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1391. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIII. Éloges donnés aux empereurs, depuis Auguste jusqu’à Trajan. »

Non seulement vos yeux doivent être secs, mais vous devez même laisser éclater votre joie24. » Et plus bas : « Votre frère est heureux ; en mourant, il a laissé Claude, son auguste famille, et vous-même sur la terre. » Et ailleurs : « Je ne cesserai de vous offrir l’image de Claude. […] Élevez-vous, et toutes les fois que les larmes vous viendront aux yeux, tournez vos regards sur Claude, la vue de cette puissante divinité séchera vos larmes.

1392. (1898) Impressions de théâtre. Dixième série

Ella, vieille, très malade, et qui aime tendrement Erhart, sans doute parce qu’elle a adoré son père, vient supplier Gunhild de lui rendre ce garçon, pour qu’il lui ferme les yeux. […] Œil pour œil. […] Je l’entends d’ailleurs le plus largement que je puis, et je ne règle point l’âme humaine au compas : mais enfin il est telles violations de cette vérité qui sautent à tous les yeux. […] Elles ne sont pas encore pour lui des idées actives, elles ne transforment pas à ses yeux tout l’ensemble des objets qui les lui ont suggérées. […] Le Repas du Lion est donc autre chose que la vieille histoire de grève qu’on nous a tant de fois mise sous les yeux ces années-ci.

1393. (1904) Propos littéraires. Deuxième série

On commence par admirer les grands modèles que l’on s’est mis sons les yeux. […] oui, j’aime les paysans, dirait Virgile, et je les connais de mes yeux ; mais encore je les aime surtout dans Théocrite. […] Non seulement le seul philosophe qui existe à ses yeux est le « sage » Locke ; mais comme l’a très bien indiqué M.  […] Puis, ses yeux, des yeux terribles de soldat qui va au feu, se plantèrent droit sur le neveu qui reniait l’armée. Il ne parlait pas ; mais ses yeux parlaient pour lui.

1394. (1886) Le naturalisme

Le suicide perd prestige à leurs yeux, et ils ne le demandent ni à l’excès des plaisirs désordonnés ni à aucune fiole de poison, ni à aucune arme mortelle. […] Une tournure ou une phrase saute aux yeux du lecteur, se grave dans sa rétine et transmet au cerveau la vive image que l’artiste voulut lui montrer clairement. […] Il se mettait dans les yeux l’azur du saphir, le sang du rubis, l’orient de la perle, l’eau du diamant. […] On aime mieux regarder une toile peinte seulement d’après les yeux, librement et franchement. […] Le spectacle est unique, les yeux et les intelligences sont différents.

1395. (1890) Les princes de la jeune critique pp. -299

Faut-il laisser agir en toute liberté la prévention qui crève si agréablement les yeux de l’esprit ? […] S’est-il assez moqué des notes et des chiffres apocalyptiques qui tirent l’œil au bas des pages et renvoient le lecteur à des manuscrits mystérieux ! […] Cela revient à dire qu’à ses yeux une pièce vaut surtout « par l’étude féconde des caractères et des mœurs ». […] Chacun sait de quel œil pénétrant et de quelle main légère il a fouillé ce sujet délicat et cher aux femmes. […] Aussi procède-t-il par comparaisons ou par tableaux qui parlent aux yeux.

1396. (1882) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Deuxième série pp. 1-334

Je n’imagine pas que les madrigaux de Fléchier sur les yeux d’Iris malades et sur les yeux d’Iris guéris en soient une meilleure. […] « Levez les yeux, à homme ! […] Les types de la comédie de Marivaux sont à portée de notre œil ou de notre main. […] Les autres, cependant, s’ils ont des yeux, c’est pour ne point voir, et des oreilles, c’est pour ne pas entendre. […] Qu’est-ce que le beau, par exemple, pour l’œil de l’artiste, peintre ou sculpteur ?

1397. (1929) Les livres du Temps. Deuxième série pp. 2-509

Renan fut édité en librairie peu après Sous l’œil des Barbares, en 1888. […] Paul Bourget avait très bien vu ce pathétique de Sous l’œil des Barbares. […] Depuis Sous l’œil des barbares, on n’avait pas vu de début aussi remarquable. […] faut-il que mes yeux s’emplissent d’ombre un jour ! […] Il alla trouver un vétérinaire et lui dit : « Donne-moi un remède. » Le vétérinaire lui instilla dans l’œil le collyre dont il se servait pour les yeux des animaux, et notre innocent devint aveugle.

