Le temps que la nature a donné aux enfans destinez à être de grands peintres, pour faire leur apprentissage, dure jusques à vingt-cinq ans. […] Enfin ce ne sont pas les lettres qu’on enseigne à un homme qui le rendent poëte : c’est le génie poëtique, que la nature lui donna en naissant, qui les lui fait apprendre, en le forçant de chercher les moïens d’acquerir les connoissances propres à perfectionner son talent.
C’est que le talent de discerner le temperament du malade, la nature de l’air, sa temperature présente, les symptomes du mal, ainsi que l’instinct qui fait choisir le remede convenable et le moment de l’appliquer, dépendent du génie. […] Cesar auroit appris en moins de six mois tout ce que nous sçavons, et dès qu’il auroit eu connu nos armes, dès qu’il auroit eu connu, pour s’expliquer ainsi, la nature de nos traits et celle de nos boucliers, son génie en sçauroit faire des usages dont peut-être nous ne nous avisons point.
Mme Brun en a fait une description exaltée, qui nous paraîtrait aujourd’hui fort ridicule, et qui n’était que dans le goût du temps : « Les mains serrées dans les mains, nous vous promîmes fidélité, — à toi, ô Nature, — à toi, ô Amitié ; — et à toi, reconnaissance filiale, arbitre suprême de nos destinées ! […] C’eût été le moment sans doute pour un gouvernement d’une autre nature de songer à tirer parti de ses propres ressources et de redemander à un sol fertile ses richesses trop oubliées. […] Il a composé deux ouvrages principaux sur ces objets ou sujets du monde intérieur : Recherches sur la nature et les lois de l’imagination, 1807 ; Études sur l’Homme, ou recherches sur les facultés de sentir et de penser, 1821. […] Je voulais donner une idée approchante de ce Fontenelle d’une nature singulière et d’une autre race, resté jeune jusqu’à la fin, — jeune d’esprit, d’imagination et de cœur —, homme avant tout aimable, et dont les faiblesses mêmes (selon le beau vers de Goldsmith) penchaient du côté de la vertu 100. […] Tous les ans d’ailleurs, un ou deux voyages servaient à convaincre l’actif vieillard « qu’il n’appartenait pas encore à la glèbe, que ses ailes n’étaient pas coupées, et que le grand livre de la nature n’était pas encore réduit pour lui à un simple feuillet. » Dans la solitude de son cabinet, quand il y trouvait la solitude, Bonstetten s’occupait continuellement de deux projets que la multitude de ses distractions et le caractère désultoire de ses goûts l’empêchèrent d’exécuter î l’un était d’écrire les mémoires de sa vie, l’autre de mettre en ordre ses papiers.
Benjamin Constant, grâce à l’atmosphère environnante qui favorisait la nature de son esprit, était à douze ans un enfant de Voltaire5. […] … Dans une pièce de vers qui obtint, il y a peu d’années, le prix à l’académie de Lausanne, je trouve ces beaux traits de nature ; il s’agit d’un voyageur : Il voit de là les monts neigeux Et les hauts vallons nuageux : Puis il entend les cornemuses Des chevriers libres et fiers, Perdus dans la pâleur des airs Par-dessus les plaines confuses ; et cette autre gracieuse peinture des ébats auxquels se plaisent les nains et les sylphes de la montagne : Sur les bords de l’eau claire, à l’ombre des mélèzes. […] Les grammaires et les dictionnaires, dont je ne prétends point contester la nécessité, sont à la langue vivante ce qu’un herbier est à la nature. La plante est là, entière, authentique et reconnaissable à un certain point ; mais où est sa couleur, son port, sa grâce, le souffle qui la balançait, le parfum qu’elle abandonnait au vent, l’eau qui répétait sa beauté, tout cet ensemble d’objets pour qui la nature la faisait vivre, et qui vivaient pour elle ? […] En rencontrant ces bouts de landes arides qui reviennent de temps en temps à travers une si riche nature, un homme d’esprit disait : « Ce sont là de ces petites mortifications que M.
Cette fixité dans les points de départ et dans les buts assignés, cette détermination prompte et précise dès les premiers pas dans la carrière, caractérisent, ce semble, une nature d’esprit et contrastent fortement avec la mobilité de la jeunesse. […] Bolingbroke, parlant d’un écrit de Pope (son Essai sur l’Homme, je crois) et du bien qui pouvait en résulter pour le genre humain, écrivait à Swift (6 mai 1730) : « J’ai pensé quelquefois que si les prédicateurs, les bourreaux et les auteurs qui écrivent sur la morale, arrêtent ou même retardent un peu les progrès du vice, ils font tout ce dont la nature humaine est capable ; une réformation réelle ne saurait être produite par des moyens ordinaires : elle en exige qui puissent servir à la fois de châtiments et de leçons ; c’est par des calamités nationales qu’une corruption nationale doit se guérir. » Voilà encore une de ces paroles qui serviraient bien d’épigraphe et de devise à une histoire de la Révolution française. […] On ne peut se dissimuler que, malgré tous les soins et l’art ingénieux de l’historien-rédacteur, elle ne soit souvent pénible et lente à cause de la nature des pièces et instruments qu’elle porte avec elle et qu’elle charrie ; et pourtant, quand on en sort, non pas après l’avoir parcourue (je récuse ces gens qui parcourent), mais après l’avoir lue dans son entier, on se sent dégoûté des autres histoires comme étant superficielles, et il semble qu’on ne saurait dorénavant s’en contenter. […] Les corps littéraires sont heureux de rencontrer de telles natures de talent, auxquels se puisse conférer l’office de les représenter, aux jours de publicité, par leurs plus larges aspects, et de les faire valoir dans la personne de leurs plus illustres membres. […] Et puisque nous sommes en train d’oser, il ne serait pas juste, en quittant l’un des écrivains les plus respectés et les plus considérables de notre temps, de ne pas toucher à l’homme, et de ne pas au moins nommer en lui quelques-uns de ces traits si rares et qui accompagnent si bien le talent, sa simplicité, un caractère aimable, resté fidèle à ses goûts et à ses affections, quelque chose de gracieux qui, ainsi que nous l’avons noté chez son ami M.Thiers, se rattache à la patrie du Midi et aux dons premiers de cette nature heureuse.
On s’appelle Iris ou Climène, ou de nos jours de quelque nom à la Médora : la nature retrouve son compte là-dessous. […] Écoutez donc, Sapho, la nature et l’amour. […] Sous le titre de Moralités, elle a exprimé bien des réflexions graves, vraies, amères, qui tendent à démasquer la vanité de notre nature. […] Observant autour d’elle et en elle l’humanité d’une vue un peu chagrine, elle envia tour à tour les moutons, les fleurs, les oiseaux, les ruisseaux, cette nature enfin qu’elle voyait trop peu. […] Il a voulu voir un pli essentiel et comme une marque de nature dans ce qui n’a été qu’une injure du sort et un accident ironique de la destinée.
Il y a des natures poétiques ou philosophiques qui restent jusqu’au bout, et à travers leurs diverses transformations, toujours opiniâtres, incandescentes, à la merci du tempérament. Bayle, autrement favorisé et pétri selon un plus doux mélange, se trouva, dès sa première flamme jetée, une nature tout aussitôt réduite et consommée, et à partir de là il ne perdit plus jamais son équilibre. […] Il n’y en a point encore qui ait frappé au but, et jamais on n’y frappera apparemment, tant sont grandes les profondeurs de Dieu dans les œuvres de la nature, aussi bien que dans celles de la grâce. […] Le fait est que Bayle aimait peu les champs, qu’il n’avait aucun tour rêveur dans l’esprit, rien qui le consolât dans le commerce avec la nature. […] La parcimonie, le méticuleux propre à certaines natures analytiques et sceptiques, est chose étrangère à sa veine.
On estimait seulement les chansons de geste plus vraies : mais on accueillait tout ce qui amusait : en sorte que, du xiie siècle au xive , une intense fabrication jeta dans la circulation une masse énorme de récits de toute nature et de toute provenance. […] Tout nous froisse et nous rebute dans ces inconscientes mascarades, où toute la beauté de l’art antique comme toute la vérité de la nature antique sont si cruellement détruites. […] Un sens profond du mystère et de la vie universelle, une large sympathie qui attache l’homme à tout ce qui est, et qui fait dégager des animaux, des arbres, de toute la nature l’intime frémissement d’une sensibilité humaine, l’inquiétude irréparable de l’au-delà, l’âpre curiosité du monde inconnu, effrayant et attirant, qui reçoit les fugitifs du monde des vivants, imprègnent toute cette poésie, et lui prêtent un inoubliable accent52. […] Voici l’exaltation amoureuse, dont les effets ne sont pas de vulgaires coups de lance, mais d’étranges défis à la nature : l’amant qui, pour mériter sa maîtresse, la porte dans ses bras jusqu’au sommet d’une montagne, et qui expire en arrivant. […] Jamais esprit ne fut moins lyrique et moins épique, n’eut moins le don de sympathie et l’amour de la nature : mais surtout jamais esprit n’eut moins le sens du mythe et du mystère.
Et, quant à lui, non seulement il les voit, mais il les voit plus grands que nature ; l’intensité du regard qu’il fixe sur eux les gonfle, les rend démesurés ; il les admire, il les craint, il les trouve sublimes ou redoutables, il frémit sous leur parole. […] Et voici, tout à côté, d’exquises figures ; Méniquette et Marie Galtier, d’une pureté de fleurs, pareilles à des bergères de vitraux, à des petites saintes de Puvis de Chavannes, et le neveu de l’abbé Célestin, échappé à travers la grande nature maternelle comme un petit faune en soutanelle rouge, petit faune innocent qui a des pudeurs de petit clerc ou de jeune fille… Le Chevrier et Barnabé ne sont pas de moindres chefs-d’œuvre que Lucifer ou Mon oncle Célestin. […] Je soupçonne que c’est, au fond, l’amoureux de la nature qui a détourné le lévite ; que c’est Cybèle qui l’a enlevé à Dieu. […] La nature est une grande hérésiarque : elle nie l’indignité de la matière. […] Ferdinand Fabre n’en reste pas moins « une », car il n’a dit que les sentiments les plus simples — ou les plus sérieux ; il n’a peint que les âmes qui suivent le mieux la nature, ou celles qui s’élèvent le plus au-dessus.
Le christianisme, par les deux dogmes sur lesquels il est fondé, la chute et la rédemption, lui donna la connaissance de sa nature tout entière. […] De là, une science nouvelle de l’homme, qui devait découvrir et mettre en culture toutes ces terres inconnues de l’antiquité païenne, quoique peut-être soupçonnées de ses sages agrandir notre nature ou plutôt lui restituer sa grandeur, en un mot, compléter l’ordre des vérités philosophiques, et fonder tout un ordre nouveau de vérités morales. […] Pasquier parle de sa nature remuante pour l’avancement de sa religion. […] Les défauts de Calvin sont d’une autre nature que ceux de Rabelais. […] Il ne tire pas une seule image de cette magnifique nature où éclate la bonté de Dieu pour ces mêmes hommes que Calvin traitait comme des damnés.
