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663. (1763) Salon de 1763 « Peintures — La Grenée » pp. 206-207

Mêmes qualités dans l’autre, avec plus de sensibilité ; mais c’est peut-être le mérite du sujet et non de l’artiste. […] Rien ne répond à l’importance du sujet ; c’est un guet-apens ordinaire.

664. (1825) Racine et Shaskpeare, n° II pp. -103

Avec beaucoup moins de talent, ses successeurs pourront, dans le même sujet, faire mieux que lui ? […] Les journaux, témoins de ce qui s’est passé aux élections de 1824, s’écrient à l’envi : Quel beau sujet de comédie que l’Éligible ! […] Le rire n’est qu’une consolation à l’usage des sujets de la monarchie. […] On trouve deux ou trois sujets de tragédie dans chaque volume du Froissart de M.  […] Quel sujet plus beau et plus touchant que la mort de Jésus ?

665. (1772) Discours sur le progrès des lettres en France pp. 2-190

Tant il est vrai que l’esprit humain, abandonné à ses seules lumières, est facile à séduire, & sujet à s’égarer. […] Quels sujets pouvoit-on choisir, pour amuser l’oisiveté des Grands, & délasser le Peuple de ses travaux ? […] Nos spectacles seroient donc, avec plus de fondement pour eux, un sujet de scandale, que leurs jeux ne le doivent être pour nous. […] La Fable & l’Histoire nous fournissent des sujets, & l’Art seroit encore dans l’enfance, sans les ressources qu’elles nous ont procurées. […] Piron nous la présente dans l’heureux sujet de la Métromanie.

666. (1894) Notules. Joies grises pp. 173-184

Dans l’œuvre où prédomine la Forme, la Rime se présente immanquablement à l’esprit ; elle affirme la clarté du vers, le rend plus net et le fixe en de précises limites ; car ainsi qu’ailleurs je le déclarerai, en certains sujets — tels épiques, plastiques, où l’ampleur et la force sont nécessaires — il faut employer le vers à rhythme binaire, le vers dit d’airain, tour d’ivoire où, sous la porte, sentinelle casquée d’or et gemmée de rubis, veille la Rime. […] Quelques mots sont maintenant à dire au sujet des assonances internes du vers. […] Il ajoute qu’il existe également des assonances entre syllabes toniques et atones ; le sujet se ramifie donc à l’infini.

667. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Balzac, et le père Goulu, général des feuillans. » pp. 184-196

Une simple réflexion que Balzac avoit faite au sujet des moines, sans aucun dessein formé de les décrier, leur fit prendre l’allarme à tous. […] Il rappella la fameuse remarque d’Erasme(**) à leur sujet. […] Ses sujets offroient eux-mêmes les mémoires de sa vie.

668. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Casanove » pp. 192-197

Joli morceau, auquel on ne peut reprocher qu’une couleur un peu trop brillante, ce qui donne un ton de gaieté à un sujet qui doit remplir d’effroi. […] Je juge ce sujet sans le décrire. […] J’ai dit que c’étaient deux petits Wouwermans, et cela est vrai pour les sujets, la manière, la couleur et l’effet.

669. (1762) Réflexions sur l’ode

Les poètes, par exemple, ont ouï dire qu’on désirait aujourd’hui de la philosophie partout ; que le public n’entendait point raison sur ce sujet ; qu’il était las de mots, et voulait des choses. […] Qu’on me permette à cette occasion une réflexion qui tient à mon sujet. […] Le public, soit lassitude, soit humeur, paraît aujourd’hui un peu dégoûté de ce genre ; il marque même ce dégoût assez fortement, pour que l’académie ait balancé, si en laissant aux poètes le choix du sujet, elle ne leur laisserait pas aussi celui de l’ode, du poème, ou de l’épître.

670. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Napoléon »

Elle a la piété des grands sujets, — ce pain des forts de l’intelligence, qu’ils achètent, encore plus que l’autre, à la sueur sanglante de leur front. Puisqu’il voulait se mesurer avec un sujet qui doit casser les reins à de plus robustes que lui, pourquoi Émile Bégin n’intitulait-il pas simplement son livre : Histoire de Napoléon et de sa famille, ce qui était déjà bien assez pour intéresser, et pourquoi ajoutait-il si pompeusement : au point de vue de l’influence des idées napoléoniennes sur le monde 16 ? […] Il s’agit enfin de s’opposer une fois pour toutes à cette irruption d’écrivains qui, sans la vocation du talent et le droit de l’intelligence, touchent à un sujet historique réservé à la main des Maîtres.

671. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XVII. »

Parmi les derniers et trop rares débris de la poésie lyrique chez les Romains, il faut placer un poëme, de date incertaine peut-être, d’origine mélangée, et décelant, sur un même sujet et sur un sujet populaire, la touche reconnaissable de deux époques : c’est le Pervigilium Veneris, la Veillée des fêtes de Vénus. […] Delà, le jugement hardi d’un moderne, qui a vu deux œuvres distinctes dans le texte conservé : une première œuvre antique, pure, délicate, n’offrant que la fleur du sujet, vingt-deux vers en tout ; puis une refonte, une paraphrase, formant le reste du poëme et pouvant s’en détacher.

672. (1714) Discours sur Homère pp. 1-137

Des dieux sujets aux infirmités et à la douleur, qui blessés quelquefois par des hommes mêmes, jettent des cris, versent des larmes, tombent dans des défaillances, et qui, pour dire encore plus, ont des medecins ? […] Pourquoi en choisit-il de basses quand il faut de la grandeur ; de rebutantes, quand il est question de graces ; et de lentes, quand le sujet demande de la vivacité ? […] Il employe souvent les mêmes sujets de comparaison, et jusqu’à trois et quatre fois dans la même page ; comme si un objet l’ayant une fois frapé, son imagination ne lui en présentoit plus d’autres. […] Mais qu’y a-t-il qu’elle n’exprime avec la force et les graces propres au sujet ? […] Pour la précision, j’ai tâché de n’employer aucune épithéte, qui n’exprimât quelque circonstance utile et du sujet.

673. (1923) Paul Valéry

Peu importe le sujet. Il n’y a pas de sujet. […] Le thème de la Pythie concerne un objet et non pas un sujet. […] D’ailleurs il sait, comme Mallarmé, doter d’une radiation infinie la substance imperceptible d’un petit poème presque sans sujet. […] Et cette poésie ne prend jamais le sujet que comme un Heu de passage pour arriver à l’objet.

674. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Véron.] » pp. 530-531

La vérité tout entière à ce sujet est dans la note suivante que je retrouve et qui a été écrite de son vivant. […] Vous avez prononcé aussi le mot de vanité qui est inévitable en un tel sujet ; mais tant de gens ont leur vanité en dedans que la sienne, toute en dehors, était en quelque sorte commode pour autrui : cela accepté, on avait affaire à un esprit orné, plein d’anecdotes et de mots pris aux bons endroits, facile et coulant.

675. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Troisième cours d’études. Une classe de perspective et de dessin. » pp. 495-496

Ces trois cours d’études achevés, le petit nombre des élèves qui les auront suivis jusqu’à la fin, se trouveront sur le seuil des trois grandes facultés, la faculté de médecine, la faculté de droit, la faculté de théologie, et ils s’y trouveront pourvus des connaissances que j’ai appelées primitives, ou propres à toutes les conditions de la société, à l’homme bien élevé, au sujet fidèle, au bon citoyen, toutes préliminaires, et quelques-unes d’entre elles communes aux études des trois facultés dans lesquelles ils voudront entrer91. […] « Nous ne le suivrons pas davantage dans les détails où il entre sur les trois facultés de médecine, de jurisprudence et de théologie, et qui, s’appliquant à des professions particulières, n’ont point assez de rapport aux idées générales de l’éducation, pour que ce soit ici le lieu d’exposer et de discuter les opinions plus ou moins justes, les réflexions plus ou moins piquantes de l’auteur sur ces différents sujets.

676. (1914) Une année de critique

En outre, la nature même des sujets où M.  […] C’est celle qui les pousse à « renouveler les sujets ». […] Je ne crois même pas qu’il ait entrevu toute l’ampleur de son sujet. […] Néanmoins, il faut convenir que le récit ne convient pas indifféremment à tous les sujets. […] De cet heureux sujet de chronique, M. 

677. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome IV pp. -328

La médecine, au contraire, donne accès auprès des riches & des grands, & présente moins de sujets de dégoût. […] La police fit arrêter promptement les exemplaires d’un libèle qui parut à ce sujet. […] La Sorbonne censura l’ouvrage : elle fit encore, à ce sujet, des remontrances au monarque qui n’y eût aucun égard. […] Ainsi l’université de Paris ne reconnoît que les sujets qu’elle a formés ou aggrégés. […] Tous les samedis, on s’assemble aux écoles à ce sujet.

678. (1901) L’imagination de l’artiste pp. 1-286

Il n’est pas dans le choix de tels ou tels sujets, dans l’emploi de telle ou telle formule. […] Un tableau est exposé : la foule l’admirera si le sujet est gracieux, sentimental ou poétique. […] L’artiste manque-t-il de sujets ? […] Les sujets les plus simples, les plus prochains sont les meilleurs. […] Le lendemain, il veut reprendre ses sujets : il trouve ses fonds lourds et embus.

679. (1863) Histoire de la vie et des ouvrages de Molière pp. -252

Il engage Racine à traiter le sujet de La Thébaïde. […] Discussion au sujet du Joconde de ce dernier. […] L’indécence du sujet ne choque pas les censeurs du Tartuffe. […] Sonnet à ce sujet. […] « Quel est l’oiseau le plus sujet à être cocu ? 

680. (1913) Le bovarysme « Deuxième partie : Le Bovarysme de la vérité — II »

Or, si l’on se reporte aux origines de la vie phénoménale, telles qu’elles ont été montrées ici, si l’on est bien convaincu de l’évidence de cette proposition, qu’aucun état de connaissance n’est possible que d’un objet pour ira. sujet, en sorte que toute entité vivante ne prend conscience d’elle-même qu’au moyen d’une falsification de soi, il apparaît que la vérité n’a pas de place dans la vie phénoménale, qu’on ne peut imaginer et situer l’idée de vérité qu’en un état d’identité absolue entre toutes les choses où toutes les choses se confondraient et s’évanouiraient et où cesserait, avec toute différence et tout reflet, toute conscience. […] Elle consiste à appliquer aux modes de la vie phénoménale une conception qui exclut la vie phénoménale, la loi d’un autre état que nous ne pouvons imaginer et décrire qu’en niant à son sujet faut ce que nous savons de la vie ordinaire, — en niant qu’il soit soumis aux conditions du temps, de l’espace, de la cause et que la diversité y ait place.

681. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1828 »

Ainsi le premier volume contient toutes les Odes relatives à des événements ou à des personnages contemporains ; les pièces d’un sujet capricieux composent le second. […] Le deuxième volume contient le quatrième et le cinquième livre des Odes, l’un consacré aux sujets de fantaisie, l’autre à des traductions d’impressions personnelles.

682. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Préface »

Sur ce sujet comme sur tant d’autres, les Philosophes, ces Quinze-Vingts superbes, n’ont vu goutte, et les Rhétoriciens, moins heureux que les huîtres, qui ont parfois le hasard d’enfermer une perle dans leurs écailles, n’ont jamais, parmi les mots qu’ils enfilent ou brassent, rencontré celui-là qui eût dit heureusement l’idée qu’il s’agit pourtant d’exprimer. […] Les Poètes donc au xixe  siècle, tel est le sujet de la nouvelle série d’études que nous publions aujourd’hui.

683. (1856) La critique et les critiques en France au XIXe siècle pp. 1-54

Sans doute vos appréciations peuvent être inexactes, mais vos biographies, vos citations, vos anecdotes, tout ce qui n’est pas de vous dans votre livre, a du moins une certaine valeur ; et vos jugements, fussent-ils sujets à révision, vaudront toujours bien les miens. […] Ses plus grands philosophes ne dédaignèrent pas de se livrer sur ce sujet à de longues et savantes recherches. […] Il prit pour sujet de son cours : Le fondement des idées absolues du vrai, du beau et du bien 16. […] Le sujet seul aurait parfois à se plaindre. […] Je les admire quand ils parcourent en quelques semaines le vaste champ de l’intelligence, passant de l’histoire à la poésie, de la métaphysique à l’économie sociale, toujours à l’aise dans chaque sujet nouveau, toujours en apparence sur leur propre domaine.

684. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Victor Hugo »

Aujourd’hui, en ce moment encore, un journal, le Correspondant, qu’on pourrait appeler à plus juste titre « le Trembleur », et qui s’imagine que la vérité a, comme lui, peur de quelque chose, trouvait imprudent — et l’exprimait — de toucher à ce sujet fétide d’Alexandre VI, fût-ce pour l’assainir, fût-ce pour éponger la mémoire de ce pontife des souillures qu’on a fait ruisseler sur elle ! […] — par le fait de son sujet et indépendamment de la valeur de l’homme qui l’a écrit. Quoique le sujet du livre en question protège, exalte et grandisse à plus d’une place, comme je l’ai dit déjà, le talent de Victor Hugo, le sujet n’en reste pas moins très au-dessus de son génie, et la preuve, c’est que Victor Hugo l’affaiblit, toujours et partout, quand il y mêle ses inventions. […] Si supérieur que soit le roman de Quatre-vingt-treize, qui n’a que le silence, à ce roman des Misérables, qui eut le bruit, à ce livre d’un sujet qui était, celui-là ! […] C’est la maternité, en effet, qui est le sujet du roman que Victor Hugo a inventé pour le mêler à cet autre et beau sujet d’histoire qu’il a si vaillamment abordé dans son Quatre-vingt-treize.

685. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite et fin.) »

Remarquez que le sujet était lui-même choisi avec tact et avec goût : rien d’éclatant, rien qui promît trop ; l’orateur pouvait être aisément supérieur à son sujet. […] « J’ai du reste écrit ces articles sans aucun parti pris ; je comptais d’abord n’en faire qu’un ou deux : le sujet m’a porté. […] Sainte-Beuve écrivait, après la publication complète de ses articles dans le Temps : « (Ce 12 mars 1869.) — Cher monsieur, votre suffrage m’est toujours précieux, et il me l’est cette fois plus encore, s’il est possible, qu’en d’autres circonstances, eu égard à la qualité du sujet sur lequel, à tous les titres, vous êtes un juge si compétent. […] une lettre expresse à ce sujet que m’a écrite, après mon premier ou mon second article, M.  […] J’ai lu vos deux derniers articles sur ce bon sujet de Talleyrand, comme disait M. de Maistre dans ses lettres.

686. (1913) La Fontaine « VI. Ses petits poèmes  son théâtre. »

Voyez-vous, le sujet est religieux, et quand il s’agit d’un sujet religieux, La Fontaine n’est pas en possession absolue de tous ses moyens. […] Toute feinte est sujet de scrupule à des saints, Et, quel que soit le but où tendent leurs desseins, Si la candeur n’y règne ainsi que l’innocence, Ce qu’ils font pour un bien leur semble être une offense. […] Voilà les vers véritablement divins, pour un sujet divin, que La Fontaine a trouvés dans le poème d’Adonis. […] Je ne veux pas vous en parler si ce n’est pour vous indiquer (c’est un petit sujet de lecture que je vous propose) que, à mon avis, il y a tout un monologue exquis, absolument exquis, délicieux : c’est la traduction, ou plutôt l’adaptation libre du fameux panégyrique du parasite. […] Le sujet est bien simple et ne demandera qu’une demi-minute pour vous être exposé.

687. (1870) La science et la conscience « Chapitre II : La psychologie expérimentale »

Et c’est parce que l’analyse psychologique ne confirme pas absolument l’expérience historique sur le point de la religiosité qu’il reste au moins un doute à ce sujet. […] C’est ainsi que l’historien qui n’éclaire pas son sujet des lumières de la conscience arrive inévitablement à faire de toutes les institutions politiques, sociales et religieuses qui ont duré et dominé, autant de principes éternels de la nature humaine. […] Elle ne s’enferme point dans le for inférieur de la conscience pour y saisir l’être humain lui-même, le sujet et la cause des phénomènes psychiques. […] Supposez deux sujets d’observation très-divers au fond, un être libre et un être qui ne serait qu’une machine, et soumettez les aux procédés de l’école expérimentale. […] « Exister, pour l’homme, à titre de sujet pensant, actif et libre, c’est avoir la conscience, la propriété de soi.

688. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « M. Boissonade. »

Il se comporte avec Homère comme si tout était dit et épuisé à son sujet, comme si Wolf n’était pas venu. […] Ce coin de sa nature est essentiel ; il se marque dans beaucoup de ses notes érudites et dans le choix de plus d’un de ses sujets de publication. […] demandera-t-on. — A bien peu sans doute, à glisser une aménité au milieu d’un sujet aride, à se dérider et à sourire entre gens instruits, et qui ont leur jeu de honchets à leur manière. […] Boissonade, de son côté, eut l’idée de donner une édition d’Eunape ; mais dans le cours de son travail, ayant appris que Wyttenbach avait amassé des notes et matériaux sur le même sujet, il le pria de lui en faire part, l’assurant que ce serait une recommandation et un ornement pour son livre. […] Je ne puis croire d’abord que vous me refusiez l’ornement que je sollicite pour mon livre, et, dans tous les cas, bien que j’aie la conscience de m’être souvent lourdement mépris et surtout d’être passablement ignorant dans l’histoire de la philosophie où vous tenez le sceptre, Wyttenbach (in qua tu régnas, Wyttenbachi), j’aime à croire que vous êtes trop généreux pour songer à faire de moi un sujet de risée : ce n’est pas là le caractère que je vous connais. » Un érudit plus ferré que Boissonade, et plus crâne aussi, eût répondu aux amis de Wyttenbach : « Je l’attends l’arme au poing et je serai toujours prêt à le servir. » Un beau duel avec un illustre est une bonne fortune pour tout débutant qui aspire à se faire un nom.

689. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid, (suite.) »

Il y a quelques années, on eût été assez embarrassé de répondre ; et, à voir les contradictions à son sujet, les enchevêtrements inextricables de la légende et de l’histoire, il y avait tel savant espagnol qui en était venu à un scepticisme complet sur la vie et sur l’existence même du glorieux personnage. […]  » Cette qualification, qui revient à Monseigneur, était sans doute donnée au chevalier castillan par les soldats arabes qu’il eut souvent à commander, et, lorsqu’il eut conquis Valence, par les habitants de cette ville devenus ses sujets. […] Là, comme presque partout ailleurs, le démembrement du Califat avait amené l’anarchie, la lutte et l’instabilité ; dans ce morcellement où était tombée la puissance des Arabes, chacun se disputant un débris, il y avait alors à Valence un roi Câdir imposé par les Castillans et détesté de ses sujets ; dans un péril pressant, il s’adressa au roi de Saragosse, lequel s’entendit avec le Cid pour lui prêter un secours intéressé ; tous deux comptaient s’accommoder bientôt de sa dépouille. […] Le plus ancien monument poétique à son sujet et qui date du xiie  siècle, la Chronique rimée, nous montre le premier essai et comme la première ébauche grossière de ce roman du Cid. […] Nous sommes ici à l’époque chevaleresque, tout à la fin du xiie  siècle ou au début du xiie  ; un siècle entier s’est écoulé depuis la mort du Cid ; un idéal s’est créé à son sujet : il est devenu une figure noble et pure, et même douce autant que fière, un modèle de chevalerie en cette civilisation féodale.

690. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure »

Rien ne montre mieux combien en est sujet, avec le meilleur esprit, à ne pas bien juger des hommes à bout portant et à ne pas se rendre compte, entre contemporains, de la courbe générale d’un génie et d’une destinée. — Voici le premier endroit où il est question, chez lui, de Voltaire (juin 1720) : « Arouet, poète, auteur du nouvel Œdipe, étant à la Comédie avec le prince de Conti, la Le Couvreur, actrice, entra sur la scène. […] Il en a de toutes les façons. » C’est dans ce même temps (car un accident ne vient jamais seul) que Jean-Baptiste Rousseau faisait paraître contre lui sa célèbre épigramme, la meilleure qu’il ait faite ; elle est en effet fort jolie : Depuis trente ans, un vieux berger normand Aux beaux esprits s’est donné pour modèle ; Il leur enseigne à traiter galamment Les grands sujets en style de ruelle. […] Ils causent ensemble Académie : « Il m’a dit que le président de Montesquieu n’avait point de concurrent jusqu’à présent. » Marais n’en tient pas moins à son objection, à celle qu’il vient de formuler au sujet des Lettres persanes : « Le dilemme serait difficile à résoudre, dit-il, mais on y trouvera quelque réponse fine dans la dialectique grammairienne du style nouveau. » À un moment on crut tout manqué et que Montesquieu se retirait ; le cardinal de Fleury s’était prononcé contre lui : « (17 décembre) M. le président de Montesquieu a remercié l’Académie, le jour même qu’elle était assemblée pour l’élire. […] Il faut donc chercher un autre sujet académique. » Or, quel sera cet autre sujet ? […] Quiconque travaillera sur des sujets ou des personnages de ce temps-là est sûr de trouver chez lui bien des notes et des indications qui ne sont pas ailleurs ; il est proprement un magasin à renseignements.

691. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

J’ai fait autrefois quelques réserves à son sujet, lorsqu’il m’a semblé qu’on voulait le porter un peu trop haut ; j’en ferai peut-être encore quelques-unes ; mais ce sera le plus souvent en me servant de ses paroles mêmes et toujours en rendant hommage à son mérite, à son caractère et à ses vertus. […] Un jeune homme, à peu près du même âge qu’avait alors M. de Tocqueville, visite, à trente-trois ans d’intervalle, les mêmes contrées, le même empire transatlantique ; ce jeune homme a été élevé dans des conditions à peu près semblables à celles dans lesquelles l’avait été en son temps M. de Tocqueville, ou du moins il a été nourri dans un milieu fort approchant ; mais quelle manière différente d’aborder son sujet ! […] On pourrait, au contraire, en choisissant les matières,, ne présenter que des sujets qui eussent des rapports plus ou moins directs avec notre état social et politique. […] Ce tableau aurait eu une moindre portée, sans doute, et eût donné une moindre idée de son auteur que le savant ouvrage composé que nous possédons ; mais il n’eût pas été, je le crois, moins instructif ; il l’eût peut-être été davantage. — La première partie de l’ouvrage, pleine de réflexions applicables à notre société, et de vues réversibles sur notre Europe et notre France, réussit complètement et mérita son succès : l’auteur, en le continuant, poussa trop loin sa méthode et l’épuisa, ainsi que son sujet, dans la seconde partie qui parut quelques années après et qui ne répondit pas en intérêt à la première87. […] Le vice de l’ouvrage n’est pas dans tel chapitre en particulier, il est dans la monotonie du sujet et le peu d’art qui m’a empêché de combattre cette monotonie naturelle : on ne peut juger un semblable défaut qu’en lisant le livre d’une haleine.

692. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de la Mennais (suite et fin.)  »

Sa lettre à ce sujet, écrite à la date du 7 juillet 1814 et qui commence par ces mots : « Je viens de lire le projet de loi napoléonienne… », est mémorable. […] Et quant à ses perspectives sur le sort de la France et sur l’avenir qui lui est réservé, il faut les lire longuement développées dans une lettre du 10 août ; et bien qu’il y eut alors trop de sujets d’être sombre, il faut se dire aussi qu’à quelques instants de sa vie qu’on le prenne, de semblables tableaux, justifiés ou non, l’assiégèrent toujours : il ne voyait chaque lendemain qu’à la lueur d’une torche funèbre, et sa forte logique elle-même se mettait tout entière, pour les corroborer, au service de ses visions d’épouvante : « A quels temps, grand Dieu, nous étions réservés ! […] Pour moi, de quelque côté que je jette les yeux, je n’aperçois que des sujets de trembler, de gémir et de frémir. […] Ample sujet de méditation pour le biographe moraliste. […] Quoi qu’il en soit, le mieux, ce me semble, est d’éviter de part et d’autre de traiter à l’avenir un pareil sujet.

693. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE BALZAC (La Recherche de l’Absolu.) » pp. 327-357

L’auteur y rajeunit à la moderne un sujet usé ; il n’échappe pourtant pas toujours à des plaisanteries devenues vulgaires. […] Dans l’invention d’un sujet, comme dans le détail du style, M. de Balzac a la plume courante, inégale, scabreuse ; il va, il part doucement au pas, il galope à merveille, et voilà tout d’un coup qu’il s’abat, sauf à se relever pour retomber encore. […] Le dernier roman de M. de Balzac nous a fourni l’occasion de lire une brochure dont le sujet est le même, mais qui contient une histoire vraie et bien récente. […] On raconte à ce sujet une historiette assez piquante dont on prête le récit à M. de Latouche : je la donne ici sans la garantir, et uniquement à titre d’apologue. […] Aussi mon sévère ami, que ce sujet met volontiers en humeur, disait : « Henri IV a conquis son royaume ville à ville : M. de Balzac a conquis son public maladif infirmités par infirmités.

694. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre premier. De l’illusion » pp. 3-31

Beaucoup de philosophes et tous ceux qui se contentent de mots sont sujets à cette erreur. […] Celui-ci, appliquant alors sous le nez du sujet ses doigts fermés contre le pouce, lui dit d’aspirer pour prendre une prise de tabac. […] Immédiatement cet acte suggéra fortement au sujet que l’eau était mauvaise ou même empoisonnée, si bien que dans cette persuasion il la rejeta avec horreur… » — Même illusion quand l’image suggérée est celle d’une sensation de tact. […] F…, qui, dans les mêmes conditions de somnambulisme, fut amenée par suggestion à croire qu’elle avait une violente odontalgie, l’opérateur augmentant l’effet de ses paroles en appliquant son doigt sur la joue du sujet. […] Un autre avait lu, peu de temps avant de tomber malade, la relation d’un voyage dans l’Himalaya ; et c’est sur ce sujet que roulait principalement son délire. » — Les circonstances12 les plus effacées de nos premières années, les incidents les moins remarqués et les plus insignifiants de notre vie ressuscitent parfois avec cette hypertrophie monstrueuse.

695. (1892) Boileau « Chapitre IV. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » » pp. 89-120

D’autres, qui prétendaient décrire le monde des réalités visibles, chargeaient leur tableau de tant de couleurs, altéraient ou grossissaient si fantastiquement toutes les formes, que la nature n’était plus que le prétexte et non le sujet de leur peinture. […] Les dégoûtés qui trouvent le sujet de Britannicus trop « noir », sont des petits-maîtres et de jolies dames qui n’entendent rien à l’art. […] La nouveauté du sujet, d’abord : voyez ce qu’elle pèse ; car Lamotte l’a, et La Fontaine ne l’a pas. […] La nouveauté des pensées, dans un sujet, ne donnait pas plus de souci, au xviie  siècle. […] Cela n’a pas de bien graves conséquences en peinture et en sculpture : la vérité et la beauté n’y sont point essentiellement attachées aux noms et aux circonstances historiques ; les éléments naturels et physiques du sujet importent seuls.

696. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre II : La Psychologie. »

L’opposition de ces deux termes, moi et non-moi, sujet et objet, esprit et matière, se réduit à l’opposition de la sensation considérée subjectivement, et de la sensation considérée objectivement. Il y a, d’une part, la série des états de conscience (dont la sensation fait partie) qui est le sujet de la sensation ; et, d’autre part, le groupe de possibilité permanente de sensation, en partie réalisé dans la sensation actuelle, et qui est l’objet de la sensation. […] Dans le premier cas, nous les considérons principalement dans leur rapport à nos divers sentiments et, par conséquent, au sujet qui en est la somme. […] Mill cite comme le seul ouvrage ayant paru en France, sur ce sujet, l’Étude sur l’association des idées de M.  […] On peut sur ce sujet lire la lettre xxv des Opéra posthuma de Spinoza, adressée à M.

697. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

On me dit que j’obéis à mon médecin : oui, mais je le choisis et j’en puis prendre un autre ; il n’est pas mon maître, je ne suis pas son sujet. […] Où commencent, où finissent le sujet et le souverain ? […] Dans la pratique, on peut mépriser cette objection, car on fait comme on peut ; mais en droit il faut autre chose qu’un signe changeant et mobile comme la fortune pour élever ou abaisser un homme au rang de souverain ou de sujet. […] Il n’entre pas dans mon sujet d’examiner quelles étaient les pensées intimes de Tocqueville sur la religion. […] Vous touchez à ce sujet en plus d’un endroit, jamais à fond, ce me semble.

698. (1767) Sur l’harmonie des langues, et en particulier sur celle qu’on croit sentir dans les langues mortes

Comme beaucoup d’autres qu’eux ont au moins une teinture du grec, et une connaissance assez raisonnable du latin, il est aisé de les embarrasser sur ce qui fait le sujet de leurs exclamations. […] Ce doute révoltera vraisemblablement la plupart de nos latinistes modernes ; j’en ai pourtant trouvé quelques-uns d’assez sincères sur ce sujet. […] Quoique nous ayons déjà fait connaître en différents endroits de ces Mélanges ce que nous pensons sur ce sujet, il ne sera pas inutile de le traiter un peu plus à fond. […]   (2) Voici le commencement d’une harangue de ce professeur, prononcée à la rentrée des classes, et qui a pour sujet : De hilaritate magistris in docendo necessaria. […] Boivin, de l’Académie Française, et qui a pour sujet : De Festivo.

699. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

Poussé par sa vocation d’historien et cherchant encore son sujet, il entreprend avec son ami Deyverdun une Histoire générale de la république des Suisses (ce même thème héroïque que Jean de Müller traitera bientôt), et Gibbon avait déjà composé l’introduction en français : il fallut que l’illustre historien David Hume le rappelât à l’idiome national, en lui disant comme Horace aux Romains qui écrivaient leurs livres en grec : « Pourquoi portez-vous le bois à la forêt ?  […] Sans aller peut-être aussi loin que Montesquieu, qui voyait en Trajan « le prince le plus accompli dont l’histoire ait jamais parlé ; avec toutes les vertus, n’étant extrême sur aucune ; enfin l’homme le plus propre à honorer la nature humaine et représenter la divine » ; sans se prononcer si magnifiquement peut-être, et en faisant ses réserves d’homme pacifique au sujet des guerres et des ambitions conquérantes de Trajan, Gibbon plaçait volontiers à cette époque le comble idéal de la grandeur d’un empire et de la félicité du genre humain. […] L’assujettissement des études s’y réduisant presque à rien, il y continuait dans l’intervalle le cours de ses lectures toutes personnelles ; il s’essaya dès lors sur un sujet singulier et qui était prématuré non seulement pour lui, mais pour tous les hommes de son temps, sur le siècle de Sésostris ; il cherchait à y concilier, au moyen de suppositions d’ailleurs assez ingénieuses, les divers systèmes de chronologie. […] Le pressentiment de sa vocation se décèle lorsqu’il dit en parlant d’Auguste et regrettant que la variété de ses sujets l’empêche de l’étudier à fond : « Que ne me permet-elle (cette variété) de faire connaître ce gouvernement raffiné, ces chaînes qu’on portait sans les sentir, ce prince confondu parmi les citoyens, ce Sénat respecté par son maître !  […] Il poursuit toujours un sujet d’histoire, se méfiant encore de ses forces et sentant toute la dignité du genre : « Le rôle d’un historien est beau, mais celui d’un chroniqueur ou d’un couseur de gazettes est assez méprisable. » La croisade de Richard Cœur-de-Lion l’attire un moment ; mais, à la réflexion, ces siècles barbares, ces mobiles auxquels il est si étranger ne sauraient le fixer, et il lui semble qu’il serait plutôt du parti de Saladin.

700. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — I. » pp. 262-280

je n’aime pas également tous les endroits, si souvent cités, de Mme de Sévigné à son sujet ; elle abuse quelquefois, en parlant de lui, de ces folâtreries de style et de cette belle humeur d’expression qui font contraste avec les choses graves. […] Il excelle d’ordinaire dans le choix de ses textes et dans le parti qu’il en tire pour la division morale de son sujet : mais mainte fois il est subtil ou il semble l’être dans l’interprétation qu’il donne, dans l’antithèse qu’il fait des divers mots de ce texte ; on dirait qu’il les oppose à plaisir et qu’il en joue (comme saint Augustin), et ce n’est qu’au développement qu’on s’aperçoit de la solidité du sens en même temps que de la finesse de l’analyse. […] Tel est l’usage que nous devons faire de la pensée de la mort, et c’est aussi tout le sujet de votre attention… Dire le parti que Bourdaloue a tiré de ces trois points de vue et surtout des deux premiers, c’est ce que toute analyse est insuffisante à rendre et ce qu’il faut chercher dans le sermon même. […] Au reste, tous les reproches à cet égard qu’on peut faire à Bourdaloue, ou plutôt les regrets qu’on peut former à son sujet, se réduisent à ceci : il a été un grand orateur, et il n’est qu’un bon écrivain. […] Il ne considéra son sujet qu’à un point de vue chrétien, et ne loua dans l’ancien fauteur de tant de troubles civils que le converti du calvinisme et celui qui avait replacé sa maison et sa race dans le giron de l’Église.

701. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Instruction générale sur l’exécution du plan d’études des lycées, adressée à MM. les recteurs, par M. Fortoul, ministre de l’Instruction publique » pp. 271-288

Il avait l’habitude de s’exprimer à ce sujet sous la forme, à lui si familière, de l’apologue, et il disait : Il y a dans l’humanité un inexplicable préjugé en faveur des anciennes coutumes et habitudes, qui dispose à les continuer même après que les circonstances qui les avaient rendues utiles ont cessé d’exister. […] La forme est assez fine, ainsi qu’on doit l’attendre de Franklin ; le fond est d’une crudité et d’un radicalisme qui égale tout ce que nous avons pu entendre à ce sujet. […] Quand vous exposez un sujet d’un intérêt général, résumez-en l’histoire ; rendez ainsi familière la logique des inventeurs ; apprenez à vos élèves à connaître et à vénérer les noms des hommes illustres qui ont créé la science. […] Ces promenades sont, de tous les sujets de composition à donner aux élèves, les meilleurs… Il me semble qu’il n’y a dans de telles études, entremêlées aux leçons les plus élevées des lettres, rien d’accablant, rien qui émousse le sentiment de l’admiration ni qui jure avec l’idée du beau. […] Il n’est que juste, et c’est mon droit, presque mon orgueil, en terminant ces volumes, d’y rattacher ce qui en a été le remerciement public et la récompense. — J’avais choisi pour sujet du cours Virgile et l’Énéide.

702. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Histoire du roman dans l’Antiquité »

Chassang, dans le Mémoire devenu tout un livre qu’il a composé à ce sujet et que l’Académie des inscriptions a couronné, s’attache, avec sa sûreté de critique, avec la science dont il use et dispose en maître, à suivre, à démêler et à démasquer le roman sous toutes les formes mythiques, historiques, allégoriques, morales, sous lesquelles il se glissait : la Cyropédie de Xénophon était déjà un roman qui tenait du Télémaque ; l’Atlantide de Platon n’était qu’une fiction de Salente, plus idéale et plus grandiose. […] L’esprit humain, dans son tour en rond ou en spirale, est si sujet à rencontrer les mêmes courants d’influences malignes, que cette Vie du plus grand faiseur de miracles qu’ait produit le monde païen peut presque paraître encore aujourd’hui un livre de circonstance : L’homme est de glace aux vérités, Il est de feu pour les mensonges. […] Il n’a pas inventé son sujet, on le sait bien, et il a hâte de le dire ; il ne prétend qu’enfiler à la suite l’une de l’autre un certain nombre de fables dans le genre milésien. […] Cependant, tout en errant de porte en porte avec l’air d’abandon d’un mauvais sujet et là démarche incertaine d’un homme ivre, je me retrouvai tout à coup, sans le savoir, dans le marché aux comestibles… » Et quand, errant ainsi à travers la ville, il est venu à rencontrer une dame de qualité, Byrrhène, qui se trouve être une amie de sa famille ; quand cette dame, l’ayant conduit jusque chez elle et le voulant retenir pour hôte, essaye du moins de le mettre en garde contre l’hospitalité du vieux ladre chez qui il est descendu et dont la femme, lui dit-elle, est une magicienne du premier ordre et de la pire espèce, Lucius, à cette nouvelle inattendue, qu’il se trouve logé chez une magicienne, est saisi d’un plus violent désir de chercher précisément ce qu’on lui recommande defuir ; il ne sait que prendre, comme on dit, ses jambes à son cou pour courir de toutes ses forces au danger. […] Bétolaud, qui ne laisse pas de mordre à ces friandises comme il sied à un érudit du bon temps, nous indique encore le sujet d’un autre joli conte, les Pantoufles de Philésiétère, que le Bonhomme aurait pu prendre et qu’il a oublié de dérober.

703. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Les frères Le Nain, peintres sous Louis XIII, par M. Champfleury »

A défaut de l’élégance et de la distinction de la forme, il a le fond, la connaissance et l’amour de son sujet, de son monde, le sentiment des parties touchantes que ce petit monde populaire ou bourgeois peut receler sous son enveloppe vulgaire ; suivez-le, ayez patience, et vous serez souvent étonné de vous sentir ému là où vous aviez commencé par être un peu heurté ou rebuté. […] Champfleury qui, l’un des premiers, est revenu à eux comme critique, et qui a plus fait que personne pour les remettre en honneur, a trouvé à leur sujet une conclusion élevée, presque éloquente, tant il est vrai qu’une étude approfondie et une sincère conviction amènent leur expression avec elle ! […] je laisse maintenant ces trouvailles à d’autres ; mais ce qui ne sera jamais démenti, c’est qu’ils étaient pleins de compassion pour les pauvres, qu’ils aimaient mieux les peindre que les puissants, qu’ils avaient pour les champs et les campagnards les aspirations de La Bruyère, qu’ils croyaient en leur art, qu’ils l’ont pratiqué avec conviction, qu’ils n’ont pas craint la bassesse du sujet, qu’ils ont trouvé l’homme en guenilles plus intéressant que les gens de cour avec leurs broderies, qu’ils ont obéi au sentiment intérieur qui les poussait, qu’ils ont fui l’enseignement académique pour mieux faire passer sur la toile leurs sensations : enfin, parce qu’ils ont été simples et naturels, après deux siècles ils sont restés et seront toujours trois grands peintres, les frères Le Nain. » J’honore le critique qui trouve de tels accents, et quand il aurait excédé un peu, comme c’est ici le cas, dans ses conjectures ou dans son admiration pour les trois frères indistinctement, il n’aurait fait que réparer envers ces bons et dignes peintres un long arriéré d’oubli et d’injustice, leur rendre avec usure ce que près de deux siècles leur avaient ôté ; il n’aurait pas fait d’eux un portrait faux, car il reconnaît et relève en toute rencontre leurs inégalités et leurs défectuosités originaires, il n’aurait donné en définitive qu’un portrait un peu idéal, ou du moins un portrait un peu plus grand que nature, un peu plus accusé et accentué de physionomie, mais toujours dans les lignes de la ressemblance et de l’individualité. […] Champfleury, appliquant son même procédé de curiosité et d’enquête à la littérature populaire, en a tiré le sujet de quelques publications. […] Cet amateur zélé et à la chasse des Le Nain pourrait bien être sujet à quelque autre faible encore.

704. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire. »

Villemain, et de rechercher ce qu’il y a de Shakespeare ou plutôt ce qu’il n’y en a pas dans les pièces de Ducis ; il n’a guère emprunté de son original que les titres et une certaine excitation chaleureuse pour se monter l’imagination sur les mêmes sujets ; et il n’a guère fait, à son tour, que fournir des motifs de beaux rôles et de masques tragiques à de grands comédiens comme Brizard, La Rive, Monvel, et en dernier lieu Talma. […] Suit Je viens de terminer une nouvelle tragédie : c’est Admète et Alceste, sujet tiré de notre Euripide. […] Ducis est sur le point de lire son OEdipe aux comédiens (février 1775) et il n’attend pour cela que le Carême : « Me voilà toujours ici, en attendant que la cendre du saint mercredi qui s’approche fasse tomber toute cette fureur de fêtes et de danses qui tournent les têtes : on ne pourrait pas entendre mon Œdipe avec des oreilles pleines du bruit des orchestres et du tumulte des bals. » Cependant, déjà revenu de la Grèce à ses dieux du Nord et à Shakespeare, il a choisi Macbeth pour sujet de pièce nouvelle : « Tout le monde me gronde ici, mon cher ami, écrit-il de Versailles à Delevre, à cause du genre terrible que j’ai adopté. On me reproche déjà le choix du sujet de Macbeth comme une chose atroce. « Monsieur Ducis, me dit-on, suspendez quelque temps ces tableaux épouvantables ; vous les reprendrez quand vous voudrez : mais donnez-nous une pièce tendre, dans le goût d’Inès, de Zaïre, une pièce qui fasse couler doucement nos larmes, qui vous concilie enfin les femmes, cette belle moitié de votre auditoire qui entraîne toujours l’autre. […] Mais il faut un sujet qui me tente, qui porte bien aux développements d’un cœur amoureux, au flux et reflux de cette passion douce et terrible.

705. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite et fin.) »

Le poète critique attribue même un peu trop à Homère quand, se souvenant à son sujet d’un mot d’Horace pour le réfuter, il dit que là où nous voyons une faute et une négligence, il n’y a peut-être qu’une ruse et un stratagème de l’art : « Ce n’est point Homère qui s’endort, comme on le croit, c’est nous qui rêvons. » Le beau rôle du vrai critique, Pope l’a défini et retracé en divers endroits pleins de noblesse et de feu, et que je rougis de n’offrir ici que dépolis et dévernis en quelque sorte, dépouillés de leur nette et juste élégance : « Un juge parfait lira chaque œuvre de talent avec le même esprit dans lequel l’auteur l’a composée : il embrassera le tout et ne cherchera pas à trouver de légères fautes là où la nature s’émeut, où le cœur est ravi et transporté : il ne perdra point, pour la sotte jouissance de dénigrer, le généreux plaisir d’être charmé par l’esprit. » Et ce beau portrait, l’idéal du genre, et que chaque critique de profession devrait avoir encadré dans son cabinet : « Mais où est-il Celui qui peut donner un conseil, toujours heureux d’instruire et jamais enorgueilli de son savoir ; que n’influencent ni la faveur ni la rancune ; qui ne se laisse point sottement prévenir, et ne va point tout droit en aveugle ; savant à la fois et bien élevé, et quoique bien, élevé, sincère ; modeste jusque dans sa hardiesse, et humainement sévère ; qui est capable de montrer librement à un ami ses fautes, et de louer avec plaisir le mérite d’un ennemi ; doué d’un goût exact et large à la fois, de la double connaissance des livres et des hommes ; d’un généreux commerce ; une âme exempte d’orgueil, et qui se plaît à louer, avec la raison de son côté ?  […] Pope qui, comme tant de moralistes, n’a pas assez observé ses propres maximes, nous en donne à ce sujet d’excellentes dans son Essai  ; il nous dit que le mieux est souvent de retenir sa critique, de laisser le sot s’espacer et s’épanouir tout à son aise : « Votre silence, en ce cas, est mieux que votre colère : car qui peut railler aussi longtemps qu’un sot est capable d’écrire ?  […] Cette Épître nous montre par une suite d’exemples ou de remarques habilement choisies que pour qui veut connaître à fond un seul homme, un individu, tout trompe, tout est sujet à méprise, et l’apparence et l’habitude, et les opinions et le langage, et les actions même qui souvent sont en sens inverse de leur mobile : il n’y a qu’une chose qui ne trompe pas, c’est quand on a pu saisir une fois le secret ressort d’un chacun, sa passion maîtresse et dominante (the ruling passion), dans le cas où chez lui une telle passion existe. […] Ses jugements sur les auteurs, ses propos sur tous sujets, particulièrement sur les matières littéraires, sont d’une vérité exquise. […] Au siècle dernier, il y a cent ans, c’était un crime encore (légalement parlant), une tache et un sujet de répulsion d’être déiste comme Rousseau dans l’Émile ou comme Marmontel dans Bélisaire (je ne rapproche que la doctrine, non les talents).

706. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat. »

On entre dans son sujet comme dans une place prise d’assaut, avec le nouveau document déployé en guise de drapeau, et l’on chante tout d’abord victoire. […] S’ils demandent des détachements, il doit les fournir sans autres ordres, sauf à lui d’en rendre compte au général ; mais pas un ne lui en demandera s’il possède sa confiance78… » Cette définition que nous donne Catinat, me fait revenir encore sur le mot du duc de la Feuillade à son sujet, et elle achève pour moi de l’éclairer d’une manière plus particulière. […] Sa Majesté s’attend que vous satisferez au premier, en leur donnant vous-même, sans vous en rapporter à personne, les susdits cinq écus, et en interrogeant si bien ceux qui se diront déserteurs de Mons, que vous ne soyez pas pris pour dupe, et ne donniez pas d’argent à ceux qui n’en viendront pas… Je ne vous dis point que Sa Majesté ne confierait point son argent à un autre que vous, étant fort persuadée que vous l’administrerez de manière qu’elle aura tout sujet de s’en louer : je lui en répondrais bien, s’il en était besoin… » Ainsi sa sagesse, son égalité d’humeur et son ménagement des hommes (dans ses rapports avec M. de Quincy), sa probité et son intégrité dans le maniement et l’emploi rigoureux des fonds, étaient reconnus autant que ses talents militaires ; il avait l’entière confiance du ministre et du maître. […] Camille Rousset nous édifie à ce sujet complètement. […] Tous les biographes disent qu’en cette même année de la conquête de la Franche-Comté (1674), Catinat présent à la bataille de Senef y fut blessé et reçut à ce sujet un billet du grand Condé, dont il cite même les termes.

707. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre (suite et fin) »

Les affaires se tiennent par des liaisons qui les mettent dans une dépendance nécessaire les unes des autres, et ce n’est que par la combinaison de toutes les parties qu’on doit se décider sur ce qu’il est le plus avantageux de faire pour chacune d’elles en particulier. » Le maréchal de Noailles est âgé de soixante-quatre ans à cette date ; il représente une longue expérience acquise, il est un des rares demeurants du dernier règne ; il peut dire au roi avec autorité sur presque chaque sujet : « Le feu roi, votre auguste bisaïeul, pensait… le feu roi, votre auguste bisaïeul, disait… » Il s’offre pour ce genre de conseil avec un dévouement passionné, qui n’est pas sans dignité jusque dans son expansion : « Jusqu’à ce qu’il plaise à Votre Majesté de me faire connaître ses intentions et sa volonté, me bornant uniquement à ce qui regarde la frontière dont elle m’a donné le commandement, je parlerai avec franchise et liberté sur l’objet qui est confié à mes soins, et je me tairai sur tout le reste, toujours prêt, cependant, à vous exposer, Sire, lorsque vous le voudrez, etc., etc. […] Au lieu de cela, il répondit au maréchal avec des paroles d’honnête condoléance pour son échec qualifié simplement de victoire manquée, avec des félicitations pour la valeur des jeunes seigneurs et des officiers, et par des regrets au sujet des morts ; puis il ajoutait : « Je ne suis pas moins fâché que vous de ce que vous me dites de ma Maison, et surtout de celle à cheval ; trop de complaisance doit en être la seule cause ; tenons-nous-le pour dit pour l’avenir. […] vous croirez que Frédéric, donnant de prétendues leçons à son héritier, ait pu dire au sujet du choix de ses ambassadeurs : « J’en ai trouvé qui m’ont servi sur les deux doigts et qui, pour découvrir un système, auraient fouillé dans la poche d’un roi. […] Le maréchal de Noailles le lui insinue aussi respectueusement que possible : « Votre Majesté me paraît frappée, autant que je puis l’être, de la stérilité des grands hommes ; ce n’est cependant pas, Sire, que je ne sois persuadé qu’il n’y ait de l’étoffe pour en faire ; il s’agit d’aider à la nature, d’exciter le zèle et l’émulation et de fournir aux bons sujets les occasions de se développer. […] Noailles a le mérite de pousser le comte de Saxe contre lequel Louis XV faisait d’abord quelques objections, se méfiant de lui à cause de sa qualité d’étranger : « Les officiers, Sire, qui se portent vers le grand sont aujourd’hui si rares que, dans l’opinion que j’ai du comte de Saxe, je le regarde aujourd’hui comme un homme précieux pour votre État, qui mériterait des distinctions particulières s’il était né votre sujet ; qui, étant étranger, en mérite encore de plus grandes, afin de l’attacher plus étroitement à Votre Majesté.

708. (1829) De la poésie de style pp. 324-338

Delécluze avait creusé davantage dans son sujet, il se serait demandé par quel procédé de style l’auteur du Roi Lear et du Songe d’une nuit d’été fait ainsi travailler l’imagination de ses lecteurs. […] Après cela, mille causes accessoires y ont concouru : on a pris goût au style poétique de la Bible, qui était pour Voltaire un sujet d’ineffables risées ; on a pris goût aux littératures étrangères ; on a étudié l’Orient ; on a eu besoin d’émotions nouvelles ; le sentiment de la liberté et de l’individualisme s’est montré partout, s’est appliqué à tout ; enfin on retrouve ici, comme dans mille autres questions, l’influence de tout ce qui compose ce qu’on appelle l’esprit du siècle. […] Les églises chrétiennes veulent dire des sujets du Moyen-Âge ; les minarets, des orientales ; et ainsi du reste. […] Le sujet et jusqu’au titre de son dernier recueil sont un indice de son talent. […] Il y a assez d’analogie pour le sujet.

709. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Discours sur l’histoire de la révolution d’Angleterre, par M. Guizot (1850) » pp. 311-331

Il est impossible au critique journaliste, qui se met le plus souvent en quête pour se créer des sujets susceptibles d’intérêt, d’en éluder d’aussi importants quand ils se présentent de front. Si je venais à passer sous silence ce Discours pour parler d’un livre de poésie, d’un roman ancien ou nouveau, on aurait droit de penser que la critique littéraire se récuse, qu’elle se reconnaît jusqu’à un certain point frivole, qu’il est des sujets qu’elle s’interdit comme trop imposants ou trop épineux pour elle ; et ce n’est jamais ainsi que j’ai compris cette critique, légère sans doute et agréable tant qu’elle le peut, mais ferme et sérieuse quand il le faut, et autant qu’il le faut. […] Guizot est un des hommes de ce temps-ci qui, de bonne heure et en toute rencontre, ont le plus travaillé, le plus écrit, et sur toutes sortes de sujets, un de ceux dont l’instruction est le plus diverse et le plus vaste, qui savent le plus de langues anciennes et modernes, le plus de belles-lettres, et pourtant ce n’est pas un littérateur proprement dit, dans le sens exact où se définit pour moi ce mot. […] En 1826, il sut choisir comme matière d’histoire un sujet qui était alors le plus heureux par les analogies avec notre situation politique, et qui s’appropriait, de plus, à son talent par toutes les sortes de convenances : il entreprit l’Histoire de la révolution d’Angleterre. […] Que si l’on examine le Discours par rapport au sujet même qui y est traité, c’est-à-dire à la révolution d’Angleterre, il y a beaucoup à louer.

710. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le Livre des rois, par le poète persan Firdousi, publié et traduit par M. Jules Mohl. (3 vol. in-folio.) » pp. 332-350

Ce poète, pas plus qu’Homère, n’a inventé les sujets qu’il célèbre ; il les a puisés dans la tradition, dans les légendes et ballades populaires, et il en a fait un corps de poème qui, pour ces temps reculés, supplée en quelque manière à l’histoire. […] Leurs petites cours se remplirent de poètes persans qui reprirent et remanièrent avec émulation ces sujets de ballades populaires. […] Les poètes de cour, les rivaux et ennemis littéraires de Ferdousi prétendirent que le succès de son ouvrage tenait à l’intérêt des sujets bien plutôt qu’au talent de l’auteur. […] Le plus célèbre épisode du poème, et qui est de nature à nous intéresser encore, a pour sujet la rencontre du héros Roustem et de son fils Sohrab. […] Son renom était tel, que le roi de la ville, bien que sujet des Turcs, sachant qu’il approchait, vint au-devant de lui, lui promit de faire chercher Raksch, et lui offrit une splendide hospitalité.

711. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits de Fénelon. (1850.) » pp. 1-21

Ce jeune prince, que Saint-Simon nous montre si hautain, si fougueux, si terriblement passionné à l’origine, si méprisant pour tous, et de qui il a pu dire : « De la hauteur des cieux il ne regardait les hommes que comme des atomes avec qui il n’avait aucune ressemblance, quels qu’ils fussent ; à peine Messieurs ses frères lui paraissaient-ils intermédiaires entre lui et le genre humain » ; ce même prince, à une certaine heure, se modifie, se transforme, devient un tout autre homme, pieux, humain, charitable autant qu’éclairé, attentif à ses devoirs, tout entier à sa responsabilité de roi futur ; et cet héritier de Louis XIV ose proférer, jusque dans le salon de Marly, ce mot capable d’en faire crouler les voûtes, « qu’un roi est fait pour les sujets et non les sujets pour lui ». […] Et c’est ici que la manière saine et mâle que Bossuet portait en chaque sujet retrouve toute sa supériorité. […] (Quelle manière délicate d’indiquer ses craintes au sujet du duc de Bourgogne ! […] La mort du duc de Beauvilliers (31 août 1714) acheva de briser les derniers liens étroits qui rattachaient Fénelon à l’avenir : « Les vrais amis, écrivait-il en cette occasion à Destouches, font toute la douceur et toute l’amertume de la vie. » C’est à Destouches aussi qu’il écrivait cette admirable lettre, déjà citée par M. de Bausset, sur ce qu’il serait à désirer « que tous les bons amis s’entendissent pour mourir ensemble le même jour », et il cite à ce sujet Philémon et Baucis ; tant il est vrai qu’il y a un rapport réel, et que nous n’avons pas rêvé, entre l’âme de Fénelon et celle de La Fontaine.

712. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Étienne Pasquier. (L’Interprétation des Institutes de Justinien, ouvrage inédit, 1847. — Œuvres choisies, 1849.) » pp. 249-269

Nous profiterons de ces travaux pour dire nous-même quelque chose du docte et digne personnage qui en a fourni le sujet. […] En un mot, dans tout ce qu’il dit à ce sujet, Pasquier a le bon sens, mais il n’a pas encore le bon goût. […] Chaque profession, en effet, nourrit à sa manière de bons esprits qui trouvent, dans le sujet habituel qu’ils ont en main, des expressions heureuses, des termes hardis et naturels, dont un bon écrivain peut faire ensuite son profit, mais dont seul il ne se serait pas avisé. […] Les premiers livres, pourtant, sont d’un intérêt moindre ; il s’amuse visiblement à imiter parmi nous Pline le Jeune ou Politien, qui ont laissé des recueils de ce genre ; il se propose des sujets, des thèmes, auxquels il se joue. […] Mais bientôt, avec l’âge et le cours des événements, les sujets deviennent plus sérieux : à partir d’un certain moment, toute l’histoire et la politique de son temps y passent, et nous y assistons avec lui, c’est-à-dire par les yeux d’un témoin judicieux, éclairé, placé au meilleur point de vue, ni trop près ni trop loin de la Cour, qui ne se pique point de parler en homme d’État, mais qui apprécie et sent les choses de sa nation avec le cœur et l’intelligence de cette haute bourgeoisie, alors si intègre et si patriotique, et qui se pouvait dire le cœur même de la France.

713. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — I. » pp. 401-420

Sans nous engager dans le détail des intrigues, il demeure évident que Mme des Ursins contribua dès les premiers temps à bien diriger la reine, à l’engager dans une voie où elle se fit bien venir de ses nouveaux sujets et chérir du peuple espagnol. […] Les gens comme nous doivent s’élever au-dessus des démêlés particuliers, et se conduire par rapport à leurs propres intérêts et à ceux de leurs sujets, qui sont toujours les mêmes. […] On la vit comblée de grâces et de marques de distinction « comme pas une sujette ne l’avait été », et à l’un des voyages de Marly, Louis XIV lui en fit les honneurs comme à un « diminutif de reine étrangère ». […] « On n’avait jamais vu prendre un si grand vol. » Mme des Ursins, qui avait de l’imagination et qu’on nous dit un peu sujette à l’éblouissement, put avoir en ces mois de faveur quelque accès d’ivresse ; mais surtout, et en même temps qu’elle déployait les trésors de sa conversation continuelle et intarissable, elle apprécia vivement l’esprit du roi. […] Berwick, en signifiant à la Cour la nécessité de quitter Madrid, avait proposé un plan fait pour séduire : c’était que la reine vînt se mettre en personne à la tête de son armée, qu’elle lançât de là des proclamations et appelât tout ce qu’il y avait de loyaux sujets à combattre sous son étendard : « La princesse des Ursins et M. 

714. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — II. (Suite et fin.) » pp. 421-440

Ainsi, à propos du prince de Vaudémont, ancien gouverneur de Milan et homme de mérite, qui a fort réussi à Versailles : Serait-ce un grand malheur, écrit Mme des Ursins, quand vous voudriez par vous-même le connaître à fond, en l’entretenant sur toutes sortes de matières différentes, et lui demandant comment il pense sur les sujets ? […] Ce qui arrive là au sujet du prince de Vaudémont se renouvelle sans cesse. […] Pour Monseigneur le duc de Bourgogne, qui est, je crois, un peu sujet aux distractions, je m’étonne que, dans les premiers moments de sa joie, il ne prît pas quelque dame pour une bille, et qu’il ne lui donnât pas un coup du billard qu’il avait à la main. […] Je n’ai pas oublié, dans le détail que j’ai pris la liberté d’écrire au roi (à Louis XIV), que je ne mangeais que deux vieux œufs par jour ; j’ai cru que cette circonstance l’exciterait à avoir pitié d’une fidèle sujette qui ne mérite, ce me semble, par aucun endroit un pareil mépris. […] Et cependant, en quittant ces deux personnages de haute représentation, Mme des Ursins et Mme de Maintenon, ces deux sujets habiles et du premier ordre, me sera-t-il permis de rappeler au fond, en arrière et au-dessous d’elles, d’une époque un peu plus ancienne, une simple spectatrice de cette belle comédie de la Cour, une personne qui n’a eu en rien le génie de l’intrigue et de l’action, mais d’un bon sens égal, doux et fin, d’un jugement calme et sûr, la sage, la sincère et l’honnête femme véritablement en ce lieu-là, Mme de Motteville ?

715. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — II. (Fin.) » pp. 476-495

Plus habituellement, il s’entretient avec lui de leurs goûts communs ; dans les intervalles de loisir, le roi continue d’étudier sous sa tente et d’appliquer son esprit à tous les sujets ; mieux vaut, pense-t-il, dans cette courte vie, user soi-même de ses ressorts, « car ils s’usent sans cela inutilement et par le temps, sans que l’on en profite ». […] Jordan écrivit au roi une lettre dernière, dans laquelle, au milieu de l’expression d’une tendre reconnaissance, il touchait un mot de religion ; c’était comme une demi-rétractation de certaines plaisanteries qui avaient eu cours entre eux à ce sujet : Sire, mon mal augmente d’une façon à me faire croire que je n’ai plus lieu d’espérer ma guérison. […] J’y suis accoutumé : je n’entends que mensonges répandus sur mon sujet ; je ne suis presque nourri que d’infâmes satires et que d’impostures grossières que la haine et l’animosité ne cessent de publier en Europe. […] C’est un grand sujet d’affliction pour moi ; mais je n’ai pas seulement le temps de le pleurer. » Je ne fais qu’indiquer la lettre sur la mort du maréchal Keith, frère du Milord, tué d’un coup de feu à la bataille de Hochkirch. […] En retour du bienfait reçu, Rousseau lui adresse pour remerciement une lettre altière, pédantesque, dans laquelle il fait ses conditions : « Vous voulez me donner du pain ; n’y a-t-il aucun de vos sujets qui en manque ?

716. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Quatre moments religieux au XIXe siècle. »

Je n’élude pas systématiquement tous les grands sujets qui passent. […] c’est ce qu’il y a de plus fatal à la vérité ; et qu’il est difficile de n’y pas céder et succomber quand on y est porté par le courant même de sa nature d’artiste et par toutes les voiles du talent, quand il y a comme une harmonie préétablie entre les sujets qui nous tentent et nos cordes secrètes ! […] Il n’hésite pas, il ne daigne pas discuter, il n’en fait ni une ni deux, il tranche ; et je suis sûr que s’il avait entendu élever un doute à ce sujet, il aurait été homme à répondre avec l’éclair dans les yeux que, vraie ou fausse en réalité, la tradition n’en était pas moins vraie, et dans un sens supérieur au réel : il y a de ces tours de force de l’éloquence. […] Ce coup-d’œil, à propos d’une dernière production du Père Lacordaire, m’a mené plus loin que je ne prévoyais : ce ne devait être d’abord, dans ma pensée, qu’une entrée en matière et une transition pour passer à un sujet plus général.

717. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

La poésie pour lui est ailleurs : elle a quitté les déserts, elle s’est transportée et répandue en tous lieux, en tous sujets ; elle se retrouve sous forme détournée et animée dans l’histoire, dans l’érudition, dans la critique, dans l’art appliqué à tout, dans la reconstruction vivante du passé, dans la conception des langues et des origines humaines, dans les perspectives mêmes de la science et de la civilisation future : elle a diminué d’autant dans sa source première, individuelle ; celle-ci n’est plus qu’un torrent solitaire, une cascade monotone, quand tout le pays alentour, au loin, est arrosé, fécondé et vivifié d’une eau courante, souterraine, universelle. […] Ici je vois quatre ou cinq recueils en un : l’Ame, — les Jeunes filles, — la Vie, — Paris, — l’Art, — autant de livres distincts et qui ont chacun la diversité de couleur ou de sujets. […] Celle-ci ne rit jamais mieux, selon Montaigne, qu’en un sujet folâtre et déréglé. […] Sully Prudhomme soient fiers de lui, et que l’un d’eux nous écrive à son sujet : « Ou je me trompe fort et l’amitié m’égare, ou vous serez frappé de ce volume ; il révèle, si je ne m’abuse, un nouveau mouvement dans la poésie et comme le frémissement d’une aurore encore incertaine. » Je m’explique aussi que l’auteur, à la fin comme au début de son recueil, s’excuse de n’avoir su tout exprimer et tout rendre de ce qu’il voulait étreindre et de ce qu’il sentait : Je me croyais poëte, et j’ai pu me méprendre ; D’autres ont fait la lyre et je subis leur loi ; Mais si mon âme est juste, impétueuse et tendre,     Qui le sait mieux que moi ?

718. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  second article  » pp. 342-358

Mais que l’on ne vienne pas non plus demander d’un air de doute quel est donc le sujet de l’Iliade, et si elle a vraiment un sujet ? car il en est du sujet d’Homère dans son ensemble comme de ces comparaisons même, si libres et si vastes, qu’il affectionne ; il suffit qu’elles marchent et qu’elles se dessinent par une partie essentielle ; le reste suit avec un certain désordre qui est le cortége de la grandeur ou de la grâce. Ce qui me paraît demeurer bien évident et sauter aux yeux quand ils lisent au naturel et sans les lunettes des systèmes, c’est que le sujet et le héros de l’Iliade, c’est Achille.

719. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre II. Diderot »

Gros mangeur, gourmand, il ne nous fait pas grâce de ses indigestions : il est plein de son sujet, il faut qu’il parle. […] Elle saisit trop volontiers le sujet, l’idée, pour en donner un développement qui substitue le travail de l’écrivain au travail du peintre ou du sculpteur. […] Ces œuvres étaient toutes pleines d’intentions littéraires ; elles voulaient agir sur le public par les sujets et par les idées que les sujets suggéraient, idées polissonnes chez Boucher ou Fragonard, idées voluptueuses ou morales chez Greuze, idées philosophiques chez Bouchardon.

720. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre II. La critique »

Enfin, en regrettant de n’avoir pas de mémoires où Poe, Dickens, Balzac, Hugo, « bien interrogés », auraient livré le secret de leur mécanisme mental, Taine a indiqué aux psychologues un curieux sujet d’études que quelques-uns ont récemment abordé862 mais il a donné à nos romanciers une fâcheuse idée de leur importance, il les a provoqués à des examens, des étalages de leur moi, qui n’apportent guère de lumières à la science, sinon peut-être sur la vanité du type « littérateur ». […] En histoire, Taine a repris le sujet qui avait tenté Tocqueville faire comprendre, par la description de l’ancien régime, de la Révolution, du régime nouveau, ce qu’est la France contemporaine. Il s’est placé devant ce vaste sujet « comme un naturaliste devant la métamorphose d’un insecte ». […] Les deux volumes où il a consigné ses impressions du Sahara et du Sahel contiennent des tableaux étonnants, dont la couleur intense fait pâlir les finesses charmantes de sa peinture : ces descriptions sont en un sens de la critique, la critique des sujets, si je puis dire ; car on y voit la réflexion de l’artiste analyser à l’aide des mots des sensations pittoresques dont sa main ne saurait rendre la puissance.

721. (1863) Molière et la comédie italienne « Textes et documents » pp. 353-376

En voici le sujet en quelques mots : Chrisoforo (Epidicus de Plaute), valet de Polipo (Strattippoclès), jeune soldat, fils d’un père opulent, a été chargé par son maître, qui est allé au siège de Nicosie, en l’île de Chypre, d’acquérir par tous moyens Flavia, esclave d’un marchand d’esclaves nommé Arpago. […] C’est à la clarté de la lune et du soleil que le poète en trois personnes fournit le sujet sublime. […] L’Impegno d’un acaso (les Engagements du hasard), tiré de la pièce de Calderon, Croire ce qu’on ne voit pas et ne pas croire ce qu’on voit, où Douville a pris le sujet des Fausses Vérités. […] Dans le dessein de recevoir la récompense qu’il espérait, il se rendit un matin chez le duc ; mais le suisse, se doutant du sujet de sa visite, ne voulut point le laisser entrer.

722. (1936) Réflexions sur la littérature « 1. Une thèse sur le symbolisme » pp. 7-17

On ne saurait étudier une période d’une littérature sans avoir une opinion sur les grandes questions de cette littérature, sans pouvoir rattacher son sujet à une continuité, ou bien l’en distinguer. […] Je relève seulement les erreurs qui portent soit sur la méthode, soit sur les points vifs du sujet. […] Faguet : « la forme est admirable, écrit au sujet des Stances M.  […] Barre sur ce sujet tiennent dans le chapitre consacré à M. 

723. (1926) La poésie de Stéphane Mallarmé. Étude littéraire

Il n’aborde que les sujets pour lesquels il dispose du vocabulaire qui leur convient. […] Mallarmé voudrait des mots qui fussent des sujets. […] Tout homme de lettres un peu nerveux est sujet à des hallucinations analogues. […] Il se posa à ce sujet les problèmes les plus désespérants, les plus insolubles. […] De là l’indifférence des Parnassiens au fond des sujets évoqués.

724. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — I » pp. 143-149

Elle le lui fut dans une première circonstance assez singulière : élu chanoine de Chaumont à vingt-trois ans, en 1706, il eut un compétiteur, le sieur Denys, qui le voulut évincer, même après l’élection, soutenant que la ville avait fait choix en lui d’un sujet indigne et incapable. […] L’abbé Prévost y insiste et le discute, au sujet même de l’abbé de Pons : Je ne sais, dit-il22, par quel préjugé on s’est persuadé depuis quelque temps que les cafés sont une mauvaise école pour l’esprit et pour le goût. […] Dans son jugement de Rhadamiste, qui parut en brochure, le critique, après avoir reconnu qu’il y a dans la pièce des traits hardis, heureux, et des situations intéressantes, se met à la suivre scène par scène et à démontrer les invraisemblancesk, les incohérences du sujet, l’action peu liée, les caractères peu soutenus ; il n’en laisse à peu près rien subsister : Enfin, dit-il, je n’ai pas d’idée d’avoir jamais lu une tragédie plus embarrassée, plus fausse, et moins intelligible ; j’ai l’avantage de pouvoir dire ici tout ce que je pense, sans crainte de faire tort à l’auteurl ; car, ou je m’égare dans le jugement que j’expose, et en ce cas le public le vengera de moi, ou le public déférera à mes remarques, et en ce cas même il en rejaillira beaucoup de gloire à M. de Crébillon : on estimera à la vérité un peu moins sa pièce, mais il paraîtra d’autant plus grand, qu’il aura mieux trouvé l’art de fasciner les esprits, en leur cachant les défauts de sa tragédie à force de splendeur et de magnificence.

725. (1875) Premiers lundis. Tome III « Profession de foi »

Mais la dissolution du Globe n’en résultait pas nécessairement ; l’idée première, la conception fondamentale dont le développement avait dévié en se resserrant dans la politique de la Restauration ; qui pourtant s’était reproduite plus d’une fois dans des applications partielles, dans des pressentiments organiques ; qui, en plus d’une page, à l’occasion de l’union européenne et de la politique de Napoléon, à l’occasion du Comité de salut public et de sa tentative avortée ; qui, plus récemment, au sujet du libéralisme de Benjamin Constant, jugé par le noble et infortuné Farcy, avait percé au point d’offenser dans le journal le principe dominant, et d’y scandaliser les politiques pratiques ; cette idée qui nous en avait inspiré le début ; qui, par le choix intérieur des matières et des faits, en alimentait le fond ; qui, par des renseignements nombreux, par d’amples informés sur l’instruction primaire aux frais de l’État, sur l’émancipation des artisans, sur les essais divers de système coopératif et sur une foule d’autres sujets, avait sourdement lutté contre les doctrines économiques d’indifférence et de laisser-faire professées dans des colonnes plus officielles ; cette idée qu’une plume ingénieuse et délicate avait autrefois effleurée, sans l’entamer, dans un article intitulé de la Critique de la critique, et qui s’était hardiment résumée en Juillet sous ce cri prophétique, bien qu’un peu étrange : Plus de criticisme impuissant ; cette féconde et salutaire idée d’association universelle et d’organisation future restait entière à exploiter ; elle demeurait à nu, dégagée de tous les voiles factices, de toutes les subtilités prestigieuses que la Restauration avait jetées devant. […] Sa gravitation a été invariable, quoique souvent contrariée dans son cours et sujette à des rebroussements.

726. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VI. Du raisonnement. — Nécessité de remonter aux questions générales. — Raisonnement par analogie. — Exemple. — Argument personnel »

On ne saurait trop s’attacher, en tout sujet, à discerner la question générale parmi les circonstances particulières. […] D’autre part, à reprendre les vieux sujets de fables, quelle imagination il faudrait, pour en tirer quelque chose ! […] C’est une arme facile à l’usage des gens qui sont à bout de raisons ou qui ne savent pas raisonner : que de discussions où l’on voit les adversaires se jeter mutuellement leurs vérités au nez, n’avoir souci que de se noircir réciproquement, sans toucher au sujet qui est en délibération, comme s’il suffisait de déshonorer son contradicteur pour prouver qu’on a raison sur un fait particulier !

727. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 140-155

Trop heureux, si, en choisissant mieux ses sujets, il se fût défié de la manie des paradoxes ; s’il ne se fût pas trop piqué d’une adresse ambidextre qui a égaré son jugement en tant d’occasions, & lui a inspiré trop de confiance pour justifier tous les systêmes qu’il lui a plu d’imaginer. […] S’il est faux que les Lettres, cultivées selon les regles & les précautions que le bien commun exige, soient capables de nuire à la Société, il est du moins très-certain qu’à en juger par les désordres qui regnent aujourd’hui parmi les Littérateurs, elles sont sujettes à de grands inconvéniens. […] La plume de Rousseau n’a pas dédaigné de s’exercer sur de petits sujets.

728. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre onzième. »

Il paraît singulier que La Fontaine réduise à un résultat si médiocre, le récit d’un fait aussi intéressant que celui qui est le sujet de cet Apologue. […] Un paysan grossier, sans instruction, à qui le sentiment des droits de l’homme, trop offensés par les tyrans, donne une éloquence naturelle et passionnée qui s’attire l’admiration de la capitale du monde et désarme le despotisme, un tel sujet devait conduire à un autre terme que la morale du souriceau. […] Ce sont là des sujets, Vainqueurs du Temps et de la Parque.