1398. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome II

Néron, Agrippine, Burrhus, Britannicus, revivent à nos yeux ; ils parlent, ils agissent comme Tacite les fait agir et parler. […] les sanglots étouffent ma voix ; mes yeux sont offusqués de larmes. […] Comment un littérateur aussi éclairé a-t-il pu fermer les yeux sur la nécessité de ce caractère sublime, l’âme de la pièce ! […] Ce fut là, dit-on, le commencement d’une meilleure fortune pour Athalie : on ouvrit les yeux, mais lentement et insensiblement. […] Voici un échantillon de son talent pour la versification : Yeux, quand cesserez-vous ces torrens larmoyeux ?

1399. (1907) Jean-Jacques Rousseau pp. 1-357

Elle est la première femme élégante et belle, et riche (à ses yeux) qu’il ait rencontrée. […] Dans ces « yeux sans conséquence », madame du Pré de Saint-Maur reconnut les siens. […] Il a le teint brun ; et des yeux pleins de feu animent sa physionomie. […] Cette question ne servit pas à me rassurer, et mademoiselle de Breil rougit jusqu’au blanc des yeux. […] Non ; et l’œil de l’inlassable précepteur est encore dans leur alcôve.

1400. (1883) Essais sur la littérature anglaise pp. 1-364

De là les délicates nuances de la vie politique et religieuse anglaise, qui sont si difficiles à saisir pour des yeux étrangers habitués aux couleurs tranchées. […] Taine, au contraire, trouve pour chaque auteur la juste louange, et invente l’image qui peut le mieux le représenter aux yeux du lecteur. […] Les tableaux qui s’étaient déroulés sous ses yeux durant son enfance n’étaient pas faits pour lui donner le goût des armes et de la guerre. . […] Que de secrets il découvrit dans les misérables auberges d’Espagne durant les nuits sans repos où les tribus d’insectes indiscrets lui défendaient de fermer l’œil ! […] N’y avait-il pas des flots inépuisables de feu dans les bouches des ivrognes et dans les yeux des querelleurs ?

1401. (1910) Victor-Marie, comte Hugo pp. 4-265

Où est le vieux cheval aux yeux bandés qui du matin au soir tournait, tournait le manège comme pour faire monter l’eau d’un puits. […] Le commun, le mastique romantique a bouché l’œil et la nervure. […] Les écailles leur tomberont des yeux. […] Ce désordre éclate, à tous les yeux, dans Phèdre, mais il est partout, mais il était fréquent, lui-même le sentait, lui-même le savait. […] Vous êtes, c’est pour cela que désormais le même regard n’habitera plus vos yeux.

1402. (1894) Critique de combat

Nous avons levé les yeux vers ce nuage lumineux, qui flottait majestueusement dans le ciel crépusculaire et qui semblait savoir où il allait. […] Robespierre est à ses yeux un agent des princes, un exécuteur de leurs vengeances qui a pris à tâche de dégoûter la France de la liberté. […] Vous courez tout droit (c’est un goût très féminin) à ce qui ébranle les nerfs, secoue la chair d’un frisson, fait détourner la tête et les yeux ! […] Pourquoi cependant tous ces jeunes hommes s’effacent-ils à mes yeux dans une sorte de brouillard ? […] Elle est si visible, si éclatante, cette idée maîtresse, qu’il faut vraiment fermer les yeux pour ne la point apercevoir.

1403. (1921) Esquisses critiques. Première série

Non pas seulement ceux dont les femmes s’embaument, mais tous les parfums véridiques de la nature, dont il vit les paysages d’un œil perspicace autant qu’ému. […] Qui pourrait, par exemple, oublier Viviane aux yeux verts, debout sous un frêne dont mille rayons perçaient le feuillage — et tant d’autres visions encore. […] Succès d’estime, c’est la critique obligée de se compromettre aux yeux du public, en décernant des éloges auxquels il ne souscrira pas. […] Les choses prennent un nouvel aspect, et devant les yeux de l’âme surgit un monde parent de celui où les rêveries de Schumann nous introduisent. […] Ses meilleures pages rendent un son si véridique qu’il déchire : une main chirurgienne a recueilli ces larmes et ce sang, un œil de peintre a fixé ces gestes et ces décors changeants.

1404. (1932) Les idées politiques de la France

Sous l’œil (droit) de l’opinion et de la presse parisiennes, les départementaux de gauche sont maintenus dans un état de contrôle y gênant, après tout salutaire. […] Portait-elle ce bandeau sur les yeux que ses sculpteurs donnaient jadis à la Synagogue ? […] Il a les yeux ouverts sur l’espace qui entoure le point du monde où l’a placé sa naissance et sur le temps qui l’a précédé. […] Mais nos yeux à nous lui seraient peut-être plus bienveillants, si l’École Unique ne risquait d’en faire le Français unique. […] Des yeux perspicaces l’ont aperçu ailleurs à diverses occasions.

