoup d’art, telle était la devise des anciens. […] Ce n’est pas lui qui rampera dans la fange ; il dédaigne la terre et a un mépris souverain pour la matière. […] Dans ses plus longues expansions, vous ne trouverez jamais un tableau ni même un croquis de la nature : la nature, c’est de la matière, de la vile matière, et tout ce qui est matière est indigne de son spiritualisme.

696. (1903) Hommes et idées du XIXe siècle

C’est une matière toute neuve jetée dans la circulation et qu’il reste à mettre en forme. […] Pour le poète romantique l’acteur n’est que son porte-parole, la situation n’est que la matière sur laquelle sa verve s’exercera. […] Voilà justement la matière de la psychologie collective. […] La préface n’est pas seulement d’un absolutiste en matière religieuse : elle est d’un tortionnaire. […] Toute émotion, pourvu qu’elle ait été ressentie et quelle qu’en soit d’ailleurs la nature, mérite d’être traduite et devient matière d’art.

697. (1920) Action, n° 2, mars 1920

Tant que leur vie n’est pas asservie à la matière, les jeunes femmes sont les meilleures lectrices des poètes et leurs plus douces amies. […] Il en résulte que la matière du théâtre moderne est tragique et que les œuvres, bien loin d’être des tragédies, ne sont même pas des comédies : ce sont des pièces, comme on dit, et le tragique n’est, tout au plus que l’ennuyeux ; car elles sont sérieuses à crever, l’auteur y bourrant de sciure sentimentale l’enveloppe du fait divers le plus vulgaire. […] Dans Molière, la matière est de comédie sans doute ; mais les passions pourraient être tragiques, si le poète ne les rendait pas décidément ridicules. Shakespeare est aux antipodes du théâtre moderne : tout est tragique chez lui, la matière et les héros, parce que tout est passion. […] Dix années se sont passées, et nous assistons aujourd’hui à l’éclosion d’une grande renaissance moderne, qu’en matière d’art on a baptisée « Expressionisme ».

698. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

On oubliera que l’histoire, dont les faits sont la matière, exclut les ornements qui embellissent la Poésie, dont l’essence est la fiction. […] Ce manque de proportion est l’indice qu’il n’eut pas de plan fixe, et qu’une juste ordonnance des matières n’était pas antérieurement dans sa tête. […] Ceci nous fournira matière à d’utiles observations. […] Il est une foule d’hommes, d’un mérite particulier, qui n’ont pas appliqué leur attention à ces matières : elles exigent une longue habitude de les connaître pour les bien goûter. […] La comédie latine peut seule fournir matière à l’étude des principes qui se rapportent à son genre.

699. (1905) Études et portraits. Sociologie et littérature. Tome 3.

La revendication de cette autonomie fait la matière de son livre, mais c’est une revendication justifiée, et M.  […] Un peu étranger à la matière même du livre de M.  […] Il ne voit pas dans cette conversion une matière à réfléchir sur ses propres doctrines, une énigme mentale à résoudre. […] Sainte-Beuve a vécu, parce qu’il a renoncé à faire de la maladie sentimentale et morale la matière unique de son œuvre.‌ […] Ce même discours de d’Arthez vous donne le secret de ces brusques entrées en matière qui ouvrent d’autres romans : Une Ténébreuse.

700. (1914) Une année de critique

Éloi considère le monde, ses amis, ses parents, ses enfants, sa femme et lui-même, comme matière à copie. […] C’est là matière délicate où l’on s’entend à demi-mot, et sur quoi l’on ne saurait insister sans offenser gravement la pudeur sentimentale. […] Mais les Jacobins n’ont pas ces ressources, et les rêves de leur cerveau, c’est dans la matière vivante qu’ils vont les réaliser ! […] Dans le domaine de la matière, elle permet de comprendre en quoi consiste l’esprit scientifique ; portée dans le domaine de l’esprit et de l’art, elle fournit la définition du classicisme. […] La statue de marbre parle et dit à l’apprenti : « Ne t’avise pas d’ajouter un atome à la matière dont je suis faite.

701. (1730) Des Tropes ou des Diférens sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue. Traité des tropes pp. 1-286

auro est pris pour la coupe, c’est la matière pour la chose qui en est faite, nous parlerons bientot de cette espèce de figure, ensuite la coupe est prise pour le vin. […] matéria, matière, se dit dans le sens propre de la substance étendue considérée come principe de tous les corps ; ensuite on a apelé matière, par imitation et par métaphore, ce qui est le sujet, l’argument, le thème d’un discours, d’un poème, ou de quelqu’autre ouvrage d’esprit. (…). […] Sont des lieux comuns, c’est-à-dire, que ce sont come autant de célules où tout le monde peut aler prendre, pour ainsi dire, la matière d’un discours, et des argumens sur toutes sortes de sujets. […] Le terme de matière générale n’est qu’une idée abstraite qui n’exprime rien de réel, c’est-à-dire, rien qui existe hors de notre imagination. […] C’est ce qui va faire la matière de cette troisième partie.

702. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre IV. La philosophie et l’histoire. Carlyle. »

Par elle, ils ont retrouvé ou renouvelé le sens des dogmes, relié Dieu au monde, l’homme à la nature, l’esprit à la matière, aperçu l’enchaînement successif et la nécessité originelle des formes dont l’ensemble est l’univers. […] Aujourd’hui les coulées inertes jonchent la terre ; leur poids rebute les mains qui les touchent ; si on veut les ployer à quelque usage, elles résistent ou cassent : telles que les voilà, elles ne peuvent servir ; et cependant telles que les voilà, elles sont la matière de tout outil et l’instrument de toute œuvre ; c’est à nous de les refondre. […] Et pourtant ce vêtement est tissé dans le ciel et digne de Dieu1426. » — « Car la matière est esprit, manifestation de l’esprit. […] La matière n’existe que spirituellement, pour représenter quelque idée et l’incarner extérieurement. […] Les lois de Dieu sont transformées en principes du plus grand bonheur possible, en expédients parlementaires ; le ciel ne dresse sa coupole au-dessus de nous que pour nous fournir une horloge astronomique, un but aux télescopes d’Herschel, une matière à formules, un prétexte à sentimentalités.