729. (1767) Salon de 1767 « Les deux académies » pp. 340-345

L’académie donne le sujet. […] Ils ont dit que ce n’était pas là le sujet, et on leur a répondu qu’ils reprochaient à l’élève d’avoir eu du génie. […] Moette est un bon élève, et si le concours est sujet à l’erreur et à l’injustice, ce n’est jamais au point d’exclure l’homme de génie, et de donner la préférence à un sot décidé sur un habile homme.

730. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor de Laprade. Idylles héroïques. »

Malheureusement, pour peindre de si forts contrastes, il faudrait un poète, héroïque aussi comme son sujet, et M. de Laprade ne l’est pas. […] Autran, qui a osé toucher, lui aussi, dans ses Laboureurs et Soldats, à ce grand sujet, — l’idylle héroïque, — M. de Laprade, l’auteur des Symphonies et d’une foule d’autres poèmes Revue des Deux-Mondes, M. Laprade qui, depuis dix ans, n’a ni renouvelé son inspiration ni modifié sa manière, ne pouvait être au niveau du beau sujet qu’il avait aperçu… de loin.

731. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 192-197

Le sujet en est grand, l’ordonnance hardie, l’exécution noble, les couleurs fortes & habilement ménagées. Quand Malherbe traite des sujets agréables, il déploie une richesse d’ornemens qui embellit la matiere la plus stérile, un coloris vif & tendre qui anime jusqu’aux moindres détails.

732. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre premier. Du Christianisme dans l’éloquence. »

Le christianisme fournit tant de preuves de son excellence, que, quand on croit n’avoir plus qu’un sujet à traiter, soudain il s’en présente un autre sous votre plume. […] Enfin Vergniaud ne s’est élevé à la grande éloquence, dans quelques passages de son discours pour Louis XVI, que parce que son sujet l’a entraîné dans la région des idées religieuses : les pyramides, les morts, le silence et les tombeaux.

733. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Avertissement de l’auteur »

Plusieurs personnes m’ayant déjà demandé quelques éclaircissements relativement au titre de ce cours, je crois utile d’indiquer ici, à ce sujet, une explication sommaire. […] Mais je n’ai pas dû choisir cette dernière dénomination, non plus que celle de philosophie des sciences, qui serait peut-être encore plus précise, parce que l’une et l’autre ne s’entendent pas encore de tous les ordres de phénomènes, tandis que la philosophie positive, dans laquelle je comprends l’étude des phénomènes sociaux aussi bien que de tous les autres, désigne une manière uniforme de raisonner applicable à tous les sujets sur lesquels l’esprit humain peut s’exercer.

734. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

quel sujet pour un humoriste ! […] puisque nous sommes sur ce sujet, disons toute notre pensée. […] Ce sont des souverains qui ne voient dans leurs critiques que des sujets fidèles ou des sujets révoltés. […] Doré y a touché dans le paysage qui encadre la plupart de ses sujets, quand il n’est pas le sujet même de son dessin. […] On a dit à ce sujet que M. 

735. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre second » pp. 200-409

L’activité du sage est le sujet de la huitième. […] Il a tout le goût que l’on pouvait avoir de son temps, et qui convenait à son sujet. […] La raison sans les passions serait presque un roi sans sujets. […] Ce dernier événement est le sujet de la Consolation. […] Le sujet était compliqué : il s’agissait de philosophie, d’histoire, de morale et de goût.

736. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre sixième »

Mais sur quel sujet rimer ? […] Ce Costar avait tellement fait de la louange son habitude, qu’il louait le plus souvent sans sujet, persuadé que la louange rapporte toujours à qui la donne. […] Deux sujets peu dignes de lui, et qui prouvent que les vraies sources de l’inspiration étaient taries et que son rôle était fini. […] Eût-il été plus beau, pour ne rien devoir à personne, d’omettre des vérités propres au sujet, du même ordre, et, pour ainsi dire, de la même famille ? […] (Voir chap. suivant, § vi, une anecdote à ce sujet.)

737. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Première série

Sagesse sujette à des retours d’angoisse. […] Il n’est pas de grand sujet qui n’ait tenté M.  […] Que l’invention ne soit pas dans le fond, qu’un vieux sujet ne soit point pour cela un sujet banal, nous le voulons bien. […] Le sujet de l’épopée est un sujet national, intéressant pour tout un peuple, intelligible à toute une race. Les sujets choisis par M. 

738. (1908) Après le naturalisme

Elles ne tiennent pas au sujet lui-même ; elles disparaîtront devant la réussite. […] Ces cinq catégories de perceptions contiennent tous les rapports du sujet avec l’extérieur. […] Il résulte d’elle-même en tant que sujet et également de la situation qu’elle a acquise dans la société. […] S’appliquant aux pires sujets, il en tirait le plus grand avantage. […] Par les sujets du livre seront présentés des essais de vie nouvelle, montrés facilement réalisables en faits.

739. (1904) Zangwill pp. 7-90

Il ne faut pas trop se hasarder en conjectures, mais enfin c’est parce qu’il y a une France, ce me semble, qu’il y a eu un La Fontaine et des Français. » Mon Dieu oui ; seulement il y a une France pour tout le monde, la France luit pour tout le monde, et tous les Français, s’ils seront toujours français, ne sont pas La Fontaine ; je n’insiste pas sur toutes ces difficultés, sur toutes ces contrariétés ; je m’en tiens pour aujourd’hui à la forme même du connaissement ; la méthode ne se révèle pas dans toutes les œuvres modernes partout avec une aussi haute audace ; elle ne fait pas dans toutes les œuvres modernes partout l’objet d’une aussi manifeste déclaration que dans cet éminent La Fontaine ; elle est ailleurs plus ou moins dissimulée, plus ou moins implicite ; mais c’est essentiellement, éminemment, la méthode historique moderne, obtenue par le transport, par le transfert direct, en bloc, des méthodes scientifiques modernes dans le domaine de l’histoire ; l’auteur, en bon compagnon, commence par faire son tour de France ; il ferait son tour du monde, s’il était meilleur compagnon ; et quand il a fini son tour du pays, il commence l’autre tour, afin de ne point tomber par mégarde au cœur de son sujet, il commence le tour le plus cher à tout historien bien né, le tour des livres et des bibliothèques ; avec ce tour commencera le paragraphe deux. […] « Quelle opposition entre notre littérature du douzième siècle et celle des nations voisines. » J’arrête ici pour aujourd’hui la citation ; la méthode est bien ce que nous avons dit ; elle est doublement ce que nous avons dit ; quand par malheur l’historien parvient enfin aux frontières de son sujet, à peine réchappé de l’indéfinité, de l’infinité du circuit antérieur, il se hâte, pour parer ce coup du sort, de se jeter dans une autre indéfinité, dans une autre infinité, celle du sujet même ; à peine réchappé d’avoir absorbé une première indéfinité, une première infinité, celle du circuit, celle du parcours, et de tous ces travaux d’approche, qui avaient pour principal objet de n’approcher point, il invente, il imagine, il trouve, il feint une indéfinité nouvelle, une infinité nouvelle, celle du sujet même ; il analyse, il découpe son sujet même en autant de tranches, en autant de parcelles que faire se pourra ; il y aura des coupes, des tranches longitudinales, des tranches latérales, des tranches verticales, des tranches horizontales, des tranches obliques ; il y en aurait davantage ; mais notre espace n’a malheureusement que trois dimensions ; et comme nos images de littérature sont calquées sur nos figures de géométrie, le nombre des combinaisons est assez restreint ; tout restreint qu’il soit, nous obtenons déjà d’assez beaux résultats ; nous étudierons séparément l’homme, l’artiste, le penseur, le rêveur, le géomètre, l’écrivain, le styliste, et j’en passe, dans la même personne, dans le même auteur ; cela fera autant de chapitres ; nous nous garderons surtout de nous occuper dans le même chapitre de l’art et de l’artiste ; cela ferait un chapitre de perdu ; et si d’aventure, de male aventure nous parvenons à parcourir toutes les indéfinités, toutes les infinités de détail de tous ces chapitres, de toutes ces sections, il nous reste une ressource suprême, un dernier moyen de nous rattraper ; ayant étudié séparément l’homme, l’écrivain, l’artiste, et ainsi de suite, nous étudierons les relations de l’homme et de l’écrivain, puis de l’artiste et de l’art, et du styliste, et ainsi de suite, d’abord deux par deux, puis trois par trois, et ainsi de suite ; étant données un certain nombre de sections, formant unités, les mêmes mathématiques nous apportent les formules, et nous savons combien de combinaisons de relation peuvent s’établir ; cela fera autant de chapitres nouveaux ; et quand nous aurons fini, si jamais nous finissons, le diable soit du bonhomme s’il peut seulement ramasser ses morceaux ; que de les rassembler, il ne faut point qu’il y songe ; l’auteur a fait un jeu de patience où nulle patience ne se retrouverait. […]   Telle est non point la caricature et la contrefaçon des méthodes historiques modernes, mais leur mode même, leur schème, l’arrière-pensée de ceux qui les ont introduites avant nous, de ceux qui les pratiquent parmi nous ; assistez à une soutenance de thèse historique ; la plupart des reproches que le jury adresse au candidat reviennent à ceci : que le candidat n’a point épuisé toute l’indéfinité, toute l’infinité du détail ; je ne dis pas que les membres du jury l’épuisent dans leurs propres travaux ; mais ce que je dis, si vous assistez à une soutenance de thèse et que vous entendiez bien, que vous interprétiez les critiques du jury, c’est qu’elles reviennent généralement à cela ; il faut avoir épuisé l’infinité du détail pour arriver au sujet ; et dans le sujet même il faut, par multipartition, avoir épuisé une infinité d’infinité du détail ; la manière dont on traite le sujet, quand on est parvenu au sujet, revient en effet à le traiter lui-même comme un chemin, comme un parcours, comme un lieu de passage indéfiniment détaillé, comme un circuit lui-même, à faire en définitive comme s’il n’était pas le sujet, à faire qu’il ne soit pas le sujet. […] Sans doute le sujet sachant et pensant sera toujours limité ; mais le savoir et le pouvoir sont illimités, et par contre-coup la nature pensante elle-même pourra être fort agrandie, sans sortir du cercle connu de la biologie. […] L’Égyptien, sujet de Chéphrem, qui est mort en construisant les pyramides, a plus vécu que celui qui a coulé des jours inutiles sous ses palmiers.

740. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LI » pp. 198-202

Les livres se publient coup sur coup à ce sujet, et se débitent et se lisent avec intérêt et curiosité. […] Au reste, la passion n’est dans tout ceci qu’à la surface, on a besoin d’occasion, de sujet pour s’occuper, pour se combattre, pour s’illustrer.

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