Il y chante son luxe et son bien-être ; le chant n’est guère propre à toucher ceux qui ne peuvent pas vivre de sa vie ; mais la nature y parle, et les vers sont écrits de verve. […] « On va parler, dit-il, de ces dissensions qui font honte à la nature humaine. » La bonne foi même dont il confesse sa prévention le rendra prompt aux inexactitudes calomnieuses et aux dédains. […] Frédéric le louait publiquement, et disait de son Homme machine, « qu’il ne devait déplaire qu’aux gens ennemis par état de la raison. » L’orgueil même de ses grandes qualités de ce qu’on pouvait appeler, malgré lui, ses vertus, lui faisait prendre plaisir à cet avilissement systématique de la nature humaine, par la douceur de penser que de toutes ces machines il était la plus parfaite. […] Sous la même influence, son zèle pour l’humanité s’attiédit et change de nature. […] En demandant une loi pénale plus douce, on songeait moins à relever la nature humaine qu’à mettre l’individu plus à l’aise.
La nature ne lui avait point accordé les élégances ni les grâces de la jeunesse, non plus que l’envie de les acquérir ou d’y suppléer : c’était du temps de gagné pour les choses sérieuses. […] Malesherbes, jeune, ne craint pas de traiter avec vivacité Buffon, nouvellement célèbre et non encore consacré : « M. de Buffon, dit-il, qui ne s’est adonné que depuis peu de temps à l’étude de la nature. » Il venge Gessner, Linné, Bernard de Jussieu, tous les grands botanistes que Buffon avait traités un peu dédaigneusement et presque voulu déshonorer en les assimilant aux alchimistes, sans considérer « que la botanique est le tiers de l’histoire naturelle par son objet, et plus de la moitié par la quantité des travaux ». […] Rien dans la nature ne peut troubler sa paix ; rien ne lui est nécessaire, et il s’intéresse vivement à tout ce qui est bon. […] Défenseur de Louis XVI, qu’il suivit bientôt à son tour avec tous les siens sur l’échafaud, M. de Malesherbes a donné l’un des plus grands exemples de bonté et de grandeur morale : de telles victimes sont encore plus faites pour relever la nature humaine que leurs bourreaux pour la dégrader. […] [NdA] Autre trait de nature : il aimait les enfants ; une personne aimable et distinguée, après avoir lu cet article dans Le Constitutionnel, me fait l’honneur de m’écrire quelques-uns des souvenirs que réveille en elle cette lecture : Je me rappelle qu’un jour ce noble vieillard tenant par la main une petite fille de cinq ans, et se promenant, avec elle dans les jardins de Malesherbes, lui proposa de jouer à la cachette, et que cette petite fille croyait que son vieil ami y prenait autant de plaisir qu’elle-même.
Allons, nous voilà dans les mains un outil d’immortalisation pour ce que nous aimons, pour le xviiie siècle, et nous roulons projets sur projets de livres à figures, popularisant par l’estampe les hommes et les choses de ce temps : d’abord une série sur les artistes par fascicules et dont la première livraison, Les Saint-Aubin, s’imprime dans ce moment chez Perrin de Lyon ; puis un Paris au xviiie siècle, donnant les tableaux et les dessins inédits ; enfin les personnages célèbres peints au pastel par La Tour, les masques et les têtes reproduites dans leur grandeur nature. […] Et nous nous demandons ce qu’il peut y avoir derrière cette voûte, ce que signifie cette comédie : la vie ; ce que c’est que ce Dieu, qui est loin de nous apparaître avec les attributs de la bonté, ce Dieu qui préside à la loi du dévorement des créatures ; ce Dieu de cette nature, seulement préoccupée de la conservation des espèces et si férocement dédaigneuse des individus… Et puis Dieu, se le figure-t-on occupé à fabriquer la cervelle de M. […] La nature n’est pas personnelle, elle est collective. […] Il s’exhalait dans cette exclamation expirante du plaisir, dans ce mot ailé et palpitant, mourant sur le bord des lèvres : Ψυχή. « Mon âme. » Novembre Une belle indifférence de l’argent qui nous peint d’après nature. […] Tableaux de famille, attendrissement de la nature, libertés d’un conte plaisant et en tout le même ton ému et polissonnant.
À l’âge où l’esprit est capable de s’observer lui-même, l’intervalle étant généralement réduit à un mininum indiscernable, le signe et l’idée paraissent simultanés ; mais cette simultanéité n’est ni réelle, ni primitive, ni constante ; elle n’est qu’une apparence acquise et plus fréquente que les faits qui permettent de la rectifier ; l’intervalle reparaît de temps à autre dans des faits qui nous révèlent et la nature primitive et la loi véritable des rapports temporels du signe et de l’idée245. […] De deux choses l’une alors : ou ces deux pensées se confondent, et l’expression trouvée devient l’expression définitive d’une pensée mixte, incohérente ; — ou bien elles restent distinctes : c’est que l’esprit, sous le prétexte de comparer à sa pensée les termes qu’il a d’abord trouvés pour l’exprimer, compare deux pensées qu’il sait différentes par leur origine, et aperçoit ainsi les rapports et les différences de nature qu’elles peuvent présenter248. […] La pensée qui nous intéresse, notre vraie pensée, n’avait donc pas l’expression qu’elle méritait ; nous la concevions nettement, mais nous l’énoncions de manière à donner le change sur sa vraie nature. […] Les considérations qui précèdent nous permettent de bien comprendre de quelle nature est l’utilité que prêtent à la pensée l’exacte connaissance et le bon emploi des langues. […] Si les plus grands philosophes des temps modernes, comme Kant et Maine de Biran, sont de si maladroits écrivains, s’ils sont morts avant d’avoir trouvé l’expression limpide où chacun aurait pu lire sans équivoque leur vraie pensée, c’est que la grandeur même de l’œuvre entreprise imposait à leurs facultés d’expression une tâche qu’ils n’ont pas eu le loisir ou le courage ou la générosité d’entreprendre ; la plupart ont laissé à leurs disciples le soin de les vulgariser, moins par dédain de la postérité que par suite de cette loi de la nature humaine qui veut que l’on perde en souplesse ce que l’on gagne en profondeur et que la spécialité soit la rançon du génie.
Là-dessus Descartes est d’une précision à laquelle il n’y a rien à désirer, qui ne laisse certainement rien à désirer. « Au reste, je me suis étendu ici sur le sujet de l’âme à cause qu’il était plus important ; car après l’erreur de ceux qui nient Dieu, laquelle je pense avoir ci-dessus assez réfutée, il n’y en a point qui éloigne plus tôt les esprits faibles du droit chemin de la vertu que d’imaginer que l’âme des bêtes soit de même nature que la nôtre, et que, par conséquent, nous n’avons rien à craindre ni à espérer après cette vie, non plus que les mouches et les fourmis. Au lieu que lorsqu’on sait combien elle diffère, on comprend beaucoup mieux les raisons qui prouvent que la nôtre est d’une nature entièrement indépendante du corps, et par conséquent, qu’elle n’est point sujette à mourir avec nous. » Vous le voyez, la grande raison pour laquelle les cartésiens ne voulaient pas que l’on attribuât une âme aux bêtes et voulaient que l’on considérât les bêtes comme des machines, cette raison est une raison religieuse ; une raison de philosophie spiritualiste, si vous voulez, mais, en même temps, une raison religieuse. […] Relisez la Mort et le Mourant, qui est la seconde traduction du discours de la nature à l’homme dans Lucrèce. […] Vous savez la fable que je vous ai déjà citée et qui commence par ces très beaux mots : Il se faut entr’aider ; c’est la loi de nature. […] Et la bonté initiale de la nature, et l’homme qui est né bon, et l’homme qui est né avec toutes les vertus mais que la société a dépravé, qu’en faites-vous de cette grande théorie qui est la vôtre ?
Peuples, nations, États sont bien des unités, mais synthétiques ; la nature de ces ensembles sociaux dépend étroitement des relations réciproques des associations élémentaires, plus ou moins nombreuses, que l’analyse sociologique y distingue. […] Si la société est tranchée en sections de même nature, à l’intérieur desquelles presque tous les besoins des individus qu’elles enrégimentent peuvent être satisfaits, alors il n’y a pas de raisons pour que les individus s’affilient à plusieurs groupes à la fois. […] Babel de groupements hétérogènes, l’Empire romain devait voir l’entrecroisement de classifications de toute nature et de toute date. […] De quelque nature qu’elles soient en effet, la multiplication des sociétés est cause de libération. […] Et c’est ce qui devient de plus en plus probable à mesure qu’avec leur nombre augmente la variété des sociétés enchevêtrées ; lorsqu’elles diffèrent réellement par leur nature et leurs fins, conséquemment par ce qu’elles demandent à l’individu, il est rare que les premiers dans l’une soient aussi les premiers dans l’autre.
Il est une belle manière de concevoir la naissance de la poésie lyrique : c’est de l’associer à la création même de la nature intelligente, c’est d’en faire la première voix de l’homme, jeté adulte dans le monde par un miracle sans lequel ne peut s’expliquer le miracle même du commencement des choses. […] Seulement, sous le ciel de l’Inde, cet hymne antique s’adressait aux forces matérielles de la nature : Agni, ou le dieu du feu ; Siva, ou la puissance destructive. […] et n’a-t-il pas en même temps prétendu que cette première imposition des noms venait d’une nature divine et supérieure il l’homme ? […] « Car le cheval de Pharaon, avec ses chariots et ses cavaliers, est entré dans la mer ; et le Seigneur a ramené les flots sur leurs têtes : mais les enfants d’Israël ont traversé à pied sec, au milieu de la mer. » Cette nature de poésie, conforme à la tutelle divine dont les Hébreux se sentaient protégés, ils devaient la cultiver avec passion. […] Ce n’est plus ici quelque ressemblance inévitable, quelque rencontre accidentelle de génie, que nous chercherons entre le Psalmiste et le poëte de Dircé : c’est une élévation de nature à part, c’est quelque chose d’inimitable, que nous opposons d’un côté pour attester ce qui manque de l’autre : « Ma voix monte vers Dieu, et je m’écrie sans cesse.
Elle ne fixe point son attention sur les grandes lois de la nature, pour en faire ressortir le caractère fatal et désolant. […] Stupides et mauvais par ‘nature, les hommes trouvent encore le moyen de se gâter par l’exercice de leurs divers métiers, qui les déforment. […] Comme dit la chanson, c’est la nature qui est cause de tout Il importe d’avoir cette philosophie bien présente à l’esprit. […] Bourget, déjà inquiète de nature. […] Ces hautes manifestations de la nature humaine auraient dû la réconcilier ave la vie, si elle avait à s’en plaindre.
