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1551. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

On connaît le furieux mépris de Flaubert pour le bourgeois, c’est-à-dire pour les hommes d’une culture et d’une intelligence ordinaires, qui représentent la moyenne de l’humanité et composent la masse du public ; et l’on rencontre souvent dans sa Correspondance des phrases comme celles-ci : « Moi qui ne désire point la gloire. » — « J’ai renoncé, pour moi, à m’occuper de la postérité. » — « Peignons, peignons, sans nous inquiéter de la durée de nos œuvres. » Mais il y a ici une distinction essentielle à faire. […] Je doute que les rédacteurs de ces jolies phrases aient soumis leur idée à l’épreuve de la critique, car on ne les voit guère y tenir avec cette constance qui est le signe des jugements vérifiés. […] Sainte-Beuve cite de Tite-Live, dans la préface du grand ouvrage de cet historien, une phrase singulièrement suggestive pour l’imagination et bien propre à faire réfléchir les esprits légers qui osent prétendre que tout ce qui est mort était caduc, comme tout ce qui a subsisté, vivace : « Si, dans la suite nombreuse (tanta scriptorum turba) des écrivains qui m’ont précédé, mon nom demeure obscur, je me consolerai par la considération de la gloire et de la grandeur (nobilitate ac magnitudine) de ceux qui éclipseront ma renommée. » Où sont-ils ces devanciers illustres dont la réputation éclatante faisait prendre à Tite-Live cette attitude modeste ? […] Le mépris de l’opinion est, sans doute, une belle chose : nous admirons un Théophile Gautier, un Leconte de Lisle, pour l’intrépide vaillance avec laquelle ils ont réalisé leur rêve de beauté, sans taire la moindre concession aux goûts du public, uniquement soucieux de plaire è eux-mêmes et aux artistes de leur race, pleins de dédain pour une justice des hommes qui leur a enfin été rendue, « d’autant plus complète », dit la phrase consacrée, « qu’elle était plus tardive » ; mais si de très grands écrivains ont parfois réussi de cette manière, ce n’est pas ainsi, en général, que procèdent les plus grands.

1552. (1910) Propos de théâtre. Cinquième série

 » Les appréciations de ce genre sont dangereuses parce qu’il peut se trouver un jeune étudiant qui lise cette phrase, écrite du reste par un homme de génie, qui saute sur Le Roi Lear, qui le lise avec ferveur et qui se dise : « Me voilà fixé. […] L’air déconcerté et me saluant jusqu’à terre, il me commence une phrase inintelligible et reste au beau milieu en me regardant avec une piteuse figure qui avait l’air de demander l’aumône. […] Prenez la meilleure phrase du meilleur auteur, un peu longue, et soulignez dix mots au hasard, comme on tire des billets dans un chapeau, vous donnerez au lecteur, pour un moment au moins, la sensation que la phrase est mal écrite. […] On lit trois lignes d’un regard et puis on refait la phrase. » Ce n’est pas donné à tout le monde. […] Il était si facile de mettre : Ô mon amour, s’il faut que je te sacrifie… et que l’auteur relise : il verra que la phrase va très bien ainsi, à la condition de mettre seulement « hésiterai » au lieu de « hésiterais » deux vers plus bas.

1553. (1905) Propos littéraires. Troisième série

Il a estimé que de tout ce que les Ronsardiens avaient admiré dans l’antiquité ils n’avaient oublié, communément, que la phrase musicale, le tour net et libre et la sobriété élégante, et ce sont ces trois beautés souveraines qu’il a recommandées de tout son pouvoir et poursuivies de tout son courage, et atteintes souvent : car, par une fortune très particulière, il a eu le bonheur que ses bonnes intentions méritaient. […] Il n’y manque, et avec une phrase superbe : « Et toi, Esprit du mal, approche ! […] Autre suppression : « Au lieu de suivre la messe, elle regardait dans son livre les vignettes pieuses bordées d’azur… » Le texte de la Revue portait : « Les vignettes pieuses bordées d’azur qui servent de signets. » — Flaubert aura fait cette réflexion que les vignettes d’un missel ne sont pas sur les signets, qui sont des rubans, mais bien sur les feuillets mêmes et qu’elles sont des marques, si l’on veut, ou des rubriques, mais non des signets ; et, dans l’embarras sur le mot à employer, il aura supprimé le membre de phrase, assez inutile du reste. […] L’admiration et la gratitude restent dans la phrase rectifiée de Flaubert. […] Il y a des environs de Naples et des paysages de Syrie, qui, moins peut-être l’admirable phrase nombreuse, valent tout ce que Chateaubriand a écrit de plus ravissant.