1405. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre IV. Que la critique doit être écrite avec zèle, et par des hommes de talent » pp. 136-215

Dans l’une et dans l’autre comédie, un poète immense vous montre la même figure blafarde qui passe et qui repasse incessamment, comme un grain de sable qui tomberait dans l’œil de l’âme, pour troubler la vision. […] Don Juan ne voit le fantôme du Commandeur qu’avec les yeux de la chair ; Hamlet voit le fantôme de son père avec l’œil de son esprit ! […] Chremyle est riche, il achète tout ce qui est à vendre… Survient alors l’éternelle entrave, l’éternel remords, la pauvreté, le pauvre de Don Juan, les yeux hagards et pleins de fureur ! […] J’ai sous les yeux la bouffonnerie du Point du Jour, écrite et composée sous l’invocation du Père Liber, étrange Dieu, accompagné de soixante-quatre voix, vingt-huit violes et quatorze luths ! […] — Véritable fille de l’Espagne, élégante jeunesse, visage charmant et brun, éclairé par ces deux grands yeux bienveillants et étonné ?!

1406. (1925) Dissociations

» cela n’a rien d’extraordinaire, si c’est avec ses yeux, sa queue, son attitude. […] Plus sûrement que vous il a l’œil sur votre valise et plus elle est élégante, plus elle l’intéresse. […] Celui-là était, paraît-il, un vilain bonhomme qui avait le nez rouge et l’œil féroce. […] Faites-lui un second œil et nous classons. Le sculpteur protestait de son respect pour l’histoire où Camoens perdit un œil.

1407. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Le Chevalier de Méré ou De l’honnête homme au dix-septième siècle. »

Il remarque finement que les choses qu’on ne prononce jamais et qui ne sont faites que pour être lues des yeux, comme une histoire ou quelque composition d’un genre rassis, ne doivent pas s’écrire comme l’on ferait un conte en conversation ; l’histoire est plus noble et plus sévère, la conversation est plus libre et plus négligée. […] J’avois eu tant d’attention à son discours, que j’allois le prier de continuer, quand je vis dans ses yeux une tristesse si tendre et si profonde, que je crus qu’il étoit près de s’évanouir. […] Il y avoit sept ou huit des plus belles personnes de la Cour, entre lesquelles la duchesse de Montbazon paroissoit fort parée et dans une grande beauté, de sorte qu’on n’avoit les yeux que sur elle. […] Collet a écrit un ingénieux article (dans la Revue, la Liberté de penser, 15 février 1848) ; mais la conjecture qu’il émet me paraît très-sujette à contestation, et elle reste, à mes yeux, tort douteuse. […] « Outre que cette méthode est lassante, et que jamais ce n’a été le langage d’aucune cour du monde, il me semble que tout ce qu’on dit de beau, de grand et de nécessaire, saute aux yeux quand on le dit bien. » (Seconde Conversation du chevalier de Méré avec le maréchal de Clérembaut.)

1408. (1813) Réflexions sur le suicide

Si votre œil vous égare, arrachez-le et le rejetez loin de vous. […] mon ami, souvenez-vous de ces génies méditatifs qui ont contemplé d’un œil ferme la mort même de ceux qui leur étaient chers, ils savaient d’où nous venons et où nous allons, c’en est assez.  […] Asham se mit à genoux devant moi, sa tête blanchie était inclinée en ma présence et couvrant ses yeux d’une de ses mains il me tendait de l’autre la ressource funeste qu’il m’avait préparée. […] mes yeux contempleront-ils vos traits vénérables ? […] Guilford a levé les yeux vers ma prison, puis il les a portés plus haut, je l’ai compris : il a continué sa route.

1409. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

Un ciel gris, fondant par intervalles en une neige épaisse ajoutait sa tristesse à celle des lieux, tristesse qui saisit les yeux et les cœurs dès que la naissance du jour, très tardive en cette saison, eut rendu les objets visibles. […] Maintenant que l’ennemi, épuisé, se bornait à une canonnade, il résolut de reconnaître de ses yeux l’île de Lobau, d’y choisir le meilleur emplacement pour l’armée, d’y faire en un mot toutes les dispositions de retraite. […] L’officier d’état-major César de Laville, envoyé à Masséna, le trouva assis sur des décombres, harassé de fatigue, les yeux enflammés, mais toujours plein de la même énergie. […] Car, le style, qu’est-ce autre chose que le moyen de communiquer l’objet à l’œil de l’esprit ? […] Thiers, pour tous contre quelques-uns ; le sentiment du gouvernement est à nos yeux une des formes les plus saintes, non seulement du bon sens, mais de la vertu publique.