Il en donna la figure, le poids, les conduits excréteurs, et indiqua la nature de la sécrétion. […] Actuellement, Messieurs, nous allons aborder une question d’une autre nature. […] HÉROPHILE, de Chalcédoine, connut assez bien la position du pancréas et sa nature glandulaire. […] REGNIER DE GRAAF publia une dissertation anatomico-médicale sur la nature et les usages du suc pancréatique. […] On voit alors la sécrétion, normale au commencement de l’expérience, changer peu à peu de nature.
. — Idée de la nature d’après ce théâtre. […] Un tel livre de sa nature est abstrait : il se lit dans un cabinet, sous la lampe. […] Il est réaliste, non pas de parti pris, comme nos modernes, mais par nature. […] Les gens de cette race sont par nature et par habitude des hommes intérieurs. […] Come, you shall see my good nature.
Toutefois on aurait tort d’attribuer cette indifférence à la nature même des sentiments exprimés par M. […] Certes, une pareille donnée était de nature à corriger la prédilection de M. […] Hugo, sont d’ailleurs de telle nature, qu’il n’aura qu’à vouloir pour se transformer. […] L’action réciproque de l’âme sur la nature et de la nature sur l’âme, a fourni à M. […] Karl Henry nous offre le développement d’un caractère dessiné certainement d’après nature.
L’insurmontable incuriosité du Dauphin, nature apathique et têtue, rendit inutiles les efforts, le dévouement, la sévérité du gouverneur et du précepteur. […] Alors, sur le conseil de Fénelon, elle invoqua l’arbitrage de Bossuet, qui, fort occupé d’ailleurs, et peu mystique de sa nature, n’entra dans l’affaire qu’avec répugnance. […] Il établit soigneusement la base, le caractère, l’étendue du devoir : il marque exactement la source, la nature, la gravité de l’erreur, ou de la malignité qui en écarte les hommes. […] Par là, plus largement encore que dans les Sermons, se répand la poésie, poésie de la nature ou poésie du coeur, tableaux pittoresques, ou émotions exaltées. […] « C’est un grand homme qui n’est pas orateur. » Il ne faut voir dans cette sévérité de Fénelon que l’incompatibilité de sa nature féminine, ardente et illogique, avec les fortes et solides qualités de Bourdaloue.
Pourtant, le véritable intérêt de la psychologie ne consiste pas, selon nous, à décrire le fonctionnement représentatif de la pensée, la mise en scène du spectacle intérieur, la formation des idées ou des états de conscience susceptibles de se formuler en idées ; l’intérêt consiste surtout à rechercher quelle est l’efficacité de la pensée en nous et autour de nous, quelle est la force des idées et de tous les états de conscience qui s’y résument, leur influence sur l’évolution de l’esprit et sur celle même de la nature. […] Selon l’intellectualisme, la nature de la conscience est uniquement de représenter, d’exprimer en soi des événements qui ne dépendent point d’elle, d’en donner ce que Leibnitz appelait une projection ou un symbole. […] Toutes ces questions, le psychologue en prépare la solution, mais elles appartiennent proprement à la philosophie générale, puisqu’elles constituent des inductions sur la nature intime des individus et du tout. […] Pourquoi d’ailleurs la perception d’un trouble, qui est, objectivement, un phénomène régulier et normal de la nature, nous causerait-elle de la peine en nous instruisant de ce qui se passe dans la réalité objective ? […] Quelle en est la nature ?
La nature avoit mis, ce semble, des barrieres entre lui & l’éloquence ; il triompha de ces obstacles par sa patience. […] Point de périodes compassées : il néglige le nombre, il méprise l’élégance ; & un des hommes du monde qui possédoit le mieux l’art, paroît devoir tout à la nature. […] L’art n’y est pas toujours caché, & l’on sent qu’il dirige souvent la nature. […] Peu d’hommes destinés à parler en public, ont reçu de la nature des dispositions aussi favorables que celles qu’avoit le célébre Mascaron, Evêque d’Agen. […] Il joignoit à ces dons précieux de la nature, le talent de la parole, une éloquence mâle, la beauté de l’organe & les graces de la représentation.
De quelle forme et de quelle nature ? […] Une histoire littéraire, telle que je la rêve, dirait toutes les nuances de cette foi nouvelle, d’où la nature et l’amour, les hommes et les dieux sortirent rajeunis. […] Pour ce qui concerne les notions raison, nature et vérité, au xviie siècle, je renvoie au Boileau de M. […] Lanson, à propos des contemporains du fablier : « Ces mondains subissaient, sans trop se rendre compte de leur impression, le charme complet de cette poésie qui, en leur parlant toujours de l’homme, leur faisait voir toute la nature, l’immense, la multiple nature, et qui mêlait l’effusion lyrique à la précision narrative ou dramatique. […] C’est dans tous les cœurs une exubérance d’énergies, de foi, d’amour ; un grand élan vers une nature que l’orage a ressuscitée ; et comme la réalité politique refoule ces énergies et que d’aucuns s’imaginent reconstruire la Bastille, toutes les forces affluent à l’art, à la poésie, au lyrisme.
Certes, le bas-bleu est pédant, mais il faut déterminer la nature de son pédantisme et de sa prétention. […] En voici une, par exemple, qui s’appelle la Nature et l’Amour, et qui chante, non sans charme parfois, la nature vue par des yeux heureux. […] Bergère, elle convertit des élégantes et les fait s’écrier : « Vive la nature ! […] Elle réitère : « Ce n’est pas la nature », et chante un hymne à la nature. […] La seule préoccupation de cette nature sans générosité, c’est la crainte d’être dupe.
On ne dira pas de cette saison qu’elle a porté une grande moisson de poëtes (magnum proventum tulit) ; évidemment il faut que les dernières générations qui ont donné aient été un grand effort pour que la nature se repose ainsi ; il faut que les années d’auparavant aient tout pris, et nous finirons par croire que 1829 fait époque. […] Il en a fait bon nombre de mémorables et qui le peindraient dans sa nature distinguée, laborieuse et malheureuse : La rose a des poisons qu’on finit par trouver.
L’auteur voulait présenter un tableau du trouble de la passion chez des natures sauvages et primitives, placées au sein d’un désert inconnu et non encore décrit. […] Qu’il y ait eu de l’arrangement et de la symétrie jusque dans le désordonné des peintures ; que les paysages soient tout composites, et ne se retrouvent nulle part, avec tout cet assemblage imaginatif, dans la nature même et dans la réalité ; qu’à côté de ces impossibilités d’histoire naturelle, il y ait des anachronismes non moins visibles dans les sentiments ; qu’il y ait des effets forcés et voulus ; que, sous prétexte d’innovation, l’auteur moderne ait sans cesse des réminiscences de l’Antiquité ; qu’il parodie souvent Homère et Théocrite en les déguisant à la sauvage, tout cela est vrai ; et il est vrai encore que les caractères de ses deux personnages principaux ne sont pas consistants et qu’ils assemblent des qualités contraires, inconciliables, tenant à des âges de civilisation très différents.
On y voit clairement de quelles façons la philosophie du divin Çakia-Mouni peut modifier et enrichir les divers sentiments d’un homme de nos jours : sentiment de la nature, amour de la femme, sentiment moral. […] Il aimera magnifiquement : car la nature entière lui fournira des images pour exprimer son amour.
Les natures violentes, batailleuses et particulièrement douées d’énergie physique, les hommes qui, il y a trois ou quatre siècles, eussent été mercenaires dans les armées d’Europe, seront voyageurs au service des grandes nations commerciales. […] Exemple : « Plus j’acquiers l’expérience de la nature humaine, plus je pénètre ses profondeurs, plus je suis convaincu… » (vous vous attendez à recevoir un coup ?)
Il est impossible de rencontrer deux natures plus semblables ; chez tous deux, le satin, la paille, la hache seront toujours rendus scrupuleusement avec une minutie hollandaise ; il ne manquera à l’œuvre, pour être parfaite, que des éclairs dans les yeux et du souffle dans les bouches. […] Bienveillant par nature, exempt de toute envie, il ne put jamais admettre ce qu’il considérait comme des infractions extrêmes à ce point de vue primitif auquel lui-même n’était plus que médiocrement fidèle ; il croyait surtout que l’ancienne langue, celle de Racine, par exemple, suffit ; il reconnaissait pourtant qu’on lui avait rendu service en faisant accepter au théâtre certaines libertés de style qu’il se fût moins permises auparavant et dont la trace se retrouve évidente chez lui, à dater de Louis XI.
À la vérité, rien n’était plus dissemblable que ces deux natures et la vie ne devait pas tarder à les disjoindre, mais ils se trouvaient alors réunis par la même fièvre de recherches, la même ingéniosité, la même pénétration et la même hauteur de vues. […] Sa nature timide et sensible se masquait d’un redoublement de manières brusques et se remparait d’un monocle insolent.
Mais La Fontaine se contente de nous renvoyer au simple bon sens, et fonde sa morale sur la nature commune et sur la raison vulgaire. On a remarqué qu’il n’était pas le poète de l’héroïsme, c’est assez pour lui d’être celui de la nature et de la raison.
Mais est-ce notre faute si la formule célèbre : « un coin de nature vu à travers un tempérament », se transforme à l’égard de Zola, en « un coin de nature vu à travers un sensorium morbide », et si nous avons le devoir de porter la hache dans ses œuvres ?
Par la nature heureux comme avec une femme... […] » à tout venant et à tout bout de champ : — « un livre de nature humaine, — une étude de nature humaine, — un trait de nature humaine. » Mais, morbleu, comme vous j’ai « ma nature humaine ! […] Un peu de nature humaine ne ferait pas mal non plus. […] En effet, l’art violent ou délicat prétendait régner presque uniquement dans les précédents, et il devient dès lors possible de discerner des vues naïves et vraies sur la nature, matérielle et morale. […] In a word, his appearance was that of a vigorous man, and one who would be considered as a serious nature.
Mais où il excelle surtout, c’est dans la description pittoresque du pays ; il sait rendre avec une merveilleuse exactitude les mouvements les plus imperceptibles, et jusqu’aux traits fugitifs qui caractérisent inopinément la physionomie mobile et expressive de la nature. […] Il faut en général, lorsqu’on raisonne, ne point perdre de vue la nature humaine. […] quelle nature, et comme elle m’aimait ! […] Aucun bruit ne se faisait entendre, et ce silence avait quelque chose de navrant ; la nature semblait tombée dans une sorte d’accablement. […] Mais supposons que la chasse ne soit point de votre goût ; vous n’en aimez pas moins la nature, et par conséquent il est impossible que vous ne nous portiez envie à nous autres chasseurs… Écoutez !
