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775. (1767) Salon de 1767 « Les deux académies » pp. 340-345

Mais ce projet ne tint pas contre la crainte du guet et du châtelet ; ils se contentèrent de former deux files entre lesquelles tous leurs maîtres seraient obligés de passer. […] Sur le devant, une autre danseuse qui tient son enfant par la main ; l’enfant danse aussi, mais il a les yeux attachés sur l’horrible tête, et son action est mêlée de terreur et de joie. […] Son père le prit par la main, le conduisit au sallon, et lui dit : tiens, vois, et juge-toi toi-même… l’enfant avait la tête baissée et restait immobile.

776. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 8, des plagiaires. En quoi ils different de ceux qui mettent leurs études à profit » pp. 78-92

Seroit-il assez patient pour refondre un ouvrage déja terminé, et dont il se tient quitte ? […] Il est donc naturel que les jeunes poëtes, qui, au lieu d’imiter la nature du côté que le génie la leur montre, l’imitent du côté par lequel les autres l’ont imitée, qui forcent leur talent, et le veulent assujettir à tenir la même route qu’un autre tient avec succès, ne fassent d’abord que des ouvrages médiocres.

777. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Notre critique et la leur »

Parmi les critiques qui se font ainsi palinodie les uns aux autres, il y en a, les uns d’un talent qui promet, les autres d’un talent qui donne ; mais ce qu’ils promettent ou ce qu’ils tiennent n’est certainement jamais de la critique comme nous l’entendons. […] Il fait tenir tout son esprit sur une carte de visite. […] En religion, nous tenons pour l’Église ; en politique, pour la monarchie ; en littérature, pour la grande tradition du siècle de Louis XIV.

778. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIII. P. Enfantin »

Ils ne disaient mot de la doctrine, du moins devant le public, mais on remarquait qu’ils se tenaient comme des crustacés et s’appuyaient les uns les autres. […] Et non seulement elle existerait, mais elle ferait ses œuvres de miséricorde ; elle fonctionnerait, elle officierait comme Église parmi nous qui ne la voyions plus et qui la tenions pour morte et déshonorée sous des jugements de police correctionnelle, genre de martyre, celui-là, qui n’aurait pas convaincu Pascal ! […] Puisqu’il apporte ici une parole dont il ne se servait plus depuis longtemps, nous lui demanderons où se tient cette Église dont il parle comme d’une force organisée et agissante ?

779. (1883) Le roman naturaliste

Aussi tient-il encore plus de place empaillé que vivant […] Évidemment ces légères inadvertances tiennent à ce que, pour M.  […] Habiles à l’imitation, si vous y tenez, quoiqu’encore il y eût beaucoup à dire ! […] son spiritualisme l’aurait-il empêchée de « tenir admirablement sa caisse ?  […] Il est superflu de dire qu’elle ne tient à rien ni ne sert de rien.

780. (1888) La vie littéraire. Première série pp. 1-363

Il est tenu de toucher avec respect aux choses sacrées. […] Tenez-le pour certain, car je suis astrologue. […] Elle ne s’en tient pas là. […] Homme sûr : elle le tenait de M. de Metternich. […] Ce lion germanique tenait aussi du renard.

781. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Appendice — Une discussion dans les bureaux du Constitutionnel »

Limayrac n’avait pas l’air de se le tenir pour dit et d’être convaincu de cette résolution bien arrêtée, M.  […] Sainte-Beuve n’était pas encore sénateur, ce qui prouve bien que sa nomination ne tenait pas à un article, comme ont pu le croire certains de ses confrères à l’Académie française, gros bonnets de la littérature, qui payèrent leur tribut au livre de… César par avancement d’hoirie, et n’entrèrent au Sénat que de longues années après.

782. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de mademoiselle Bertin sur la reine Marie-Antoinette »

Que les hommes qui vivent dans une révolution, et qui en sont ou spectateurs éclairés ou acteurs principaux, lèguent à la postérité le dépôt fidèle de leurs souvenirs, c’est un devoir que nous réclamons d’eux ; que ceux mêmes qui, dans une situation secondaire, n’ont vu qu’un coin du vaste tableau et n’en ont observé que quelques scènes, nous apportent leur petit tribut de révélations, il sera encore reçu avec bienveillance ; et si surtout l’auteur nous peint l’intérieur d’une cour dans un temps où les affaires publiques n’étaient guère que des affaires privées, s’il nous montre au naturel d’augustes personnages dans cette transition cruelle de l’extrême fortune à l’extrême misère, notre curiosité avide pardonnera, agrandira les moindres détails ; impunément l’auteur nous entretiendra de lui, pourvu qu’il nous parle des autres ; à la faveur d’un mot heureux, on passera à madame Campan tous les riens de l’antichambre et du boudoir : mais que s’en vienne à nous d’un pas délibéré, force rubans et papiers à la main, mademoiselle Rose Bertin, modiste de la reine, enseigne du Trait galant, adressant ses Mémoires aux siècles à venir, la gravité du lecteur n’y tiendra pas ; et, pour mon compte, je suis tenté d’abord de demander le montant du mémoire. […] Une fois seulement mademoiselle Rose nous apprend que l’espèce de brouillerie qui divisait la reine et les tantes du roi se rattachait à la politique : madame Adélaïde tenait pour M. de Maurepas, et la reine pour M. de Choiseul : indè iræ ; on sent qu’un pareil temps est déjà loin de nous.

783. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVI. Consultation pour un apprenti romancier » pp. 196-200

Tenez de suite qu’opposés ces termes sont vides de sens. […] Il y a un an ou deux, l’on disait couramment et des hommes célèbres émettaient aux diners de La Plume que : « La critique serait morte si les rédacteurs des revues indépendantes ne tenaient haut et ferme, etc. » Or voici que M. 

784. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Première partie. Plan général de l’histoire d’une littérature — Chapitre premier. Nécessité d’une histoire d’ensemble » pp. 9-11

Je tiens pourtant à signaler les avantages et même la nécessité d’une histoire d’ensemble. […] C’est que tout tient à tout.

785. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VII. Le Fils. — Gusman. »

Des dieux que nous servons connois la différence : Les tiens t’ont commandé le meurtre et la vengeance, Et le mien, quand ton bras vient de m’assassiner, M’ordonne de te plaindre et de te pardonner. […] Les anciens eux-mêmes devaient à leur culte le peu d’humanité qu’on remarque chez eux : l’hospitalité, le respect pour les suppliants et pour les malheureux, tenaient à des idées religieuses.

786. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre III. Suite du précédent. — Seconde cause : les anciens ont épuisé tous les genres d’histoire, hors le genre chrétien. »

À cette première cause de l’infériorité de nos historiens, tirée du fond même des sujets, il en faut joindre une seconde, qui tient à la manière dont les anciens ont écrit l’histoire ; ils ont épuisé toutes les couleurs ; et si le christianisme n’avait pas fourni un caractère nouveau de réflexions et de pensées, l’histoire demeurerait à jamais fermée aux modernes. […] Ainsi Polybe se place entre le politique Thucydide et le philosophe Xénophon ; Salluste tient à la fois de Tacite et de Tite-Live ; mais le premier le surpasse par la force de la pensée, et l’autre par la beauté de la narration.

787. (1761) Salon de 1761 « Peinture — Vien » pp. 131-133

ne doit-elle pas la tenir écartée, et interposer sa main, pour en amortir la clarté. […] Tenez, mon ami.

788. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

Il y a donc dans l’art théâtral une juste balance à tenir, un état d’équilibre à observer. […] Ce qui en tenait lieu, c’était le milieu villageois ou autrement dit le milieu pastoral. […] Dans un entr’acte, si court qu’il soit, un poète peut faire tenir un temps quelconque si grand qu’il soit. […] En résumé, la tradition est une expérience accumulée dont il faut tenir grand compte. […] Le plus souvent, il sera prudent de s’en tenir à l’ancienne conception décorative qui ne recherche qu’un effet simple et général.

789. (1890) Les princes de la jeune critique pp. -299

Mais pouvais-je m’en tenir là ? […] Il tient si peu à ce qu’il avance ! […] Vous penserez que je pourrais commencer par la fin et m’en tenir là. […] Il est malséant de paraître tenir à ce qu’on avance et même à quoi que ce soit. […] Il n’eût tenu qu’à lui d’être savant « jusques aux dents ».