1410. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXXXIXe entretien. Littérature germanique. Les Nibelungen »

Depuis lors les yeux de maintes jeunes dames versèrent des larmes. […] Un tournoi commence sous les yeux du roi et de Kriemhilt ! […] Mais bientôt Hagene fit plus encore: il tua l’enfant sous ses yeux. […] que d’amis chéris furent tués sous ses yeux, — et lui-même échappa, à grand’peine, à ses ennemis. […] Alors, les yeux en pleurs, le seigneur Dietrîch s’éloigna de ces glorieux héros.

1411. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Figurines »

Vous avez devant vos yeux le ciel, la terre et tous les éléments. […] Une fois, aux répétitions d’Esther, on le surprend tamponnant avec son mouchoir les yeux d’une de ses innocentes et jolies interprètes, que ses critiques avaient fait pleurer. […] Où manque ce reflet, il ferme les yeux. […] » Puis, il a écrit des histoires de fous dont on peut se demander si ce sont des fous (l’Inconnu, Les Yeux verts et les Yeux bleus), et étudié certains mystères soit de l’imagination, soit de la chair et du système nerveux (l’Exorcisée). […] Maigre, élégant, les pommettes saillantes, les yeux clairs et froids, un peu du nez de Condé, la voix forte et comme bourdonnante, toute sa personne exprime une farouche énergie.

1412. (1899) Les industriels du roman populaire, suivi de : L’état actuel du roman populaire (enquête) [articles de la Revue des Revues] pp. 1-403

Dans le livre, ce sont des traits sensationnels qui poignent le cœur et rendent les yeux humides. […] On lit dans l’égarement de ses yeux l’angoisse qui la torture. […] Les critiques ont l’œil autre part. […] Cet air minable, ce chapeau bosselé à la main, cette redingote étriquée et lustrée, cet orgueil dans les yeux et cette misère dans les habits : il n’y a pas à en douter, c’est un confrère… malheureux, et qui va le servir en l’occurrence. […] On ne s’imaginerait point, si les exemples ne parlaient sous nos yeux, vivants et flagrants, jusqu’où peut aller l’indifférence esthétique de ceux que nous appelons des fabricateurs de littérature populaire.

1413. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

Les acteurs parlent au présent et, dans sa vie vivante, c’est toujours au présent que l’œuvre se déroule sous nos yeux, suite symphonique de tableaux que la logique des péripéties et du dénouement relie avec certitude à la première scène. […] Percé de coups de couteau, il ferme ses grands yeux « sans pousser un seul cri ». […] Sa chair spirituelle a le parfum des anges Et son œil nous revêt d’un habit de clarté. […] Ferme les yeux, pauvre âme, et rentre sur le champ. […] Les mystères religieux ont soudainement acquis, aux yeux des poètes et des artistes dont je parle, un irrésistible charme ; les rites et les décors du culte les passionnent : l’artiste officie.

1414. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre II : La psychologie »

« L’œil rudimentaire qui consiste, comme celui des planaires, en un petit nombre de grains colorés placés sous le tégument, peut être considéré comme n’étant simplement qu’une partie de la surface, plus irritable à la lumière que le reste. Nous pouvons nous former une idée de l’impression, qu’il est probablement approprié à recevoir, en tournant vers la lumière nos yeux fermés, et en passant la main devant eux dans les deux sens. » Cependant cette petite spécialisation de fonction implique déjà un progrès dans la correspondance. […] L’œil saisit non-seulement la couleur, la grandeur et la forme, mais la distance dans l’espace, le mouvement, son espèce, sa direction, sa rapidité. […] Si maintenant il dirige ses yeux vers la partie la plus éloignée de la chambre, et qu’il considère dans cet espace une portion égale au précédent, il trouvera qu’il n’en a qu’une connaissance comparativement vague. […] De Quincey dit quelque part, dans ses Rêves d’un mangeur d’opium, « qu’il lui apparaît des édifices et des paysages, dont les proportions sont si vastes que l’œil du corps n’est pas apte à les recevoir.

1415. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre VI » pp. 394-434

Il s’occupa de reproduire le modèle incroyable qu’il avait sous les yeux, laissant aux lecteurs à venir, le soin de juger du mérite et de l’intérêt de la ressemblance. […] Pauvres femmes, dont nos pères se moquaient, leurs petits enfants vous ont cruellement regrettées quand ils se sont vus aux prises avec ces infantes prétentieuses, desséchées, hargneuses, un pied sur la tribune, un pied sur le Parnasse, échevelées avec art, mêlant la déclamation à l’enthousiasme, le hoquet au sourire, un œil en pleurs, un regard en gaîté, « cendre usée d’un flambeau allumé par Vénus » ! […] nous disait son regard (ses beaux yeux disaient tant de choses !) […] Elle vivait par le théâtre et pour le théâtre, et elle ne pouvait pas se consoler de n’être plus la fête de l’esprit, la fête des yeux et du cœur. […] Scribe à dater du jour où ce charmant esprit avait imaginé de couvrir d’un voile, et de charger d’un nuage, les deux beaux yeux de Valérie, afin que bientôt le voile tombant rendit une force inattendue à ce regard, perçant comme l’esprit, et tendre comme l’amour.