1554. (1880) Une maladie morale : le mal du siècle pp. 7-419

J’ai gémi, je me suis lamenté à la vue de cette demeure nouvelle. » Et ne dirait-on pas qu’elle est tirée de quelque écrivain moderne cette phrase sur les tourments de notre intelligence : « Nos moyens de connaissance sont bornés et dispersés dans nos organes. […] Nodier qualifie ce dernier écrit de pâle et insignifiant, et quant au premier, il le définit un Werther « enthousiaste de tête qui aurait brûlé le papier, si on le brûlait avec des mots, mais dont l’âme apparaît, froide et inanimée, à travers l’expression factice de ses phrases retentissantes, comme l’échafaudage de l’artificier derrière ses fusées éteintes. » Enfin, il fait une allusion collective à « dix autres ouvrages du même temps qu’il serait inutile de nommer à qui ne les connaît pas. » Cet avis me paraît bon. […] Sainte-Beuve attribue à Chateaubriand cette phrase qui lui serait échappée, dit-il, dans un moment de franchise : « Quand je peignis René, j’aurais dû demander à ses plaisirs le secret de ses ennuis. » Rétablissons dans son exactitude le passage auquel il est fait allusion. […] Une famille de René (sic) poètes et de René prosateurs a pullulé : on n’a plus entendu que des phrases lamentables et décousues : il n’a plus été question que de vents et d’orages, que de mots inconnus livrés aux nuages et à la nuit. […] le byronisme, le romantisme, les souvenirs de la Révolution française, des décembristes, et l’adoration de Napoléon ; la foi au destin, à une étoile, à la force du caractère, de la pose et de la phrase ; et l’angoisse du vide, les inquiétantes fluctuations d’un étroit amour-propre, en même temps que l’audace et la force agissante, etc… » En passant à la Pologne, et ce n’est pas hélas !

1555. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

La première partie de cette phrase vise sans doute une scène, très courte, ou deux scènes, très courtes, de Don Juan. […] Comme Angélique, mais plus tôt encore, quand son père lui révèle le nom de celui, qu’il lui destine pour époux et qu’elle n’aime point elle se tait et c’est la fidèle servante qui prend la parole à sa place ; mais son étonnement à cette révélation inattendue s’exprime en une phrase embarrassée et balbutiante qui est d’une vérité impayable : […]Me suis-je méprise ?

1556. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Conduite de l’action dramatique. » pp. 110-232

Cette phrase était alors exacte. […] On peut étendre une image dans une phrase de cinq ou six vers, ensuite en renfermer une autre dans un ou deux.

1557. (1932) Les idées politiques de la France

Le progrès des conditions pris pour idée animatrice de la République, cela a été formulé par le théoricien même du progrès, Condorcet, en une phrase connue : la tâche essentielle de l’État consistant dans un effort continuel pour améliorer le sort de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. […] Quelques phrases de journal devinrent des symboles, quelques mots vagues des arguments irrésistibles, et la bigarrure qu’offrait à cette époque la langue vulgaire dut influer sur l’incohérence des idées. » Évidemment, les sociétés populaires de pensée, de contrôle et d’action avaient toute une éducation à faire. […] Elles le sont devenues par l’école, et la phrase consacrée sur l’école laïque, pierre angulaire de la République, reste fort juste sauf peut-être en ceci, que la pierre angulaire s’agite fort pour aller en haut du clocher porter le coq : d’où, le long du monument, des mouvements divers qui inquiètent l’architecte.

1558. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. RODOLPHE TÖPFFER » pp. 211-255

Necker, que le fait devient très-sensible ; ils travaillent trop leur phrase, ils en pèsent trop tous les mots, c’est trop bien.

1559. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « PARNY. » pp. 423-470

On peut douter qu’il se fût jamais converti, même en voyant des preuves meilleures Il est au contraire très-aisé de soupçonner ce qu’il aurait pensé des tentatives et des élancements mystiques de la lyre nouvelle, et on croit d’ici l’entendre répéter et appliquer assez à propos à plus d’un poëte monarchique et religieux de 1824, à certains de nos beaux rêveurs langoureux et prophètes (s’il avait pu les voir), qui, en ce temps-là, mêlaient par trop le psaume à l’élégie et tranchaient du séraphin : Cher Saint-Esprit, vous avez de l’esprit, Mais cet esprit souvent touche à l’emphase : C’est un esprit qui court après la phrase, Qui veut trop dire, et presque rien ne dit.

1560. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIIe entretien. Littérature latine. Horace (2e partie) » pp. 411-480

Quel plaisir de savoir pourquoi le poète s’est courroucé contre Glycère, ou s’est réconcilié avec Lydie, ou s’est attendri sur Virgile, ou s’est rapproché d’Auguste, ou s’est fondu en larmes sur la maladie de Mécène, et quel intérêt double s’attacherait ainsi à un livre dont chaque phrase de l’éditeur expliquerait un vers du poète !

1561. (1860) Cours familier de littérature. IX « Le entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier (2e partie) » pp. 81-159

Cette phrase d’une de ses premières lettres à la jeune femme résume toute sa correspondance de vingt-cinq ans avec son amie.

1562. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIe entretien. Littérature politique. Machiavel » pp. 241-320

Lisez cette phrase : « Les cruautés, dit-il, sont bien employées (si toutefois le mot bien peut être jamais appliqué à ce qui est mal) quand on les commet d’un seul coup et en masse, etc. » Vous voyez, par la parenthèse, qu’il parlait du succès, et non de l’innocence des cruautés.

1563. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (3e partie) » pp. 5-79

Il semble que c’est Danton qui parle ou Kléber qui rugit. » XXVI Ce n’est pas là de la critique littéraire seulement ; nous n’en faisons pas : ce livre a bien une autre portée que des phrases.

1564. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (5e partie) » pp. 145-224

L’hydre au commencement, l’ange à la fin. » XXX Ces pages sont très belles, mais, de quelque mot qu’on se serve, de quelques phrases qu’on les pare, il n’y a, il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais que deux philosophies sociales ici-bas : La philosophie sociale des jouissances matérielles à multiplier et à faire convoiter de bonne foi à tous les hommes ; La philosophie sociale du spiritualisme et de la résignation pieuse à l’ordre douloureux de la nature, ce décret absolu du Créateur, ce fait accompli, et tristement accompli, du destin ; l’imperfection, la douleur, le travail et la mort, pour mériter un autre sort dans le monde ascendant et invisible dont la terre est la ténébreuse avenue.