703. (1899) La parade littéraire (articles de La Plume, 1898-1899) pp. 300-117

« La personnalité de Dieu, au lieu de garder sa forme primitive, synthétisée, s’est au contraire disséminée ; elle anime désormais les fibres les plus obscures de la matière, et la moindre parcelle du monde nous apparaît toute tressaillante du sang divin », disait en substance l’auteur de Chair dans un récent discours sur le Naturisme, prononcé à Bruxelles, au palais des Académies. […] Quand un sourire de toi entre en moi, Marthe, la chair même de tes lèvres, leur lourdeur, leur épaisseur, se creuse dans ma chair et s’y loge, de sorte que j’ai en moi, réellement, tes lèvres qui sourient, leur peau, leur matière et leur sang… De tels passages, d’une si adorable perfection d’expression, ne sont pas rares chez M.  […] Il y a encore bien des matières dans le livre si substantiel de M.  […] C’est un art, enfin, qui trouve dans la réalité et dans la vie mille fois plus de beauté que dans la fiction, et dans le rêve, mille fois plus d’éclat, de variété, d’unité d’harmonie, de grandeur, de méthode, de fantaisie, de noblesse, et pour lequel il n’y a pas de sujets nobles ou ignobles, dignes ou indignes, mais seulement des artistes dignes ou indignes de les créer. » Et aux Watts, aux Burne Jones, aux Tadema, à tous ces artistes pâles et dépérissants, il oppose les Monet, les Cézanne, l’Allemand Böckline, le Norvégienf Thaulow, le Hollandais Van Gogh, ces peintres d’inspiration panthéistes qui ont fait chanter avec de nouvelles notes les riches poudroiements de la matière en fête. […] Stéphane Mallarmé, l’intelligence doit donc être agissante, elle doit s’efforcer de faire vibrer la matière verbale, tandis que pour les autres poètes, c’est cette matière verbale et la puissance lyrique qui provoquent précisément, chez celui qui écoute, le jeu des émotions et les mouvements de l’âme.

704. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — III » pp. 81-102

Il serait pénible de discuter le degré des torts de Villars sur une matière aussi délicate que celle des deniers provenant des contributions forcées, et il serait certainement difficile de le justifier. […] Il était très bon connaisseur en telle matière, et savait à quoi l’on pouvait appliquer chacun, et aussi que chacun n’est pas toujours le même ; il a de curieuses paroles à ce sujet, et qui montrent qu’il y a un moraliste caché intérieur dans tous les chefs qui ont le don du commandement : Ce que je connais tous les jours dans la pratique des hommes, écrit-il à Chamillart, c’est que l’on ne les connaît point.

705. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Œuvres de Louise Labé, la Belle Cordière. »

Quoi qu’il en soit, et en ne portant en ces agréables matières que le degré de sévérité qui est de mise, je vais noter quantité de noms de poètes qui, sans l’enrichir toujours, sont venus augmenter et grossir le catalogue des étoiles déjà en vue. […] Boulmier, qui est solide et même ferré sur ces matières du xvie  siècle, avait annoncé, de plus, le dessein de réhabiliter Salmon Macrin, un poète latin dans le genre lyrique, contemporain et ami de Du Bellay, de Ronsard et autres novateurs, et il semblait se réserver de lui découvrir une certaine influence occulte, et non encore reconnue, sur le développement de la poésie française ; je ne vois pas qu’il ait mis jusqu’ici à exécution ce projet et cette promesse qu’il avait jetée d’un air de défi ou de paradoxe.

706. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. »

Il fut un temps où, sous prétexte que l’esprit est au premier rang et que la matière ne vient qu’après, bien après, un homme qui lisait dans les livres et qui en faisait avait assez en dédain les artisans, si habiles qu’ils fassent : il se mettait sans façon au premier rang et dans une autre classe, naturellement supérieure. […] Il ajoutait même que, s’il s’était engagé dans une telle entreprise dont d’autres que lui auraient pu mieux s’acquitter pour la partie littéraire, c’était uniquement en raison de la connaissance particulière qu’il avait de ces matières d’art, à la différence des orateurs « qui font souvent, disait-il, de grandes incongruités quand ils en parlent, et presque toujours à proportion de leur éloquence et de leur grande habileté en autre chose. » La publication de Perrault, si conforme à l’esprit moderne, ne fit pas tomber d’un seul coup et comme par enchantement les barrières ; elle ne faisait que montrer la voie : si le divorce avait cessé, la séparation durait encore.

707. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.) »

Je n’ai pu éviter ce coup ; les raisons seraient longues à t’en déduire ; tu peux compter que ma conduite n’est exposée qu’aux mauvais discours des gens qui ne connaissent point la nature de cette guerre ; c’est une ample matière à en tenir. […] Les discours à Paris ne tarissaient pas ; d’honnêtes gens blâmaient sans rien y entendre ; M. de Pomponne, parent de Feuquières, parlait plus qu’il n’était séant à un homme si sage et si ignorant de la matière.

708. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France. »

Cette publication ajoute à toutes celles qui ont paru dans les dernières années, tant en Allemagne qu’en France, et qui semblaient avoir épuisé la matière : elle nous présente l’illustre guerrier sous un aspect presque nouveau, et elle complète en un sens les remarquables travaux de M. de Weber et de M.  […] Il dénonce le complet changement de système et de balance qui va se faire en Europe : « Ceux qui seront les plus habiles en profiteront. » Il supplie le roi son frère de ne rien précipiter en matière d’alliances, de ne pas se lier les mains : il est mis, par le maréchal de Belle-Isle, dans le secret des expéditions qui vont se tenter au cœur de l’Allemagne ; il doit servir dans cette armée même, mais sous condition, car s’il arrivait que le roi son frère prit des engagements contre la France, il ne serait « ni décent ni honnête » qu’il fût à la guerre de ce côté.

709. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [II] »

Le traité avec la Prusse ne se confirmait pas et fournissait matière à de nouveaux conflits. […] On pense bien qu’en pareille matière je ne me mêle pas de dogmatiser pour mon compte ni en mon nom.

710. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine »

Le plus haut type, parmi ceux qui ont produit leur pensée sur ces matières divines, est assurément Dante, comme le plus édifiant parmi ceux qui ont agi d’après les divines prescriptions est saint Vincent de Paul. […] En même temps que la matière et le fond ont augmenté chez Lamartine, le style et le nombre ont suivi sans peine et se sont tenus au niveau.

711. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DE BARANTE. » pp. 31-61

Celui qui la professa le premier et avec le plus d’autorité, le maître des théories en cette matière, M. […] Impuissant que je suis à apporter mon tribut en telle matière et à payer un hommage tout à fait compétent à l’auteur, soit par une approbation approfondie, soit même sur quelques points par une contradiction motivée, je veux du moins signaler, à propos de cette héroïque destinée de Charles le Téméraire, quelques renseignements peu connus, quelques vues neuves que j’emprunterai aux recherches d’un savant étranger, non point étranger par la langue.

712. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Le comte de Ségur »

Il était grand questionneur, se piquant fort d’érudition, surtout en matière ecclésiastique. […] Je ne sais qui a dit de Nicole qu’il réussissait particulièrement dans les sujets moyens qui ne fourniraient pas tout à fait la matière d’un sermon.

713. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIIe entretien. Fénelon, (suite) »

Bourdaloue, orateur célèbre et vénéré de la chaire, consulté sur ces doctrines, répondit avec la même austérité. « Le silence sur ces matières, dit-il dans sa lettre, est le meilleur gardien de la paix. […] Il s’agit de la sûreté de la foi ; Bossuet en sait plus dans cette matière que vous et moi. » Madame de Maintenon affligée, mais d’autant plus inexorable qu’elle avait été plus complice, refusa de recevoir Fénelon.

714. (1892) Boileau « Chapitre II. La poésie de Boileau » pp. 44-72

Les impressions qu’il retirait des courtes et rares visites qu’il lui faisait, ne se reliaient pas suffisamment à ses idées : ces jouissances ne fournissaient rien à sa raison, et n’avaient pas de valeur intellectuelle ; aussi les goûtait-il sans en faire la matière d’un discours. […] Car d’abord, la matière échauffe sa verve : tout ce qu’il était capable de concevoir d’émotion, se ramasse et se dépense sur ces sujets.

715. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre V. Le roman »

Toute l’émotion est dans la matière : et pour preuve, qu’on relise les plus ordinaires correspondances des journaux de 1870, on sera tout aussi douloureusement empoigné. […] Or tant par l’une que par l’autre de ces deux œuvres, ils indiquaient trois caractères du naturalisme : d’abord l’usage du document, de la note prise au vol dans les rencontres de la vie ; traduisons : la substitution du reportage à la psychologie ; en second lieu, la superstition ou la prétention scientifique, la fréquentation de la clinique, l’étude de l’hystérie ici, là de la maladie de cœur, donc la substitution de la pathologie à la psychologie ; enfin, dans Germinie Lacerteux, le principe si contestable que les faits vulgaires et les milieux populaires sont le propre domaine de l’art réaliste, qu’il y a plus de réalité dans l’œuvre quand il y a plus de grossièreté dans la matière.

716. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IX. La littérature et le droit » pp. 231-249

Si l’on essayait de déterminer dans quel ordre s’est opéré l’affranchissement des diverses matières qui peuvent faire l’objet des livres, on verrait que la littérature pure, celle qui borne ses visées à plaire et à divertir, qui par conséquent ne heurte aucun intérêt grave et ne peut guère commettre d’autre méfait que d’ennuyer, a la première, comme il est naturel, obtenu sa place au soleil ; que la science, grande redresseuse de préjugés et par là suspecte, mais protégée contre les défiances du pouvoir par sa sereine impassibilité comme par les formules mystérieuses dont elle est d’abord enveloppée, a eu déjà plus de peine à se dérober au contrôle des gouvernants excités contre elle par l’Eglise ; que les écrits philosophiques et religieux ou antireligieux, malgré de nombreux retours offensifs de la même Eglise, ont su ensuite se libérer de la surveillance officielle ; enfin que l’histoire, les mémoires, et surtout les ouvrages traitant de questions politiques et sociales, exprimant de la sorte des idées pouvant du jour au lendemain se transformer en actes et troubler l’ordre établi, ont été les derniers à conquérir la faculté de paraître sans encombre. […] Comme en pareil cas, les sujets politiques et religieux sont d’ordinaire ceux qu’on lui interdit (on l’a vu sous le premier Empire et sous le second), le livre reprend faveur, parce qu’il est seul admis à traiter certaines questions graves, et le journal pour remplir ses colonnes recourt à cette causerie sur les faits du jour qu’on nomme la chronique, au récit des crimes et des accidents, aux commérages de salon ou de coulisses, aux descriptions de cérémonies, aux feuilletons ; il se fait de la sorte plus littéraire, à condition de se maintenir dans ce que des mécontents ont baptisé dédaigneusement « la littérature facile » ; ou encore il invente, pour toucher aux matières brûlantes, une série d’allusions, de périphrases, de réticences, de malices sournoises qui passent, comme des pointes d’aiguille, à travers les mailles du réseau où la loi s’efforce de l’emprisonner.

717. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre IV, Eschyle. »

Il la transforma corps et âme, esprit et matière. […] Au-dessus de cette matière de divinités informes, pesaient, comme pour les empêcher d’éclore, des Puissances aveugles, immémoriales, engourdies, à demi plongées dans le trouble des éléments et l’ombre des causes.

718. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

La matière et les pièces de la correspondance sont désormais entièrement sous nos yeux. […] Jamais les fautes n’ont été mieux montrées à l’avance, jamais situation présente n’a été mieux décrite, définie, approfondie, jamais remède n’a été mieux indiqué, autant qu’en pareille matière on peut appeler remède ce qui n’a pas été mis à l’épreuve de l’exécution.

719. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « L’abbé Maury. Essai sur l’éloquence de la chaire. (Collection Lefèvre.) » pp. 263-286

Tous ces jugements, ébauchés par lui dès 1772 et 1777, tout à fait neufs alors et originaux, développés depuis et mis en complète lumière dans les dernières éditions de l’Essai sur l’éloquence de la chaire, font loi et règlent désormais cette matière littéraire et sacrée. […] En général, c’est cette justesse, cette solidité, qui me frappent chez Maury, dans une matière qu’il possède à fond.

720. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

En général, il y a dans Rivarol le commencement et la matière de bien des hommes que nous avons vus depuis se développer et grandir sous d’autres noms. […] Il les montre possédés d’une manie d’analyse qui ne s’arrête et ne recule devant rien, qui porte en toute matière sociale les dissolvants et la décomposition : Dans la physique, ils n’ont trouvé que des objections contre l’Auteur de la nature ; dans la métaphysique, que doute et subtilités ; la morale et la logique ne leur ont fourni que des déclamations contre l’ordre politique, contre les idées religieuses et contre les lois de la propriété ; ils n’ont pas aspiré à moins qu’à la reconstruction du tout, par la révolte contre tout ; et, sans songer qu’ils étaient eux-mêmes dans le monde, ils ont renversé les colonnes du monde… Que dire d’un architecte qui, chargé d’élever un édifice, briserait les pierres, pour y trouver des sels, de l’air et une base terreuse, et qui nous offrirait ainsi une analyse au lieu d’une maison ?

721. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — II. (Suite.) » pp. 23-46

Son imagination, en ces matières, lui faisait tableau, et il était incapable par lui-même de ces lentes économies de détail qui seules assurent le succès des grandes entreprises particulières. […] Ce serait aujourd’hui la matière d’un chapitre assez piquant par le contraste, et qu’on pourrait intituler : « Comment il faut s’y prendre quand on veut mai faire un coup d’État.

722. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre premier. La solidarité sociale, principe de l’émotion esthétique la plus complexe »

Le caractère esthétique des sensations, en effet, nous paraît dépendre beaucoup moins de leur origine et, pour ainsi dire, de leur matière que de la forme et du développement qu’elles prennent dans la conscience, des associations et combinaisons de toute sorte auxquelles elles donnent lieu : elles sont comme ces plantes qui vivent moins par leurs racines que par leurs feuilles. […] Sully-Prudhomme remarque avec justesse que la beauté architecturale ne va pas sans un certain allégement de la matière ; le laid, en architecture, c’est au contraire ce qui est écrasé, lourd, ce qui est tout ensemble inorganisé et inerte.

723. (1694) Des ouvrages de l’esprit

La vie des héros a enrichi l’histoire, et l’histoire a embelli les actions des héros : ainsi je ne sais qui sont plus redevables, ou ceux qui ont écrit l’histoire, à ceux qui leur en ont fourni une si noble matière, ou ces grands hommes à leurs historiens. […] L’on n’écrit que pour être entendu ; mais il faut du moins en écrivant faire entendre de belles choses : l’on doit avoir une diction pure, et user de termes qui soient propres, il est vrai ; mais il faut que ces termes si propres expriment des pensées nobles, vives, solides, et qui renferment un très beau sens ; c’est faire de la pureté et de la clarté du discours un mauvais usage que de les faire servir à une matière aride, infructueuse, qui est sans sel, sans utilité, sans nouveauté : que sert aux lecteurs de comprendre aisément et sans peine des choses frivoles et puériles, quelquefois fades et communes, et d’être moins incertains de la pensée d’un auteur, qu’ennuyés de son ouvrage.

724. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Première partie. Écoles et manifestes » pp. 13-41

Oui, comme cet art nous paraît suranné alors que les plus jeunes hommes tendent à se passionner pour des Édens charnels, quand la matière divinisée semble reconquérir des croyants et à l’aube, semble-t-il, d’une renaissance païenne. […] Leur désir a été d’exprimer immédiatement l’inexprimable, si j’ose dire, de fondre leur âme avec la conscience universelle afin de noter, par une sorte d’auscultation intellectuelle, jusqu’aux pulsations de la matière, jusqu’à la respiration du monde. » Tancrède de Visan, Paysages Introspectifs, in-8º, 1904.

725. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution française »

Mais, en matière d’histoire, que peut-on dire, si ce n’est l’histoire même ? […] Mais, pour Cassagnac, pour cet esprit net et décidé qui érige de la clarté en métaphysique comme en toute matière intellectuelle, la Révolution, à part des révolutionnaires, la Révolution, idée pure s’élançant du sein des faits les plus impurs, était une abstraction panthéistique, une chose inconcevable et impossible, une chimère.

726. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pommier. L’Enfer, — Colifichets. Jeux de rimes. »

Pour nous, ce que nous avons voulu chercher et indiquer sous ces poésies éclatantes, solides, toutes semblables à de la sculpture dans un métal incandescent, c’est le poète plus haut que la matière qu’il touche d’une main si puissante ; le poète, avant tout, spirituel ! […] Un pas de plus dans le sens de cette poésie, qui est l’extrémité du rayon dont l’âme est le centre ; un pas de plus vers la circonférence des choses, et on trouverait la matière sèche, — sourde-muette inféconde, — la chinoiserie ; et le vers oubliant bientôt sa profonde destinée d’harmonie, ne demanderait plus sa mesure à l’oreille, mais aux yeux !

727. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIV. »

Cet emprunt à la matière qu’affecte ici le poëte, pour nous éblouir des effets éclatants de son art, peut en être un symbole visible, mais n’en exprime pas toute la grandeur et la grâce parfois naïve. […] « Jamais, s’écrie-t-il, je n’ai senti comme aujourd’hui mon abandon, ma solitude, mon lamentable manque d’amour. » Un art plus heureux du poëte, c’est de ne point s’arrêter aux seules grandeurs de la matière, tout étonnantes qu’elles soient, mais de remonter à la pensée divine.

728. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

Chez eux, l’écrivain fut supérieur aux écrits : l’étude de l’homme présente plus d’intérêt et donne des résultats plus féconds que l’étude du livre ; autant qu’on peut sans trop d’audace prophétiser en pareille matière, leur nom surnagera dans l’histoire, alors que le titre d’aucun de leurs ouvrages n’échappera à l’indifférence prochaine. […] En cet abîme, la vie, l’action, la nature, la matière, la pensée, la mort ne sont que la succession infinie des apparences, des formes irréelles, des songes chimériques, des idées ; l’homme qui sent, qui souffre, qui médite, qui espère, qui travaille, émerge un instant de rien pour retourner à rien, et se résume en un rêve engendrant d’autres rêves. […] Ceci vaudrait peut-être la peine d’un développement, si l’on y avait déjà trouvé la matière, de discussions à tel point nombreuses, qu’on éprouve quelque embarras à renouveler encore les mêmes arguments et à rouvrir un débat épuisé. […] Si tous les règlements, — quels qu’ils soient, impératifs ou restrictifs, — ne doivent produire en matière d’art que des résultats néfastes, était-il nécessaire d’en ressusciter d’anciens et d’en promulguer de nouveaux ? […] Surtout en matière d’art, la valeur intrinsèque d’un système ne se mesure pas à la valeur des ouvrages qui en paraissent issus, et s’il est fondé sur des bases douteuses, mal équilibré et mal déduit, le nombre ou l’autorité des citations ne changeraient pas en qualités ces imprescriptibles défauts.

729. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Note »

Rentré chez moi, je fis un choix de mes pièces de vers et les envoyai à Victor Hugo, ce que je n’avais osé jusqu’alors avec personne ; car je sentais bien que mes maîtres du Globe, vraiment maîtres en fait d’histoire ou de philosophie, ne l’étaient point du tout en matière d’élégie.

730. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « AUGUSTE BARBIER, Il Pianto, poëme, 2e édition » pp. 235-242

On voit donc que ce n’était pas chez nous une matière banale, un sujet usé à traiter que l’Italie.

731. (1874) Premiers lundis. Tome I « Tacite »

On nous permettra donc de revenir un peu longuement sur une opinion si pleine d’autorité en pareille matière, d’autant plus, selon nous, que, bien comprise, modifiée en quelques points et réduite à ses vrais termes, elle nous semble fort recevable, sans que, pour cela, il en résulte rien de fâcheux pour les prétentions des traducteurs vulgaires, et encore moins pour l’honneur des traducteurs éminents comme M. 

732. (1874) Premiers lundis. Tome I « Walter Scott : Vie de Napoléon Bonaparte — II »

Sir Walter Scott, qui d’ailleurs est très-fort en antiquités grecques et romaines, et qui compare Pie VI armant contre Bonaparte au vieux Priam lançant un javelot contre Pyrrhus, a l’air très-jaloux de démontrer cette ignorance de nos soldats et de nos chefs en matière d’érudition ou de beaux-arts ; et il ne tient pas à lui que nous ne soyons, durant nos triomphes en Italie, une horde de Gaulois sous un Brennus ou un Bellovèse.

733. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre III. Les traducteurs »

Pelletier, Ramus, apporte sa théorie, plus ou moins influencée par l’image toujours présente du grec et du latin : surtout en matière d’orthographe, ils se livrent à leur fantaisie, selon que prédomine en eux le souci d’y exprimer l’étymologie ou la prononciation.

734. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre II. La langue française au xvie siècle »

Oresme déjà, sous Charles V, y avait été contraint : ce fut bien autre chose quand toute une armée d’ardents et studieux esprits, théologiens, philosophes, traducteurs, imitateurs, penseurs originaux, se mit à parler en langue vulgaire sur toutes les plus ardues et plus graves matières.

735. (1897) La crise littéraire et le naturisme (article de La Plume) pp. 206-208

Cette ferveur mystique qui nous anime à l’égard de la divine et maternelle matière, notre religion de la vie quotidienne, des Travaux et des Jours, nous en investirons le cœur des Humbles.

736. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre V : Rapports du physique et du moral. »

Ce problème, au sens où on l’entend d’ordinaire, est fatalement insoluble, puisqu’on se borne à opposer deux substances inconnues l’une à l’autre, à se demander comment l’esprit (qu’on ne connaît pas) peut agir sur la matière (qu’on ne connaît pas).

737. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préfaces de « Han d’Islande » (1823-1833) — Préface d’avril 1823 »

Du reste, ces hautes matières ne se rattachaient pas encore très visiblement au sujet de cet ouvrage, et il eût été fort embarrassé de trouver une liaison qui l’y conduisît, quoique l’art des transitions soit singulièrement simplifié depuis que tant de grands hommes ont trouvé le secret de passer sans secousse d’une échoppe dans un palais, et d’échanger sans disparate le bonnet de police contre la couronne civique.

738. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Aristophane, et Socrate. » pp. 20-32

La difficulté qu’il avoit de s’exprimer, & son extérieur négligé, bisarre, fournissoient encore matière aux rieurs.

739. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VIII. La mécanique cérébrale »

« Les fonctions du cerveau, dit Cuvier, supposent l’influence mutuelle, à jamais incompréhensible, de la matière divisible et du moi indivisible, hiatus infranchissable dans le système de nos idées et pierre éternelle d’achoppement dans toutes les philosophies.

740. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre VII. De la physique poétique » pp. 221-230

Ils disaient sententiæ, pour résolutions, parce que leurs jugements n’étaient que le résultat de leurs sentiments ; aussi les jugements des héros s’accordaient toujours avec la vérité dans leur forme, quoiqu’ils fussent souvent faux dans leur matière.

741. (1936) Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours pp. -564

Mais ce maquis lui est moins familier que celui de son île, et en ces matières subtiles, s’il est le maître, il n’est pas un maître. […] Enfin, dans le style le plus conscient, le plus lumineux, le plus artiste, Chateaubriand a rendu ses droits à la matière en apparence la plus discordante et la plus opposée à ce style : les idées obscures. […] Qu’on y ajoute, pour les premières années du xixe  siècle, les années de Napoléon, ceci que, pour les journaux, la critique littéraire est à peu près le seul genre de critique, la seule matière à réflexions dogmatiques, qui puisse être pratiquée librement. […] Pour mettre en contact ces deux mondes hostiles de la matière et de l’esprit, Saint-Simon a écrit une vingtaine d’ouvrages désordonnés, fumeux, tantôt en pleine folie, tantôt en plein génie, jamais malheureusement génie d’écrivain, sinon dans quelques pages comme la célèbre parabole, mais intéressants par le courant qui porte vers l’avenir le Nouveau Christianisme et surtout le mémoire de 1814 sur la Réorganisation de la société européenne. […] De ce point de vue, la scène centrale de Jocelyn serait la scène de la prison, la transmission du clerc au clerc, de l’âme à l’âme (thème du Crucifix), et, par un sacrifice nouveau, l’âme individuelle qui rallie l’âme de l’Église, de l’humanité, de la remontée collective vers Dieu ; seulement toute cette grandeur symbolique, cette matière épique et mystique de Jocelyn, elle n’est guère plus extérieurement visible dans le poème que l’âme dans le corps.

742. (1837) Lettres sur les écrivains français pp. -167

C’était aussi l’influenza qui fournissait matière à toutes les causeries dont les personnages se trouvaient aussi heureusement étalés à ma curiosité indiscrète. […] Sous cette nouvelle rubrique il va publier des volumes à l’infini sur la matière inépuisable qu’il exploite. […] L’éditeur choisit ; 500 francs le volume, n’importe quelle matière ; c’est un prix fait. […] Luchet, n’importe sur quelle matière. […] De cette façon, Mme Constance Aubert est parvenue à se faire une sorte d’autorité dans la matière, autorité qu’ont surtout appréciée les marchands et les fabricants de toute espèce.