Cette difficulté, comme c’est l’ordinaire des natures généreuses, ne fait que l’enhardir ; il s’ingénie, il repousse, il détrône pour se faire jour ; par moments il tâche d’ignorer, ou de restaurer à d’autres moments. […] Si les œuvres de la poésie primitive, non encore arrivées à une culture régulière, peuvent se comparer à des fruits sauvages, assez âpres ou quelquefois fort doux, produits par des arbres francs et détachés au hasard sous la brise ; si, au milieu de cette nature agreste, quelques grands poëmes divins, formés on ne sait d’où, semblent tomber des jardins fabuleux des Hespérides ; si les œuvres de la poésie régulièrement cultivée sont comme ces magnifiques fruits savoureux, mûris et récoltés dans les vergers des nations puissantes et des rois, on peut prétendre que les œuvres de cette poésie des époques encombrées et déjà grêlées ne sont pas des fruits, à vrai dire ; ce sont des produits rares, précieux peut-être, mais non pas nourrissants. […] Oui, dans cette muse si neuve qui m’occupe, je crois voir, à la Restauration, un orphelin de bonne famille qui a des oncles et des grands-oncles à l’étranger (Dante, Shakspeare, Klopstock, Byron) : l’orphelin, rentré dans sa patrie, parle avec un très-bon accent, avec une exquise élégance, mais non sans quelque embarras et lenteur, la plus noble langue française qui se puisse imaginer ; quelque chose d’inaccoutumé, d’étrange souvent, arrête, soit dans la nature des conceptions qu’il déploie, soit dans les pensées choisies qu’il exprime. […] Quand ils veulent le faire, ils la retaillent et la gâtent. » Je n’ai garde, on le conçoit, de prétendre avoir atteint du premier coup la ressemblance sur De Vigny ; c’était une nature des plus compliquées dans sa finesse et qui, par ses qualités et ses défauts, ses supériorités et ses ridicules, fait encore problème pour moi aujourd’hui ; mais, quoique le poëte en sût probablement plus long que personne sur ses secrets de composition, on va voir que, juge et partie comme il était, il n’a pas tout à fait raison contre son critique. […] Dans une lettre écrite au lendemain de la première représentation de Chatterton, je lis ce jugement familier qui, sans y viser, touche assez à fond : « De Vigny a eu un vrai succès ; son drame de Chatterton est touchant, dramatique même, vers la fin ; mais, au lieu de peindre la nature humaine en plein, il a décrit une maladie littéraire, un vice littéraire, celui de tant de poëtes ambitieux, froissés et plus ou moins impuissants.
Il fait avec les idées d’art ce qu’il fait avec la nature. […] D’abord, il écrit pour des enfants : c’est là son but hautement avoué ; et ensuite, il a des qualités charmantes de simplicité et de nature humaine dans un surnaturel de convention impossible. […] bien souvent qu’un poil, qui avait l’aigu du scalpel de son père… La nature, qu’il enlevait à l’emporte-pièce comme une feuille de métal, n’avait pour lui ni transparence, ni arrière-plans, ni lointains fondus, ni vapeurs flottantes. […] Mais, dans une société qui n’a plus d’âme, qui est aussi incapable d’idéalisme que d’idéal, cette manière de voir et de rendre la nature devait avoir un grand succès, et Flaubert l’eut, et il l’a encore. […] Ses amis pourtant le disaient bon, d’une nature inoffensive, quoique bruyante ; mais la haine du bourgeois était chez lui une espèce de folie, clabaudante et sonore.
Le propre de la nature de Sully est que la louange l’aiguillonne et l’encourage à mieux faire plutôt que de l’enorgueillir et de le rendre nonchalant : plus la charge s’accroît avec la confiance du maître, plus il redouble de zèle et de vigilance. […] Entre le roi et le peuple, pour certaine nature d’impôts, il y avait alors les fermiers généraux, et ceux-ci, à qui étaient faites les adjudications générales dans le Conseil du roi ou devant les trésoriers de France, sous-louaient à des sous-fermiers desquels ils tiraient presque deux fois autant qu’ils avaient payé eux-mêmes. […] Par un examen exact et une application opiniâtre qu’on n’aurait jamais attendue d’un homme d’épée, il se rendit compte de toutes les branches les plus minces et les plus éloignées de recettes et de dépenses ; il allait rechercher chaque nature de denier dans ses sources et origines, et, le suivant dans son cours, ne le perdait point de vue jusqu’à sa destination et son emploi. […] Il croit qu’il ne faut forcer ni les climats, ni la nature des choses.
Dans la difficulté d’y pénétrer sans entamer à fond le grand règne dont il fut l’un des exacts et puissants instruments, je me bornerai à bien définir la nature et l’étendue des charges dont il eut à s’acquitter, et ensuite nous retrouverons avec une agréable surprise l’homme de lettres au-dessous. […] Daru, j’ai cherché à me bien rendre compte et de la nature et du détail même de certaines de ses fonctions, soit dans leur partie obéissante et passive, de pure exactitude, soit dans leur portion mobile et indéterminée où l’exécution même demandait un degré d’initiative et des combinaisons qui se renouvelaient sans cesse : je voulais ensuite rendre à mes lecteurs, dans une page générale et pourtant précise, l’impression que j’aurais reçue de cette analyse première. […] Et cela seul ne fait-il pas honneur au souverain qui l’avait choisi, et qui apprécia de bonne heure l’utilité dont il pouvait être, d’avoir pris goût à cette nature parfaitement droite, sincère, qui, dès qu’on la questionnait, disait vrai et répondait juste, et n’eût pu s’empêcher de le faire ? […] Son originalité, c’est précisément de n’avoir point été absorbé par ces soins de nature si accablante, et d’avoir conservé toute une part considérable de lui-même, de son temps, de ses veilles, pour l’amitié, pour les consultations détaillées de ses amis les poètes d’alors, pour leurs confidences et leurs anxiétés d’auteur auxquelles il restait le plus ouvert et le plus attentif des hommes.
L’observation et l’expérience en sont le point de départ et le contrôle permanent ; l’induction et le raisonnement s’y mêlent avec plus ou moins de précaution ou de certitude, selon la nature des objets et l’ordre des faits. […] Mais, regret ou non, il en faut prendre son parti, et, comme l’a dit il y a longtemps Euripide (c’est bien lui en effet qui l’a dit, et non pas un autre) : « Il n’y a pas à se fâcher contre les choses, car cela ne leur fait rien du tout50. » L’esprit des générations a donc changé, c’est un fait ; elles sont devenues peut-être plus capables d’une direction précise et appropriée ; elles en ont plus besoin aussi, et il me semble que la pensée qui a présidé à l’Instruction présente et qui s’y diversifie en nombreuses applications est de nature à convenir à ces générations nouvelles, à soutenir, à développer leur bon sens, leurs qualités intelligentes et solides, à tirer le meilleur parti de leur faculté de travail, à les préparer sans illusion, mais sans faiblesse, pour la société telle qu’elle est faite, pour le monde physique tel quelles ont à le connaître et à le posséder : — et tout cela en respectant le plus possible la partie délicate à côté de l’utile, et en laissant aussi debout que jamais ces antiques images du beau, impérissables et toujours vivantes pour qui sait les adorer. […] … Si, en sortant du lycée, les jeunes gens ont conservé une notion précise et durable de la nature et des propriétés de quelques corps d’un intérêt universel, comme l’air, l’eau, les métaux usuels, les acides, les alcalis et les sels les plus communs ; si les phénomènes de la combustion, ceux de la respiration et de la nutrition des plantes, ceux de la respiration et de la nutrition des animaux, ont été soigneusement étudiés devant eux, l’enseignement de la chimie aura atteint son but. […] Car c’est dans la nature, bien plus que dans les livres, qu’il faut chercher des inspirations pour un enseignement qui doit demeurer élémentaire, pratique et toujours approprié aux intelligences moyennes… À mesure que l’enseignement se fortifie, on peut donner aux exercices un caractère plus profitable ; poser aux élèves des problèmes numériques et en faire contrôler la solution de temps en temps… Par quelques exercices de ce genre, les jeunes gens apprennent bientôt à calculer, à peser, à mesurer, et on leur inspire le goût de l’expérience avec la confiance dans ses enseignements.
Le sol, la lumière, la végétation, les animaux, l’homme, sont autant de livres où la nature écrit en caractères différents la même pensée. » De même, en étudiant l’histoire, il est porté à voir dans les individus, et sans excepter les plus éminents, une production directe, un résultat à peu près fatal du siècle particulier où ils sont venus. […] Il en est de même pour les hommes et pour les esprits qui vivent dans le même siècle, c’est-à-dire sous un même climat moral : on peut bien, lorsqu’on les étudie un à un, montrer tous les rapports qu’ils ont avec ce temps où ils sont nés et où ils ont vécu ; mais jamais, si l’on ne connaissait que l’époque seule, et même la connût-on à fond dans ses principaux caractères, on n’en pourrait conclure à l’avance qu’elle a dû donner naissance à telle ou telle nature d’individus, à telles ou telles formes de talents. […] Notre civilisation est un joli jouet en miniature, dont la nature un instant s’amuse, et que tout à l’heure elle va briser. […] Depuis, la nature s’est adoucie ; elle arrondit et amollit les formes qu’elle façonne ; elle brode dans les vallées sa robe végétale, et découpe, en artiste industrieux, les feuillages délicats de ses plantes.
Cette égalité et cette confusion avec le vil peuple, sous la main du roi et du ministre qui ordonnait en son nom, indignait le petit duc assez peu militaire de sa nature et peu soldat. […] Il y a dans les grands États un instinct de subsistance et de conservation, un besoin de croissance et d’achèvement à une certaine heure, qui est aussi un droit de nature. […] Or, Louvois a été dès le premier jour l’homme de cette politique dont l’unique moyen était la guerre, et il est douteux que, sans lui, sans la nature de génie spécial à la fois et complexe qu’il y apporta, Louis XIV, même à l’aide de ses grands capitaines, eut réussi et triomphé. […] Entre tant de personnages qui, vus de près et saisis en pleine action, tantôt y gagnent et tantôt y perdent, et dont quelques-uns n’accroissent pas leur réputation, ou même la déshonorent, il en est un du moins qui, en chaque rencontre, ne fait que gagner à être de plus en plus connu et mis en lumière, et qui mérite, plus encore que Turenne peut-être, qu’on dise de lui qu’il fait honneur à la nature humaine : c’est Vauban.
Moland est d’une tout autre nature et d’un tout autre genre que celle de M. […] Aimer Molière, c’est être assuré de ne pas aller donner dans l’admiration béate et sans limite pour une Humanité qui s’idolâtre et qui oublie de quelle étoffe elle est faite et qu’elle n’est toujours, quoi qu’elle fasse, que l’humaine et chétive nature. […] Aimer La Fontaine, c’est presque la même chose qu’aimer Molière ; c’est aimer la nature, toute la nature, la peinture naïve de l’humanité, une représentation de la grande comédie « aux cent actes divers », se déroulant, se découpant à nos yeux en mille petites scènes avec des grâces et des nonchalances qui vont si bien au bonhomme, avec des faiblesses aussi et des laisser aller qui ne se rencontrent jamais dans le simple et mâle génie, le maître des maîtres.