1565. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (2e partie). Littérature de l’Allemagne. » pp. 289-364

Je demeure anéanti de la petitesse des considérations littéraires, après ces divagations éthérées et infinies ; c’était une vaste philosophie que j’attendais, je tombe dans des phrases sans fond et sans suite.

1566. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIe entretien. Le Lépreux de la cité d’Aoste, par M. Xavier de Maistre » pp. 5-79

L’un, l’aîné, était le comte Joseph de Maistre, esprit original, paradoxal, superbe, déclamateur, fanatique, qui a laissé une immense réputation à réviser par son parti, homme de phrases magnifiques, mais de livres tantôt équivoques, tantôt scandaleusement faux, grand écrivain, pauvre philosophe.

1567. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre II. Le rôle de la morale » pp. 28-80

On ne marchande pas avec lui, c’est encore une phrase usuelle.

1568. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Introduction, où l’on traite principalement des sources de cette histoire. »

On observera, d’ailleurs, la réserve des tours de phrase dont nous nous servons quand il s’agit d’exposer le progrès des idées de Jésus.

1569. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mars 1886. »

Les portes sont ouvertes, dans la première lettre que je reçois de l’étranger, je lis une phrase de Wagner, qu’on me cite : « Il faut brûler Paris ! 

1570. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse sociologique »

Stendhal admire le mélange de passion et de réalisme des anciennes chroniques italiennes, la douce volupté de la musique de Cimarosa ; il n’aime point le style oratoire des romantiques qu’il défend cependant pour la sincérité de leur lyrisme ; Mérimée dénigre Victor Hugo, admire Stendhal et parfois Byron ; Musset ne cachait pas sa préférence pour Byron ; Lamartine aimait Ossian ; Théophile Gautier et les parnassiens admirent Victor Hugo, dans lequel cependant ils préfèrent le versificateur et le styliste au penseur ; Baudelaire affectionne Poe, Gautier et Delacroix ; Flaubert admire à la fois Balzac, Hugo et certains livres de science, certaines cadences de phrase ; les Goncourt vont à Balzac, à Heine, aux peintres du joli et du mouvement, les Japonais et ceux du XVIIIe siècle ; M. 

1571. (1856) Cours familier de littérature. I « Ve entretien. [Le poème et drame de Sacountala] » pp. 321-398

« Quant aux efforts qu’il m’en coûta pour m’y rendre raison d’abord de quelques mots, puis par-ci par-là de phrases isolées, et enfin de passages d’une assez longue haleine, il sera facile au lecteur de s’en faire une idée, comme aussi du plaisir qui me transporta quand je fus parvenu à cette intelligence.

1572. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre V. Des orateurs anciens et Modernes. » pp. 223-293

Mais on n’y voit point aussi ce style précieux, affecté, surchargé d’antithèses recherchées, & de phrases empoulées de certains discoureurs à la mode, ni ces fausses interprétations de l’Ecriture, que quelques-uns employent pour faire des allusions qu’ils croyent ingénieuses, & qui ne sont souvent que puériles ; en un mot, on y écarte les fleurs pour n’y donner que des fruits.

1573. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXIe entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff » pp. 237-315

Ils semblaient plus occupés de leurs cigares que de ses belles phrases, et, à en juger par leurs regards constamment dirigés du côté de la porte, il y avait lieu de supposer qu’ils songeaient à s’en aller. […] — Belle phrase !

1574. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

Il ira, cet ignorant dans l’art de bien dire, avec cette locution rude, avec cette phrase qui sent l’étranger, il ira en cette Grèce polie, la mère de la philosophie et des orateurs ; et, malgré la résistance du monde, il y établira plus d’églises que Platon n’y a gagné de disciples par cette éloquence qu’on a crue divine. […] Il faut lire certains passages des Provinciales, où Pascal se raille légèrement du langage des Pères, et cite des phrases dont l’affectation et le raffinement contrastent si étrangement avec le naturel et la candeur de son style.

1575. (1865) La crise philosophique. MM. Taine, Renan, Littré, Vacherot

Littré avec la méthode scientifique se payer aussi facilement de mots que dans cette phrase où il nous dit que la matière organisée s’ajuste à ses fins, parce que c’est une de ses propriétés. […] Fénelon a exprimé cette doctrine dans l’une des phrases les plus belles et les plus profondes du Traité de l’existence de Dieu.

1576. (1868) Curiosités esthétiques « II. Salon de 1846 » pp. 77-198

Cependant il n’est pas imprudent d’être brutal et d’aller droit au fait, quand à chaque phrase le je couvre un nous, nous immense, nous silencieux et invisible, — nous, toute une génération nouvelle, ennemie de la guerre et des sottises nationales ; une génération pleine de santé, parce qu’elle est jeune, et qui pousse déjà à la queue, coudoie et fait ses trous, — sérieuse, railleuse et menaçante22 ! […] » Cette phrase fait allusion à la funèbre fanfaronnade d’un criminel, d’un grand protestant, bien portant, bien organisé, et dont la féroce vaillance n’a pas baissé la tête devant la suprême machine !