1416. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre V : Lois de la variabilité »

Les yeux des Taupes et de quelques Rongeurs fouisseurs restent toujours rudimentaires et quelquefois sont complétement recouverts de peau et de poil. […] S’il en est ainsi, on conçoit donc que la sélection naturelle vienne constamment en aide au défaut d’exercice pour rendre l’atrophie de l’œil de plus en plus complète. […] Chez quelques Crabes, le pédoncule oculaire demeure, quoique l’œil soit enlevé. […] Comme il est difficile d’admettre que des yeux, même inutiles, puissent être d’une façon quelconque nuisibles à des animaux qui vivent dans l’obscurité, je ne puis attribuer leur perte qu’au défaut d’exercice. […] Leurs yeux, bien que privés de la faculté visuelle, étaient cependant brillants et de grande dimension ; et lorsque ces animaux eurent été exposés pendant un mois environ à une lumière graduellement croissante, ils devinrent capables de percevoir vaguement les objets qu’on leur présentait, et commencèrent à clignoter.

1417. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Saint-Arnaud. Ses lettres publiées par sa famille, et autres lettres inédites » pp. 412-452

Nous allons chercher bien loin dans le passé des figures de capitaines à remettre en lumière et en honneur ; n’oublions pas et tâchons de fixer sous leur éclair celles qui passent et brillent à nos yeux dans le présent. […] Si j’étais seul, j’irais bien vite croupir dans un bataillon en France. » Il le croit, il se trompe ; un autre motif, celui-là manquant, surgirait sans doute ; mais celui qu’il se propose et qu’il a constamment devant les yeux est le plus sensible, le plus puissant : Ah ! […] Il avait des défauts qui sautent aux yeux dans un salon ; il tranchait, parlait à satiété de lui, réfutait ses advèrsaires sans ménagement, choquait leurs sentiments sans pitié, se vantait en tout de faire mieux que tous. […] Vous voyez, mon cher ami, qu’il faut manœuvrer, ouvrir l’œil et jouer serré. […] Pensée triste qui ne change rien à mes résolutions, à ma fermeté, à mon entrain, à ma confiance même, parce que j’ai foi dans le Dieu de la France et dans ses soldats, mais qui vous prouve que je ne me fais pas d’illusions et que j’envisage tout d’un œil calme.

1418. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LA FAYETTE » pp. 249-287

La Princesse de Montpensier, la Princesse de Clèves, la Comtesse de Tende, ne sortent pas de ces règnes, dont les vices et les crimes ont trop éclipsé peut-être à nos yeux la spirituelle culture. […] Ils rencontrent à l’improviste sur le bord de la mer des princesses infortunées, étendues et comme sans vie, qui sortent du naufrage en habits magnifiques, et qui ne rouvrent languissamment les yeux que pour leur donner de l’amour. […] Pour nous, que ces invraisemblances choquent peu, et qui aimons de la Princesse de Clèves jusqu’à sa couleur un peu passée, ce qui nous charme encore, c’est la modération des peintures qui touchent si à point, c’est cette manière partout si discrète et qui donne à rêver : quelques saules le long d’un ruisseau quand l’amant s’y promène ; pour toute description de la beauté de l’amante, ses cheveux confusément rattachés ; plus loin, des yeux UN PEU grossis par des larmes, et pour dernier trait, cette vie qui fut assez courte, impression finale elle même ménagée. […] L’austérité de la fin sent bien cette vue si longue et si prochaine de la mort, qui fait paraître les choses de cette vie de cet œil si différent 120, dont on les voit en santé. […] elle ne vous écriroit pas deux lignes en dix ans ; elle sait faire ce qui l’accommode, elle garde ses aises et son repos, et, du milieu de cette indolence, surveille très-bien de l’œil son crédit. » Gourville, avec qui Mme de La Fayette eut le tort d’en user trop longtemps sans réserve, comme on fait d’un ami sûr, a écrit d’elle quelque chose en ce sens, et plus malicieux. — Lassay, dans les espèces de Mémoires qu’il a fait imprimer, intente aussi toute une accusation contre Mme de La Fayette, en tant qu’intéressée et sachant prendre ses avantages : mais, pour se prononcer, il faudrait avoir pu entendre les deux sons.