743. (1909) Nos femmes de lettres pp. -238

Je me serai certainement plus d’une fois trompé, car nul d’entre nous n’est à l’abri de l’erreur, surtout en des matières où le goût personnel tient une telle place et représente un élément déformateur propre à celui qui écrit. […] Sur ces thèmes immortels, qui vaudront toujours ce que vaut l’Humanité, et dureront autant qu’elle, puisqu’ils composent la matière de ses angoisses et de ses espoirs : Brièveté des heures, Beauté fugace, Inconstance du sentiment, pourquoi Mme Lucie Delarue donne-t-elle une note si puissante ? […] Vraiment elle pense à travers ses auteurs, car la sensation initiale elle-même, matière originale de toute pensée, elle la transforme et la transpose, en l’avivant d’un accent grâce auquel s’évoque le souvenir de celui qui tout d’abord le donna. […] Si personnel est leur accent qu’un nouvelliste à la Française, doué du pittoresque concis qui fit un Maupassant, pourrait en chacun d’eux trouver la matière d’un de ces contes où se reflète toute une existence. […] Évidemment l’adultère n’est pas près de disparaître, la plus riche matière littéraire où s’exerça et continuera de s’exercer utilement l’imagination des écrivains, pour en dégager des conflits propres à passionner l’intérêt.

744. (1868) Rapport sur le progrès des lettres pp. 1-184

Les choses, en pareilles matières, l’emportent trop sur la forme. […] Est-ce là, comme voudraient nous le persuader quelques esprits chagrins, un pur triomphe de la matière ? N’est-ce pas plutôt la matière qui, vaincue par l’esprit, se prête en esclave à tous les besoins de l’homme ? […] Nous prétendons savoir sur le bout du doigt tout ce qui peut être matière à sermon ou prétexte à dithyrambe. […] Dans le moule idéal, la matière en fusion coule et se fige jusqu’à ce que le contour ne puisse plus la retenir.

745. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Deuxième série

Aristocrate et socialiste à la fois, Saint-Simon devait en cette matière s’arrêter à un moyen terme, et c’est, avec une grande gaucherie du reste, ce qu’il a fait. […] Si un jour, par miracle, l’humanité tout entière était une de ces institutions (ce qui est précisément ce que veulent nos rêveurs), l’esprit de lutte n’ayant plus de matière, l’institution n’aurait plus son principe vital, et périrait en quelques jours, et l’humanité redeviendrait ce qu’elle était auparavant. […] Rien n’est plus à désirer ; car il est très vrai qu’il vaut mieux moins d’hommes occupés à ’échange et plus d’hommes occupés à la production, à l’exploitation de la matière. […] Ils y mettaient une multitude de puissances individuelles plus ou moins grandes, plus ou moins intenses, agissant chacune à sa façon, sur la matière, se combattant entre elles, ou se hiérarchisant entre elles, selon les temps. […] Quinet était un poète, un poète de second ordre, de ceux qui ont besoin d’une matière déjà élaborée pour féconder leur imagination et l’exciter.

746. (1880) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Première série pp. 1-336

Sans doute, rien ne vit, rien ne dure que par la perfection de la forme, et, si précieuse que soit une matière, le temps ne respecte en elle que ce que l’art a su y ajouter ; mais quoi ! […] Mais il faut considérer d’abord que la chanson de geste n’est proprement qu’une matière épique, l’étoffe en quelque façon de l’épopée possible, mais nulle part, on l’a vu, non pas même dans le Roland, l’épopée réalisée. […] Molinier, ni personne ; « ou même qu’il est parfait absolument », parce que chacun de nous fait tous les jours l’épreuve du contraire ; ou « qu’en pareille matière enfin tout dépend de la tournure d’esprit du raisonneur », car nous connaissons quantité de raisonneurs qui ont l’esprit furieusement mal tourné. […] Les Molière vivent surtout dans leurs œuvres : c’est au fond notre malignité bien plus que notre sympathie qui s’intéresse à l’histoire de leur ménage ; et en pareille matière, il y a peut-être une ignorance qui sied bien et dont il faut savoir prendre notre parti. […] Corneille, comme font tous ses contemporains, choisit son sujet d’abord, et le choisit, selon le mot de Racine, « chargé de matière », riche de péripéties, fertile en incidents, fécond en épisodes.

747. (1929) Les livres du Temps. Deuxième série pp. 2-509

Non point, certes, qu’il puisse scandaliser aucun lecteur de jugement droit, et il faut être imbu d’étranges préjugés pour y voir matière à scandale. […] Le jour où il serait permis de s’attarder aux jeux d’une pensée découragée serait celui où l’on commencerait à entrevoir qu’il y a une borne à la matière du savoir. […] Et puis, en ces matières non plus, il ne déclame pas. […] Les lettres sont l’art suprême pour cette raison qu’entre toutes, les œuvres écrites sont affranchies de la matière ». […] En ces matières aussi, le libre arbitre de l’enquêteur dispose d’une certaine latitude.

748. (1902) Le critique mort jeune

Le roman surtout formait à ces recherches une riche matière. […] Pierre Loti — et où l’on sent à chaque moment que l’auteur domine, règle et limite sa matière, au lieu d’être submergé par elle, suivant l’ordinaire des impressionnistes de tout genre. […] On ne va pas d’une marche si aisée, parmi une matière aussi dense que celle de ces romans, sans une souple et supérieure articulation. […] C’est l’impression que très adroitement les frères Margueritte ont réussi à donner à leur lecteur, saisi par la vive entrée en matière des « Deux Vies ». […] C’est une matière avec laquelle nous commençons à être familiers depuis les grandes trahisons et les grandes escroqueries.

749. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon » pp. 423-461

Saint-Simon, après avoir échappé à bien des crocs-en-jambe, à bien des noirceurs et des scélératesses calomnieuses qui avaient failli par moments lui faire quitter de dégoût la partie et abandonner Versailles, s’était assez bien remis dans l’esprit du roi ; la duchesse de Saint-Simon, aimée et honorée de tous, était dame d’honneur de la duchesse de Berry, et lui-même s’avançait chaque jour par de sérieux entretiens en tête à tête, sur les matières d’État et sur les personnes, dans la confiance solide du nouveau dauphin. […] Membre du Conseil de régence, il est devenu un des personnages du gouvernement, et bien que rarement ses avis prévalent, il est continuellement admis à les donner et ne s’en fait pas faute ; on a des entretiens sans nombre où la matière déborde sous sa plume comme elle abondait sur ses lèvres ; l’intérêt, qui se retrouve toujours dans de certaines scènes et dans d’admirables portraits des acteurs y languit par trop de plénitude et de regorgement. […] C’est ce qu’on ne saurait trop maintenir, et Saint-Simon n’a eu que raison quand il a conclu de la sorte en se jugeant : « Ces mémoires sont de source, de la première main : leur vérité, leur authenticité ne peut être révoquée en doute, et je crois pouvoir dire qu’il n’y en a point eu jusqu’ici qui aient compris plus de différentes matières, plus approfondies, plus détaillées, ni qui forment un groupe plus instructif ni plus curieux. » La postérité, après avoir bien écouté ce qui s’est dit et se dira encore pour et contre, ne saurait, je le crois, conclure autrement.

750. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « PARNY. » pp. 423-470

Pour ne pas avoir l’air d’éluder le jugement littéraire, même en telle matière où la question morale et sociale domine tout, nous dirons une bonne fois que n’avoir lu la Bible, comme le fit Parny, que pour en tirer des parodies plus ou moins indécentes, c’était se juger soi-même et (religion à part) donner, comme poëte, la mesure de son élévation, la limite de son essor. […] Il se rencontre ici plus d’une petite difficulté de chronologie qu’il est presque pédantesque de venir soulever en matière si légère. […] Désiré Laverdant) qui s’est sérieusement occupé de Madagascar, et qui a pris la peine de recueillir quelques chansons malegaches authentiques, nous confirme d’ailleurs dans notre doute, et nous assure que les Chansons madecasses de Parny sont tout à fait impossibles : « Il a inventé, nous dit-on, les nuances de sentiment, les caractères qu’il prête à cet état de société, et jusqu’aux noms propres ; c’est du Parny enfin, du sauvage très-agréablement embelli. » La comparaison de quelques pièces du vrai cru avec celles de Parny, et les considérations piquantes que pourrait suggérer ce rapprochement, nous mèneraient ici trop loin ; nous espérons en tirer matière un jour à un petit chapitre supplémentaire.

751. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIe entretien. Phidias, par Louis de Ronchaud (2e partie) » pp. 241-331

D’ailleurs, deux sens sont convaincus et satisfaits à la fois par l’œuvre de l’artiste : l’œil voit, la main touche ; l’un de ces sens rend témoignage à l’autre, l’admiration enveloppe la statue par toutes ses faces ; la beauté, l’éclat et le poli de la matière d’où la statue semble naître immortelle, ravissent également le regard et le tact ; son éternité même imprime un respect de plus aux sens qui en jouissent. […] Combien la matière ne résiste-t-elle pas plus à l’ouvrier que la langue ! […] Ce monument, tel qu’il était avec l’ensemble de sa situation, de son piédestal naturel, de ses gradins décorés de statues sans rivales, de ses formes grandioses, de son exécution achevée dans tous ses détails, de sa matière, de sa couleur, lumière pétrifiée ; ce monument écrase, depuis des siècles, l’admiration sans l’assouvir.

752. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (3e partie) » pp. 5-79

XX Et la société est responsable de cette catastrophe du forçat et de la fille publique : double matière à indignation présentée au peuple ; Double erreur. […] Parce que tout homme trouve en lui le discernement prompt et sûr qui fait admettre ou rejeter une pensée fausse, surtout en matière sociale, et que tout homme porte en lui le goût qui fait discerner le propre et le sale dans la langue comme dans la nature. […] Devant cette victoire prodigieuse et médiocre, devant cette victoire sans victorieux, ce désespéré se redresse ; il en subit l’énormité, mais il en constate le néant ; et il fait plus que cracher sur elle ; et, sous l’accablement du nombre, de la force et de la matière, il trouve à l’âme une expression, l’excrément.

753. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (5e partie) » pp. 145-224

« La matière existe, la minute existe, les intérêts existent, le ventre existe ; mais il ne faut pas que le ventre soit la seule sagesse. […] Point de départ : la matière ; point d’arrivée : l’âme. […] Car la jouissance matérielle est bornée comme la matière.

754. (1890) L’avenir de la science « X » pp. 225-238

C’est le peuple qui fournit la matière, et cette matière, ils ne la voient pas, ou ils s’imaginent bonnement qu’elle est de l’invention du poète. […] La foule lui prête la grande matière ; l’homme de génie l’exprime, et en lui donnant la forme la fait être : alors la foule, qui sent, mais ne sait point parler, se reconnaît et s’exclame.

755. (1896) Les origines du romantisme : étude critique sur la période révolutionnaire pp. 577-607

… Dieu, la Matière, la Fatalité ne font qu’Un… Les hommes sortent du néant, ils y retournent. » Le doute torturait René ; jamais il n’eut l’énergie de s’élever à une conviction matérialiste. […] Les romantiques de 1830 juraient, sur leurs poignards de Tolède, qu’ils enfourchaient l’hippogriffe et s’envolaient dans les cieux pour décrocher les étoiles, et se plonger dans l’idéal, loin, ô bien loin du monde de la matière, de ses passions mesquines et de ses grossiers intérêts. […] Chactas qui, en ces matières, a l’expérience d’un Almaviva, raconte qu’il la tenait palpitante dans ses bras, attendant le moment psychologique où « la passion, en abattant son corps, allait triompher de sa vertu ».

756. (1929) La société des grands esprits

On ne peut esquiver la question de sa sincérité en matière religieuse. […] Fortunat Strowski, peu suspect de partialité en la matière, a donné le texte latin, que Pascal résume. […] Et l’on se rappelle sa célèbre théorie sur l’ordre de la charité, infiniment plus supérieur à l’ordre de l’esprit que celui-ci ne l’est à l’ordre de la matière. […] Dans le Sermon des Cinquante et ailleurs, Voltaire déclare nettement qu’il n’est pas si incapable, et qu’on peut l’éclairer même en matière religieuse. […] Un Sainte-Beuve trouvera matière à des réflexions infinies et à un essai de premier ordre chez des auteurs du second ordre ou du dixième.