1577. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

« Les lois sont les rapports nécessaires qui résultent de la nature des choses », cette phrase de Montesquieu a été son delenda est ; et ce qu’il a prétendu toute sa vie, c’est retrouver cette nature des choses et les rapports nécessaires (il répète cent fois le mot et le souligne avec une sorte d’entêtement) qui en résultent. […] Après avoir promis par cette première phrase et le chapitre qui la suit une sociologie systématique, il a été surtout un critique sociologue ; il s’est placé tour à tour en face de chaque complexion et tempérament social, et il a dit, de celui-ci et de celui-là, quelle était la force intime, le vice caché aussi, et les ressources possibles contre ce vice, et les limites probables de cette force, et les maladies à craindre, et le régime à suivre, et les palliatifs à employer, et les demi-guérisons, et les rechutes ; — et, à la différence de tous les sociologues peut-être, si confiants dans la vertu éternelle de l’hygiène qu’ils recommandent, c’est le voisinage perpétuel et les approches constantes de la mort qu’il semble voir sans cesse ; très convaincu que la destinée de tous les peuples est de périr très vite ; très persuadé qu’une constitution sociale un peu durable est un prodige d’équilibre de forces contraires toujours sur le point de se rompre ; disant à chaque instant : si telle chose manque, ou telle autre, « tout est perdu » ; ayant à peine un système, parmi tous les systèmes, qu’il croie un peu moins imparfait que les autres ; théoricien, en un mot, du contingent et du probable, et écrivant surtout un admirable cours de pathologie sociale. […] L’un lui a donné des phrases, l’autre lui a dit des injures. […] « Tel était le mot du jour ; car en France, à chaque révolution, on rédige une phrase nouvelle qui sert à tout le monde, pour que chacun ait de l’esprit et du sentiment tout faits ; … car la plupart des hommes médiocres sont au service de l’événement et n’ont pas la force de penser plus haut qu’un fait. » En vrais élèves des philosophes, ils furent « dominés par la passion des idées abstraites » ; ils voulurent « accorder à un petit nombre de principes le pouvoir absolu que s’était arrogé jusque-là un petit nombre d’hommes » ; et, ainsi, tout enivrés d’idées pures, sans appui dans le passé, sans assiette sur le réel, et fondant sur l’absolu, ils « traitaient la France comme une colonie. » Au fond, cette révolution, qui a fini par être tragique, a commencé par être éminemment romanesque.

1578. (1903) Propos de théâtre. Première série

Il faut songer à Shakspeare, à son Holopherne (Peines d’amour perdues), pédant au langage macaronique, dont toutes les phrases sont mêlées d’italien et de latin, qui lit des madrigaux pleins de pointes et de concetti, et qu’on peut tenir pour le véritable ancêtre du Cydias de La Bruyère et du Trissotin de Molière. […] Il doit lui faire tort d’une cinquantaine de fois ; car Andromaque ne peut pas prononcer une phrase sans que le mot d’« Hector » ou de « mon époux » y soit enchâssé. […] Il a des manières de phrases de diplomate avec Agrippine au premier acte. […] Mathan dénonce Joad, dénonce Abner, dénonce et menace Josabeth, érige la terreur en système, sachant que « quand on commence par faire de la terreur, il faut savoir en faire toujours1 », et conseille le meurtre de Joas sans phrase et sans examen. […] Son discours aux Lévites (IV, iii), sauf peut-être la dernière phrase, trop périodique et arrondie, est rude et vibrant, haché, jeté par propositions courtes, chacune nettement découpée par le vers.

1579. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Ma biographie »

En déchiffrant aujourd’hui cette écriture effacée du père, jetée à la hâte sur le premier chiffon venu, sur la garde d’une brochure dépareillée où se lit ce nom en guise d’envoi : « Au citoyen Sainte-Beuve, administrateur25 du département du Pas-de-Calais », je ne puis m’empêcher de me rappeler l’illustre écrivain le matin à sa toilette, griffonnant avec un crayon sur le coin d’un journal quelconque un fait, une idée, une phrase qui lui venait toute faite, et dont son esprit avait intérieurement désigné la place où il fallait l’introduire dans l’article en cours de composition.

1580. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Ampère »

En tête d’un des nombreux projets d’ouvrages de métaphysique qu’il a ébauchés, je trouve cette phrase qui ne laisse aucun doute : « C’est en 1803 que je commençai à m’occuper presque exclusivement de recherches sur les phénomènes aussi variés qu’intéressants que l’intelligence humaine offre à l’observateur qui sait se soustraire à l’influence des habitudes. » C’était s’y prendre d’une façon scabreuse pour tenir fidèlement cette promesse de soumission religieuse et de foi qu’il avait scellée sur la tombe d’une épouse.

1581. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (1re partie) » pp. 81-159

VI Quant à la question de l’esclavage, noble bannière de leur guerre actuelle, on sait ce que cette cause signifie chez eux par cette phrase du discours de leur président : M. 

1582. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juin 1885. »

. — L’Acteur : il trouve, dans la musique, la révélation de l’essence des caractères et des situations, et, en même temps, un commentaire perpétuel pour son jeu ; où le Motif s’intercale dans un discours, de façon à compléter la phrase, le chanteur doit s’identifier par le Geste avec la Parole musicale. « C’est dans de tels moments, que le Drame et la Musique révèlent, de la manière la plus saisissante, leur intime connexité ».

1583. (1857) Cours familier de littérature. III « XIIIe entretien. Racine. — Athalie » pp. 5-80

Il y réussit mal ; la poésie lui avait gâté la main pour la prose : trop préoccupé de la forme du rythme et de l’harmonie des périodes, il manquait de nerf et de pensée pour consolider sa phrase historique.