1419. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre troisième. La connaissance de l’esprit — Chapitre premier. La connaissance de l’esprit » pp. 199-245

Il s’allonge à nos yeux avec certitude, comme un fil continu, en arrière, à travers vingt, trente, quarante années, jusqu’aux plus éloignés de nos souvenirs, au-delà encore, jusqu’au début de notre vie, et il s’allonge aussi en avant, par conjecture, dans d’autres lointains indéterminés et obscurs. […] C’est pourquoi, comparé à nos événements passagers, ce moi prend à nos yeux une importance souveraine. — Il nous faut chercher quelle idée nous en avons, de quels éléments cette idée se compose, comment elle se forme en nous, pourquoi elle est évoquée par chacun de nos événements, quelle chose lui correspond, et par quel ajustement cette correspondance de la chose et de l’idée s’établit. […] Ils se forment un roman conforme à leur passion dominante, et ce roman inséré dans leur vie finit par composer à leurs yeux tout leur passé. — Une femme que j’ai vue à la Salpêtrière racontait, avec une précision et une conviction parfaites, une histoire d’après laquelle elle était noble et riche. […] Tantôt l’énergie des associations normales est moindre, comme dans le sommeil et l’hypnotisme ; l’attache qui joint mon nom au mot je est affaiblie ; partant, une suggestion insistante peut substituer à mon nom celui d’un autre ; désormais celui-ci, avec toute la série des événements dont il est l’équivalent, est évoqué en moi sitôt que le mot je revient mentalement, et désormais, à mes yeux, je suis cette autre personne, Richard Cobden ou le prince Albert. — Tantôt l’énergie des associations normales est vaincue par une force plus grande. […] En d’autres termes, si nous les explorons, ils provoquent en nous des sensations de contact, de résistance, de température, de couleur, de forme et de grandeur tactile et visuelle, à peu près analogues à celles que nous éprouvons lorsque par l’œil et la main nous prenons connaissance de notre propre corps.

1420. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (2e partie) » pp. 177-248

Ces pages sont des chapitres du livre du Prince ; elles enseignent aux fondateurs de dynasties nouvelles comment, pour caresser les habitudes d’esprit d’un peuple, ces princes doivent, sous le masque d’une religion qu’ils ne professent pas eux-mêmes de cœur, se jouer de la religion véritable, inséparable de sincérité et de foi, en rendant au peuple une religion d’État avec ses privilèges et ses appareils exclusifs comme un spectacle pour les yeux au lieu d’un aliment de l’âme. […] À cela il faut ajouter encore que, nourri dans un pays inculte et religieux, sous les yeux d’une mère pieuse, la vue du vieil autel catholique éveillait chez lui les souvenirs de l’enfance, toujours si puissants sur une imagination sensible et grande. […] Le véritable homme d’État de l’Angleterre, aux yeux du premier Consul, c’était M.  […] Ne fût-ce qu’aux yeux du préjugé, il allait être au-dessous d’eux en quelque chose. […] Lisez ceci : « Dès quatre heures du matin Napoléon avait quitté sa tente pour juger par ses propres yeux si les Russes commettaient la faute à laquelle il les avait si adroitement encouragés.

1421. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIVe entretien. Cicéron (3e partie) » pp. 257-336

« Que verrait-il dans tout ce qui fait le partage des humains, qu’y verrait-il de grand, lorsqu’il se met l’éternité devant les yeux, et qu’il conçoit l’immensité de l’univers ? […] « Dès qu’il me vit, le vieux roi vint m’embrasser en pleurant, puis il leva les yeux au ciel et s’écria : Je te rends grâce, soleil, roi de la nature, et vous tous, dieux immortels, de ce qu’il me soit donné, avant de quitter cette vie, de voir dans mon royaume et à mon foyer P.  […] Des étoiles que l’on n’aperçoit point d’ici-bas parurent à mes regards, et la grandeur des corps célestes se dévoila à mes yeux. […] Mais, si la terre te semble petite, comme elle l’est en effet, relève tes yeux vers ces régions célestes, méprise toutes les choses humaines. […] Érasme, seul, a dit le vrai mot : « Quand je lis cet homme, je sens en moi la divinité dans l’homme. » Je dis comme Érasme, et je vous conseille de lire et de relire Cicéron quand vous serez tenté de mépriser l’homme : il le grandit jusqu’à le diviniser à nos yeux.