757. (1858) Du roman et du théâtre contemporains et de leur influence sur les mœurs (2e éd.)

Comment la matière serait-elle douée de liberté ? […] Apôtres de la religion des sens, en réalité ils subordonnent l’âme à la loi des sens : adorateurs de la matière, ils prosternent l’esprit devant elle, ils humilient la volonté sous l’autorité de l’instinct. […] Quelle inépuisable matière à l’amplification littéraire et au paradoxe philosophique ! […] Comment appeler sur ces matières abstraites l’attention du vulgaire des lecteurs, avides seulement d’émotions ? […] En matière aussi grave, il faut se garder des exagérations.

758. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

Les règles qu’il se sera faites, ou qu’on lui aura données sur cette matière, ne s’accorderont pas avec les qualités et l’effet des comédies. […] Entre lui et son juge ne me fierai-je pas sur cette matière à la justesse du comédien philosophe préférablement à la sienne ? […] Ne riait-il pas lui-même, dans sa pièce contre les comédiens de l’hôtel de Bourgogne, d’entendre dire qu’il avait épuisé la matière ? « Plus de matière ! […] Non, non, la matière du ridicule ne sera jamais épuisée !

759. (1882) Autour de la table (nouv. éd.) pp. 1-376

car c’est la plus fraîche, la plus récente de nos lectures, et c’est un beau sujet pour entrer en matière. […] Ces inspirés ne sont nullement d’accord entre eux ; Jean Reynaud n’admet guère les purs esprits, et Victor Hugo veut anéantir la matière. […] Cette matière est l’esthétique ou la philosophie du beau. […] C’est bien dit, mais je proteste si, par accidents de la matière, M.  […] Je demande hardiment, vu mon inaptitude à écrire sur ces matières, qu’on me pardonne la longueur de ces développements sur une simple question de forme.

760. (1891) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Quatrième série

C’est notre Le Sage, on le sait, qui, comme les Espagnols avaient fait avant lui de la matière des Amadis, s’est emparé, dans les premières années du xviiie  siècle, de cette matière du roman picaresque, pour la refondre dans son Gil Blas. […] Cependant cette matière touche elle-même à une autre, qui est de savoir ce que nous pouvons faire pour venger notre « honneur » offensé. […] Soit en effet la matière du jeûne, dont il a tant parlé dans sa Cinquième Lettre, ou celle de la messe. […] Avec un peu de matière et de mouvement nous pouvons créer le monde, et avec un peu de patience ou de persévérance nous pouvons obliger la nature à nous livrer ses derniers secrets. […] Je trouve des marques de son mépris dans la manière dont il a parlé, non seulement des gens de lettres, mais encore de la matière de leurs occupations, du théâtre, du roman, de la poésie.

761. (1885) L’Art romantique

Delacroix en matière politique ? […] La matière vivante rendait ondoyant ce qui nous semble trop rigide. […] En pareille matière, il serait facile et même légitime de raisonner a priori. […] C’est de cette sensibilité, qui s’appelle généralement le Goût, que nous tirons la puissance d’éviter le mal et de chercher le bien en matière poétique. […] En matière d’art, j’avoue que je ne hais pas l’outrance ; la modération ne m’a jamais semblé le signe d’une nature artistique vigoureuse.

762. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Malherbe »

Demogeot enfin, le dernier et non le moins bien préparé, profitant des travaux des autres et des siens propres (car il est auteur d’un fort bon Précis sur notre histoire littéraire), vient aujourd’hui étendre, diversifier ses vues et renouveler avec esprit, avec vivacité et savoir, une matière qui n’est pas encore épuisée. […] Des actes énergiques et sanglants de répression, comme la France en a vus sous Casimir Périer ou sous Cavaignac, peuvent être de la forte et nécessaire politique, mais ils ne sauraient être pour personne matière à poésie 133. […] Et puis, pour louer cet admirable Prélat, on ne saurait manquer de matière ; il ne faut avoir soin que de la forme. […] Enfin nous avons reconnu en tout genre et en toute matière te vérité de ce que lui écrivait Racan : « Je sais que votre jugement est si généralement approuvé, que c’est renoncer au sens commun que d’avoir des opinions contraires aux vôtres. » Ce ne serait pas être juste envers Malherbe que de ne voir que ce qu’il fit, et de ne pas tenir compte de ce qu’il a fait faire.

763. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

La gaieté comique, au contraire, est inoffensive et douce ; le jeu varié d’une intrigue, les incidents imprévus, les contrastes bizarres, voilà les matières où elle s’exerce10, et, si quelquefois elle se moque des travers des hommes, c’est d’une manière si générale qu’elle fait rire tout le monde sans offenser personne. […] Je traiterais donc sans gaieté une matière ridicule. […] Mais l’art merveilleux d’Aristophane est précisément d’avoir créé le comique de rien, ou plutôt de la plus rebelle des matières, et d’avoir transfiguré la prose en poésie d’un coup de sa baguette magique. […] Ne vous fâchez donc point : plus vous serez mutins, Plus vous me fournirez matière aux traits malins.

764. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

Ceci mérite peut-être une démonstration méthodique : 1° D’une part, si l’on croit aux esprits, il est normal qu’un pur esprit se manifeste par des sons, le son étant, de toutes nos sensations, la moins engagée dans l’idée de matière. Le son est immatériel, au point de vue phénoméniste, car il est par lui-même dépourvu de spatialité ; il est peu matériel, au point de vue substantialiste ; car, d’abord, il est impalpable ; ensuite, c’est une sensation relativement isolée, tandis que toutes les autres sensations, visa, odeurs, saveurs, sont intimement liées à des tacta ; que la matière soit la résistance tactile ou le lien commun de plusieurs sensations généralement simultanées, le son est donc la sensation qui exige le moins impérieusement l’idée d’une substance matérielle. […] Étant déterministe, il n’hésitait pas à reporter à la divinité, d’une façon plus ou moins formelle, l’honneur de ses pensées les plus heureuses, soit en matière de spéculation, soit en matière pratique ; toute spontanéité était à ses yeux une inspiration quand elle donnait naissance à quelque chose de beau et de bien ; comment surtout n’aurait-il pas reconnu à ses idées une origine divine, quand elles étaient relatives à l’avenir, chose cachée aux mortels, et que l’événement les confirmait ? […] Leur matière était très simple : c’étaient des défenses, jamais des ordres.

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