1584. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

Ce don de l’esprit appartient plus généralement aux amateurs de littérature qu’aux auteurs de profession, parce qu’il est inséparable d’une certaine légèreté ; les hommes du monde possèdent plus souvent cette légèreté que les hommes d’études, parce que la conversation rend la phrase légère et que la plume rend quelquefois la main lourde.

1585. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Robert » pp. 222-249

Dans les transports violens de la passion, l’homme supprime les liaisons, commence une phrase sans la finir, laisse échapper un mot, pousse un cri et se tait ; cependant j’ai tout entendu ; c’est l’esquisse d’un discours.

1586. (1868) Curiosités esthétiques « I. Salon de 1845 » pp. 1-76

Hâtons-nous de dire, pour corriger ce que cette phrase a d’exagéré, que jamais imitation ne fut mieux dissimulée ni plus savante — il est bien permis, il est louable d’imiter ainsi.

1587. (1739) Vie de Molière

Il y a quelques phrases et quelques incidents de la première, qui nous sont conservés dans le Médecin malgré lui ; et on trouve dans la Jalousie de Barbouille un canevas, quoique informe, du troisième acte de George Dandin.

1588. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre premier. » pp. 15-203

Il dit de Fabianus Papirius : « Ce ne sont pas des phrases qui sortent de sa bouche, ce sont des mœurs. » (Lettre c.) […] Voilà ce que fait dire la fureur d’arrondir une phrase. […] La phrase signifie se faire janséniste sous le cardinal Fleury qui protégeait les jésuites, ou rigoriste sous Maurepas qui suivait si bien les conseils de ses commis : « Amusez-vous et laissez-nous faire. » La fin de l’alinéa, à partir de : mais doctrine… n’existait pas dans la première édition.

1589. (1859) Critique. Portraits et caractères contemporains

On manque d’air et d’espace, pour me servir de la phrase consacrée. […] toutes ces folies, ces vanités, ces crêpes, ces gazes, ces chapeaux, ces bals masqués dont le masque est levé, ces grands hommes éteints, ces petites phrases en lambeaux — c’est là notre histoire ? […] — Et puis une grande colère contre un confrère qui aura fait quelques toutes petites phrases à propos du chemin de fer ! […] — La conclusion, je vais la tourner contre nous tous, les frivoles, les oisifs, les diseurs de riens, — les grands écrivains dont rien ne reste, pas un mot, pas une phrase, — tout au plus quelques bons sentiments, quand nous sommes assez heureux pour en trouver dans notre cœur. […] Et pourtant, déjà en ce temps-là, on le disait grave ; à toute la jeunesse de l’idée et de la phrase il réunissait toutes les apparences sérieuses.

1590. (1896) Hokousaï. L’art japonais au XVIIIe siècle pp. 5-298

Une impression charmante est la planche en couleur où Hokousaï a représenté une collation dans la campagne, et où des femmes s’amusent à faire flotter sur un cours d’eau des coupes à saké, et l’homme auquel le courant l’apporte est obligé d’improviser une phrase poétique, sous peine, s’il ne peut l’improviser, de boire trois coupes. […] Et, dans une planche d’Hokousaï, l’on voit cette mère, en la recherche de ses enfants, sous la robe d’une mendiante jouant la folie, entourée d’une troupe d’enfants se moquant de la princesse Hanako devenue méconnaissable, et portant une branche d’arbuste où est pendu un éventail sur lequel est écrite une phrase qui doit seulement la faire reconnaître par ses enfants. […] Hokousaï termine sa lettre par cette phrase : Comme ma vie, dans ce moment, n’est pas au grand jour, je ne vous écris pas ici mon adresse. […] Et, au milieu de ces croquis, le dessin du dialogue d’un ministre retiré des affaires et d’un pêcheur où, dans l’épine dorsale et la gesticulation gouailleuse des mains de ce pêcheur, est donné comme l’accent de la phrase qu’il jette au ministre démissionnaire, disant qu’il a quitté le ministère parce que le monde a l’esprit à l’envers : « N’est-ce pas vous qui êtes à l’envers ?

1591. (1774) Correspondance générale

.… phrases, et surtout, considérez qu’à la fin on se rassasie d’invectives. […] Il y a dans le commencement de cette longue phrase je ne sais quoi d’incorrect et d’entortillé ; mais je n’ai pas le temps de m’expliquer plus nettement. […] Raconte donc, puisque c’est ta manie de raconter ; jette au moule tes phrases l’une après l’autre, comme le fondeur y a jeté, comme le compositeur a arrangé les lettres de ton discours. […] Celui qui lit un ouvrage sans y trouver un terme impropre, un tour de phrase obscur ou inusité, ou l’entend supérieurement, ou ne l’entend point du tout ; supérieurement, puisqu’il peut subitement et sans effort rectifier l’inexactitude de l’expression ; point du tout, puisque, ne sentant point ce défaut, la vue de l’auteur lui échappe.