Durant quinze nuits de veille et d’insomnie, il raconte toute sa vie de vingt ans, déjà si pleine, son enfance, la distribution des prix où tous ses rivaux sont heureux et environnés de caresses, où, lui, il n’a point de mère à embrasser ; la confidence du proviseur, l’acte de naissance produit, avec son déguisement, l’inscription de rente qui l’accompagne, le tout déchiré et mis en pièces par le jeune homme indigné ; la solitude d’un jeune cœur, le besoin d’aimer, le besoin d’une famille, la plainte de la nature, l’amer abandon de celui dont il a été dit : « Cui non risere parentes. […] La seconde ne lui semble pas digne de quiconque a reçu de la nature une ambition véritable : « Si vous avez ce véritable orgueil indépendant des circonstances, cet élan du mérite ; si vous avez un cœur doué de sensibilité, ne souhaitez jamais cet état intermédiaire qui place entre les grands qu’il faut être attentif à ménager et les pauvres que l’on est impuissant à secourir, entre le ton protecteur qui blesse et la prière qui afflige… » J’ai noté ce passage, parce qu’il est empreint de la marque de Jean-Jacques. […] Cet Édouard, contre lequel Émile se montre si irrité et qu’il veut châtier, est son propre frère utérin, le fils légitime de sa mère, et l’abbé lui nomme alors cette mère pour la première fois. — « J’ai donc des parents, repris-je vivement avec un mouvement qui ressemblait à de la joie, mais qui dura moins de temps qu’il n’en fallut pour l’exprimer. » — Ceci est beau, beau de nature ; car, au moment même où cette joie le traverse, une angoisse cruelle a saisi l’âme d’Émile : il avait déjà provoqué Édouard, déjà le duel est réglé, c’est le lendemain malin qu’il doit se battre, et il apprend que c’est contre un frère ! […] Rien ne lui paraît plus dans la nature qu’un enfant naturel ; s’il n’a pas de famille, il est mis dans un régiment ; à défaut de mère, il a son colonel, et s’il n’a pas de nom, qu’il s’en lasse un sur le champ de bataille.
Son caractère sombre, triste ou grossièrement gai, la teinte de fanatique et de visionnaire dont il s’est revêtu et qui recouvre le noyau solide, qui dissimule à des yeux superficiels le bon sens le plus sain et le mieux équilibré, tout le sépare des figures héroïques qui sont de nature à séduire le génie français : il n’en est que plus foncièrement d’accord avec le génie de sa race ; il en est comme l’incarnation énergique. […] Il n’y a rien de plus aisé que de faire de Pope une caricature ; mais rien n’est plus injuste que de prendre d’excellents esprits par leurs défauts uniquement et par les petits côtés ou les côtés faibles de leur nature. […] « J’ai appris, disait-il, tout l’art des vers de la seule lecture des œuvres de Dryden, et, lui-même, il eût sans doute mené cet art à sa dernière perfection, s’il avait été moins commandé par la nécessité. » Pope avait ce signe caractéristique des natures littéraires, le culte fidèle du génie. […] Exposé à bien des périls dans son enfance et plus d’une fois en danger de mort par accident ou par suite de sa fragilité de complexion et de nature, on a conservé des preuves touchantes de sa tendre et durable reconnaissance pour ceux qui lui avaient porté intérêt ou qui avaient contribué à le sauver.
Il était trop bon, de cette bonté naïve, expansive, qui se confie en celle des autres, qui va au-devant, qui abonde dans l’idée de l’amour des peuples comme en des amours de nourrice ; qui ne compte pas assez sur les sentiments très mélangés, très équivoques, dont est formée en soi et par lesquels se présente surtout à un prince la nature humaine. […] Le roi est pour moi d’une attention de mère… » C’est d’elle, c’est de cet enfant son premier-né, que quelques années après, Marie-Antoinette, dont on a déjà vu la justesse de coup d’œil en ce genre d’observations familières, écrivait (25 décembre 1784) : « Ma fille qui a six ans fait beaucoup de progrès ; elle a le caractère un peu difficile et d’une fierté excessive ; elle sent trop qu’elle a du sang de Marie-Thérèse et de Louis le Grand dans les veines ; il faut qu’elle s’en souvienne pour être digne de son sang, mais la douceur est une qualité aussi nécessaire et aussi puissante que la dignité, et une nature orgueilleuse éloigne les affections… » On sent dans ce peu de lignes le trait de nature et la ligne primitive qui fera de la plus vertueuse et de la plus respectable des princesses une personne moins aimable qu’on n’aurait voulu. […] Elle serait disposée à le mieux comprendre et à tirer de lui meilleur parti que Louis XVI qui n’entend rien à cette nature puissante d’homme public, de tribun éloquent, et au double rôle qu’elle est obligée de jouer dans le temps même où elle se donne.
Louis XVI qui, dans son apathie de nature, n’était peut-être pas fâché d’échapper à ce puissant conseiller qui le pressait trop d’agir, disait : « Voilà ce que c’est que d’employer des gens peu estimables ! […] Il a écrit à un de ses amis (M. de La Marck) en qui j’ai beaucoup de confiance et qui est un galant homme, très dévoué, une lettre explicative que l’on m’apporte à l’instant et qui me semble fort peu de nature à rien expliquer ni excuser. […] La nature humaine est bien méchante et monstrueuse ; et cependant cette nation, j’en ai eu des preuves singulières, n’est pas mauvaise au fond. […] Ce qui la caractérise à jamais durant ce long supplice qui date du 6 octobre, c’était le motif qui l’inspirait, la source élevée de ses sentiments, la conscience de ce qu’elle était et de ce que la nature l’avait faite, le dévouement à ses devoirs de royale épouse et de mère, un courage de chaque heure, une constance qui ne se démentit en public à aucun moment, non plus que son air de dignité et de grâce.
Molière, La Fontaine, et Mme de Sévigné appartiennent à une génération littéraire qui précéda celle dont Racine et Boileau furent les chefs, et ils se distinguent de ces derniers par divers traits qui tiennent à la fois à la nature de leurs génies et à la date de leur venue. […] La Fontaine et Mme de Sévigné, sur une scène moins large, ont eu un sentiment si fin et si vrai des choses et de la vie de leur temps, chacun à sa manière, La Fontaine, plus rapproché de la nature, Mme de Sévigné plus mêlée à la société ; et ce sentiment exquis, ils l’ont tellement exprimé au vif dans leurs écrits, qu’ils se trouvent placés sans effort à côté et fort peu au-dessous de leur illustre contemporain. […] Mme de Sévigné, à son tour, aimait beaucoup les champs ; elle allait faire de longs séjours à Livry chez l’abbé de Coulanges, ou à sa terre des Rochers en Bretagne ; et il est piquant de connaître sous quels traits elle a vu et a peint la nature. […] Mme de Staël représente toute une société nouvelle, Mme de Sévigné une société évanouie ; de là des différences prodigieuses, qu’on serait tenté d’abord d’expliquer uniquement par la tournure différente des esprits et des natures.
Une jeune fille qui sort pour la première fois du couvent où elle a passé toute son enfance ; un beau lord élégant et sentimental, comme il s’en trouvait vers 1780 à Paris, qui la rencontre dans un léger embarras et lui apparaît d’abord comme un sauveur ; un très-vieux mari, bon, sensible, paternel, jamais ridicule, qui n’épouse la jeune tille que pour l’affranchir d’une mère égoïste et lui assurer fortune et avenir ; tous les événements les plus simples de chaque jour entre ces trois êtres qui, par un concours naturel de circonstances, ne vont plus se séparer jusqu’à la mort du vieillard ; des scènes de parc, de jardin, des promenades sur l’eau, des causeries autour d’un fauteuil ; des retours au couvent et des visites aux anciennes compagnes ; un babil innocent, varié, railleur ou tendre, traversé d’éclairs passionnés ; la bienfaisance se mêlant, comme pour le bénir, aux progrès de l’amour ; puis, de peur de trop d’uniformes douceurs, le monde au fond, saisi de profil, les ridicules ou les noirceurs indiqués, plus d’un original ou d’un sot marqué d’un trait divertissant au passage ; la vie réelle, en un mot, embrassée dans un cercle de choix ; une passion croissante qui se dérobe, comme ces eaux de Neuilly, sous des rideaux de verdure, et se replie en délicieuses lenteurs ; des orages passagers, sans ravages, semblables à des pluies d’avril ; la plus difficile des situations honnêtes menée à fin jusque dans ses moindres alternatives, avec une aisance qui ne penche jamais vers l’abandon, avec une noblesse de ton qui ne force jamais la nature, avec une mesure indulgente pour tout ce qui n’est pas indélicat : tels sont les mérites principaux d’un livre où pas un mot ne rompt l’harmonie. […] C’est dans Charles et Marie que se trouve ce mot ingénieux, souvent cité : « Les défauts dont on a la prétention ressemblent à la laideur parée ; on les voit dans tout leur jour. » Si le voyage en Angleterre, le ciel et la verdure de cette contrée jetèrent une teinte lactée, vaporeuse, sur ce roman de Charles et Marie, on trouve dans celui d’Eugénie et Mathilde, qui parut seulement en 1811, des reflets non moins frappants de la nature du Nord, des rivages de Hollande, des rades de la Baltique, où s’était assez longtemps prolongé l’exil de Mme de Flahaut. « La verdure dans les climats du Nord a une teinte particulière dont la couleur égale et tendre, peu à peu, vous repose et vous calme… Cet aspect ne produisant aucune surprise laisse l’âme dans la même situation ; état qui a ses charmes, et peut-être plus encore lorsqu’on est malheureux. […] Ils étaient frappés de cette physionomie étrangère que chacun trouve à la nature dans les climats éloignés de celui qui l’a vu naître. […] Ne possédant rien à eux, ils apprirent, comme le pauvre, à faire leur délassement d’une promenade, leur récompense d’un beau jour, enfin à jouir des biens accordés à tous. » Mme de Souza d’ordinaire s’arrête peu à décrire la nature ; si elle le fait ici avec plus de complaisance, c’est qu’un souvenir profond et consolateur s’y est mêlé.