790. (1913) Poètes et critiques

On le démontrera sans peine ou même on le tiendra pour évident, lorsqu’elle sera achevée. […] Mais je m’arrogerai le droit d’indiquer tout d’abord comment cette partie tient à l’ensemble. […] N’était-il pas tenu de tout lire dans Chateaubriand ? […] Giraud, ami de Taine assurément, ami du vrai par-dessus tout, se croit tenu de la fournir. […] Elle n’y tient plus : elle va rejoindre René.

791. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 5482-9849

Un madrigal doit bien plûtôt être élégant qu’une épigramme, parce que le madrigal tient quelque chose des stances, & que l’épigramme tient du comique ; l’un est fait pour exprimer un sentiment délicat, & l’autre un ridicule. […] Le fonds du caractere qu’il tient du climat, est toûjours le même. […] Le fier tient de l’arrogant & du dédaigneux, & se communique peu. […] ) Grave, au sens moral, tient toûjours du Physique ; il exprime quelque chose de poids. […] & si le pere Mallebranche s’en étoit tenu à dire que toutes les idées sont données de Dieu, auroit-on pû le combattre ?

792. (1890) Dramaturges et romanciers

Elle partagera son cœur entre sa fille et son gendre ; mais est-elle bien sûre de tenir la balance exacte ? […] En un mot, ils ne tiennent pas à faire grand, ils tiennent à faire vrai, et préfèrent aux hardiesses du pinceau la perfection du rendu et la minutieuse fidélité de l’imitation. […] Sardou tenait son spectateur par ses désirs les plus divers. […] Il tenait, s’il l’eût voulu, un caractère, il n’a présenté qu’un instrument d’action. […] comme son scepticisme le tient en garde contre les pièges de la fausse vertu et le jargon du faux amour !

793. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE STAEL » pp. 81-164

Cela tiendrait-il, comme le dit Mme Necker de Saussure, à ce que, le mécanisme de la versification s’étant tellement perfectionné en France, le travail qu’il exige amortit la verve quand on n’y est pas suffisamment habitué ? […] L’année 1806 lui sembla trop longue pour que son imagination tînt à un pareil supplice, et elle arriva à Paris un soir, n’amenant ou ne prévenant qu’un très-petit nombre d’amis. […] Benjamin Constant et Mme de Staël y tenaient surtout le dé. […] Elle avait fini par prendre moins de plaisir à écrire à M. de Montmorency, à l’admirable ami lui-même, à cause de ces malheureuses divergences auxquelles, lui, il tenait trop. […] Grimm ou peut-être son secrétaire et suppléant, l’aimable Meister, qui tenait souvent la plume pour lui en ces années.

794. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre I. De l’évolution de la vie. Mécanisme et finalité »

Cette difficulté tient d’ailleurs à des causes profondes, sur lesquelles nous nous appesantirons plus loin. […] On dira que cette impuissance ne tient qu’à notre ignorance. […] Ne vaut-il pas mieux, dès lors, s’en tenir à la lettre du transformisme, tel que le professe la presque unanimité des savants ? […] Et c’est à quoi s’en tiendront les chimistes et les physiciens. […] Elle tient à une identité d’impulsion et non pas à une aspiration commune.

795. (1887) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Troisième série pp. 1-326

La théorie tient d’assez près à la Théorie de la beauté par l’universel. […] De qui cependant Bossut tenait-il ce renseignement ? Il a bien voulu nous l’apprendre : il le tenait de M. Le Roi, de l’Académie des sciences, lequel, lui-même, le tenait de M.  […] C’est des Grieux qui tient le premier rôle, de même que dans le vrai titre de l’ouvrage ; et, jusque dans l’édition de 1753, c’est lui qui tient la première place : Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut.

796. (1929) Les livres du Temps. Deuxième série pp. 2-509

L’épicier de Bornel a de qui tenir. […] Péladan tient pour l’art suprême. […] Car au fond, tenons-nous tant que cela à ce fameux naturel ? […] Maeterlinck le tient pour impossible. […] , quitte à le tenir à distance quelques jours plus tard.

797. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VI. Les romanciers. » pp. 83-171

» — « Tenez, voici les échantillons des étoffes ; celui-ci est joli, mais cet autre est tout à fait charmant. […] Il a un livre sur lequel il tient note de toutes les offenses qu’il a reçues d’elle et des Harlowe. […] Et pourtant j’ai un aussi bon domaine que vous, et je suis justice aussi bien que vous-même. » Rien ne tient en lui ni ne dure ; il est tout de prime-saut ; il ne vit que pour le moment. […] Un homme fait sa raie de travers, cela tient, selon Sterne, à l’ensemble de son caractère, lequel tient à celui de son père, de sa mère, de son oncle et de tous ses aïeux ; cela tient à la structure de son cerveau, qui tient aux circonstances de sa conception et de sa naissance, lesquelles tiennent aux manies de ses parents, à l’humeur du moment, aux conversations de l’heure précédente, aux contrariétés du dernier curé, à une coupure du pouce, à vingt nœuds faits sur un sac, à je ne sais combien de choses encore. […] Elle tient ses écritures et garde des Mémorandums, des sommaires, ou analyses de ses propres lettres.

798. (1928) Les droits de l’écrivain dans la société contemporaine

On devrait tenir exactement le même langage à ceux qui représentent la postérité : il faut qu’elle accepte les grands hommes tels qu’ils sont, ou qu’elle les rejette de son Panthéon. […] Durant leur vie n’ont-il pas tenu une place excessive ? […] Et comme c’est nous qui avons les droits, qu’on se le tienne pour dit12. […] « C’est là-dessus que je tenais à insister. […] Voir, à ce propos, la rubrique qu’il tient dans Le Figaro Littéraire : « Choses et gens de lettres ».

799. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Molière »

En un mot, ces grands individus me paraissent tenir au génie même de la poétique humanité, et en être la tradition vivante perpétuée, la personnification irrécusable. […] Leur génie (je parle même des plus vastes) est marqué à un coin particulier qui tient du moment où ils sont venus, et qui eût été probablement bien autre en d’autres temps. […] Sganarelle embrasse les trois quarts de l’échelle comique, le bas tout entier, et le milieu qu’il partage avec Gorgibus et Chrysale ; Alceste tient l’autre quart, le plus élevé. […] Brossette, peut tenir lieu d’un traité complet de peinture, et l’auteur y a fait entrer toutes les règles de cet art admirable (et Despréaux citait les mêmes vers que nous avons donnés plus haut). […] Les comédiens tinrent les lustres allumés et la toile levée, précisément à quatre heures.

800. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1885 » pp. 3-97

le théâtre, l’état abominablement nerveux, dans lequel ça vous tient, tout le temps qu’on vous joue. […] Quand je faisais des romans, que je créais des personnages, ma création me tenait compagnie, faisait ma société, peuplait ma solitude ; je vivais avec les bonshommes et les bonnes femmes de mon bouquin. […] Daudet me parlait aujourd’hui de sa mère, dont il tient plus que de son père ; de celui-ci il n’aurait que les violences. […]Tiens, c’est vrai ! […] Cette maîtresse avait, ce jour-là, des bottines trop étroites, et elle en avait une dans sa main, qu’elle tenait appuyée sur le rebord de la loge.

801. (1892) Les idées morales du temps présent (3e éd.)

Je m’en suis donc tenu, si je puis m’exprimer ainsi, à un épisode de ce mouvement, à l’épisode littéraire. […] On ne sortirait pas de ce doute, si l’on s’en tenait à une conception étroite de la vie humaine. […] Il tenait de son père, qui s’était suicidé, une disposition naturelle à la mélancolie. […] Les hommes de notre monde sont nourris et sont tenus comme des étalons reproducteurs. […] Les bases en étaient fragiles peut-être, mais ils tenaient par leur masse : quelques coups de pioche dans leurs fondements mal assurés en ont eu raison.

802. (1774) Correspondance générale

Ainsi Moïse peut cesser de tenir les mains élevées vers le ciel. […] Je promis à Briasson de me taire, et je lui ai tenu parole. […] Elle est debout à côté de son enfant qui la tient embrassée. […] Il faudra que je me tienne à deux mains. […] H. de Chateaugiron, qui tenait la copie de cette lettre de M. 

803. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de madame de Genlis sur le dix-huitième siècle et la Révolution française, depuis 1756 jusqu’à nos jours — II »

En ce temps-là, M. de La Popelinière tenait grand état à Passy ; nobles seigneurs, petites maîtresses, ambassadeurs, poètes, artistes, tous venaient puiser à sa somptueuse et débonnaire hospitalité. […] Le pauvre prince n’y tenait plus ; il accorda tout pour tout obtenir.

804. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre II. Vue générale des Poèmes où le merveilleux du Christianisme remplace la Mythologie. L’Enfer du Dante, la Jérusalem délivrée. »

D’après cette remarque, il ne faut plus attribuer au christianisme la langueur qui règne dans le poème dont les principaux personnages sont des êtres surnaturels : cette langueur tient au vice même de la composition. […] Les beautés de cette production bizarre découlent presque entièrement du christianisme ; ses défauts tiennent au siècle et au mauvais goût de l’auteur.

805. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre XII. Suite du Guerrier. »

Non contentes de s’abstenir du mal, elles veulent faire le bien : elles ont l’activité de l’amour, et se tiennent dans une région supérieure, et un peu exagérée. […] Si Énée veut échapper à la séduction d’une femme, il tient les yeux baissés : Immota tenebat lumina  ; il cache son trouble ; il répond des choses vagues : « Reine, je ne nie point tes bontés, je me souviendrai d’Élise », Meminisse Elisæ.

806. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre IV. Suite des précédents. — Julie d’Étange. Clémentine. »

Mon ami, je suis trop heureuse, le bonheur m’ennuie… ……………………………………………………………………………………………… Ne trouvant donc rien ici-bas qui lui suffise, mon âme avide cherche ailleurs de quoi la remplir ; en s’élevant à la source du sentiment et de l’être, elle y perd sa sécheresse et sa langueur : elle y renaît, elle s’y ranime, elle y trouve un nouveau ressort, elle y puise une nouvelle vie ; elle y prend une autre existence, qui ne tient point aux passions du corps, ou plutôt elle n’est plus en moi-même, elle est toute dans l’être immense qu’elle contemple ; et, dégagée un moment de ses entraves, elle se console d’y rentrer, par cet essai d’un état plus sublime qu’elle espère être un jour le sien… ……………………………………………………………………………………………… En songeant à tous les bienfaits de la Providence, j’ai honte d’être sensible à de si faibles chagrins, et d’oublier de si grandes grâces… ……………………………………………………………………………………………… Quand la tristesse m’y suit malgré moi (dans son oratoire), quelques pleurs versés devant celui qui console, soulagent mon cœur à l’instant. […] monsieur, que me répondez-vous (en suivant de son charmant visage, le mien que je tenais encore tourné ; car je ne me sentais pas la force de la regarder) ?

807. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Hallé  » pp. 127-130

Il a la main droite étendue ; il tient son bonnet carré de la droite, et il est penché vers son auditoire attentif, mais tranquille. […] c’est un des plus grands éventails que j’aie vus de ma vie ; j’en excepte deux figures qui sont à gauche sur le devant ; c’est une femme qui tient son enfant.

808. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Vien » pp. 202-205

Elle en tient un par ses deux ailes bleues qu’elle présente à une femme assise dans un fauteuil, sur la droite. […] C’est dommage que cette composition soit un peu déparée par un geste indécent de ce petit Amour papillon que l’esclave tient par les ailes.

809. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 49, qu’il est inutile de disputer si la partie du dessein et de l’expression, est préferable à celle du coloris » pp. 486-491

Ainsi les personnes intelligentes, conviendront bien entr’elles du rang que Le Brun tient entre les compositeurs et les dessinateurs, comme du rang du Titien entre les coloristes. Mais la question, si Le Brun est préferable au Titien, c’est-à-dire, si la partie de la composition poëtique et de l’expression est préferable à celle du coloris, et laquelle de ces parties est superieure à l’autre, je tiens qu’il est inutile de l’agiter.

810. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Law »

… Dans l’esprit humain et dans l’Histoire, qui est la glace de l’esprit humain, mais une glace où les traits restent au lieu de passer, rien n’est isolé, tout se tient, tout s’enchaîne, et le devoir de l’historien est de montrer ces enchaînements, ces jointures, ces articulations, qui constituent l’ensemble de l’Histoire et de son unité. […] Le secret de la ruine ou de la grandeur d’un peuple ne tient pas dans les causes matérielles, si graves, si compliquées et si larges qu’elles puissent être.

811. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre I. Les Saxons. » pp. 3-71

Chaque homme est tenu d’être armé, et prêt, avec son bourg ou sa ville, de repousser les maraudeurs ; ceux-ci vont par bandes ; il y en a de trente-cinq et au-delà. […] Dans les Sagas, dans l’Edda, il est tenu d’être trop brave ; en Germanie, le lâche est noyé dans la boue, sous une claie. […] Cependant la blessure du roi devint chaude et s’enfla, il connut que le poison était en lui, et s’assit près du mur, sur une pierre « regardant l’ouvrage des géants,  — comment avec ses arches de pierre — l’éternelle caverne — se tenait au dedans — ferme sur des piliers. » Puis il dit : « J’ai tenu en ma garde ce peuple — cinquante hivers. […] — Mais des liens de fer — m’entourent,  — des nœuds de chaînes me tiennent abattu. —  Je suis sans royaume !  […] Il tint le gouvernement trente hivers, moins un an et demi.

812. (1895) Hommes et livres

Mabillon, petit paysan champenois, n’avait personne à pousser, ne tenait à rien. […] Krantz a été vigoureusement battue en brèche ; et je crois qu’elle ne tient plus debout. […] Jusqu’à ses vanteries font connaître les choses qui lui tiennent au cœur. […] Partout ailleurs ils se raccordaient mal ; ils ne tenaient ni n’aboutissaient à rien. […] Assurément, et cela tient sans doute au génie de Molière.

813. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mademoiselle Aïssé »

Une telle conduite semble assez répondre de celle qu’elle tint envers M. de Ferriol ; les deux sultans eurent le même sort ; seulement elle y mit avec l’un toute la façon désirable, tout le dédommagement du respect filial et de la reconnaissance. […] Cette somme à débourser tenait surtout à cœur à Mme de Ferriol, et elle le fit sentir à Mlle Aïssé, qui se leva, alla prendre le billet et le jeta au feu en sa présence. […] Cette dame, qui, par son mariage, tenait à l’une des premières familles de Genève, était Française et Parisienne, fille de M.  […] Genève ainsi tenait son coin chez les tories et dans la Régence. […] Pourquoi lui avoir fait tenir un langage qui contraste visiblement avec son caractère ?

814. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (1re partie) » pp. 313-408

Il entre aisément dans les idées de tout le monde, et pourtant il a des idées à lui, auxquelles il tient, et avec raison. […] À quoi tiennent, mon Dieu, les vertus politiques ? […] Excusez-moi sur l’exactitude des dates ; je ne tiens pas registre de mes impressions, mais j’en tiens mémoire dans mon cœur. […] Ballanche, “toutes les pensées d’existence et d’avenir se tiennent ; pour croire à la vie qui doit suivre celle-ci, il faut commencer par croire à cette vie elle-même, à cette vie passagère”. […] « Je vous tiens parole, mon cher Sainte-Beuve, plus tôt que je ne comptais.

815. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIIe entretien. Balzac et ses œuvres (3e partie) » pp. 433-527

Ainsi ferez-vous, vous qui tenez ce livre d’une main blanche, vous qui vous enfoncez dans un moelleux fauteuil en vous disant : Peut-être ceci va-t-il m’amuser. […] Il a son grand homme, un professeur du collège de France, payé pour se tenir à la hauteur de son auditoire. […] que vous sentirez ces petites créatures tenir à chaque goutte de votre sang, dont elles ont été la fine fleur, car c’est ça ! […] Elles me tiennent si bien à l’âme, que j’avais idée que vous les verriez ce soir. […] Prenez le premier de ces romans, Télémaque, justement haï de Louis XIV, et essayez de construire sur ce modèle une société politique qui se tienne debout !

816. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Discours prononcé à la société des visiteurs des pauvres. » pp. 230-304

Je suis étonné des propos édifiants que je vous ai tenus, et j’en éprouve quelque pudeur, car mes paroles valent évidemment mieux que moi. […] On respecte ces choses-là, parce qu’on les paye très cher ; mais, parce qu’on les paye, on les tient un peu au-dessous de soi. […] On sort l’enfant de sa chambre ; les jolies dames s’apitoyent, le questionnent d’un ton suave de perruches charmées de « tenir une émotion ». […] Si l’auteur s’en était tenu là, l’effet de cette apparition muette du petit martyr parmi ce carnaval de « merveilleuses » fût demeuré vraiment tragique. […] Mais, puisque vous y tenez, « allons-y ! 

817. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome II

C’est la raison pour laquelle cet art de Molière nous tient tant au cœur, à nous, les Français de 1922. […] Y a-t-il un seul des grands écrivains d’alors qui ait tenu un journal intime ? […] À ce titre, nous y tenons, ou plutôt elles nous tiennent. » Cette page montre bien la différence entre l’enseignement de Taine et celui de Renan. […] L’origine de la classe tient, comme on voit, au principe même de la propriété. […] Nous tenons là un des types les plus instructifs de la fausse analogie historique et de ses périls.

818. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome xviii » pp. 84-92

quelle vue sympathique, non systématique, sur tout ce qui tient au cœur de la nation et s’y rattache par quelque fibre profonde ! […] Aussi dans ce nouveau volume, après avoir commencé par une revue des derniers événements de guerre qui se prolongèrent quelque temps avec obstination sur quelques points de la circonférence, depuis Anvers défendu par Carnot, depuis Hambourg défendu par Davout, jusqu’à la bataille livrée dans la plaine de Toulouse par le maréchal Soult ; après avoir rendu justice à ces derniers efforts et avoir rallié, pour ainsi dire, tous les détachements de nos héroïques armées ; puis, avoir montré les Bourbons et Louis XVIII rentrant dans le royaume de leurs pères, avoir tracé du roi et des princes des portraits justes, convenables, et qui même peuvent sembler adoucis et un peu flattés plutôt que sévères (tant l’ancien journaliste polémique, l’ancien fondateur du National, a tenu à s’effacer et à se faire oublier dans l’historien !)  […] C’est ainsi, lui dirai-je, qu’on parle de ce qu’on aime, et j’ajouterai, de ce qu’il n’est plus permis de regretter qu’à demi, — de ce qu’il ne tient guère qu’à lui de ne plus regretter du tout.

819. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Hommes et dieux, études d’histoire et de littérature, par M. Paul De Saint-Victor. »

Il tient en tout à observer les degrés ; il ordonne volontiers la littérature et l’art comme Raphaël ordonne l’École d’Athènes, et comme Ingres son plafond ; chaque génie, chaque talent y est à son plan et selon sa mesure ; Gil Blas n’y est pas mis de niveau avec le Don Quichotte : rien de plus vrai ni de mieux senti ; mais il n’y a pas seulement des degrés, il y a des exclusions, il y a des anathèmes : c’était à peu près inévitable. […] Le critique s’est montré tout à fait absolutiste dans son jugement sur lui : envers cet homme d’une forte et amère ironie, la plus amère peut-être dont un esprit humain se soit montré capable, il a tenu à être violent aussi et sans rien qui adoucisse ou qui tempère. […] Nous avons un gage, mais un gage seulement ; nous ne le tenons pas quitte du reste.

820. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « en tête de quelque bulletin littéraire .  » pp. 525-535

Le public demande de la critique, et il a raison puisqu’il n’y en a plus guère ; mais il ne sait pas combien ce qu’il demande est difficile, et, osons le dire, impossible presque aujourd’hui, pour une multitude de causes qui tiennent à l’état même de la société et à la constitution de la littérature. […] Les talents plus anciens, et des plus éminents, qui appartenaient à des groupes et à des doctrines considérables sous la Restauration, se sont trouvés tout d’un coup sans protection et comme jetés hors de leur cadre : ils n’ont plus su se tenir, et, en voulant continuer à se déployer, ils sont vite arrivés à n’être plus eux-mêmes. […] » On continuerait encore longtemps sur ces difficultés et ces épines de la critique, mais nous nous en tiendrons là, d’autant que ce dernier point nous mène assez droit à la récente publication de M. de Balzac… Les talents poétiques et littéraires d’aujourd’hui (sans parler des autres, politiques et philosophiques), sont soumis à de redoutables épreuves qui furent épargnées aux beaux génies du siècle de Louis XIV, et il est bien juste de tenir compte, en nous jugeant, de ces difficultés singulières qu’on a à subir.

821. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Virgile et Constantin le Grand par M. J.-P. Rossignol. »

Le vœu ici est le même que dans la VIIIe idylle de Théocrite, quand le berger Daphnis chante ce couplet qu’on ne saurait oublier, et où il ne souhaite ni la terre de Pélops, ni les richesses, ni la gloire, mais de tenir entre ses bras l’objet aimé, en contemplant la mer de Sicile. […] Au reste, ce n’est pas une certaine allusion générale et toute d’imagination qui pourrait ici étonner et choquer, si l’on s’y était tenu. […] A une certaine hauteur toutes les piétés se tiennent et communiquent aisément par l’imagination et par la poésie.

822. (1874) Premiers lundis. Tome II « Des jugements sur notre littérature contemporaine à l’étranger. »

Il cherche ridiculement et en grammairien commentateur l’origine de son nom emprunté ; il lui conteste son titre (fort réel) et ses armoiries (auxquelles elle ne tient guère) ; et celle légèreté railleuse, cette convenance de ton, ont vraiment leur prix et toute leur délicatesse, ou le sent, de la part d’un auteur qui vient nous prêcher le décorum. […] Mais la société n’en est pas là, et, dans la discussion présente, lorsqu’en prenant le parti sévère, on se tient simplement à la morale du monde, à ce qu’on appelle être honnête homme, à la morale qui admet la comédie et la tragédie, Tartufe et Phèdre, et la ceinture de Vénus et les jardins d’Armide, oh ! […] Quand des gens comme ceux-là surviennent en tumulte, il faudrait avant tout, si l’on était sage, se tenir coi dans le plus petit des buissons de l’Hymette, leur abandonnant à discrétion toute la Béotie et même tout le Péloponèse.

823. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre X. L’antinomie juridique » pp. 209-222

Auguste Comte a bien exprimé l’antinomie entre ces deux façons d’entendre le droit quand il a prononcé sa fameuse condamnation du droit individuel : « L’idée du droit, dit-il, est fausse autant qu’immorale, parce qu’elle suppose l’individualité absolue. » Auguste Comte veut dire que l’idée du droit individuel est une idée antisociale parce qu’elle est un principe au nom duquel l’individu se tient en état de révolte virtuelle constante contre tout ordre social, en état de mécontentement virtuel à l’endroit de toute législation existante. — Et sans doute ces deux idées du droit : l’idée du droit social et celle du droit individuel ont des points de contact et réagissent l’une sur l’autre. […] Ce qu’il y a de mauvais en elle est transitoire et de peu de conséquence et n’affecte que le particulier, tandis que ce qu’elle a de bon, elle le tient de la fixité et permanence de l’institution de justice et, par là, elle satisfait le général. […] L’effort contemporain vers l’individualisation de la peine est la manifestation la plus libérale de cette tendance devenue pleinement consciente d’elle-même. — Une autre cause qui tient en échec l’absolutisme juridique est la tendance naturelle des hommes à désobéir aux lois ; c’est la pratique incessante, directe ou indirecte, ouverte ou sournoise, de l’illégalité.

824. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Abailard, et saint Bernard. » pp. 79-94

La délicatesse & la vérité de leurs pensées, l’enchantement de leur stile, la profondeur & la variété de leurs connoissances, cette attention continuelle à tourner l’érudition en agrément, tout en eux annonce l’aurore du bel esprit François, Mais, quoique supérieurs à leur siècle, ils ne laissoient pas d’y tenir encore par un grand amour de la dialectique, des subtilités & de toutes les disputes de l’école. […] On étoit à la veille de tenir un concile à Sens. […] Je l’obligeois à tenir le premier rang dans notre nombreuse communauté : mais il paroissoit le dernier, par la pauvreté de ses vêtemens.

825. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Quatrième faculté d’une Université. Faculté de théologie » pp. 511-518

Ligué tantôt avec le peuple contre le souverain, tantôt avec le souverain contre le peuple, il ne s’en tient guère à prier les dieux que quand il se soucie peu de la chose. […] On peut considérer l’institution d’un prêtre sous trois points de vue généraux : les mœurs, les connaissances et les fonctions ; et les fonctions sous deux autres aspects : les fonctions publiques et les fonctions privées ou ce qui tient à sa vie domestique. […] J’aurais achevé ma tâche, si je m’en tenais à l’ordre des études d’une université ; en voilà le plan et la justification de ce plan, mais son exécution suppose des supérieurs, des inférieurs, des maîtres, des élèves, des livres classiques, des instruments, des bâtiments, une police, autant d’objets que je vais traiter sommairement.

826. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre III. Mme Sophie Gay »

Le titre du livre en effet promet une idée que le livre ne tient pas. […] Et encore si ces physionomies étaient enlevées avec la verve d’un esprit caustique et comique, puisqu’elle tient plus à la comédie du ridicule qu’à son histoire, si le talent du peintre était mordant comme son idée ! […] Mais, quand on ne tient sous son pinceau que des ridicules, il faut les faire vivre le plus possible pour qu’on les voie bien ; il faut leur donner la couleur et le relief, et le mouvement et l’intensité de la vie ; et c’est là ce qui manque le plus aux ridicules de Mme Sophie Gay !

827. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Jacques Demogeot » pp. 273-285

Nous aurions le plus singulier des anonymes, un anonyme d’idées et dédoublé de tout, nous n’eussions eu à vous présenter que ce phénomène d’un homme de goût qui, pendant un gros volume in-8º de cinq cents pages, à l’exception du dernier chapitre, —  indiscret comme le post-scriptum de la lettre d’une pauvre femme qui a fait tout ce qu’elle a pu pour bien se tenir, mais qui s’échappe, — ne se serait montré absolument rien de plus qu’un dilettante de littérature et… un homme de goût. […] Enfin, s’il n’y affirme aucun de ses symboles, le tempérament de son esprit, ce tempérament vainqueur de tout et qui donne la clef de ce qu’on tient le plus enfermé au fond de sa pensée, ferait croire qu’il est bien au-dessus des préjugés, des éducations et des opinions collectives de son métier. […] Nous, comme d’autres, nous pourrions trouver que la main de ce peseur de mérites ne tient pas toujours la balance assez droite, non par faiblesse, mais parce qu’il met peut-être trop de force dans sa manière de l’empoigner.

828. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Eugène Talbot » pp. 315-326

Il aimait le mot net, l’emporte-pièce de la propriété du terme, et de plus il sentait le génie grec, ce vigneron au bonnet de laine grise, et le génie gaulois, et il aurait voulu les faire tenir tous deux sous ce bonnet. C’est qu’en effet ils y pouvaient très bien tenir, ces deux génies, et y faire une union charmante, comme cette traduction d’Hérodote par Pierre Saliat peut nous le prouver aujourd’hui. […] qui ne tendait la main qu’au renseignement historique et non pas, comme Homère, au morceau de pain ; malgré même ce sourire malin dans sa barbe, quand il dit ce joli mot naïf et fin dont il excusait ses commérages : « Je suis tenu de conter ce que l’on dit et non pas de le croire du tout ! 

829. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le cardinal Ximénès »

La grande politique et la morale se tiennent et s’entrelacent. […] À la Rochelle, Richelieu montait un cheval fougueux ; il portait, tout malade qu’il fût, une cuirasse d’acier et une écharpe feuille-morte, mais en Afrique, commandant aussi à des soldats, Ximénès allait sur une mule et ne tenait que son crucifix à la main. […] Comme Richelieu encore, cet aristocrate inconséquent, il tint peu de compte de sa caste et n’eut pas tant à lutter contre lui-même pour effectuer l’unité monarchique de son pays.

830. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXII. Philosophie politique »

Il fut des artistes en Italie qui ont su faire tenir un monde d’événements et de figures sur le diamètre d’un noyau de cerise, ciselé de la pointe d’un canif. […] Quand Goëthe ne pensait pas à « sa spirale », il disait honnêtement : « Si je voulais consigner par écrit la somme de ce qui a quelque valeur dans les sciences dont je me suis occupé toute ma vie, ce manuscrit serait si mince que vous pourriez l’emporter sous une enveloppe de lettre. » Toute l’histoire de la philosophie, qui en était, peut donc tenir sur une carte à jouer. Il ne s’agit que de l’y faire tenir.

831. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXV. Le Père Ventura »

Bourdaloue et Bossuet, ressuscités parmi nous, seraient donc tenus de jeter sur le temps, — sur le détail des questions du temps, — ce regard pénétrant qui n’a jamais manqué au prêtre, si surnaturellement pratique. […] Bourdaloue et Bossuet, au dix-neuvième siècle, auraient compris, ces grands hommes, quelle initiative est maintenant de rigueur pour ceux-là qui tiennent l’anneau de Salomon dans leur main. […] dans ce discours où les caractères d’une restauration providentielle sont exposés avec une autorité incontestable, le publiciste sacré, après avoir fait la part de Dieu dans cet événement, arrive à la part de l’homme, à ce quelque chose d’humain que nous autres faibles créatures nous sommes pourtant tenus d’ajouter dans l’histoire aux bontés et aux magnificences divines, et le voilà qui se demande alors, comme dans ses autres discours il ne se l’était jamais demandé jusque-là, ce qu’il faut voir et ce qu’il faut faire pour résoudre cette question de la fragilité, de l’accident qui est, hélas !

832. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Chastel, Doisy, Mézières »

En 1849, quand la Révolution, pour un instant souveraine, tenait presque dans les idées une aussi grande place que dans le gouvernement, l’Académie française mit au concours la question de l’influence de la charité chrétienne sur le monde romain. […] Aussi, pour peu qu’on aimât les lettres et qu’on tînt à elles, au bien qu’elles font, à la gloire qu’elles donnent, par quelque ardente sympathie, on était heureux de penser que les lettres seules avaient préservé les quarante premières têtes de France de cette contagion d’idées fausses qui, à cette époque, avait saisi tous les esprits, et les savants plus que personne. […] Mais le couronner de moitié avec l’auteur d’un autre ouvrage franchement et ardemment protestant, et cela quand il y a à côté, dans le même concours, un livre de talent réel mais pénétré de l’esprit catholique, bien plus important dans une pareille question que le talent, c’est en vérité plus fâcheux que d’obéir simplement à des impressions personnelles, la plus vulgaire des appréciations ; car c’est révéler qu’on a cédé à des doctrines fortes ou faibles, enchaînées ou éparses dans des esprits plus éclairés que résolus ; c’est démentir, par le fait, la signification de son programme de 1849, et donner à croire à ceux-là qui ne tiennent pas les Académies pour des héroïnes intellectuelles, que ce qu’il y avait de courageux — d’implicitement courageux dans ce programme — n’était que la bravoure bientôt refroidie d’un poltron d’idées révolté !

833. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Barthélemy Saint-Hilaire »

Barthélemy Saint-Hilaire, sur cette question, s’en tient, selon moi, à d’incertains à-peu-près de philosophe et à des inductions sans portée : « Mahomet — dit-il — pouvait bien croire que le Coran était descendu du ciel, puisqu’il croyait également que le Pentateuque et l’Évangile en étaient également descendus. » Certes ! […] « L’Islamisme a pour lui le fait, — dit Barthélemy Saint-Hilaire, avec l’accent d’un fatalisme que je regrette de trouver sous une plume aussi lumineuse que la sienne ; — il a germé, par le fait, sur une terre où le Christianisme n’a pu s’implanter. » Mais cela tient-il à des circonstances qui pouvaient être hier encore et qui pourraient n’être plus demain ? ou cela tient-il à l’essence éternelle des choses, qui ferait de l’Arabie une terre condamnée et donnerait ce déshonorant soufflet au Christianisme de n’avoir pas la force de sa vérité et de se vanter, comme l’erreur se vante, quand il affirme que, de toutes les religions de la terre, il est, en raison de sa vérité même, incomparablement la plus puissante sur les esprits et sur les cœurs ?

834. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Henri Murger. Œuvres complètes. »

Évidemment, en parcourant ces pages incorrectes et lâchées et ces vers dans lesquels l’émotion ne peut sauver le langage, on a senti que cette fantaisie ne tenait pas toute sa force, que cette langue de poète avait le filet… On ne le lui coupa pas et jamais il ne se l’arracha. […] La place qu’occupe la fille en ces poésies tient autant, je le sais, à l’époque qu’au poète, mais qui ne s’élève pas au-dessus de son époque n’est jamais un poète qu’à moitié. […] Rien n’y tient ni ne s’y accorde.