1592. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

Il faudrait une longue analyse pour décomposer ce travail, dont on aura une mesure bien affaiblie si nous disons que l’esprit coordonne d’abord, non seulement son état de conscience présent, mais encore ses états de conscience antérieurs, avec les lieux, les costumes et le langage des personnages ; ensuite qu’il coordonne entre eux les mouvements, les attitudes, les gestes, la physionomie, les regards, les mots, les phrases, la hauteur des sons, leurs relations, leur intensité, le rythme, et enfin les idées, qui se dérobent sous une foule d’images, faibles ou vives, souvent lointaines, et qu’il calcule encore leurs rapports avec toute la succession des faits écoulés et des faits possibles, etc. […] Le rythme et la mesure de l’œuvre se trouvaient altérés, absolument comme si dans une phrase musicale on eût intercalé mal à propos un temps de silence. […] Que pourrait dire Sûzel et quelles paroles vaudraient l’éloquence de cette phrase musicale, qui arrive au public grossie de tous les sanglots qui gonflent le cœur de l’abandonnée ? […] La mise en scène a donc été jusqu’à présent une force émotionnelle destinée à agir directement sur le spectateur, absolument comme dans le mélodrame une longue phrase chantée sur le violoncelle agit sur son système nerveux et le dispose à l’attendrissement.

1593. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Delille »

Ovide, par exemple, en était venu à ne faire du distique qu’une paire de vers tombant deux à deux, tandis qu’auparavant, et surtout chez les plus anciens, comme Catulle, la phrase poétique se déroulait libre à travers les distiques.

1594. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Théocrite »

Au moment où elle montre Delphis franchissant le seuil d’un pied léger, Simétha qui, à cette fin de couplet, n’a pas terminé sa phrase, jette le refrain comme entre parenthèses, et le sens se continue après cette suspension d’un instant.

1595. (1875) Premiers lundis. Tome III « Du point de départ et des origines de la langue et de la littérature française »

Mais on ne voit aucune raison suffisante à cette grande uniformité première, et tout indique, au contraire, que la diversité, d’abord, dut être extrême, infinie ; que sur chaque point, dans chaque bassin, les choses ont dû se former d’après quelques conditions générales sans doute, mais aussi d’après les éléments particuliers préexistants et avec des différences que la raison indique, et que deux ou trois mots, une phrase grossière transmise par hasard, dans quelque chronique latine, et commentée à grand renfort de science, ne sauraient effacer ni démentir.

1596. (1929) Dialogues critiques

Paul M. le maire de Metz prête à Colette ces phrases : « Nous avons juste sujet de nous enfermer dans l’attitude de défense à laquelle nous ont tristement accoutumés quarante-huit années. » La Lorraine et l’Alsace se sentiraient donc aussi opprimées dans les bras de la France que sous la botte allemande.

1597. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre II. La vie de salon. »

» Et l’on rit, l’on applaudit ; le lendemain tout Paris, en répétant la phrase, se console de la ruine publique. — Alliances, batailles, impôts, traités, ministères, coups d’État, on a toute l’histoire du siècle en épigrammes et en chansons.

1598. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre VI. La poésie. Tennyson. »

Le propre du poëte, c’est d’être toujours jeune et éternellement vierge : Pour nous autres, gens du commun, les choses sont usées ; soixante siècles de civilisation ont terni leur fraîcheur originelle ; elles sont devenues vulgaires ; nous ne les apercevons plus qu’à travers un voile de phrases toutes faites ; nous nous servons d’elles, nous ne les comprenons plus ; nous ne voyons plus en elles des fleurs splendides, mais de bons légumes ; la riche forêt primitive n’est plus pour nous qu’un potager bien aligné et trop connu.

1599. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVe entretien » pp. 317-396

Après ces premiers chapitres viennent ceux des mots, c’est-à-dire des phrases de quelques mots qui font proverbe, sentence, etc., qu’on cite ou auxquels on fait sans cesse allusion dans les ouvrages de littérature, soit en prose ou en vers, et on donne l’explication de chacune en citant l’anecdote, le discours, la circonstance où elle a été dite, à peu près comme si l’on racontait comment et à quelle occasion César dit son Veni, vidi, vici , ou bien le Tu quoque, mi Brute  !

1600. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIe entretien. Cicéron » pp. 81-159

On les appelle des Cicérons et des Démosthènes : ils ne sont que des musiciens de phrases.

1601. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VII, seconde guerre médique. »

Détail épique qui met l’image d’un vers d’Homère dans une phrase d’Hérodote.

1602. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1864 » pp. 173-235

Il parle doucement, lentement, par petites phrases qui font entrer, à petits coups, la chose dite.

1603. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIe entretien » pp. 5-85

Quelqu’un cita à la fin de la conversation cette phrase d’Alfieri : La pianta uomo nasce più forte e più robusta in Italia , etc., etc.

1604. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIe entretien. Boileau » pp. 241-326

Vérité, clarté, propriété, sobriété saine, sens spirituel et juste dans une image naturelle et proportionnée au sens, harmonie des vers sans mollesse, brièveté de la phrase poétique qui ajoute à sa vigueur, trait inattendu qui frappe avant d’avoir averti, peu d’élan, mais une marche vive et sûre qui va droit au but et qui ne trébuche jamais ; en un mot toutes les qualités, non d’un grand poète, mais d’un grand manieur de la langue poétique, voilà ce qui distingua à l’instant ce jeune homme et qui donna à sa jeunesse l’autorité d’un âge avancé.

1605. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

Dieu nous donna, dans ce petit tableau, une idée des grâces dont il a paré la nature…… » XXV L’heure sonna trop prompte à la lugubre horloge de la chapelle : nous aurions voulu que le temps n’eût plus d’heures ; le grand peintre d’impressions et le grand musicien de phrases nous avait enlevé le sentiment du temps écoulé.

1606. (1884) Articles. Revue des deux mondes

Il semble qu’il n’en soit plus de même quand il s’agit des nations, et depuis Florus le parallèle entre les quatre âges de l’homme et les périodes de la vie des peuples a fourni des phrases magnifiques.