Il s’agit de la sensation, et avant de la définir, c’est-à-dire de montrer sa nature, il convient de la désigner, c’est-à-dire de la démêler et de la faire reconnaître dans l’amas de faits où elle est comprise. — Lorsqu’un instrument tranchant s’enfonce dans notre chair, nous souffrons, et cette douleur, prise en elle-même et toute seule, est une sensation proprement dite. […] Qu’on me définisse le mouvement moléculaire produit dans les glossopharyngiens et cet autre mouvement moléculaire qui, par contrecoup, se développe dans les centres nerveux lorsqu’une dissolution de sucre ou de coloquinte passe sur ma langue et dans mon arrière-bouche ; je n’en serai pas plus instruit sur la nature de la sensation du doux et de l’amer. […] Mais tous ces adjectifs ne le définissent pas ; ils indiquent seulement quelque analogie lointaine entre notre impression totale et des impressions d’une autre nature ; ils sont de simples étiquettes littéraires comme les noms que nous employons à l’endroit des odeurs, lorsque nous disons que l’odeur de l’héliotrope est fine, celle du lis pleine et riche, celle du musc pénétrante, etc. […] En sorte que ces différences de la sensation, jusqu’ici irréductibles et notées par des métaphores lâches, se réduisent à l’intervention de petites sensations subsidiaires et complémentaires de la même espèce, qui, se collant sur la sensation principale, lui donnent un caractère propre et un aspect unique, sans que la conscience, qui voit le total et seulement le total, puisse démêler ces faibles auxiliaires, ni partant reconnaître que, inférieurs en force à la sensation principale, ils sont les mêmes en nature, et que, tous semblables entre eux, ils ne diffèrent, de timbre à timbre, que par le nombre et l’acuité.
Cependant, vers le temps où ce Turc, violent d’ailleurs et ambitieux, s’intéressait si fort à ces choses de l’esprit, et avant qu’il fût encore monté sur le trône, un homme, doué de génie par la nature, s’était senti poussé de lui-même à ces hautes pensées par une vocation puissante. […] … Mais le fils d’un esclave ne peut valoir grand-chose, quand même son père serait devenu roi… Quand tu planterais dans le jardin du paradis un arbre dont l’espèce est amère, quand tu en arroserais les racines, au temps où elles ont besoin d’eau, avec du miel pur puisé dans le ruisseau du paradis, à la fin il montrera sa nature et portera un fruit amer. […] Le plus célèbre épisode du poème, et qui est de nature à nous intéresser encore, a pour sujet la rencontre du héros Roustem et de son fils Sohrab. […] Le second jour, au moment de reprendre la lutte, Sohrab a un mouvement de tendresse, et la nature, près de succomber, fait en lui comme un suprême effort.
Il s’appliqua, suivant la nature de son esprit observateur, à tout deviner, à tout démêler dans cet événement extraordinaire, et il en fit, à son retour à Paris, des récits qui charmèrent la société. […] Vers l’année 1770, il était tout à fait en vogue par deux ouvrages de genre différent, mais qui tenaient à une même nature d’esprit, par ce récit anecdotique de la Révolution de Russie et par un discours en vers sur Les Disputes. […] De même dans ce qu’il a dit de Catherine, tout en reconnaissant aussitôt que la nature semblait l’avoir formée pour la plus haute élévation, il ne paraît pas s’être rendu tout à fait compte de ce génie viril qui allait la classer, avec Élisabeth d’Angleterre, dans le petit nombre des grands monarques. […] S’il n’avait voulu qu’écrire des mémoires, tracer un récit extrait des conversations, des dépêches, des confidences de diverse nature, il le pouvait ; mais tel n’était point son dessein ; il voulait réellement composer une histoire classique, à l’antique, définitive, ayant des proportions savantes et majestueuses : or, le sujet prématuré et non encore accompli ne s’y prêtait pas.
Leur idéal d’avenir à toutes deux est différent et marque bien leur opposition de nature, bien que l’ambition peut-être ne soit pas moindre chez l’une que chez l’autre : La plus humble des deux n’est pas celle qu’on pense. […] Mme de Maintenon au contraire, une fois son cercle fait, n’en sort pas ; elle s’y enferme et s’y resserre le plus qu’elle peut, et ne craint rien tant que de faire de nouvelles connaissances : chez elle, c’est à la fois tactique, méthode industrieuse pour échapper aux ennuyeux, aux importuns, et pour ne voir que ceux qu’elle préfère ; et c’est preuve aussi d’une nature exclusive, qui ne prend plus aux choses et qui a sa fatigue intérieure. […] C’est ici encore que les différences de nature entre elles se dessinent nettement. […] Elle fait l’Agnès : « Je suis un peu comme Agnès ; je crois ce qu’on me dit et ne creuse point davantage. » Elle fait aussi la régente : « Je n’oserais montrer votre lettre ; on n’aime pas ici que les dames parlent d’affaires. » À toutes ces ironies fines et serrées, son adversaire répond par des ironies plus hautes, et aussi avec des éclats de colère qui déclarent une nature plus franche du collier : Tant mieux, répond-elle, si on n’aime pas en France que les femmes parlent d’affaires !
On a besoin d’en prendre idée et de la suivre tant soit peu dans les diverses directions où elle s’est risquée, pour arriver à une conclusion équitable sur la nature de l’homme et sur celle du talent. […] La péroraison par laquelle Mirabeau terminait sa brochure est restée célèbre dans le genre de l’invective : Pour vous, monsieur, qui, en calomniant mes intentions et mes motifs, m’avez forcé de vous traiter avec une dureté que la nature n’a mise ni dans mon esprit ni dans mon cœur ; vous, que je ne provoquai jamais, avec qui la guerre ne pouvait être ni utile ni honorable ; … croyez-moi, profitez de l’amère leçon que vous m’avez contraint de vous donner… Retirez vos éloges bien gratuits ; car, sous aucun rapport, je ne saurais vous les rendre ; retirez le pitoyable pardon que vous m’avez demandé ; reprenez jusqu’à l’insolente estime que vous osez me témoigner… Et il finit par ce conseil terrible et le plus incisif, entre hommes avides avant tout de la popularité : « Ne songez désormais qu’à mériter d’être oublié. » Beaumarchais, sous le coup de l’outrage, se tut : il avait rencontré un jouteur encore plus osé que lui, et à plus forte carrure ; il était dépassé et vaincu. […] Il était plus fidèle à sa nature quand il écrivait à Collin d’Harleville qui lui avait envoyé un poème allégorique sur Melpomène et sur Thalie : Pour lire un joli poème, s’amuser d’un charmant ouvrage, il faut, mon cher citoyen, avoir le cœur serein, la tête libre ; et bien peu de ces doux moments sont réservés à la vieillesse. […] Beaumarchais, si attaqué, si calomnié, n’eut jamais de haine ; si l’on excepte Bergasse, qu’il a personnifié dans Bégearss avec plus de mauvais goût encore que de rancune, il avait raison de dire et de répéter : J’ai reçu de la nature un esprit gai qui m’a souvent consolé de l’injustice des hommes… Je me délasse des affaires avec les belles-lettres, la belle musique et quelquefois les belles femmes… Je n’ai jamais couru la carrière de personne : nul homme ne m’a jamais trouvé barrant ses vues ; tous les goûts agréables se sont trop multipliés chez moi pour que j’aie eu jamais le temps ni le dessein de faire une méchanceté.
Avant 1815, on a un autre Courier, qui a devancé l’autre et qui l’explique, mais qui n’a rien encore de l’homme de parti ; soldat déjà trop peu discipliné sous la République, devenu incompatible et tout à fait récalcitrant sous l’Empire, mais curieux de l’étude, amateur du beau en tout ; un Grec, un Napolitain, un Italien des beaux temps, le moins Gaulois possible ; s’abandonnant tant qu’il peut à tous les caprices de sa libre vocation ; indépendant avec délices ; délicat et quinteux ; misanthrope et pourtant heureux ; jouissant des beautés de la nature, adorant les anciens, méprisant les hommes, ne croyant surtout pas aux grands hommes, faisant son choix de très peu d’amis. […] Quand on a fait la part du rhéteur et du prêtre d’Apollon en lui, il reste une bien plus large part encore, ce me semble, au collecteur attentif et consciencieux des moindres traditions sur les grands hommes, au peintre abondant et curieux de la nature humaine. […] Que Courier laisse donc l’histoire à laquelle il n’a pas confiance et qui est trop vaste pour lui ; mais l’art, mais la nature, mais le beau sous la forme classique et antique, voilà à quoi il excelle. […] Daunou, envoyé comme commissaire à Rome, écrivait au directeur La Revellière (30 mars 1798) : « Il paraît que vous renoncez à la colonne Trajane ; au fond, ce serait une entreprise extrêmement dispendieuse. » Il ajoutait dans une autre lettre : « En général, je vois qu’il est bon de s’en tenir aux trois cent cinquante caisses ; il n’est juste ni politique de trop multiplier les enlèvements de cette nature. » 41.
Sayous ne nous retrace pas avec moins de finesse et de vérité l’aspect naturel du pays en Savoie, ces frais paysages jetés dans un cadre grandiose, cette espèce d’irrégularité et de négligence domestique, et ce laisser-aller rural que peut voir avec regret l’économiste ou l’agronome, mais qui plaît au peintre et qui l’inspire insensiblement : « L’imagination, dit-il, est plus indulgente : elle sourit à ce spectacle qui a sa grâce, et l’artiste jouit en reconnaissant un instinct de l’art et comme un goût de nature dans ce confus arrangement qui semble avoir été abandonné au hasard. » Nous connaissions déjà, depuis les peintures de Jean-Jacques Rousseau, ce charme des vallons et des vergers de Savoie, si frais et si riants au pied des monts de neige ; mais, avant d’en venir à saint François de Sales, il était bon de nous le rappeler. […] Il s’attache aux mondains, il les amorce, il les apprivoise par le talent d’images et de similitudes dont la nature l’a doué ; il met force sucre et force miel au bord du vase. […] « Il y a, dit-il quelque part, des cœurs aigres, amers, et âpres de leur nature, qui rendent pareillement aigre et amer tout ce qu’ils reçoivent. » Il plaint cette amertume de cœur en autrui, et, quand elle est purement naturelle, il y voit moins une faute qu’une imperfection qu’il faut s’appliquer à vaincre. Lui, il est le contraire de ces natures-là ; il est le plus doux, le plus égal, le plus actif à la fois et le plus pacifique des cœurs, le plus adroit à tout convertir en mieux ; il se mêle à ceux des autres pour y verser la consolation et l’amour ; il est amoureux des âmes pour les guérir ; il s’y insinue pour y faire entrer cette « dévotion intérieure et cordiale, laquelle rend toutes les actions agréables, douces et faciles ».
Comme nature, les guinné sont intermédiaires entre l’homme et le dieu supérieur dénommé ou pressenti. […] On peut aussi deviner leur véritable nature à leur façon de parler (le guinné aime à parodier l’accent de ses interlocuteurs) et à leur prononciation nasale. […] Ces unions ne sont pas heureuses et finissent de façon fâcheuse ; aussi se contractent-elles généralement grâce à l’insincérité du prétendant qui dissimule sa véritable nature avant et même, dans la plupart des cas, après le mariage. […] A ce propos je crois bon de noter que le nom de Mâlobali, l’éhonté, l’impudent que portent nombre de Bambara se rapporte à une croyance de cette nature.
