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697. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VIII. Les écrivains qu’on ne comprend pas » pp. 90-110

À la vérité, génie, ingenium, signifie nature. […] « En prétendant négliger les accidents de temps et d’espace pour ne nous montrer que des vérités éternelles, vous méconnaissez une loi de la vie, qui est de réaliser l’universel, mais seulement dans les individus. » C’est au plus un reproche imputable aux romantiques, et plus exactement aux derniers classiques. […] La vérité est qu’il vous découvrira à son heure, soit dans quelque trente ans, aux prodromes de votre gâtisme ; vous trouverez alors que sa lenteur n’a été que sage défiance et vous vous laisserez voiturer vers les tièdes Académies. […] « Trois et trois font six » est clair, encore que ce ne soit pas un axiome et que cette vérité mathématique se démontre. « La pluie mouille » est clair.

698. (1890) L’avenir de la science « XII »

M. de Maistre peint quelque part la science moderne « les bras chargés de livres et d’instruments de toute espèce, pâle de veilles et de travaux, se traînant souillée d’encre et toute pantelante sur le chemin de la vérité, en baissant vers la terre son front sillonné d’algèbre ». Un grand seigneur comme M. de Maistre devait se trouver en effet humilié d’aussi pénibles investigations, et la vérité était bien irrévérencieuse de se rendre pour lui si difficile. […] Si les plus hautes vérités peuvent sortir de l’alambic et du creuset, pourquoi ne pourraient-elles résulter également de l’étude des restes poudreux du passé ? […] Car rien n’est trop cher quand il s’agit de fournir un atome à la vérité.

699. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIX. Mme Louise Colet »

Le bas-bleu qui gâte tout, jusqu’à la femme passionnée, le bas-bleu qui pue éternellement les livres qu’il a lus, n’a pas plus la vérité du cœur que de la pensée et manque autant d’originalité dans la passion que dans le talent. […] C’était ce qui repointait encore de ces herbes exécrées qui cependant doivent disparaître, si l’Évangile de la République démocratique et sociale est une vérité… En disant les derniers, on affirmait d’avance qu’il n’y en aurait plus et on les tuait dans le ventre de l’avenir, car c’est une manière de tuer les gens que dire hautement qu’ils sont morts… C’était donc le coup définitif de la guillotine… Malheureusement ce gratte-papier mollasse d’une plume de femme, n’avait pas l’affilé du couperet qui avait mordu dans l’herbe humaine, haute et drue, et cette plume ne pouvait que gratter la place où repoussait ce chiendent maudit ! […] Il n’y a dans son livre que les opinions du parti auquel elle appartient probablement depuis le berceau… À cela près d’un fort petit nombre d’esprits, chez qui la réflexion domine et pousse à la recherche de la vérité, on n’a guère communément que les opinions de sa naissance ou de son milieu. […] Son livre de l’Italie des Italiens pourrait s’appeler : Elle et ne serait pas trop Elle non plus, car Elle s’y peint, comme mère et comme femme — ce qui ne fait rien du tout aux Italiens, ni à l’Italie, ni à la vérité !

700. (1874) Premiers lundis. Tome II « Théophile Gautier. Fortunio — La Comédie de la Mort. »

Tout ce qui suit, d’une énergie croissante, a sa vérité funèbre ; le dialogue du ver et de la trépassée, l’apparition de Raphaël dont le masque se ranime et profère contre le siècle des cris d’anathème et de désespoir, ces scènes fantastiques s’admettent dans la situation et dans le monde où l’auteur nous transporte ; on résiste d’abord à l’horreur, mais bientôt on y cède, tant les coups sont redoublés et souvent puissants. Le second point de vue, la Mort dans la Vie (et ces espèces de jeux de mots symétriques, vie dans la mort, mort dans la vie, sont bien dans le goût du moyen âge), présente une vérité réelle plus aisée à reconnaître, tout ce qu’il y a de mort et d’enseveli au fond de l’âme de ceux qui passent pour vivants : Et cependant il est d’horribles agonies Qu’on ne saura jamais ; des douleurs infinies    Que l’on n’aperçoit pas.

701. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XII. Du principal défaut qu’on reproche, en France, à la littérature du Nord » pp. 270-275

Les règles du goût ne sont point arbitraires ; il ne faut pas confondre les bases principales sur lesquelles les vérités universelles sont fondées avec les modifications causées par les circonstances locales. […] Le goût national doit être jugé d’après ces principes, et selon qu’il en diffère ou qu’il s’en rapproche, le goût national est plus près de la vérité.

702. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 329-336

Présenter des tableaux qui touchent, qui épouvantent, qui éclairent ; annoncer la vérité, confondre l’orgueil, apprécier les grandeurs, ne point dissimuler les foiblesses ; instruire les vivans au milieu des trophées de la mort ; voilà quel doit être le but de ces sortes de Discours, & celui que l’Evêque de Meaux a rempli avec une supériorité qu’il conservera peut-être toujours. […] On fut étonné de cette force majestueuse dont il a décrit les mœurs, le Gouvernement, l’accroissement & la chute des grands Empires, & de ces traits rapides d’une vérité énergique dont il peint & dont il juge les Nations.

703. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre XI. Le Guerrier. — Définition du beau idéal. »

Si au contraire vous chantez l’âge moderne, vous serez obligé de bannir la vérité de votre ouvrage et de vous jeter à la fois dans le beau idéal moral et dans le beau idéal physique. […] La chevalerie seule offre le beau mélange de la vérité et de la fiction.

704. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Un petit corollaire de ce qui précède [Mon mot sur l’architecture] » pp. 77-79

Si la solution du problème des trois corps n’est que le mouvement de trois points donnés sur un chiffon de papier, ce n’est rien ; c’est une vérité purement spéculative. Mais si l’un de ces trois corps est l’astre qui nous éclaire pendant le jour, l’autre, l’astre qui nous luit pendant la nuit, et le troisième, le globe que nous habitons, tout à coup la vérité devient grande et belle.

705. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre IV. Des éloges funèbres chez les Égyptiens. »

La loi t’interroge, la patrie t’écoute, la vérité te juge. » Alors il comparaissait sans titres et sans pouvoir, réduit à lui seul, et escorté seulement de ses vertus ou de ses vices. […] Il est juste que la tombe soit une barrière entre la flatterie et le prince, et que la vérité commence où le pouvoir cesse.

706. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

Et c’est pourquoi elle abandonne son mari et ses enfants pour s’en aller, toute seule, chercher la vérité, refaire son éducation intellectuelle et morale. […] Ce qu’il prêche, ou ce qu’il rêve, c’est l’amour de la vérité et la haine du mensonge. […] Page si belle ; vision si profonde de misère et de bonté, si révélatrice du lien qui unit la bonté et la souffrance, et encore de cette vérité troublante et contradictoire, que la société est fondée sur l’injustice et que l’injustice est la condition de la vertu qui permet au monde de durer, — que M.  […] Sous cette forme neutre, cette espèce de cote mal taillée qu’est une traduction, sous ces mots français recouvrant un génie qui ne l’est pas, de vieilles vérités ou des observations connues me font l’effet de nouveautés singulières. […] Cela finit par former, autour de chacun de ses drames, une atmosphère qui lui est propre, et dont l’air de vérité des personnages est augmenté.

707. (1913) La Fontaine « I. sa vie. »

(A la vérité, ce n’était peut-être pas pour être avocat ; car le droit menait déjà à d’autres carrières qu’à celle du barreau.) […] On sent l’anecdote au fond de laquelle il y a quelque vérité, mais qui a été, puisqu’elle est si drôle, infiniment arrangée, infiniment adornée par les amis de La Fontaine et de Racine, qui l’a racontée à son fils, à Louis Racine. […] Je le crois, parce que d’abord, la vérité a peut-être ses droits ; il est bon de dire toujours la vérité  toute la vérité, je n’en suis pas sûr  mais enfin il est possible que la vérité n’ait pas de comptes à rendre. […] Ceci est une erreur, parce que c’est habituer les jeunes esprits à considérer en effet tout grand artiste comme un homme détenteur et de la beauté et de la vérité morales, et alors cela les porte à se laisser aller à toutes les suggestions des livres de ce grand homme qu’ils liront.

708. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Première partie. De la parole et de la société » pp. 194-242

L’homme n’étant point un individu isolé et solitaire, et devant toujours vivre au sein de la société, il en résulte que sa puissance et ses développements possibles sont dans la société ; il en résulte encore que la société est souvent un supplément à l’imperfection de ses organes ; il en résulte enfin que la plupart des instincts mêmes de l’homme, si une telle expression est permise, sont placés hors de lui, se trouvent dans la société, ce qui nous ramène encore une fois à cette doctrine de la solidarité, doctrine qui serait ici susceptible de sortir de l’ordre des vérités spéculatives pour entrer dans l’ordre des vérités d’expérience, pour prendre rang parmi les faits historiques. […] Il s’agit de savoir si c’est la vérité. […] Dans ce sens, le mot étymologie voudrait dire la science de la vérité, et je pense que c’est ce que les anciens entendaient. […] Il aurait fini par rencontrer la vérité sur cette route s’il n’avait pas été abusé par une première erreur, qui a été le fondement des autres, l’erreur de croire à un état de nature qui aurait précédé la société. […] Il y a de la vérité dans cette expression.

709. (1856) Articles du Figaro (1855-1856) pp. 2-6

Je ne parle pas d’un dialogue qui est d’un bout à l’autre un chef-d’œuvre d’esprit, de précision et de vérité. […] — « des limailles de vérité » ! […] S’il a les mains pleines de vérités, pourquoi refuse-t-il de les ouvrir ? […] Grâce à eux, l’abstraction fait place à l’individu ; la vérité humaine succède à la vérité idéale ; et, comme je l’ai dit ailleurs, ces deux rares auteurs comiques décrètent, en des œuvres éminentes, les droits de l’homme à la comédie. […] Au lieu de se borner à l’hymne et à l’ode, elle aura la vérité d’une peinture, et quelquefois la valeur d’une démonstration.

710. (1904) Propos littéraires. Deuxième série

À la vérité il y a bien eu un peu de déception. […] La vérité historique c’est que la bataille de Waterloo a été perdue à Ligny. […] Et cela est touchant, cela n’est pas gai, cela est tout trempé de larmes, et cela est d’une très grande vérité, d’une très sobre vérité, et par conséquent d’une vérité plus grande encore. […] Il est des gens qui aiment tellement à conclure qu’ils concluent dès le premier mot ; ils vous abordent : « Monsieur, voici la vérité. » Ils parlent une heure sur cette vérité et vous quittent en vous disant : « Voilà la vérité. » De leur première parole à leur dernière, il n’y a que cette différence. […] C’est le plaisir de se sentir dans le vrai et de créer du vrai, par l’instrument logique, en tirant d’une vérité ou de ce que l’on croit une vérité, toutes les vérités qui y étaient contenues, et qui en sortent comme à votre appel, ou comme sous la pression de votre pensée.

711. (1907) Propos de théâtre. Quatrième série

Mais maintenant il est trop tard pour dire la vérité. […] Quant à Silvain, il est la vérité même. […] C’est trop absolu ; mais cela renferme beaucoup de vérité. […] Elle a été réglée par un artiste et par un chercheur de vérité qui sait la trouver. […] Coquet n’a pas manqué de vérité dans le personnage de M. de Galbrun.

712. (1876) Romanciers contemporains

Est-ce que la vérité, à laquelle immole cette école dont M.  […] Fabre a compris cette vérité. […] Zola sent tressaillir en lui les vérités de l’avenir. […] Zola, la vérité seule est grande et l’art n’est fait que de vérité. […] Mais il n’a représenté que ce qui est d’une vérité générale, et non d’une vérité accidentelle.

713. (1929) La société des grands esprits

En effet, si nous possédons d’ores et déjà la vérité, à quoi bon la chercher ? […] Point de vérité, point de causes, point de signes autorisant une démonstration. […] Vérité au deçà des Pyrénées, erreur au-delà !  […] C’est pourtant la vérité. […] Grand capitaine, il le fut, à la vérité, en un temps où les grands capitaines n’abondaient pas.

714. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « II »

Il joue avec une vérité profonde, chante, déclame, accentue en perfection. […] Les uns et les autres ont un théâtre à la portée de leurs œuvres ou de leurs appétits ; les auteurs sont généralement incapables d’imposer un enseignement, une vérité au moyen de l’art ; le public n’est pas susceptible d’accepter la réalité dans l’art non plus que l’art dans la réalité. Tout est factice et faux, et l’appareil théâtral suffit à rendre fausses les vérités les plus saisissables. […] Sa vérité prend la forme d’une illusion pour mieux nous pénétrer, et les données les plus abstraites de la philosophie wagnérienne nous sont manifestées avec une puissance de réalisation dont rien n’approche et dont rien n’a jamais pu approcher. […] Les wagnériens de toute opinion ont soutenu la bataille ; voici que le succès enfin leur arrive, voici que des œuvres de vérité vont enfin être représentées sur nos scènes.

715. (1863) Le réalisme épique dans le roman pp. 840-860

Cette conception logique, cette vigueur de trait, qualités si rares parmi les coryphées de la littérature courante, ne pouvaient manquer de produire quelque impression ; des juges assez peu sensibles d’ordinaire à certaines qualités de la forme ont été éblouis de cette rencontre en plein roman réaliste, et un hégélien fort sceptique sur les vérités les plus claires a déclaré sans hésiter que Madame Bovary était une œuvre classique. […] En un mot, il y a ici plus d’exaltation que de vigueur ; le caractère de cette œuvre, c’est l’effort, un effort obstiné, acharné, ardent et maladif tout ensemble, un effort qui ne mène malheureusement ni à la vérité ni à l’émotion. […] » Il y a donc bien des parcelles de vérité dans la Carthage de M.  […] Je détourne ces paroles trop sévères, je les applique à Salammbô, et voyez comme elles se transforment en vérités accablantes ! […] Et l’on n’est pas dédommagé des tortures qu’il vous cause par la joie que pourrait faire éprouver la représentation exacte de la nature humaine, des caractères humains ; non, tout au contraire, la nature et la vérité sont absentes de ces pages.

716. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

En même temps une conviction est le principe de la sincérité, de la vérité, qui est l’essentiel même de l’art, le seul moyen de produire l’émotion et d’éveiller la sympathie. […] Hugo attaque les partisans de l’art pour de l’art, parce qu’ils refusent de mettre le beau dans la plus haute vérité, qui est en même temps la plus haute utilité sociale. […] En nous la montrant partout, la science ne fait que remplacer la beauté toute relative des anciennes conceptions par une beauté nouvelle, plus rapprochée de la vérité finale, de ce que les astronomes appellent le ciel absolu. […] Nous ne pouvons sortir de la réalité, ni nous satisfaire avec elle : « Dieu parle, il faut qu’on lui réponde ;  » la vérité nous adresse ainsi un grand appel, destiné à n’être jamais ni complètement entendu, ni tout à fait trahi. […] De quelque façon qu’on t’appelle, Bramah, Jupiter ou Jésus, Vérité, justice éternelle, Vers toi tous les bras sont tendus.

717. (1913) La Fontaine « VII. Ses fables. »

Le dernier et le plus illustre de ceux qui ont pris La Fontaine ainsi, c’est mon vénéré maître, Hippolyte Taine, qui a fait un livre admirable, et avec lequel je ne songe pas à rivaliser, mais il n’en est pas moins vrai qu’il n’y a chez lui, je crois, qu’une partie de la vérité. […] C’a été son premier mot, c’est ce qu’il a dit dans le prologue des premières fables, à Mgr le Dauphin : Je chante les héros dont Esope est le père ; Troupe de qui l’histoire, encor que mensongère, Contient des vérités qui servent de leçons. […] Il n’a pas dit « pour peindre les hommes », mais « pour instruire les hommes » et, comme il dit plus haut : la fable contient des vérités qui servent de leçons. […] Mais vous allez voir qu’il laisse échapper ce que je crois être la vérité sur ce point. […] C’est ce que je crois être la vérité.

718. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « II. M. Capefigue » pp. 9-45

Capefigue quelque part, dans sa Madame de Pompadour, en parlant du Roi Louis XV, et cela lui semble héroïque de dévouement à la vérité ! […] Quand il s’agit de cette masse immense de témoignages et d’accusations qui pèsent sur la moralité d’un homme comme Richelieu et l’accablent : Je ne veux m’informer, dit-il, ni de leur valeur ni de leur vérité. […] On ne l’y voit pas toujours, mais, regardez-y, elle y est. » Et c’est la vérité ; mais Mme Du Barry et ses pareilles ne sont pas seulement de ces influences ou de ces instruments nécessaires dont les têtes politiques les plus pures sont parfois obligées de jouer : elles sont plus que cela, elles ! […] Capefigue a ajouté, il est vrai, à cette masse compacte de calomnies, l’injure abjecte de Fouquier-Tinville dans un de ces rapports où il éructait le sang qu’il avait bu ; mais cette injure, pour sortir de cette bouche basse et atroce, était-elle moins pour cela une vérité ! […] Capefigue se donne tant de peine pour anoblir, et qui n’en fut pas moins une mésalliance pour le gentilhomme qui l’épousa et pour le roi qui ne l’épousa pas, tout n’est pas insultes et calomnies, mais tout le serait-il qu’il resterait toujours la vérité de ces quatre mots d’histoire : « Elle fut la maîtresse du roi de France de 1770 à 1774 », et cela seul suffirait pour la honte que M. 

719. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IV. Des femmes qui cultivent les lettres » pp. 463-479

Les femmes n’ont aucune manière de manifester la vérité ni d’éclairer leur vie. C’est le public qui entend la calomnie, c’est la société intime qui peut seule juger de la vérité. […] Qui sait si l’image offerte par la calomnie ne combat pas quelquefois contre la vérité des souvenirs ?

720. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre premier. L’idée force du monde extérieur »

Il y a dans toutes ces propositions un mélange de vérité et d’inexactitude. […] Nous n’avons pas besoin de monter en quelque sorte sur notre propre tête pour contempler un horizon de « vérité infinie, de réalité absolue ». […] La vérité, c’est qu’au début la conscience est une collection de sensations multiples, de phénomènes et de représentations de toutes sortes, un panorama diversifié et confus, une procession vertigineuse d’apparences changeantes.

721. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre neuvième. »

L’homme est de glace aux vérités, Il est de feu pour les mensonges. […] Celui-ci, à la vérité, a plus de précision ; mais en la cherchant, il n’a pu éviter la sécheresse. […] A la vérité, les deux derniers vers sont plus plaisans que dans La Fontaine ; mais le mot sans dépens de La Fontaine, équivaut, à peu-près, à Messieurs, l’huitre était bonne.

722. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Ch. de Barthélémy » pp. 359-372

Pour avoir fait des encyclopédistes, et de toute la cuistrerie philosophique à la suite, les ennemis implacables qui se sont rués sur lui, comme la meute enragée des chiens de Diane sur Actéon, il y a dû avoir sous la plume de Fréron autre chose que ces placides citations faites par M. de Barthélemy… Admettons, si l’on veut, que cet esprit très haut eut le calme des choses très hautes, — des choses placées dans le voisinage du ciel, — admettons que ce sagittaire pour la Vérité contre l’erreur n’étendit jamais de poison sur la pointe de ses flèches, toujours est-il qu’il n’aurait pas produit de ces colères, de ces haines et de ces ressentiments personnels, s’il n’avait pas meurtri davantage les personnalités vaniteuses auxquelles il répondait en sa qualité de critique. […] Il croyait la source des chefs-d’œuvre inépuisable pour le génie humain, et la beauté, comme la vérité, infinie… C’est lui qui a écrit : « Le génie a cent yeux comme Argus. […] La Vérité se moque bien de la Gloire !

723. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Gustave III »

Et cependant, c’est la vérité. […] L’audace, qui fait pardonner tant de choses, fut sa seule vérité et sa seule virilité. […] Il ne nous fait grâce ni d’un paravent ni d’une lampe ; et, dans ces moments suprêmes, ces détails peuvent avoir leur grandeur et faire la vérité plus vraie : — il s’agit de savoir les placer et les remuer d’une main puissante.

724. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le comte de Fersen et la cour de France »

Le royaliste ne dit pas aux Rois leur vérité, et il a vécu depuis, et il a dû mourir, avec le poids de cette vérité sur le cœur ! […] Ce qu’il n’a pas conclu d’une voix ou d’une plume haute, nous le conclurons… L’Histoire n’est qu’à ce prix toute la vérité !

725. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Gustave D’Alaux »

Voici une histoire qui n’est ni de Tacite ni de Suétone, mais d’un de nous, d’un moderne, à l’esprit sobre, aux besoins de vérité positive, sagace, de bon sens, et surtout de bonne humeur, ce que n’étaient ni Suétone ni Tacite, et qui de sa plume sans prétention, mais non pas, certes ! […] Eunuque spirituel, même quand il semble posséder le plus de qualités cérébrales, ayant les vaines rages de l’eunuque, le nègre appartient-il à une de ces races déchues comme il en est plusieurs dans la grande famille humaine, et que la Bible, ce livre de toute vérité, a désignées comme devant servir les autres et porter les fardeaux à leur place, ainsi qu’elle s’exprime dans son style imagé et réel ? […] C’est la seule critique que nous voulions faire d’un livre très curieux et très amusant, — curieux comme la vérité et amusant comme l’invention ; c’est la seule, mais elle suffira.

726. (1857) Réalisme, numéros 3-6 pp. 33-88

Vous savez bien que cela ne s’est jamais passé et que la vérité eût été bien plus intéressante. […] Vous me pardonnerez, monsieur, tant d’avis ; mais j’aime les réalistes et la vérité. […] qui un instant vous fait croire qu’il va découvrir la vérité et l’instant d’après vous replonge dans les ténèbres ! […] L’histoire est palpitante de vérité, les personnages vivent, on les connaît, on les aime ou on les méprise. […] Tout le monde devint alors empoisonneur, et les honnêtes gens ne purent jamais rétablir l’ancien mot et la vérité.

727. (1774) Correspondance générale

Mais il faut en passer par là, ou renoncer à dire la vérité. […] Je me suis simplement proposé de vous dire la vérité. […] ils ne savent pas encore toute la force de la vérité. […] Néanmoins, avouerai-je la vérité ? […] Je vous parle dans l’exacte vérité.

728. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — II. (Fin.) » pp. 257-278

À cette nouvelle séance, il demanda, par une lettre motivée qu’il lut à haute voix, trois nouveaux amendements à la doctrine du professeur : 1º sur le sens moral dont il réclamait la reconnaissance nette et distincte et le rétablissement formel dans une bonne description de la nature humaine ; 2º sur la nécessité d’une première parole accordée ou révélée à l’homme dès la naissance du monde, et sur la vérité de ce mot de Rousseau que la parole a été une condition indispensable pour l’établissement même de la parole  ; 3º sur la matière non pensante, et qu’il fallait remettre à sa place bien loin de ce sublime attribut : Je fus mal reçu par l’auditoire, dit-il, qui est dévoué en grande partie à Garat à cause des jolies couleurs de son éloquence et de son système des sensations. […] Saint-Martin répondit par une Lettre qui est une pièce importante, et qui aurait pu porter pour épigraphe cette pensée de lui : J’ai vu la marche des docteurs philosophiques sur la terre, j’ai vu que, par leurs incommensurables divagations lorsqu’ils discutaient, ils éloignaient tellement la vérité, qu’ils ne se doutaient seulement plus de sa présence ; et, après l’avoir ainsi chassée, ils la condamnaient par défaut. […] Lorsque Saint-Martin croit que les vérités religieuses n’ont qu’à gagner à la grande épreuve que la société française traversait au moment où il écrit, il est dans le vrai de sa haute doctrine. […] Je crois que les négligences et les imprudences où ma paresse m’a entraîné en ce genre ont eu lieu par une permission divine, qui a voulu par là écarter les yeux vulgaires des vérités trop sublimes que je présentais peut-être par ma simple volonté humaine, et que ces yeux vulgaires ne devaient pas contempler. — Le monde et moi, disait-il encore pour se consoler, nous ne sommes pas du même âge. […] Je les regarde au contraire comme des postillons qui ont fait leur poste ; mais ils ne sont que des postillons de province, il en faudra d’autres pour nous faire arriver au but du voyage, qui est de nous faire entrer dans la Capitale de la Vérité. » (Mars 1801.)

729. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — III » pp. 132-153

Il a sur notre nation et sur notre caractère des observations très originales, et s’il dit des vérités aux autres peuples, il nous en adresse assez à nous-mêmes les jours d’éloges, pour qu’on puisse tout citer sans faire de jaloux : On ne le croirait pas, dit-il, la nation française est, des nations de l’Europe, celle dont les peuples ont communément plus de jugement mêlé avec le plus d’esprit. […] peu de fautes, beauconp de grandes vérités ; Voltaire sait tout, parle de tout en expert. […] Il est très avancé dans la science politique ; il a tout manié, morale surtout et politique ; mais les défauts de son caractère percent à la vérité quelquefois dans ce qu’il prise, dans ce qu’il admire et dans ce qu’il rejette. […] Si j’étais en ce moment plus soigneux de la renommée de d’Argenson que de la vérité, j’omettrais de dire que, tout en appelant L’Esprit des lois un « grand livre », il mettait bien au-dessus, pour la solidité du raisonnement, plus d’un ouvrage oublié de ce temps-là, par exemple un livre qu’on croyait alors traduit de l’anglais et qui était du maître des comptes Dangeul, intitulé Remarques sur les avantages et les désavantages de la France et de la Grande-Bretagne par rapport au commerce ; et même un livre bien autrement radical et qui nous ferait peur aujourd’hui, intitulé Code de la nature ou le véritable esprit des lois, qu’il croyait de Toussaint et qui est de Morelly : « Excellent livre, s’écriait d’Argenson (juin 1756), le livre des livres, autant au-dessus de L’Esprit des lois du président de Montesquieu, que La Bruyère est au-dessus de l’abbé Trublet, mais contre lequel il n’y aura jamais assez de soufre pour le brûler, etc. » Morelly, dans cet ouvrage, dénonce la propriété comme le principe de tous les maux et de tous les vices existants. […] À côté de Saint-Évremond, dans son goût et son estime, il place pourtant une femme, Mme de Staal-Delaunay, dont les Mémoires, alors nouveaux (1755), l’ont ravi : « Elle écrit mieux que Mme de Sévigné, dit-il ; moins d’imagination, plus de sagesse, plus de sentiment, plus de vérité. » Si l’on y réfléchit, tous ces jugements concordent et se tiennent ; ils sont bien du même homme24.

730. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Joséphine de Saxe dauphine de France. (Suite et fin.) »

Laissons parler le maréchal de Saxe, qui va nous paraître délicat en la jugeant et en la décrivant dans toute sa crudité : « Sire, écrivait-il au roi son frère le 12 février 1747, je n’aurai pas de peine à dire des vérités agréables à Votre Majesté sur le compte de Mme la dauphine, et la renommée me servira de garant. […] » La vérité est que les choses ne se passèrent point tout à fait ainsi, et le maréchal eut bien assez de torts dans cette intrigue, sans les faire plus grands qu’ils ne sont. […] que c’eût bien été le cas pour lui de se réciter les jolis vers qui couraient alors le monde, et où il était dit, entre autres vérités de morale indulgente : Gêner un cœur, ce n’est pas ma façon ! […] La vérité avant tout, et ce qui n’est qu’un autre nom de la vérité, la mesure. — Et pour en finir avec toutes ces prêcheries vertueuses sur Mme Favart et avec ceux qui seraient tentés de les renouveler, je mettrai ici la page de M. de Lauraguais, que peu de gens iraient chercher ailleurs et qui sent à pleine gorge son xviiie  siècle : il ne songe qu’à donner une preuve de la confusion d’idées de l’abbé de Voisenon, à la fois libertin indévot, scandaleux, et avec cela scrupuleux sur un seul point qui était de ne pas manquer à dire son bréviaire ; or voici ce dont M. de Lauraguais fut témoin comme bien d’autres et ce qu’il raconte : « Personne n’ignore que Favart, sa femme et l’abbé de Voisenon vivaient en famille, et furent pères de Gertrude, de l’Anglais à Bordeaux, sans compter d’autres enfants.

731. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [V] »

La quantité de notions plus précises qu’on a pu acquérir depuis par la publication de papiers originaux, le jour qui s’est fait sur bien des événements controversés, toutes ces révélations, comme on dit, sont plus que compensées, selon moi, par la fausseté et l’énormité de certains systèmes et sophismes historiques qui ont plus ou moins prévalu, qui pèsent désormais sur l’esprit des générations nouvelles et y font nuage à leur tour, — qui font empêchement et obstacle dans un autre sens à une vue nette de la vérité. Pour arriver à saisir cette vérité, on avait, en 1820, à se dégager de ses impressions partiales, à se mettre au-dessus des passions intéressées et personnelles ; on a aujourd’hui à percer tout un voile de préjugés et de partis pris théoriques : c’est une autre forme d’illusions. […] Prouvez à l’Europe que vous êtes pénétrés de cette vérité, et vos voisins de l’Est, aussi bien que ceux de l’Ouest, y regarderont à deux fois avant de violer vos vallées. … Surtout préparez dans votre intérieur les moyens de tenir vos engagements… Pénétrez-vous bien de cette vérité, que, pour s’illustrer par une résistance honorable au siècle où nous vivons, un peuple peu nombreux doit opposer aux armées disciplinées et permanentes le courage du Spartiate. […] Jomini, dans son zèle infatigable pour la vérité stratégique, fut appelé à énoncer les mêmes principes à propos de la Belgique, où il s’était retiré après la révolution de 1848.

732. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (6e partie) » pp. 129-176

Le type de la démocratie doit être magnanime, généreux, clément et incontestable comme la vérité. » C’est là mon dernier mot dans les Girondins sur Robespierre. […] « Ce combat est mille fois plus glorieux que les combats des armées qui lui succèdent. 1789 a conquis au monde des vérités, au lieu de conquérir à une nation de précaires accroissements de provinces. […] XVI « Une nation doit pleurer ses morts, sans doute, et ne pas se consoler d’une seule tête injustement et odieusement sacrifiée ; mais elle ne doit pas regretter son sang quand il a coulé pour faire éclore des vérités éternelles. […] Ni les victimes ni les bourreaux n’ont ainsi leur part de justice, de pitié ou de réprobation, qui est le devoir et la vérité de l’histoire. […] Mais, en ce qui concerne l’Histoire des Girondins, je ne me reproche en conscience que les cinq ou six pages que j’ai signalées ici moi-même à la vindicte des belles âmes, et je désire que ce commentaire expiatoire reste attaché au texte et fasse corps à cette édition du livre, pour prémunir les lecteurs, et surtout la jeunesse et le peuple, contre le danger de quelques sophismes qui pourraient fausser une idée dans leur esprit, ou atténuer dans leur cœur la sainte horreur de la vérité même, contre l’immoralité des moyens.

733. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre III. L’Histoire »

Le respect même et la foi sans réserve qu’on prêtait aux anciennes légendes de Charlemagne ou de Guillaume au Court Nez suscitèrent de nouveaux poèmes d’un caractère plus strictement historique : non qu’on se fit une idée plus scientifique de la vérité, ou qu’on la cherchât par une méthode plus sévère, mais simplement parce que les faits, soit extraits de chroniques latines, soit fixés tout frais et encore intacts dans une rédaction littéraire, n’avaient point subi la préparation par laquelle l’imagination populaire forme l’épopée. […] Un autre genre avait le dépôt de la vérité. […] Aussi ce soldat « qui ne mentit jamais », est-il souvent à demi sincère : il sait l’art de ne pas faire connaître la vérité sans rien articuler de faux. […] Très exactement informé, religieusement attaché à la vérité et aux documents qui la montrent, bon écrivain dont le style a de la solidité et du relief, ce clerc errant, de vie assez libre, est intraitable sur les privilèges et la mission du clergé ; c’est un de ces enfants perdus, de ces polémistes que rien n’effraie, qui, de leur autorité privée, se font défenseurs et régents de l’Église, aussi prompts à en invectiver la corruption qu’à réclamer pour elle toute la puissance : l’Eglise, de tout temps, a eu de ces serviteurs zélés, brutaux, indociles, qui la gênent, la compromettent autant qu’ils la servent, et, somme toute, lui font payer cher leurs services. […] Mais rien n’est charmant comme le geste affectueux du roi, venant appuyer les deux mains sur les épaules du sénéchal, auquel il n’a pas parlé de tout le dîner, et qui, tristement retiré près d’une fenêtre grillée, se croit en disgrâce pour avoir parlé selon l’honneur et selon la vérité.

734. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre I. Roman de Renart et Fabliaux »

On a parfois trop insisté sur la vérité des fabliaux, on y a vu la vivante image de la réalité familière, le miroir de la vie du peuple au xiiie  siècle. Sans doute, il y a là une certaine vérité extérieure et superficielle ; mais quel en est le prix et la saveur ? […] La vérité des fabliaux est une vérité surtout idéale, comme celle des chansons de geste et des romans bretons : les unes nous montrent le rêve héroïque, les antres le rêve amoureux de nos aïeux, et dans les fabliaux c’est un autre rêve encore, un rêve de vie drolatique et libre, tel que peut le faire un joyeux esprit qui, par convention, élimine pour un moment toute notion de moralité, d’autorité et d’utilité sociale. […] Ils ont su esquisser un vilain, faire parler une commère : surtout, et c’est par là qu’ils ont donné l’illusion de la vérité, ils ont eu le sens des mœurs d’exception et des mœurs ignobles.

735. (1900) Poètes d’aujourd’hui et poésie de demain (Mercure de France) pp. 321-350

Personne, qui l’ait étudiée, ne niera que Mallarmé n’ait été un esprit de haute et suprême culture et qu’il n’ait mis au jour d’importantes vérités poétiques. […] C’est ainsi qu’on crut affirmer des vérités nouvelles et même surprenantes en professant la volonté de réintégrer l’idée dans la littérature. » Il me semble que M. de Gourmont met excellemment les choses au point. […] J’emprunte à l’écrivain déjà cité la définition du sens et de la portée de cet Idéalisme « Une vérité nouvelle est entrée récemment, dans la littérature, nous dit-il, et dans l’art, et c’est une vérité toute métaphysique et vraiment neuve puisqu’elle n’avait pas encore servi dans l’ordre esthétique. Cette vérité, c’est le principe de l’idéalité du monde.

736. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « L’abbé Galiani. » pp. 421-442

Il fait des réductions, des suspensions, et cause la banqueroute du savoir, du plaisir et de l’esprit humain. » En philosophie, le vrai système de l’abbé Galiani est celui-ci : il croit que l’homme, quand il n’a point l’esprit alambiqué par la métaphysique et par le trop de réflexion, vit dans l’illusion et est fait pour y vivre : « L’homme, nous dit-il, est fait pour jouir des effets sans pouvoir deviner les causes ; l’homme a cinq organes bâtis exprès pour lui indiquer le plaisir et la douleur ; il n’en a pas un seul pour lui marquer le vrai et le faux d’aucune chose. » Galiani ne croit donc pas à la vérité absolue pour l’homme, à la vérité digne de ce nom : la vérité relative, qui n’est qu’une illusion d’optique, est la seule, selon lui, que l’homme doive chercher. […] Ainsi, au moral, nos illusions intérieures sur la liberté, sur la cause première, ont engendré la religion, la morale, le droit, toutes choses utiles, naturelles à l’homme, et même vraies si l’on veut, mais d’une vérité purement relative et toute subordonnée à la configuration, à l’illusion première. […] Ainsi des illusions de la vie et des perspectives où elle se joue : il faut les respecter et par moments s’y complaire, même quand on sait trop bien ce qu’il y a par-delà. » Voilà, dans toute sa vérité, la théologie de l’abbé Galiani, et, même au point de vue de l’illusion à laquelle il tenait tant, je ne la donne ni comme très belle ni comme consolante ; le total, il en convient, en est égal à zéro.

737. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre. (1851, 2 vol. in-8º.) » pp. 192-216

M. de Maistre, comme un homme qui parle seul et de loin, et dont la voix monte pour être entendue, prête à la vérité même l’air du paradoxe et l’accent du défi. […] Il avait coutume de dire qu’au fond ce qui sépare l’homme de la vérité suprême, c’est l’intérêt que chacun met à sa passion : « Croyez-moi, mon cher ami, entre l’homme et Dieu il n’y a que l’orgueil. […] Non, les femmes, selon M. de Maistre, ne sont pas capables de faire tout ce que font les hommes : La vérité est précisément le contraire. […] C’est dans cet ordre de vérités que M. de Maistre est supérieur, et qu’il est venu à point pour crier holà aux fausses théories des Condorcet et des philosophes excessifs du xviiie  siècle. […] C’est toujours le même homme d’esprit, le même gentilhomme chrétien que nous connaissons, avec son timbre vibrant, sa parole aiguë qui part, qui éclate, qui du premier jet va plus loin qu’il ne semblerait nécessaire à la froide raison, mais qu’on serait fâché de trouver plus retenue et plus circonspecte ; car elle porte avec elle bien des vérités, et s’il semble qu’il y ait souvent colère en elle, lors même qu’il s’agit des amis, écoutez et sachez bien distinguer : c’est la colère de l’amour.

738. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — II. (Fin.) » pp. 411-433

Au point de vue de la composition littéraire, cette convocation générale des peuples, où ne manquent ni le Lapon, ni le Samoyède, ni le Tongouze, désignés chacun par des épithètes qui veulent être homériques, est bizarre et sans goût : on plaide et l’on dispute devant je ne sais quel autel de l’union et de la paix ; il y a le groupe des amis de la vérité qui a son orateur, et un certain groupe des hommes simples et sauvages qui parle tout à la fois : c’est ce dernier groupe qui a les honneurs de la conclusion, et qui coupe court à la dispute universelle, en disant de ne croire qu’à ce qu’on voit et à ce qu’on sent par sensation directe. […] Quant aux religions, sans aller plus avant, il n’a pas moins manqué à la vérité sociale. […] Au moral, combien il y a plus de vérité, même pour le philosophe, dans deux mots de Pascal où éclate le cri du cœur ! […] Plus on la lit, plus on la médite, et plus on s’aperçoit de la vérité de cette assertion ; en sorte que, considérant combien la conduite des nations et des gouvernements, dans des circonstances analogues, se ressemble, et combien la série de ces circonstances suit un ordre généalogique ressemblant, je suis de plus en plus porté à croire que les affaires humaines sont gouvernées par un mouvement automatique et machinal, dont le moteur réside dans l’organisation physique de l’espèce. […] Son premier Voyage en Égypte a commencé sa réputation ; il a eu un succès brillant et soutenu ; ce qui est bien plus rare, ce succès a augmenté depuis l’expédition d’Égypte : tous ceux qui en firent partie ont reconnu que l’auteur avait constamment dit la vérité.

739. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Histoire » pp. 179-240

L’imagination, ce principe et cette faculté mère des facultés humaines, semble, dans ces premières chroniques, éveiller la vérité au berceau. […] Mais l’imprimé ne lui suffira pas : il frappera à une source nouvelle, il ira aux confessions inédites de l’époque, aux lettres autographes, et il demandera à ce papier vivant la franchise crue de la vérité et la vérité intime de l’histoire. […] Nous voulons, s’il est possible, retrouver et dire la vérité sur ce siècle inconnu ou méconnu, montrer ce qu’il a été réellement, pénétrer de ses apparences jusqu’à ses secrets, de ses dehors jusqu’à ses pensées, de sa sécheresse jusqu’à son cœur, de sa corruption jusqu’à sa fécondité, de ses œuvres jusqu’à sa conscience. […] Toutefois, n’ayant point derrière nous le manuscrit autographe, nous n’avons osé hasarder aucun extrait ; nous nous sommes contentés de tirer de ces mémoires les faits qui amplifient, certifient, contredisent, avec un accent de vérité incontestable, les récits déjà publiés.

740. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Sainte-Beuve. Les Poésies de Joseph Delorme, Les Consolations, les Pensées d’août. »

Le monde extérieur qu’il décrit passe à travers son âme malade, avant d’éclore sous son pinceau, y charrie des couleurs prises à cette âme envenimée, et sa peinture n’en est que plus vraie, car, au lieu d’une, elle exprime deux vérités. C’est cette double vérité qui fait du livre de M.  […] On ne tue pas cette vérité d’impression, d’où sort toute poésie, sans s’y reprendre à plusieurs fois. […] remontez donc à l’origine du mot, c’est toujours de la vérité personnelle ! […] Il s’agit de vérité, de profondeur humaine ; il ne s’agit pas d’habileté, d’art retors, savant, consommé, qui, d’ailleurs, à ce degré, n’y est pas non plus.

741. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — Post-scriptum » pp. 154-156

Je n’aurais jamais cru rencontrer, je l’avoue, tant d’esprit de chicane et d’argutie chez une personne qui se pique d’ailleurs de libéralisme et d’aimer la vérité. […] Ceci tient d’ailleurs à tout un système de vérité ou de convention en littérature et en histoire.

742. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — K — Karr, Alphonse (1808-1890) »

. — Une vérité par semaine (1852). — Agathe et Cécile (1853). — Devant les tisons (1853). — Les Femmes (1853). — Nouvelles Guêpes (1853-1855). — Une poignée de vérités (1853). — Proverbes (1853). — Soirées de Sainte-Adresse (1853). — Histoire d’un pion (1854). — Un homme fort en théorie (1854). — Dictionnaire du pêcheur (1855). — La Main du diable (1855). — La Pénélope normande (1855). — Les Animaux nuisibles (1856). — Histoires normandes (1856). — Lettres de mon jardin (1856). — Promenades hors de mon jardin (1856). — Rose et Jean (1857). — Encore les femmes (1858). — Menus propos (1859). — Roses noires et blanches (1859). — Sous les orangers (1859). — En fumant (1861). — Les Pleurs (1861)

743. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 133-139

On a reproché à Rousseau de s'être trop livré, dans ses Epîtres, à un ton de misanthropie qui les dépare quelquefois, d'y ramener trop souvent ses ennemis, d'y établir des principes qui portent moins sur la vérité que sur les ressentimens qui l'aigrissoient. […] Les Italiens, à la vérité, s'étoient exercés avant lui dans la Cantate ; mais en les imitant, il les a si fort surpassés par la justesse du plan, les graces du récit, le coloris des images, la richesse des descriptions, la vivacité d'une poésie toujours harmonieuse, qu'on peut l'en regarder comme le créateur, en oubliant ceux à qui il en doit la premiere idée.

744. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Avant-Propos. » pp. -

Et qui doute qu’elles ne servent souvent à faire découvrir la vérité ; qu’il ne résulte de grandes lumières du choc des sentimens sur le même sujet ; que les efforts de chaque écrivain, pour défendre son opinion & pour combattre celle de son adversaire, les raisonnemens, les preuves, les autorités, l’art, employés de part & d’autre, ne répandent un plus grand jour sur les matières. […] Ce prétendu Théâtre de la vérité, malgré son titre pompeux, n’est qu’une copie défigurée d’un original estimable à bien des égards, du Dictionnaire critique de Bayle.

745. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre troisième. »

Ce vers et les deux suivans sont d’une vérité pittoresque qui met la chose sous les yeux. […] Cette fable est charmante d’un bout à l’autre pour le naturel, la gaîté, surtout pour la vérité des tableaux.

746. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Vernet » pp. 227-230

Quelle vérité ! […] Cette montagne est peinte dans la vérité d’une montagne voisine ; nous ne sommes séparés des Alpes que par une gorge étroite ; pourquoi donc ces Alpes sont-elles informes, sans détail distinct, verdâtres et nébuleuses ?

747. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre II. Dryden. »

Le désordre, l’action violente et brusque, les crudités, l’horreur, la profondeur, la vérité, l’imitation exacte du réel et l’élan effréné des passions folles, tous les traits de Shakspeare se conviennent. […] Ces drames ont justement la vérité, et le naturel d’un libretto d’opéra. […] À la vérité Dryden épure et éclaircit le sien en introduisant le raisonnement serré et les mots exacts. […] Le style littéraire émoussait la vérité dramatique ; la vérité dramatique gâtait le style littéraire ; l’œuvre n’était ni assez vivante ni assez bien écrite ; l’auteur n’était ni assez poëte ni assez orateur : il n’avait ni la fougue et l’imagination de Shakspeare ni la politesse et l’art de Racine729. […] Les vérités générales atteignent la forme définitive qui les transmet à l’avenir et les propage dans le genre humain.

748. (1895) Nos maîtres : études et portraits littéraires pp. -360

J’attribuais à la pensée je ne sais quelle valeur souveraine : et aux soi-disant vérités de la science j’opposais une vérité supérieure, jaillissant du libre exercice de l’intelligence. Et, maintenant, cette vérité-là me semble aussi vaine que les autres. […] Stendhal, offrit aux âmes la salutaire vérité de son optimisme. […] Mais Beethoven a compris encore une vérité plus profonde. […] Sur ces deux vérités, M. 

749. (1883) Le roman naturaliste

Voilà bien, à la vérité, le dernier conseil qu’accepteraient nos romanciers ! […] Ce n’est pas, à la vérité, parce que le cadre est plus étroit. […] Ils sont comme à la piste de la vérité d’aujourd’hui, médiocrement soucieux, à ce qu’il semble, de savoir si la vérité d’hier était la même, ou si celle d’aujourd’hui ne sera pas l’erreur de demain. […] Je ne crois pas, à la vérité, que ce soit tout à fût le cas de M.  […] Les naturalistes, comme on l’a dit, sont à la fois très près et très loin de la vérité.

750. (1888) La vie littéraire. Première série pp. 1-363

La vérité est qu’on ne sort jamais de soi-même. […] Il conçoit que sur toutes choses il y a beaucoup de vérités, sans qu’une seule de ces vérités soit la vérité. […] Nous savons déjà que cette vérité n’est pas la vérité du colonel du 21e chasseurs. […] Il y a une vérité littéraire, ainsi qu’une vérité scientifique, et savez-vous le nom de la vérité littéraire ? […] Voilà la vérité.

751. (1888) Études sur le XIXe siècle

Mes autres douces illusions s’évanouissent toujours davantage à l’aspect de la vérité. […] Depuis que Jupiter a envoyé la vérité sur la terre, l’amour, la seule des divines chimères qui puisse encore venir nous visiter, n’use que fort peu de cette permission. […] Il les ramène sur la terre avec la permission de Jupiter et malgré la défense de la Vérité, leur ennemie, exaspérée de leur retour. […] Pourtant, j’ai entendu affirmer si positivement que, malgré leurs défauts et leur impéritie ils s’efforcent d’arriver à la vérité en remontant à la source, que votre affirmation m’étonne. […] Aussi m’as-tu souvent vue silencieuse et concentrée, renonçant à toute manifestation incomplète, et espérant en moi-même que la vérité aurait son jour.