1607. (1767) Salon de 1767 « Peintures — La Grenée » pp. 90-121

Ou à la sentence épigrammatique, à la phrase ingénieuse de l’académicien ?

1608. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Ainsi encore il nous conduit dans son Calvin jusqu’à la fin de son premier volume avant d’écrire cette phrase : « Il y a des moments où l’on dirait que l’épée de Charles-Quint est changée en quenouille.

1609. (1898) La poésie lyrique en France au XIXe siècle

Et il ne nous semble pas faire acte de flatterie en émettant l’opinion que la plume du conférencier aurait peu de retouches à faire subir à sa phrase parlée, toujours si correcte et si maîtresse d’elle-même. […] Il a aimé Chateaubriand, surtout pour la cadence de ses phrases, pour le rythme, pour ces mots si merveilleusement choisis et qui éveillent dans l’âme on ne sait quelle lointaine et profonde sonorité.

1610. (1925) Proses datées

Ce même soin se retrouvait dans ses moindres propos, sa phrase parlée était toujours d’une admirable et limpide précision, d’un fini précieux sans que jamais le vînt gâter aucune recherche affectée. […] Je suis sûr qu’il eût préféré être cru dans ses rancunes à être admiré dans ses phrases et que, s’il revenait au monde, l’irritable duc trouverait à se plaindre de la postérité aussi bien qu’il jugeait avoir à ne pas se louer de ses contemporains. […] Leur phrase porte sa marque distinctive.

1611. (1925) Promenades philosophiques. Troisième série

Sachant tout cela, ce n’est pas sans émotion que j’ai lu la phrase que je viens de citer. […] La science actuelle a prouvé que c’était là une erreur scientifique, et voilà qu’on va jusqu’à dire que les singes sont des hommes animalisés. » Ajoutons la phrase suivante : « Il y a un hiatus entre l’intelligence des animaux et l’intelligence humaine ; je ne crois pas que nous soyons prêts à combler cet hiatus. » Voilà ce qui, dans le livre de M.  […] Les hommes que je rencontre me font la même impression que si je voyais les arbres de vos forêts ouïes troupeaux de vos campagnes. » Toute la faiblesse des métaphysiques est expliquée par ces deux phrases dédaigneuses.

1612. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre V. Comment finissent les comédiennes » pp. 216-393

Voilà une phrase qui n’était pas construite de son temps, et dont il se serait bien moqué lui-même ; il aimait cet art de la comédie pour les larmes que le cœur y verse, pour les éclats de rire que l’esprit y rencontre ; il aimait cette façon de parler aux hommes assemblés et de leur imposer tous les sentiments poétiques ; enfin, je vous le dis tout bas, il était de ces hommes qui croient encore que le théâtre est l’école des mœurs : belle école vraiment ! […] » Aussi bien il ne lisait guère, il voyait beaucoup ; il aimait la rue et le sentier, la ville et le faubourg, la taverne et le salon ; il fréquentait l’église et la coulisse ; il était tout ensemble l’architecte français qui sait dire, et l’architecte athénien qui sait faire ; il s’étendait et se confiait à qui voulait l’entendre, et riait bien haut quand il voyait passer l’abbé Morellet, « les coudes serrés en dedans pour être plus près de lui-même » ; Il aimait le point d’interrogation, le point d’interjection, tous les points qui n’arrêtent pas la phrase, lancée au galop. […] On n’a jamais vu un plus grand misérable employer de plus grands crimes et de plus grandes phrases pour séduire une petite fille qui joue la comédie. […] Pêle-mêle incroyable des hommes et des choses, des dieux et des fictions ; écrivain châtié à l’égal des plus rares poètes, tout à coup le voilà qui se met à fabriquer des mots et des phrases de son invention qu’il vous impose, tout comme a fait, plus tard, cet esprit aristophanique appelé Rabelais.

1613. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome II

Cette parenthèse ( car le talent sait juger ce qu’il a fait en le comparant à ce qu’il peut faire ) est démentie par le bon sens et par l’histoire : la puérile antithèse de ce qu’il a fait et de ce qu’il peut faire, est l’unique mérite de cette phrase à prétention. […] La phrase de La Harpe ne signifierait absolument rien, si elle ne renfermait pas un trait malin contre Corneille, qu’il accuse ici de ne savoir pas toucher le cœur, et de préférer la politique à l’amour. […] Un moderne eût pris ce vice au grave ; il eût fait d’un pareil sujet un drame pathétique et moral, où il eût prodigué les exclamations et les apostrophes, sans oublier le mot nature, qui dans chaque phrase eût admirablement roulé.

1614. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome IV pp. -328

Il a surtout un grand défaut : c’est le mélange des stiles emphatique & déclamatoire dans certains articles ; diffus & languissant dans d’autres : dans ceux-ci, chargés de phrases & de lambeaux pris de toutes parts. […] Même ordre, au moins suivant les partisans de l’Académie, mêmes définitions, mêmes phrases : les changements étoient si légers qu’ils ne servoient qu’à confirmer la mauvaise foi de Furetiere. […] Il comparoit l’académie à une femme en travail d’enfant, & ajoutoit que, pour être si longtemps à accoucher, elle n’enfanteroit pas un meilleur ouvrage : Après que le soleil du midi jusqu’à l’ourse, Cinquante fois aura fourni sa course, Le cruel ciseau d’Atropos Retranchera les jours d’une illustre princesse, Grosse de phrases & de mots ; Et, malgré sa longue promesse De faire naître un enfant Dieu donné, Qui mettroit aux François l’éloquence à la bouche, On la verra mourir dans sa première couche, Et n’accoucher que d’un enfant mort né.