1422. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre I : Variations des espèces à l’état domestique »

Quelques exemples de corrélation semblent purement capricieux : ainsi les Chats blancs avec des yeux bleus sont invariablement sourds. […] Si la méthode de sélection consistait seulement à séparer quelque variété bien distincte pour la faire se reproduire, le principe serait d’une telle évidence qu’il ne vaudrait pas la peine de le discuter ; mais son importance consiste surtout dans le grand effet produit par l’accumulation dans une direction déterminée, et pendant un grand nombre de générations successives, de différences absolument inappréciables pour des yeux non exercés, différences que j’ai moi-même tenté en vain d’apercevoir. […] De très petites différences frappent tout d’abord un œil exercé, et il est de la nature de l’homme d’évaluer très haut toute nouveauté qu’il a en sa possession, si insignifiante qu’elle soit. […] Mais il est probable que la condition la plus importante c’est que l’animal ou la plante soit d’une assez grande utilité à l’homme, ou d’une assez grande valeur d’agrément à ses yeux, pour qu’il accorde l’attention la plus sérieuse, même aux légères déviations de structure de chaque individu. […] Les Chats, au contraire, ne peuvent être aisément assortis, vu leurs habitudes de vagabondage nocturne ; et quoique d’une grande valeur aux yeux des femmes et des enfants, nous voyons rarement une race distincte se perpétuer parmi eux : de telles races, lorsqu’on les rencontre, sont presque toujours importées de quelque autre contrée.

1423. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre I. Le quatorzième siècle (1328-1420) »

Plus on va, plus la décomposition s’avance et s’étale aux yeux les moins clairvoyants ; la façade, qui longtemps se maintient, ne cache plus l’effondrement interne ; mais plus aussi l’avenir mêle ses lueurs aux reflets du passé : et cependant rien ne se fonde, et le xve  siècle se clôt, en laissant l’impression d’un monde qui finit, d’un avortement irrémédiable et désastreux95. […] De la cet incurable optimisme, cette belle humeur interne chez l’historien de tant de hontes, de crimes et de douleurs : jamais homme n’a été plus satisfait de la fête offerte à ses yeux par ce pauvre monde. […] Tout ce qui est vie physique et sensation, apparences et mouvement des choses et des hommes, joie des yeux, caresse des sens, trouve en lui un peintre sans rival. […] Il n’est pas seulement pittoresque, il est dramatique : il a le don de nous intéresser aux actions, toute tendresse et sympathie mises à part, par cette anxiété et suspension d’attente que nous cause toujours la vue d’une action qui se fait sous nos yeux. […] Sous les yeux et à l’insu de Froissart, derrière le rideau où il prenait tant île plaisir à considérer le magnifique néant de la chevalerie, les petites gens faisaient de bonne besogne, et pour la littérature comme pour la politique, d’utiles essais, d’importants commencements se produisaient.

1424. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre cinquième »

Ses devanciers travaillaient à la lumière du soleil, cette joie des yeux, comme l’appelle Bossuet ; lui, il ferme ses fenêtres en plein jour et travaille aux bougies ; puis, sortant de cette retraite, dans son jardin, l’habit bas, il marche à pas inégaux, déclamant ses vers à voix haute, au grand effroi de son jardinier. […] Il crut que plus de rapidité dans l’action produirait des effets nouveaux, que plus de spectacle ajouterait à la vraisemblance, que le plaisir des yeux rendrait plus vif le plaisir de l’esprit. […] Comment amuser les yeux sans distraire les esprits ? […] Le poète n’a plus d’intermédiaires entre nous et lui, ni d’enchanteurs pour nous corrompre, ni le débit et le geste d’un Lekain pour donner de l’accent et du corps à des pensées faibles ou vagues, ni les yeux et la voix d’une Clairon ou d’une Lecouvreur pour prêter de la tendresse à des développements de rhétorique. […] Toutes les qualités prenaient cette forme à ses yeux, même la douceur dans un caractère de femme.

1425. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre V. Le Séminaire Saint-Sulpice (1882) »

Il avait la taille d’un enfant et l’apparence la plus chétive, mais des yeux et un front indiquant la compréhension la plus vaste. […] L’œil complètement achromatique est seul fait pour apercevoir la vérité dans l’ordre philosophique, politique et moral. […] Pendant des heures, je lus à côté d’elle, sans lever les yeux, Le livre était bien inoffensif : c’étaient les Recherches Philosophiques de M. de Bonald. […] L’Écriture, à ses yeux, n’était utile que pour fournir aux prédicateurs des passages éloquents ; or l’hébreu ne sert de rien pour cela. […] J’ai là sous mes yeux un petit billet de sa main : « Avez-vous besoin de quelque argent ?