752. (1862) Notices des œuvres de Shakespeare

Il y a dans le laconisme de la Juliette et du Roméo de Shakspeare, à ces derniers moments, bien plus de passion et de vérité. […] Je crois cela moins factice et plus conforme aux vraisemblances morales aussi bien qu’à la vérité positive. […] Les autres caractères de la pièce ne manquent pas de vérité. […] Ces tableaux sont sans doute d’une vérité frappante et abondent en traits comiques, mais la vérité n’est pas toujours assez loin du dégoût pour que le comique nous trouve alors disposés à toute la joie qu’il inspire ; et les personnages sur qui tombe le ridicule ne nous paraissent pas toujours valoir la peine qu’on en rie. […] Troïlus and Cressida, or Truth found too late (ou la Vérité connue trop tard).

753. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juillet 1885. »

Mais plus encore : la Vérité même, nécessaire, directe et merveilleuse. […] En 1830, lorsque Chopin, et Berlioz, et Hugo, clamaient la douleur de vivre et la vanité d’agir, un Révélateur prodigieux, Stendhal, offrit aux âmes la salutaire vérité de son optimisme. […] Ainsi Wagner, aujourd’hui, dans ce pessimisme de tous les esprits « différents » nous apporte le Saint-Gral splendide de la consolante Vérité. […] Je sais bien que ces vérités sont méconnues par quelques-uns. […] La vérité qui résulte, pour nous, de ce sentiment, ne nous sera complètement et clairement évidente, que si nous revenons à l’explication philosophique de la Musique même.

754. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De la dernière séance de l’Académie des sciences morales et politiques, et du discours de M. Mignet. » pp. 291-307

Jouffroy, sur lequel il a été dit, dans cette séance, beaucoup de vérités intéressantes, bien qu’incomplètes, n’était que le prétexte. […] Mignet évoque et introduit le souvenir de Jouffroy qui se trouve ainsi singulièrement agrandi et présenté comme un des oracles modernes, comme un puissant démonstrateur des vérités invisibles et comme le théoricien religieux de l’ordre universel. […] On est induit à penser que ce sont des citoyens de satisfaction facile et des philosophes qu’excite encore mieux le succès d’un moment que la recherche et le tourment de la vérité. […] Ce n’était plus le jeune enthousiaste de l’École normale, rompant douloureusement avec le Dieu de ses pères et se mettant en marche vers la découverte d’un dogme nouveau ; ce n’était plus le superbe initiateur des premiers temps du Globe, altier et plein d’ambitieuses promesses, et qui croyait tenir la nouvelle vérité : c’est l’homme qui a connu le néant des espérances, qui a reçu la leçon des choses et les injures de la vie.

755. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poème des champs, par M. Calemard de Lafayette (suite et fin) »

C’est la nature humaine dans sa vérité et sa crudité. […] Je n’ai que l’embarras du choix entre les tableaux et les frais paysages, entre les scènes de labourage, de semailles, de fauchaison et de fenaison, de récolte et de vendange, entre les charmants hasards du parc naturel, confinant au bois et à la forêt, et le monde bruyant de la basse-cour ; car tout cela est diversement peint, et presque toujours avec un rare bonheur dû à une extrême vérité. […] Restons dans la vérité observée et dans la peinture. […] C. de Lafayette : observation et vérité, jointes à ce qui en est presque inséparable, l’amour de son sujet.

756. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Etienne-Jean Delécluze »

Delécluze, tout plein de ces souvenirs, décrit tout et appelle tout par son nom : voilà de la vérité. […] Il n’a ni élévation de style, ni gravité de ton, ni noblesse ou élégance de formes, ni rien de ce dont il parle sans cesse en des termes qui jurent souvent avec le fond ; mais il a dans quelques parties une vérité naïve, un peu gauche, un peu distraite ou inexpérimentée, la sincérité non pas du pinceau (il n’a pas de pinceau), mais du crayon, de la plume ; il a le croquis véridique pour les choses, qu’il sait et qu’il a vues en son bon temps et de ses bons yeux ; il copie honnêtement, simplement, et un sentiment moral, touchant ou élevé, comme on le verra, peut sortir quelquefois de cette suite de détails minutieux dont pas un ne tranche ni ne brille. […] Étienne, voilà de l’imagination, voilà de la vérité. […] Si soigneux de nous transmettre ce que David disait aux autres, Étienne a négligé toutefois de nous apprendre ce que le maître lui adressait à lui-même de vérités et de conseils.

757. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Sainte-Hélène, par M. Thiers »

Qu’elle recherche la vérité, si elle veut la connaître. […] Il viendra un jour où le seul amour de la vérité animera des écrivains impartiaux. […] Il n’y a que les choses humaines exposées dans leur vérité, c’est-à-dire avec leur grandeur, leur variété, leur inépuisable fécondité, qui aient le droit de retenir le lecteur et qui le retiennent en effet. […] Thiers, en les écrivant, n’a pas pensé à faire un morceau ; mais au terme de cette grande étude, de l’œuvre de sa vie, il est arrivé de tous les points, par la force même de la vérité et la convergence des faits, à cette conclusion énergique, à cette condensation supérieure de sa pensée.

758. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. James Mill — Chapitre I : Sensations et idées. »

Le but du mathématicien et du physicien c’est la recherche de la vérité ; leurs suites d’idées sont dirigées vers cet objet et sont, ou ne sont pas, une source de plaisirs selon que le but est ou n’est pas atteint. […] Les divers cas de croyance peuvent se classer sous trois titres : croyance aux événements ou aux existences réelles ; croyance au témoignage ; croyance à la vérité des propositions. […] Une troisième classe de croyances est celle à la vérité des propositions, « en d’autres termes des vérités verbales. » Le procédé par lequel est produite cette croyance s’appelle le jugement.

759. (1889) Méthode évolutive-instrumentiste d’une poésie rationnelle

Mais une idée de vérité le domine, du Symbole : quoique dans les poèmes détachés, les quelques sonnets surtout dernièrement parus et faits spécialement pour l’évidence de cette idée, elle n’apparaisse que comme jeu singulier et un peu puéril et faux (rappelons-nous tels sonnets descriptifs d’une console, d’un lit, etc., où tout l’effort du poète tendit à décrire sans les nommer ces meubles !) […] « Quant à la preuve à faire, par un poète, du moderne savoir assez disant partiellement pour une unanime vérité, une œuvre immense et simple est à venir : qui serait en une adéquate parole la philosophie de la matière en mouvement évolutive et transformiste. » Traité du Verbe. […] Car le simple raisonnement ne pouvait-il faire prévaloir cette vérité : que le langage est musique ? […] À mesure qu’il s’est précisée et que la vérité d’idée et d’art qui me guide me faisait un devoir très haut de me retirer — courtoisement, de tout le présent poétique, qui ne me satisfaisait pas dès l’entrée en l’art ?

760. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre VII. Le cerveau et la pensée : une illusion philosophique »

Mais la vérité est qu’on passe inconsciemment du point de vue idéaliste à un point de vue pseudo-réaliste. […] La vérité est que, dans l’hypothèse idéaliste, le souvenir ne peut être qu’une pellicule détachée de la représentation primitive ou, ce qui revient au même, de l’objet. […] Mais la vérité est que le réalisme ne se maintient jamais à l’état pur. […] La vérité est qu’il faut opter entre une conception de la réalité qui l’éparpille dans l’espace et par conséquent dans la représentation, la considérant tout entière comme actuelle ou actualisable, et un système où la réalité devient un réservoir de puissances, étant alors ramassée sur elle-même et par conséquent extraspatiale.

761. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre I. Malherbe »

Il dit aussi les grands lieux communs de la vie et de la mort ; il les dit en apparence sans intérêt personnel, dérobant la particularité de ses expériences sous l’impersonnelle démonstration de la vérité générale. […] Il s’est perdu par la négligence et par la fantaisie ; il n’a su atteindre, avec sa libre humeur, ni l’impérissable beauté de la forme, ni l’universelle vérité des choses. […] Il rendait à la littérature française le plus grand service qu’il fût possible alors de lui rendre : il lui révélait le prix de la vérité, et celui de la perfection.

762. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Mathilde de Toscane »

La vérité n’y a rien perdu ; l’histoire y a gagné des choses touchantes et sublimes. […] Il s’est dévoué à cette tâche de vérité avec une ardeur sans égale, et, dans cette histoire de la comtesse Mathilde, il a fait d’un seul coup deux histoires. […] Je voudrais, si j’avais plus d’espace, mettre en saillie par des citations ce caractère de son livre, qui doit avoir une action sur tout le monde et peut-être sur lui-même, car on ne s’approche pas si près de la Vérité sans tomber un jour dans ses bras !

763. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Eugène Pelletan » pp. 203-217

Mais, en dévorant le littérateur, il a fait de ce qui en restait quelque chose de bien plus compté par les sots que l’écrivain, dont la fonction noble et désintéressée est de mettre de la beauté dans ce qu’il dit et de la vérité dans ce qu’il pense. […] Comme de certains portraits dont on dit : « Pas un trait vrai, et cependant cela ressemble », les portraits en pied de Pelletan semblent ressemblants sans avoir l’exactitude de la vérité, et, selon moi, ils sont par là pires que des mensonges. […] Ôtez le pittoresque de l’expression dans cette page terrible des Soirées de Saint-Pétersbourg, écrite ainsi pour faire mieux sentir la vérité de sa thèse, de Maistre, en parlant du bourreau, n’a posé que la nécessité de la peine de mort pour la conservation de tout ordre social, ce qu’on peut soutenir, n’est-il pas vrai ?

764. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XII. MM. Doublet et Taine »

Taine, l’auteur des Philosophes français du dix-neuvième siècle, dise hardiment, et pour cette fois avec vérité, que la psychologie est déshonorée. […] Ils se font ainsi justice eux-mêmes, et d’ailleurs, avant tout, même avant les convenances et les respects d’école, la vérité ! […] Or, comme il estime que la science doit faire, dans un temps donné, les destinées du genre humain, il se trouve que la religion et la morale, qui ne sont pas la vérité scientifique et sur lesquelles les philosophes ont pris l’avance, s’en iront un jour avec les vieilles lunes.

765. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Laurent Pichat »

Le livre de Laurent Pichat est une preuve de plus de cette vérité, qu’il faut être infatigable à mettre en lumière : que rien, dans les dernières erreurs qui se sont abattues et se sont accroupies sur le monde, n’est assez puissant pour venir à bout de la faculté poétique, — la seule peut-être de nos facultés qui soit immortelle, car elle fleurit encore, comme ici, revanche superbe de l’imagination des hommes ! […] quand elle n’est plus, cette noble Raison, dans sa vérité incommutable, qu’une victime égorgée et souillée par les passions et par les sophismes, c’est un bonheur pour elle que la Poésie s’accroche à ce qui en reste et la pare de ce qu’elle a, elle ! […] … Dans un des plus longs poèmes du recueil de Laurent Pichat, intitulé : Saint-Marc (le Saint-Marc de Venise), où se trouve, plus que partout ailleurs, cette idée qui, au fond, est la seule du livre : c’est que le monde entier, l’Antiquité, le Christianisme, le Moyen Age, toutes les religions, toute l’Histoire enfin, jusqu’à ce moment, ne sont plus qu’une pincée de poussière, un songe évanoui, évaporé, perdu, et qu’il n’en subsiste ni un sentiment, ni une croyance, ni une vérité, tandis que le xixe  siècle seul est la vie !

766. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Gogol. » pp. 367-380

Il dit positivement, dans sa confession d’auteur : « Les Russes ne se parlent qu’à l’étranger : en Russie, ils ne s’adresseraient pas une parole. » Est-ce la vérité ? […] … A-t-il au moins l’autre, encore plus utile et plus nécessaire, cette sincérité morale qui nous empêcherait de douter de la vérité et de la moralité de son livre contre son pays ? […] Les Ames mortes, quelles qu’elles soient, mensonge ou vérité, n’ont que la longueur d’une grande œuvre.

767. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Lamartine »

La foule, aidée par le temps, agit comme cette mère : elle achève l’œuvre du poète, elle fait des vérités de ses erreurs. […] Bref, il altère très souvent la vérité pour se faire valoir. […] La vérité, enfin, vous la trouverez dans ces excellentes observations de M.  […] Personne n’est seulement capable d’écrire avec vérité sa propre histoire. […] Noble instinct, conscience, ô vérité du cœur !

768. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XVI » pp. 64-69

Bonnellier, ancien sous-préfet destitué, auteur de plats romans, et qui a débuté récemment comme acteur à l’Odéon, sous le nom de Max, et ces messieurs font des motions ; et ils expliquent comme quoi ils sont catholiques, comme quoi Voltaire est le fils du jansénisme, et autres vérités de cette saveur. […] Bouchard le charme est détruit, parce que la vérité n’est plus là… O'Connell est en plein air, il montre avec orgueil ses lacs et ses montagnes, et l’horizon sans bornes ; à Mâcon nous avons des tentes, des guirlandes de feuillage, des décorations mobiles.

769. (1874) Premiers lundis. Tome I « Œuvres de Rabaut-Saint-Étienne. précédées d’une notice sur sa vie, par M. Collin de Plancy. »

L’invention la plus simple y est subordonnée à la plus scrupuleuse vérité historique. […] Il ne jugeait pas néanmoins impossible de ressaisir le sens naturel, physique, astronomique de ces traditions que les Grecs n’avaient pas comprises, et l’on sent qu’il y avait dans cette idée un fond de vérité suffisant pour la construction d’un roman ingénieux et agréable.

770. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre III. Des moyens de trouver la formule générale d’une époque » pp. 121-124

Des moyens de trouver la formule générale d’une époque Nous savons comment d’un grand nombre de faits particuliers on peut tirer des vérités plus larges, plus étendues qui s’y trouvent contenues. […] Suivante un mot connu40, quand on parle de « corps social », on ne fait pas une métaphore ; on exprime une vérité désormais acquise.

771. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XII. Des panégyriques ou éloges des princes vivants. »

Bientôt tout changea ; la flatterie prit le burin des mains de la vérité, et moins les peuples étaient heureux, plus les colonnes étaient chargées d’éloges, d’inscriptions et de titres : à la fin un bon roi ordonna de briser ces marbres et d’en disperser les ruines. […] Ferme l’oreille à des discours dangereux ; tu mérites sans doute l’hommage qu’on va te rendre, achève de le mériter en le dédaignant ; aujourd’hui la vérité te loue, demain la flatterie t’attend ; de tous côtés l’orgueil te tend des pièges et te poursuit ; l’esclavage en silence te trompe et te flatte ; iras-tu encore permettre à un orateur de te corrompre avec art ?

772. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre III. Trois principes fondamentaux » pp. 75-80

Mais dans cette nuit sombre dont est couverte à nos yeux l’antiquité la plus reculée, apparaît une lumière qui ne peut nous égarer ; je parle de cette vérité incontestable : le monde social est certainement l’ouvrage des hommes ; d’où il résulte que l’on en peut, que l’on en doit trouver les principes dans les modifications mêmes de l’intelligence humaine. […] Si des idées uniformes chez des peuples inconnus entre eux doivent avoir un principe commun de vérité, Dieu a sans doute enseigné aux nations que partout la civilisation avait eu cette triple base, et qu’elles devaient à ces trois institutions une fidélité religieuse, de peur que le monde ne redevînt sauvage et ne se couvrît de nouvelles forêts.

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