Vous ne sauriez faire taire la nature révoltée. […] Dans les Esquisses morales, Mme Stern ne s’occupe pas seulement de la femme ; elle jette aussi des vues sur l’homme, sur son éducation, dans laquelle elle remplace le catholicisme et sa tradition, qui éveille trop tôt l’enfant du beau rêve de la nature (n’est-ce pas joli ?) […] Il paraît que la purgation n’éveille pas trop tôt du beau rêve de la nature. […] Mais la nature des choses est la plus forte.
C’était un de ces esprits brillants, mais sans ductilité, contournés, difficiles à aligner, plus chimérique que Fénelon peut-être, quoiqu’il fût très positif dans ses passions et ses sentiments et destiné par sa nature, vis-à-vis de tous les pouvoirs, à une opposition éternelle. […] Unis de leur vivant au sommet des grandeurs humaines, unis devant Dieu et par des ressemblances de nature qu’on n’a pas assez remarquées et qu’il serait curieux de faire saillir, Louis XIV et Mme de Maintenon seront encore unis dans l’injustice et dans l’injure. […] Il caressait cette chimère comme toutes les natures d’artiste, qui ont toujours besoin d’avoir quelque chimère à caresser. […] Il fit toute sa vie — comme on faisait alors — de l’opposition politique, comme n’en font jamais les hommes nés pour le commandement, qui se retirent du pouvoir, en tombent, ou même n’y entrent pas, comme Saint-Simon, mais ne s’abaissent pas à tracasser un gouvernement ; et comme tous les gens destinés de nature à l’opposition politique, il ne comprit rien aux mérites, nets et positifs, des hommes taillés pour gouverner.
Précieux, — il faut bien l’avouer, — Xavier Aubryet l’est de nature. […] Ce n’est pas, comme le xviie siècle, qui la nomma, la crut, une chose de société, mais de nature humaine ; et voilà même pourquoi son nom est resté. […] Il est resté ce qu’il est d’essence : un raffiné, — un convulsé de raffinement, — qui ne prend son parti de rien, qui tord la chose, le mot, le trait, non seulement parce qu’il est une nature d’efforcement, mais parce que son temps est le contraire de tous ses rêves et de toutes ses aspirations ! […] L’ardente recherche de la distinction en toutes choses, qui est le fond de sa nature, fut la cause de quelques défauts, qu’il n’a plus, quand il débuta dans les lettres.
Il est évident que l’homme et le talent sont pénétrés par Macaulay à travers tout ce qui ferait rempart pour un autre, et qu’il arrache la personnalité vraie, l’entéléchie, comme dirait Aristote, à cette nature épaisse, têtue, troublée, caverneuse, despotique et méchante, mais géniale au fond et tendre tout au fond ; car il aima sa femme d’un amour divinement fidèle, ce monstre de chair, d’esprit, de mémoire, de scrofules, ce Caliban de tout, qui s’appelle Samuel Johnson ! […] Je sais bien qu’il y a les historiens immortels de la nature et de l’espèce humaine à travers les formes accidentées des peuples, et ceux-là ne font jamais grimacer l’impartialité de l’esprit ; mais il y a les historiens des partis qui passent et qui demain ne seront plus, et malheureusement c’est parmi ces derniers que Macaulay alla perdre la sérénité de sa pensée et la bonne humeur de son génie. […] En obéissant à sa nature, qui était un superbe et fécond tempérament littéraire, Macaulay aurait multiplié des œuvres semblables à ces Essais qu’on a eu raison de mettre à part des autres, gâtés par la politique qui s’y mêle. […] Mais il est de la nature des esprits très étendus de ne pouvoir conclure, empêchés par le nombre de choses qu’ils voient ; et tel est le seul défaut qu’en cherchant bien on peut trouver à la cuirasse de Macaulay, lequel n’en demeurera pas moins à la tête des critiques de cet âge, qui, tous, sceptiques en plus ou en moins, n’ont pas l’ensemble de ces fortes, saines et brillantes facultés que nous montrent, parce qu’ils nous les montrent presque sans alliage, les Essais littéraires.
On a trouvé bon le vénéneux nectar, et l’on en a pris à si hautes doses que la nature humaine en craque et qu’un jour elle s’en dissout tout à fait. […] Son livre est un drame anonyme dont il est l’auteur universel, et voilà pourquoi il ne chicane ni avec l’horreur, ni avec le dégoût, ni avec rien de ce que peut produire de plus hideux la nature humaine corrompue. […] Il est le misanthrope de la vie coupable, et souvent on s’imagine, en le lisant, que si Timon d’Athènes avait eu le génie d’Archiloque, il aurait pu écrire ainsi sur la nature humaine et l’insulter en la racontant ! […] Assurément, Baudelaire, qui de nature a un penchant vers l’ironie que sa physionomie devait révéler tout enfant à sa mère, aurait dans son intimité avec Poe appris, quand il n’en eût pas eu le germe en lui, l’art amer et hypocrite de cette mystification implacable que Swift eut un jour, mais que, par l’outrance et l’effet qu’ils veulent produire, Poe et Baudelaire ont, tous les deux, bien dépassé.
La nature agitée et secouée, pour ainsi dire, dans tous les sens, déploie alors toute son énergie ; ses productions sont extraordinaires, elle fait naître en foule des monstres et des grands hommes. […] Et qui, en voyant sur presque toute l’étendue de la terre, les hommes si malheureux, tant de fléaux de la nature, tant de fléaux nés des passions et du choc des intérêts, le genre humain écrasé et tremblant, éternellement froissé entre les malheurs nécessaires, et les malheurs que l’indulgence et la bonté auraient pu prévenir, peut se défendre d’un attendrissement involontaire, lorsqu’il voit s’élever un prince qui n’a d’autre passion et d’autre idée, que celle de rétablir le bonheur et la paix ? […] En effet, qu’on suppose un orateur doué par la nature de cette magie puissante de la parole, qui a tant d’empire sur les âmes et les remue à son gré ; qu’il paraisse aux yeux de la nation assemblée pour rendre les derniers devoirs à Henri IV ; qu’il ait sous ses yeux le corps de ce malheureux prince ; que peut-être, le poignard, instrument du parricide, soit sur le cercueil et exposé à tous les regards ; que l’orateur alors élève sa voix, pour rappeler aux Français tous les malheurs que depuis cent ans leur ont causés leurs divisions et tous les crimes du fanatisme et de la politique mêlés ensemble ; qu’en commençant par la proscription des Vaudois et les arrêts qui firent consumer dans les flammes vingt-deux villages, et égorger ou brûler des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, il leur rappelle ensuite la conspiration d’Amboise, les batailles de Dreux, de Saint-Denis, de Jarnac, de Montcontour, de Coutras ; la nuit de la Saint-Barthélemi, l’assassinat du prince de Condé, l’assassinat de François de Guise, l’assassinat de Henri de Guise et de son frère, l’assassinat de Henri III ; plus de mille combats ou sièges, où toujours le sang français avait coulé par la main des Français ; le fanatisme et la vengeance faisant périr sur les échafauds ou dans les flammes, ceux qui avaient eu le malheur d’échapper à la guerre ; les meurtres, les empoisonnements, les incendies, les massacres de sang-froid, regardés comme des actions permises ou vertueuses ; les enfants qui n’avaient pas encore vu le jour, arrachés des entrailles palpitantes des mères, pour être écrasés ; qu’il termine enfin cet horrible tableau par l’assassinat de Henri IV, dont le corps sanglant est dans ce moment sous leurs yeux ; qu’alors attestant la religion et l’humanité, il conjure les Français de se réunir, de se regarder comme des concitoyens et des frères ; qu’à la vue de tant de malheurs et de crimes, à la vue de tant de sang versé, il les invite à renoncer à cet esprit de rage, à cette horrible démence qui, pendant un siècle, les a dénaturés, et a fait du peuple le plus doux un peuple de tigres ; que lui-même prononçant un serment à haute voix, il appelle tous les Français pour jurer avec lui sur le corps de Henri IV, sur ses blessures et le reste de son sang, que désormais ils seront unis et oublieront les affreuses querelles qui les divisent ; qu’ensuite, s’adressant à Henri IV même, il fasse, pour ainsi dire, amende honorable à son ombre, au nom de toute la France et de son siècle, et même au nom des siècles suivants, pour cet assassinat, prix si différent de celui que méritaient ses vertus ; qu’il lui annonce les hommages de tous les Français qui naîtront un jour ; qu’en finissant il se prosterne sur sa tombe et la baigne de ses larmes : quelle impression croit-on qu’un pareil discours aurait pu faire sur des milliers d’hommes assemblés, et dans un moment où le spectacle seul du corps de ce prince, sans être aidé de l’éloquence de l’orateur, suffisait pour émouvoir et attendrir ? […] Enfin, on écrivit son histoire, et l’on ne manqua point d’observer qu’il était né le même jour que François Ier perdit la bataille de Pavie, comme si apparemment la nature eût voulu consoler la France.
Mais si je ne craignais de blesser quelques bonnes âmes restées peut-être encore jansénistes au pied de la lettre, je dirais tout simplement qu’après avoir bien considéré les incidents et les personnages de ce drame intérieur, je suis persuadé que la mère Agnès, livrée à elle-même et à sa propre nature, eût été plus soumise qu’elle ne l’a été, qu’elle était portée, comme elle l’a écrit un jour, à l’indifférence sur ces questions de controverse, mot très sage chez une religieuse et dont elle eut tort ensuite de se repentir ; je dirais que la manière indulgente dont elle continua de traiter une de ses nièces qui avait signé ce qu’exigeait l’archevêque et ce que conseillait Bossuet, que la parole tolérante qui lui échappa alors : « À Dieu ne plaise que je domine sur la foi d’autrui ! […] Mais elle est plus dans le sens de sa propre nature et de son goût, lorsqu’à l’occasion du miracle ou prétendu miracle de la Sainte-Épine, dont Port-Royal était si glorieux, elle engage la même Mlle Pascal, devenue la sœur Euphémie, à le célébrer en vers : et elle fut grondée pour avoir pris sur elle de lui donner ce conseil à demi littéraire et profane. […] Les autres profits très considérables qu’on peut faire à la lecture de ces lettres, quand on étudie en historien le sujet auquel elles se rapportent, ne sont pas de nature à être exposés ici.
Il semble avoir, en Amérique, traversé sans la voir cette forêt éternelle, humide, froide, morne, sombre et muette, qui vous suit sur le haut des montagnes, descend avec vous au fond des vallées, et qui donne plus que l’océan lui-même l’idée de l’immensité de la nature et de la petitesse ridicule de l’homme. » Le fragment d’histoire, — deux chapitres qui ont pour objet d’analyser l’esprit public sur la fin du Directoire et à la veille du 18 brumaire —, est d’un historien de l’école de Polybe. […] Pourquoi, nature si riche, ne produit-il pas au dehors ses fruits naturels ? […] Le mot de visée revient volontiers sous la plume de l’auteur ; il se crée des nœuds au dedans : « Il y a, dit-il, deux tendances en apparence inconciliables qui se trouvent unies dans ma nature ; mais comment s’est fait ce nœud ?