1615. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. THIERS. » pp. 62-124

Thiers écrivait ces phrases, il n’avait jamais eu l’honneur de voir M. le duc d’Orléans ; il avait suivi de bonne heure en cela le conseil que lui avait donné Manuel, et aimait mieux aller ainsi de l’avant, sans se lier.

1616. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE CHARRIÈRE » pp. 411-457

C’était déjà la mode de son temps d’entasser tous les mots imaginables et contradictoires pour peindre avec renchérissement les personnes et les choses ; elle ne se laissait pas payer de cette monnaie : « : J’ai toujours trouvé, disait-elle, que ces sortes de mérites et de merveilles n’existent que sur le papier, où les mots ne se battent jamais, quelque contradiction qu’il y ait entre eux. » — Je ne sais qui a dit : « Mme Sand peut faire encore bien du chemin avant d’arriver en fait d’idées sociales là où Mme de Charrière est allée droit sans phrase et du premier coup. » 233.

1617. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

C’est ici le lieu de citer une belle phrase de Schelling (Discours sur les arts du dessin).

1618. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre I. Principe des mœurs sous l’Ancien Régime. »

Il n’y a pas une toilette ici, pas un air de tête, pas un son de voix, pas une tournure de phrase qui ne soit le chef-d’œuvre de la culture mondaine, la quintessence distillée de tout ce que l’art social peut élaborer d’exquis.

1619. (1858) Cours familier de littérature. V « XXIXe entretien. La musique de Mozart » pp. 281-360

Comment ces notes en si petit nombre forment-elles, au gré des musiciens, des phrases musicales qui renferment des millions de mélodies ?

1620. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

Mais que M. de Talleyrand ait suggéré l’enlèvement, contre le droit des nations, d’un prince de la maison de Bourbon, dont il ne connaissait pas même le nom et l’existence à Ettenheim ; qu’il ait fait plus, qu’il ait conseillé au premier consul le meurtre, sans phrase et sans sursis, de cette victime de la précipitation et de l’ambition : voilà la calomnie.

1621. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (2e partie) » pp. 97-191

C’est une anatomie de la phrase.

1622. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre II : La psychologie »

C’est ainsi que nous apprenons à entendre une langue étrangère ; c’est ainsi que l’enfant, hésitant d’abord sur les lettres et les syllabes, en vient à interpréter couramment les mots et les phrases.

1623. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIe Entretien. Le 16 juillet 1857, ou œuvres et caractère de Béranger » pp. 161-252

Si ces chansons ont un défaut pour les classes mercenaires auxquelles elles sont dédiées, c’est précisément la construction un peu laborieuse, un peu antique et un peu obscure de la phrase.

1624. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

Cela veut dire qu’il la récite ou qu’il l’écrit en phrases cadencées et musicales qu’on appelle vers.

1625. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « Remarques finales. Mécanique et mystique »

Chacune des phrases de la Déclaration des droits de l’homme est un défi jeté à un abus.

1626. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre V. La Renaissance chrétienne. » pp. 282-410

À présent, quand on parle de justice, ce n’est plus une phrase morte qu’on récite, c’est une conception vivante qu’on produit ; l’homme aperçoit l’objet qu’elle représente, et ressent l’ébranlement qui la soulève ; il ne la reçoit plus, il la fait ; elle est son œuvre et sa maîtresse ; il la crée et la subit. « Ces mots justus et justitia Dei, dit Luther, étaient un tonnerre dans ma conscience. […] Maintenant tu as vu que lorsque le premier s’est mis à balayer, la poussière a volé tellement que la chambre n’a pu être nettoyée et que tu as été presque étouffé ; c’était pour te montrer que la Loi, au lieu de balayer par son opération le péché du cœur, le ranime, lui donne de la force, l’accroît dans l’âme, en même temps qu’elle le manifeste et le condamne, car elle ne donne pas le pouvoir de le vaincre. —  Au contraire, quand tu as vu la demoiselle arroser d’eau la chambre, en sorte qu’on a pu la nettoyer avec plaisir, c’était pour te montrer que lorsque l’Évangile vient dans le cœur avec ses douces et précieuses rosées, comme tu as vu la demoiselle abattre la poussière en arrosant d’eau le plancher, de même le péché est vaincu et subjugué, et l’âme nettoyée par la foi, et par conséquent propre à recevoir le roi de gloire422. » Ces répétitions, ces phrases embarrassées, ces comparaisons familières, ce style naïf dont la maladresse rappelle les périodes enfantines d’Hérodote, et dont la bonhomie rappelle les contes de madame Bonne, prouvent que si l’ouvrage est allégorique, c’est pour être intelligible, et que Bunyan est poëte parce qu’il est enfant.

1627. (1778) De la littérature et des littérateurs suivi d’un Nouvel examen sur la tragédie françoise pp. -158

Ce n’est plus le style des Gens de Lettres, c’est mieux, c’est le leur ; il attache, il fait rêver ; on se demande comment on est ému par un homme qui n’a point de réputation, qui n’est d’aucune Académie, qui ne se sert ni des mots ni des tours de phrase usités. […] On conçoit un sentiment profond, on ne trouve point de rime ; il s’en présente une pour exprimer une pensée ordinaire ; on s’y refuse d’abord, on s’échauffe la tête pour rallonger, raccourcir, tourner, retourner sa phrase.

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