835. (1862) Notices des œuvres de Shakespeare

Caliban tient à la fois du gnome et du démon ; son existence de brute n’est animée que par une malice infernale ; et le O ho ! […] Il tenait son droit de sa mère Béatrix, fille aînée de Malcolm : la cadette, Doada, était mère de Macbeth, qui se trouvait ainsi cousin-germain de Duncan. […] Donwald, pendant ce temps, avait eu soin de se tenir parmi ceux qui faisaient la garde, et qu’il ne quitta pas pendant le reste de la nuit. […] Il arriva que les seigneurs vénitiens changèrent la garnison qu’ils tenaient dans Chypre, et choisirent le More pour capitaine des troupes qu’ils y envoyaient. […] Élisabeth trouva que ce n’était pas là tenir parole, et exigea un nouvel acte de la vie du gros chevalier.

836. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Gabriel Naudé »

Pour lui, il tient à prouver aux habiles que, bien qu’homme d’étude, il entend aussi le fin du jeu. […] Mais cette sévérité, fruit amer de l’expérience humaine, n’admet pas nécessairement la fraude et n’exclut pas la justice ; et j’aime à penser toujours, malgré la rareté du fait, que la volonté ferme du bien, une sagacité pénétrante jointe à l’absence de toute imposture, une équité inexorable, seraient encore les voies les plus sûres de gouverner, de tenir le pouvoir,  — de le tenir, il est vrai, non pas de le gagner ni de l’obtenir. […] Pour moi, je me tiens aux médiocres, c’est-à-dire à ceux que tu appelles honnêtes gens et bons esprits. » Naudé, en écrivant cette charmante page, ne comprenait-il donc pas que le nombre de ces honnêtes gens et de ces bons esprits vulgaires à la Saint-Ange allait augmenter assez pour faire un public qui ne serait plus la populace ? […] Cette cour était devenue sur la fin un guêpier de savants qui s’y jouaient des tours ; Naudé n’y tint guère. […] L’hôtel du cardinal Mazarin tenait précisément le même local qu’occupe aujourd’hui la Bibliothèque du Roi.

837. (1899) Les industriels du roman populaire, suivi de : L’état actuel du roman populaire (enquête) [articles de la Revue des Revues] pp. 1-403

Elle a toute une branche de production romanesque, exclusivement adonnée à tenir le public anglais au courant des hauts faits du monde des coquins. […] Lorsque vous tenez en main tous ces personnages, vous les mêlez ensemble en deux, trois, quatre cents feuilletons, et vous servez chaud. […] L’essentiel, pour le producteur, est de tenir son roman debout pendant environ trois mois. […] Je veux dire que les péripéties y doivent tenir plus de place que l’analyse et la description. […] Mais si le peuple s’en contente, je ne crois aucunement qu’il y tienne et qu’il soit incapable de trouver plaisir à des œuvres plus nobles et plus littéraires.

838. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

Il est vrai que l’examen qu’ils font d’eux-mêmes est tenu fort secret ; c’est un procès qui se plaide et qui se juge à huis clos, s’il est permis de se servir de cette expression ; et on serait bien fâché que l’arrêt sévère qui le décide fût ratifié par la multitude. […] Au milieu de la forêt et en face du temple est une grande et unique avenue infestée de brigands, et peu fréquentée d’ailleurs, sinon par quelques hommes assez redoutables pour leur résister, ou pour les tenir en respect pendant leur marche. […] Il est si vrai que la considération tient beaucoup plus à l’état qu’aux talents, que de deux hommes de lettres même, celui qui est le plus sot et le plus riche est ordinairement celui à qui on marque le plus d’égards. […] Je n’ai jusqu’à présent parlé que des amateurs qui se bornent à appuyer les gens de lettres de leur puissant crédit et de leur faible suffrage ; j’entends ici par crédit, celui qui se réduit à procurer des admirateurs, et non celui qui a le courage de tenir tête à des adversaires puissants. […] Mais ce que les grands ne doivent point oublier quand ils veulent faire du bien aux lettres, c’est que la considération personnelle est la récompense la plus réelle des talents, celle qui met le prix à toutes les autres ou même qui en tient lieu.

839. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Féval » pp. 107-174

Malheureusement, le roman du Chevalier de Kéramour est rompu par la moitié, et tient dans l’atmosphère de deux mondes, — de la Bretagne et de Paris. […] Mais je n’avais pas à examiner littérairement ce premier volume, dans lequel la personnalité de Brucker tient toute la place et où il n’y a pas d’étapes encore. […] Même chrétiennement, en effet, l’auteur n’était pas tenu, après avoir constaté l’origine surnaturelle de son histoire, de creuser dans la source en remontant plus haut que cette source. […] — mais entreprise qui montrerait pourtant que l’artiste, en Paul Féval, même converti, se sent encore, qu’il tient à la gloire de son passé, et qu’il n’est pas prêt à donner la démission qu’on lui demande de sa fonction de romancier. […] On n’a jamais concentré plus de faits dans moins de pages, et réduit un vaste sujet à tenir dans le creux d’une main d’homme assez empoignante pour l’y faire tenir.

840. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Appendices » pp. 235-309

Croce s’en tient à la synthèse de l’être vivant et insiste sur la diversité ; le positivisme s’en tient à l’analyse et ne voit que l’identité des éléments. […] Je concède volontiers à D’Annunzio qu’il est un « phénomène », unique même, s’il y tient ; cet éloge suffit sans doute à sa vanité que mes critiques de pauvre homme ne sauraient inquiéter. […] Je tiens à répéter que l’art n’a pas à se préoccuper de la morale. […] En d’autres termes, plus réalistes : la notion de l’art est inséparable de certaines conventions ; nul n’est tenu de souscrire à ces conventions ; plusieurs s’y refusent, pour qui l’art n’est qu’un amusement, comme le puzzle, ou un luxe, comme une rivière de diamants. […] Je sais aussi que, dans les époques de crise, le drame à thèse fera toujours, forcément, une part assez large aux goûts passagers ; mais l’auteur dramatique, s’il prétend être un artiste, n’en est pas moins tenu de respecter, sincèrement, les lois sévères de l’art qui vise à l’éternel.

841. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

Dans son premier chant, après cette promenade avec Mme Unwin que j’ai citée, et cette description si parfaite du paysage, il ne s’en tient pas là : comme poète, son morceau est fait ; comme amant de la nature, que de choses il a à dire encore ! […] Il nous le décrit à la ronde, semant sa course plus libre de mille impressions qui tiennent soit aux accidents agrestes du terrain, soit aux sons qu’il entend et auxquels il est des plus sensibles, soit à la couleur variée des arbres qu’il distingue et spécifie par toutes leurs nuances ; la vie, l’intérêt, une passion tendre et profonde se fait sentir sous toutes ces descriptions desquelles on ne peut pas dire qu’il s’y amuse, mais bien plutôt qu’il en jouit. […] on a toute la variété et les contrastes du tableau : un ancien eût fini peut-être par ce dernier trait et par cet image, mais Cowper ne s’y est pas tenu ; il y a mêlé son idée de fils d’Adam sur le travail qui est une peine et un châtiment, mais qui est devenu un moyen ou un gage de rachat. […] Un jour qu’on demandait en présence de Wordsworth s’il en était nécessairement ainsi, le grave poète des lacs répondit : « Ce n’est point parce qu’ils ont du génie qu’ils font leur intérieur malheureux, mais parce qu’ils ne possèdent point assez de génie : un ordre plus élevé d’esprit et de sentiments les rendrait capables de voir et de sentir toute la beauté des liens domestiques23. » J’ai le regret de rappeler que Montaigne n’était pas de cet avis et qu’il penchait du côté du déréglement : citant les sonnets de son ami Étienne de La Boétie, il estime que ceux qui ont été faits pour la maîtresse valent mieux que ceux qui furent faits pour la femme légitime, et qui sentent déjà je ne sais quelle froideur maritale : « Et moi, je suis de ceux, dit-il, qui tiennent que la poésie ne rit point ailleurs comme elle fait en un sujet folâtre et déréglé. » Nous nous sommes trop souvenus en France de cette parole de Montaigne, et nous nous sommes laissés aller à cette idée de folâtrerie. […] Il n’est pas rare que les livres soient un talisman et comme un grimoire magique à l’aide desquels d’habiles esprits, subtils enchanteurs, tiennent asservie une foule sans pensée.

842. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — I » pp. 432-453

Elle compatit aux pauvres gens et aux affligés que frappe cette banqueroute ; elle en donne les détails et les chiffres précis à Senac de Meilhan, son correspondant très cher ; et, voyant la superbe famille de Rohan si humiliée et par cette catastrophe et par d’autres accidents qui bientôt suivirent, elle en revient aux réflexions morales ; elle se félicite au moins de ne tenir à rien, et de ne point prêter à ces revers subits du faste et à ces chutes de l’ambition ; elle se rejette dans la médiocrité, comme disait La Bruyère : Ô obscurité, s’écrie-t-elle avec un sentiment moral qui ferait honneur à toutes les conditions, tu es la sauvegarde du repos, et par conséquent du bonheur ; car qui peut dire ce qu’on serait en voulant des places, des biens, des titres, des rangs au-dessus des autres, où on arrive par l’intrigue, où on se maintient par la bassesse, et dont on sort avec confusion souvent, et toujours avec douleur ? […] Voilà le fabricateur encore pris la main dans le sac, comme on dit, et nous l’y tenons si fort qu’il ne lui est pas possible, cette fois, de la retirer. […] Pour moi, j’aimerais encore mieux être dévot que philosophe, mais je m’en tiens à croire en Dieu, etc. » Quelques années après il lui écrivait, et toujours de sa façon la moins bourrue (juillet 1764) : Je reconnais avec joie toutes vos anciennes bontés pour moi dans les vœux que vous daignez faire pour ma conversion. […] Le Couteulx de Canteleu, ancien sénateur et pair de France, qui les tenait, dit-on, de M. de Meilhan lui-même. […] [NdA] Il n’aurait tenu qu’à lui d’avoir ces observations ; il était père, il n’avait qu’à élever ses propres enfants.

843. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Journal et mémoires du marquis d’Argenson, publiés d’après les manuscrits de la Bibliothèque du Louvre pour la Société de l’histoire de France, par M. Rathery » pp. 238-259

Mais, à d’autres jours, le Chauvelin a tout d’un coup baissé ; il est dans son tort, et il a mérité sa disgrâce ; l’exilé de Bourges, avec son grand feu et son activité, avait la politique trop magnifique et trop fougueuse ; il tenait trop de Louvois, dont il était parent ; les peuples n’auraient guère respiré de son temps ; il est bon qu’il ait été écarté : (Février 1737. […] Ne croyez pas qu’il s’en tienne à ce jugement ; il aura bientôt des accès de colère et des coups de boutoir contre Fleury qui ne l’emploie pas, qui ne s’en va pas, contre ce doux vieillard qui s’obstine à vivre, à durer, dont la longévité est la plus grande des ruses et déroute tant d’ambitions qui attendent. Dans ses vues étendues et souvent élevées de politique extérieure, d’Argenson s’indigne que la France baisse, que sa marine se délabre de plus en plus, qu’on ne fasse rien pour reprendre et tenir son rang avec honneur dans les luttes maritimes ou européennes qui se préparent : (Mai 1738. […] J’étais tenu plus qu’un autre peut-être de m’apercevoir et de faire apercevoir le public de la différence qu’il y a entre le d’Argenson réel et celui qu’on nous avait présenté d’abord : j’avais en effet, dans un article du Globe du 16 juillet 1825, rendu compte des Mémoires publiés en cette même année, et en le faisant avec un sentiment d’estime que je n’ai pas à rétracter, j’avais été un peu dupe comme tout le monde, et comme l’est encore plus aisément la jeunesse, du portrait arrangé, repeint et vernissé à la moderne que l’éditeur nous avait présenté. […] [NdA] Je le définis ainsi d’après son livre même, qui est déjà un symptôme des temps (1743), et qui parut dans l’intervalle qui sépare le publications de l’abbé de Saint-Pierre du Contrat social de Jean-Jacques ; livre tout logique, tout de raison ou de raisonnement, qui procède par principes et conséquences, ne tient nul compte des faits existants ni des précédents historiques, et pousse l’idée jusqu’à son dernier terme sans faire grâce d’un seul chaînon.

844. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. De Pontmartin. Causeries littéraires, causeries du samedi, les semaines littéraires, etc. »

Il a cru que cela tenait à une absence de hautes croyances dont il s’est plu à s’attribuer l’honneur. D’abord, s’il y veut bien regarder, les critiques littéraires dont il parle ne se sont pas tenus si isolés des événements publics, et on pourrait en suivre le ressentiment et quelquefois le pressentiment jusque dans leurs études, publiées chaque semaine en ce temps-là. […] Les trois ordres de la société, selon lui, « la société chrétienne au nom de sa foi, le monde aristocratique au nom de son honneur et de son orgueil, la classe bourgeoise au nom de ses intérêts, tous s’accordent dans un sentiment de répulsion et d’alarme à l’endroit de la littérature. » Recherchant les causes de cet abaissement général, de ce désaccord de la littérature avec la société, il en demande compte à la critique ; il partage celle-ci en trois catégories, et toutes les trois également impuissantes ou stériles, sous lesquelles il ne tient qu’à nous de mettre des noms : la critique dogmatique et immobile (Gustave Planche, probablement) ; la critique qui se joue en de fantasques arabesques (apparemment Janin, ou Gautier, ou Saint-Victor) ; et celle qui se réfugie dans le passé pour n’avoir pas à se déjuger et à se contredire dans le présent (c’est moi-même, je le crois). […] Elles sont immédiates, sans rapport nécessaire avec ses grandes théories, et tiennent à la personne même de l’écrivain : il est ce qu’on appelle un homme d’esprit. […] Quand il parle de ce qu’il sait bien et de ce qu’il ne se croit pas tenu d’anathématiser au nom d’un principe, — des romans de Charles de Bernard, des nouvelles de M. 

845. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite et fin.) »

Celle-ci, durant son séjour en Angleterre, ne vit pas seulement les gens du monde et de la haute société, elle voulut connaître les savants, et l’on a le récit de sa visite au grand critique d’alors, à la fois homme de goût et roi des cuistres, à cet original de Samuel Johnson ; je donne l’historiette telle qu’on la lit dans la Vie du célèbre docteur par son fidèle Boswell ; il la tenait lui-même de la bouche de M.  […] Il ne tenait plus de maison à proprement parler, et ne voyait qu’un petit nombre de personnes choisies qu’elle assemblait pour lui tenir compagnie et le distraire : c’étaient la maréchale de Luxembourg et sa petite fille la duchesse de Lauzun, la princesse de Poix et sa belle-mère la princesse de Beauvau, etc. ; en hommes, l’archevêque de Toulouse, Brienne ; M. de La Fayette (le nôtre), M. de Ségur, le chevalier de Boufflers, etc. ; je ne mentionne que ceux dont les noms signifient encore pour nous quelque chose. […] Elle est très-bien écrite et très-touchante : je m’en laissais attendrir, mais je me suis rappelé sa conduite avec feu la Demoiselle (Mlle de Lespinasse), et mon cœur s’est fermé. » Nous tenons, par cet aveu, la cause et l’origine de la prévention. […] L’année dernière, elle passa trois mois à Auteuil dans une très-jolie maison qui lui appartient ; Mme de Luxembourg s’y était établie avec elle et partageait la dépense d’un fort bon état qu’elle y tenait ; je ne sais si cette année elle fera de même, je le voudrais ; j’y allais passer la soirée pour le moins une fois la semaine ; elle est fort aimable chez elle, et beaucoup plus que partout ailleurs ; ses ridicules ne sont point contraires à la société ; sa vanité, quoique extrême, est tolérante, elle ne choque pas celle des autres ; enfin, à tout prendre, elle est aimable.

846. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. (suite et fin). »

Il ne tint pas à M. de Harlay et à sa méthode que tout cela ne s’étouffât, ne s’éteignît peu à peu. […] Pour mieux se consoler et se remettre en lustre, l’archevêque imagina, en cette même année (1683), une diversion qui lui réussit : il tint dans une salle de son palais des Conférences sur la morale (De re morali). […] Pour faire sa paix avec la Faculté à laquelle il était alors suspect et réputé hostile, il affecta de ne prendre pour assistants que des docteurs qui en fussent membres : « Ces Conférences, nous dit Legendre qui, dans son enthousiasme, les appelle le plus bel endroit de la vie de M. de Harlay, ces Conférences les plus célèbres dont on ait gardé mémoire, se tinrent dans la salle de l’archevêché qui, après celle du Palais, est la plus grande de Paris. […] Ces vives, ces générales, ces sincères acclamations firent taire pour longtemps ses ennemis, ses jaloux et ces atrabilaires qui, souvent sans savoir pourquoi, ou croyant se faire valoir, crient sans cesse contre les gens en place et trouvent plus ou moins à mordre en tout ce qui excelle. » Cette page, que j’ai tenu à donner dans toute son étendue, est le revers de la Pyramide de tout à l’heure. […] Martignac tenait pour les Anciens, La Vau pour les Modernes.

847. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid(suite et fin.)  »

Quand on tient son monde et qu’on l’a une fois dans la main, il est plus sûr d’en finir avec lui, séance tenante. […] L’idée qui se rapporte bien au plus subtil raffinement de la passion est celle-ci : Rodrigue, sous prétexte de lui faire ses adieux, vient déclarer à Chimène qu’il ne se défendra pas contre don Sanche, qu’il est décidé à se laisser vaincre et tuer ; il espère ainsi lui arracher l’ordre de vivre et de vaincre, mais il tient à le lui faire dire, à l’entendre de sa bouche en termes formels ; il ne se contentera pas à moins. […] S’il ne tient pas à vivre, se croyant condamné par elle, que du moins il songe à l’idée qu’on prendra de lui s’il succombe ; il y va de sa gloire : « Quand on le saura mort, on le croira vaincu. » La passion a ses sophismes : c’est au nom même de son père mort, de ce comte si redouté, qu’elle prétend prouver à Rodrigue qu’il est obligé de se défendre vaillamment contre un moins vaillant que ce guerrier illustre : autrement on croira que le comte valait moins que don Sanche. […] Le Cid et Polyeucte, même lorsqu’on a Horace et Cinna présents, ce sont aujourd’hui les deux pièces de Corneille qui, relues, tiennent le mieux toutes les promesses qu’excite et que renouvelle incessamment cette haute renommée immortelle. […] Chapelain, le censeur d’office, tint la plume et fut sensé dans sa lourdeur ; il fit des remarques, après tout judicieuses.

848. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Collé. »

Collé était donc un homme très-gai ; il faut en passer par là et s’y tenir, quoique ce soit un lieu commun. […] Ce séjour de près de dix-neuf ans qu’il fit dans la famille de son riche patron tient une grande place dans sa vie, et son nouveau biographe, M.  […] Un de ces critiques qu’on méprise aujourd’hui et qu’on se flatte d’avoir enterrés, La Harpe, a dit à ce sujet excellemment : « Il est bien vrai que la gaîté qui tient à la licence est plus facile qu’aucune autre ; mais celle de Collé est si originale et si franche, qu’on pourrait croire qu’elle n’avait pas besoin de si mauvaises mœurs pour trouver où se placer. » Nous allons plus loin que La Harpe, et nous disons que ces mœurs mêmes, prises sur le fait et rendues avec cette touche facile et hardie, ajoutent, du point de vue où nous sommes, un prix tout particulier au tableau : elles y mettent la signature d’une époque. […] Le bonhomme a toujours manqué d’une élévation d’âme, même commune ; pour peu qu’il en eût eu, il aurait été le plus malheureux des hommes. » Collé donc, à la différence de Panard, avait de l’élévation d’âme : il voyait les grands, les gens riches, les amusait, leur plaisait, mais ne se donnait pas ; il restait lui ; il se défendait de leur trop de familiarité par le respect ; il gardait de sa dignité hors de sa gaîté ; il savait que, si bon prince qu’on fût avec lui, on ne l’était pas autant à Villers-Cotterets qu’à Bagnolet ; assez chatouilleux de sa nature, il allait au-devant des dégoûts par sa discrétion, et se tenait sur une sorte de réserve, même quand il avait l’air de s’abandonner : quand il sortait ces jours-là de sa maison bourgeoise, il disait qu’il allait s’enducailler, comme d’autres auraient dit s’encanailler ; puis, son rôle joué, sa partie faite, il revenait ayant observé, noté les ridicules, et connaissant mieux son monde, plus maître et plus content à son coin du feu que le meunier Michau en son logis. […]  » Le jeune homme, comme tous les jeunes gens de son temps, tenait d’abord pour Rousseau ; Collé veut le guérir de cette admiration, et il lui fait de Rousseau un portrait noirci, où l’auteur de l’Émile, de l’Héloïse, est représenté comme un Satan d’orgueil, un pur charlatan.

849. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « QUELQUES VÉRITÉS SUR LA SITUATION EN LITTÉRATURE. » pp. 415-441

Ce qui est, ce qui s’est déjà accompli et parcouru, ce que nous possédons, voilà une matière plus sûre ; tenons-nous à en toucher, à en presser quelques points essentiels et à les caractériser. […] Une plaie moins matérielle, et en même temps plus saisissable, plus ostensible, qui tient de près à l’ambition personnelle des hommes de talent et à leur prétention d’être chacun un roi absolu, c’est la façon dont ils s’entourent, dont ils se laissent entourer. […] Mais, comme la conscience de leur usurpation les tient, pareils à ces empereurs nés d’une émeute, c’est à qui dévorera son règne d’un moment. […] Il y a surtout à dire, à répéter, à la décharge des hommes de talent de nos jours, qu’il circule dans l’atmosphère quelque chose de dissolvant, et que là où se tient le gouvernail on n’a rien fait, ni sans doute pu faire, pour y obvier. […] On craint de compromettre désormais une fortune qu’on sent tenir un peu du caprice et du hasard : on en vient, si l’on n’y prend pas garde, au silence prudent.

850. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Il existe sans doute, dans les ouvrages d’esprit, un autre genre de gaieté que celle qui tient presque uniquement à des plaisanteries sur l’ordre social ou sur la destinée humaine ; c’est l’observation juste et fine des passions et des caractères. […] Il y a deux sortes de ridicules très distincts parmi les hommes, ceux qui tiennent à la nature même, et ceux qui se diversifient selon les différentes modifications de la société. […] Les véritables convenances du théâtre ne sont que la dignité de la nature morale ; les convenances poétiques tiennent à l’art des vers en lui-même, et si elles augmentent souvent l’impression d’un genre de beautés, elles mettent des bornes à la carrière que le génie, observateur du cœur humain, pourrait parcourir. […] Le véritable objet du style poétique doit être d’exciter, par des images tout à la fois nouvelles et vraies, l’intérêt des hommes pour les idées et les sentiments qu’ils éprouvaient à leur insu ; la poésie doit suivre, comme tout ce qui tient à la pensée, la marche philosophique du siècle. […] Le célèbre métaphysicien allemand, Kant, en examinant la cause du plaisir que font éprouver l’éloquence, les beaux-arts, tous les chefs-d’œuvre de l’imagination, dit que ce plaisir tient au besoin de reculer les limites de la destinée humaine ; ces limites qui resserrent douloureusement notre cœur, une émotion vague, un sentiment élevé les fait oublier pendant quelques instants ; l’âme se complaît dans la sensation inexprimable que produit en elle ce qui est noble et beau ; et les bornes de la terre disparaissent quand la carrière immense du génie et de la vertu s’ouvre à nos yeux.

851. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIIIe entretien. Chateaubriand, (suite) »

« Il est vraisemblable qu’elle agit sur nous par des causes secrètes, qui tiennent à nos habitudes et à nos préjugés, et par la position où nous nous trouvons relativement aux objets environnants. […] Dans la première position, vous devez mépriser ce que vous êtes ; dans la seconde, vous enorgueillir de ce que vous avez été ; non qu’au fond vous ne sachiez à quoi vous en tenir sur ce frivole avantage, mais pour vous en servir comme d’un bouclier contre le mépris attaché à l’infortune. […] Que celui que le chagrin mine s’enfonce dans les forêts ; qu’il erre sous leur voûte mobile ; qu’il gravisse la colline, d’où l’on découvre d’un côté de riches campagnes, de l’autre le soleil levant sur des mers étincelantes, dont le vert changeant se glace de cramoisi et de feu ; sa douleur ne tiendra point contre un pareil spectacle : non qu’il oublie ceux qu’il aima, car alors ses maux seraient préférables ; mais leur souvenir se fondra avec le calme des bois et des cieux : il gardera sa douceur et ne perdra que son amertume. […] Un livre qu’on a eu bien de la peine à se procurer, un livre qu’on tire précieusement du lieu obscur où on le tenait caché, va remplir ces heures de silence. […] La chute d’une onde, la susurration du vent solitaire, toute cette musique qui s’exhale de la nature, et qui fait qu’on s’imagine entendre les germes sourdre dans la terre et les feuilles croître et se développer, lui parut tenir à cette cause cachée.

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