Après avoir marqué le caractère singulier de la bienfaisance constamment prêchée et pratiquée par l’abbé, qui n’était point celle d’un cœur sensible et tendre, mais qui procédait avec méthode au nom d’une raison sincère et convaincue : « Il avait aimé pourtant, ajoute-t-il : c’est un tribut que l’on doit payer une fois à la folie ou à la nature ; mais quoique cette folie n’eût point porté d’atteinte à sa raison universelle, sa raison particulière en avait tellement souffert, qu’il fut obligé d’aller dans sa province réparer, durant quelques années, les brèches que ses erreurs avaient faites à sa fortune. » On n’en sait pas plus long sur les fredaines de l’abbé de Saint-Pierre, et sans Rousseau on n’en aurait rien soupçonné. […] La nature l’avait fait singulièrement impropre entre tous à sentir une époque brillante où se déploie le génie des beaux-arts. […] Sitôt que ces enfants étaient en âge, il leur faisait apprendre à tous un métier de leur goût, n’excluant que les professions oiseuses, futiles, ou sujettes à la mode, telles, par exemple, que celle de perruquier, qui n’est jamais nécessaire, et qui peut devenir inutile d’un jour à l’autre, tant que la nature ne se rebutera pas de nous donner des cheveux. » On reconnaît bien là notre consciencieux abbé qui faisait tout tourner à l’utile, même ses habitudes ancillaires, et qui peuplait de ses bâtards les divers corps de métiers.
Comme philosophe, son mérite est bien moins dans la nature et la démonstration des doctrines que dans le renouvellement qu’il fit subir à ce genre d’étude. […] C’était le propre en tout de cette nature active et rapide : rien ne se passait avec elle tranquillement, posément, dans les termes d’une modération appropriée et proportionnée au sujet ; il ne faisait rien comme un autre ; il avait du vainqueur en lui ; il y mettait du faste et de l’éclat. « Il est vrai, j’aime à faire du bruit », disait-il un jour. […] Il savait mon fonds d’admiration pour sa nature de talent, et qu’avec lui, dans les occasions, tout en me permettant parfois de le contredire, j’observais les rangs.
Trois sortes de journaux, qui ne paraissaient pas destinés par leur nature à se faire écho l’un à l’autre, se signalent par plus d’acharnement contre ce qui porte mon nom : Un journal d’exagération religieuse, qui donnerait la tentation d’être impie si l’on ne respectait pas la piété jusque dans les aberrations du zèle ; Les revues et les journaux des partis de 1830, qui ne pardonnent pas leurs revers à ceux qui ont préservé la France et eux-mêmes des contrecoups de leur catastrophe ; Enfin un journal de sarcasme spirituel, à qui tout est bon de ce qui fait rire, même ce qui ferait pleurer les anges dans le ciel : la dérision pour ce qui est à terre. […] … Ô renversement étrange du sens moral dans ces cœurs contre nature ! […] Quand l’homme se resserre à sa juste mesure, Un coin d’ombre pour lui, c’est toute la nature ; L’orateur du Forum, le poète badin, Horace et Cicéron, qu’aimaient-ils ?
À ces académiciens, Boileau adjoignait Quinault, le maître de la tragédie doucereuse, puis la précieuse et raisonneuse Mlle de Scudéry, si experte à diluer en dix volumes d’un roman le mélange des aventures impossibles et des sentiments outre nature. […] Dans sa pratique comme dans sa doctrine, ce poète-là prenait tout justement, comme Gorgibus, « le roman par la queue » : il appelait « un chat un chat », et du premier coup allait à la nature, au lieu de mener l’esprit à l’idée par de petits chemins tortueux et fleuris. […] Quand Boileau débuta, celui qui couvrait de son autorité toute la méchante littérature, précieuse, romanesque, où la nature et l’art étaient offensés également, c’était Chapelain.
Donc, tout en rendant hommage à la science et au talent du candidat, la Faculté ne put s’empêcher de protester contre l’énormité du volume « qui paraît, dit le rapport, quelque peu disproportionné avec l’importance et la nature du sujet ». […] Il voyait la laideur expressive de Molière, le paysage natal de Racine, cette nature sévère et harmonieuse de la Ferté-Milon, l’intérieur de bourgeois cossu du poète vieilli ; il nous le montrait dans son cabinet, en sa robe de chambre « bordée de satin violet », devant ses rayons garnis de livres, ou, lorsqu’il s’en allait à la cour, en « manteau d’écarlate rouge » et « en veste de gros de Tours à fleurs d’or », avec une « petite épée à garde et poignée d’argent » au côté, montant dans son carrosse rouge que tiraient deux bons vieux chevaux. […] Mais, en lui, la prudence critique s’affermit par le sens aigu de la vie, par la connaissance désabusée et sans amertume de l’humanité, par la disposition avisée à ne voir la nature ni en noir ni en bleu.
Évidemment, il y a là une inégalité, une injustice, un fatum… On peut différer de sentiment sur la poésie de M. de Banville et sur la nature de ses inspirations ; mais ce qu’on ne peut méconnaître, dès la première lecture, c’est que l’effort est complet, et qu’aucune négligence, aucune transaction ne s’est interposée entre le poète et son but… Des deux grands principes posés au commencement de ce siècle, la recherche du sentiment moderne et le rajeunissement de la langue, M. […] Théodore de Banville a, de nature, l’imagination joyeuse. […] Par quel prodige, au milieu de ce siècle de critique et tout en subissant comme un autre les misères de ce siècle, dans ce pays de censure et d’académie, un homme de ce temps et de ce lieu a-t-il pu se ressouvenir de la vraie, pure, originelle et joyeuse nature humaine se dresser contre le flot de la routine implacable et non pas écrire ou parler, mais « chanter » comme un de ces bardes qui accompagnèrent au siège de Troie l’armée grecque pour l’exciter avant le combat et ensuite la reposer, — toutefois, en chantant, ne point sembler (pour ne blesser personne) faire autre chose qu’écrire ou parler comme tout le monde, et, avec une langue composée de vocables caducs, usés comme de vieilles médailles, sous des doigts immobiles depuis deux siècles, donner l’illusion bienfaisante d’un intarissable fleuve de pierreries nouvelles ?
Une certaine cause externe, dont la nature échappe à nos sens, produit sur nos organes un certain effet que l’on appelle la sensation de chaleur, et par suite on a donné le nom de chaleur à la cause qui produit cet effet ; mais cette cause est très-différente de la sensation qu’elle produit. […] Quant à m’expliquer pourquoi ce sujet est capable de penser, je ne puis le dire, et je n’ai rien à répondre, si ce n’est que c’est là sa nature, et je ne comprends pas même comment, dans quelque hypothèse que ce soit, on pourrait faire une autre réponse que celle-là. […] Si l’organe des images et des signes est altéré ou bouleversé, la force pensante ne peut pas à elle toute seule exercer une fonction qui, selon les lois de la nature, exige le concours de forces subordonnées.
Plus le poète comprendra profondément le travail de la conscience et de l’imagination créatrice, plus il verra augmenter ses moyens de prise sur la nature. » Rien ne nous semble plus juste. […] Mais pour nous, qui n’en sommes plus à croire que l’âme humaine, à travers les âges, reste imperturbablement égale à elle-même ; qui la concevons en perpétuel devenir, formée par toutes les capitalisations du passé et de l’hérédité, par toutes les acquisitions et par toutes les influences du savoir et des milieux, il est difficile d’admettre que le poète se doive complaire indéfiniment dans la contemplation de deux ou trois phénomènes généraux de la nature, signalés, d’ailleurs, depuis fort longtemps sous toutes les latitudes. […] la création poétique ne consiste qu’à déterminer jusqu’aux subtilités du frisson les limites extrêmes d’une somme d’infiniment petits, de nature fort complexe, qui sont nos aperceptions de toutes sortes.
de sa nature robuste, âpre, alpestre. […] On leur prouva bientôt qu’ils ne l’étaient pas ; que cette bête de pièce de cent sous ne change pas de nature parce qu’elle s’associe avec de l’intelligence, et que les entrepreneurs de littérature sont encore au-dessous des entrepreneurs de maçonnerie… Nabuchodonosorisé par un succès dans lequel l’heure et tout le monde étaient plus que lui, Buloz devint très vite tout ce que nous l’avons vu depuis… Prote parvenu, il se crut le dictateur de la littérature française parce qu’il payait le talent, et quelquefois le génie, deux cents francs la feuille d’un texte dévorant, et, à ce prix-là, il put se venger de l’insupportable supériorité littéraire en portant ses mains d’ouvrier sur elle et en la corrigeant ! […] Ce qui avait fait toujours horreur à ce prote, à cet homme presque de Genève, c’était la personnalité de l’écrivain quand elle était très vive ; ce que sa nature lourdaude et terne haïssait comme le bœuf hait l’écarlate, c’était l’éclat, la fantaisie, la grâce, tout ce qui fait du talent une chose qui flamboie, scintille et remue comme la lumière des astres.
Naturaliste avant tout, M. de Humboldt n’a pas l’intelligence de ce qui dépasse les limites ordinaires de la nature humaine, et Christophe Colomb les dépassait. […] Sans la rédemption, le Saint-Sépulcre, le prosélytisme de la foi et de l’amour qui brûlait dans ce vieux pilote, ayant passé déjà quarante ans de vie à la mer, et qui n’en portait pas moins le cordon de saint François autour des reins et vivait, à bord, de la contemplation séraphique autant que de la contemplation de la nature, sans le catholicisme enfin et sa grâce divine, Christophe Colomb n’aurait été qu’un rêveur de plus, parmi les marins qui rêvaient, car à son époque le vent des découvertes soufflait sur tous les fronts et agitait tous les esprits. […] L’étude approfondie de Christophe Colomb, de ses plans, de ses écrits dans ce qui nous reste de ce grand homme, la connaissance de ses travaux, de son malheureux gouvernement sur le terrain de sa conquête où il déploya l’inutilité de trop de vertus pour les hommes qu’il avait à conduire, la pureté de sa gloire et la beauté céleste de ses infortunes, ont pu forcer l’historien à conclure que cet homme, plus grand que nature et de hauteur de prophète, était le dernier missionnaire de la Providence sur la terre.
Fustel de Coulanges nous a donnée depuis, attaquait l’Histoire à une profondeur de nature humaine jusque-là inconnue à la plupart des historiens. […] Fustel de Coulanges, par la nature de son esprit, tend vers elles. […] Fustel de Coulanges, — les magistratures n’étaient pas des fonctions, mais des pouvoirs. » La révolution de 509, qui, suivant nos ineptes phraséologies, changea la Royauté en République, ne changea pas la nature de l’autorité comme, à Rome, on la comprenait.