1426. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre IV. Shakespeare l’ancien »

Tout pour les yeux, rien pour la pensée. […] Il est vrai qu’un des généraux était Cimon : circonstance atténuante aux yeux des uns, car Cimon a battu les Phéniciens, aggravante aux yeux des autres, car c’est ce Cimon qui, afin de sortir de la prison pour dettes, a vendu sa sœur Elphinie et, par-dessus le marché, sa femme, à Callias. […] Ce répertoire de la connaissance humaine, formé sous les yeux d’Euclide, et par les soins de Callimaque, de Diodore Cronos, de Théodore l’Athée, de Philétas, d’Apollonius, d’Aratus, du prêtre égyptien Manéthon, de Lycophron et de Théocrite, eut pour premier bibliothécaire, selon les uns Zénodote d’Éphèse, selon les autres Démétrius de Phalère, à qui Athènes avait élevé trois cent soixante statues, qu’elle mit un an à construire et un jour à détruire. […] Il avait une ville gorgonienne, Cysthène, qu’il mettait en Asie, ainsi qu’un fleuve Pluton, roulant de l’or, et défendu par des hommes à un seul œil, les arimaspes.

1427. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

Vous êtes ceux-là mêmes qui, dès demain, aurez pour office et ministère spécial de veiller à la tradition, à la transmission des belles-lettres classiques et humaines, de les interpréter continuellement à chaque génération nouvelle de la jeunesse ; je me vois chargé, pour ma part, — avec une bienveillance qui m’honore et dont je rends grâce à qui de droit, — sous les yeux d’un directeur ami70, — à côté de tant d’excellents maîtres dont on voudrait avoir été, ou dont on aimerait à devenir le disciple, — je me vois, dis-je, chargé de vous préparer à ces dignes et sérieuses fonctions. […] Cependant il ne peut pas entièrement échapper à la connaissance des choses nouvelles, des arrivées et des approches pompeusement annoncées, des voiles qu’on signale de temps en temps à l’horizon comme des armadas invincibles : il faut qu’il les connaisse (au moins les principales), qu’il ait son avis ; en un mot, qu’il ait l’œil au prochain rivage et qu’il ne s’endorme pas. […] Il s’y remue sans cesse quelque chose à vue d’œil ; il s’y perce, comme dans nos vieilles villes, de longues et nouvelles perspectives qui changent les aspects les plus connus. […] Voilà les avantages, voilà le bien ; mais les inconvénients aussi de ces nouveaux procédés, à une époque où il y a trop peu de haute critique surveillante et judicieuse, n’ont pas tardé à se produire, et, si je ne m’abuse, ils nous crèvent de toutes parts les yeux.

1428. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure  »

Mais c’est Bayle surtout, c’est son admiration, sa prédilection pour ce libre et vaste esprit qui constitue, à proprement parler, l’originalité de Mathieu Marais à nos yeux, et qui lui fait son rôle dans l’histoire littéraire. […] Bruguière (c’était son nom) est bien négligent, bien lent, bien froid pour la mémoire de son oncle ; il a des éclipsés et des absences qu’il passe on ne sait où, en retraite ou ailleurs ; le congréganiste revient de là en assez piteux état, les yeux malades, et comme un homme « qui n’a pas gagné ce mal d’œil à lire les ouvrages de son oncle. » Il faut lui arracher les papiers un à un et le stimuler sans cesse. […] Étendons et appliquons à tout l’ordre littéraire ce qui est presque de nécessité pour un orateur public ; traitons, en un mot, les lecteurs, quoiqu’ils ne soient pas tous présents sous nos yeux, comme des auditeurs, et n’allons point, sans de fortes raisons, faire offense à leurs sympathies.

1429. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

Aussi, quand l’Avenir parut après Juillet, beaucoup d’honnêtes gens s’étonnèrent, comme d’une volte-face, de ce qui n’était que la conséquence naturelle d’une doctrine déjà manifeste, une évolution conforme aux circonstances nouvelles qu’avait dès longtemps prévues l’œil du génie.  […] Quant à ce qui touche le genre d’émotions auquel dut échapper difficilement une âme si ardente, et ceux qui la connaissent peuvent ajouter si tendre, je dirai seulement que, sous le voile épais de pudeur et de silence qui recouvre aux yeux même de ses plus proches ces années ensevelies, on entreverrait de loin, en le voulant bien, de grandes douleurs, comme quelque chose d’unique et de profond, puis un malheur décisif, qui du même coup brisa cette âme et la rejeta dans la vive pratique chrétienne d’où elle n’est plus sortie. […] « Il y en avait aussi qui semblaient, dans un recueillement profond, écouter une parole secrète, et puis, l’œil fixé sur le couchant, tout à coup ils chantaient une aurore invisible et un jour qui ne finit jamais. […] « Ceux qui les virent ont raconté qu’une grande tristesse était dans leur cœur ; l’angoisse soulevait leur poitrine, et comme fatigués du travail de vivre, levant les yeux au ciel, ils pleuraient.

1430. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE BALZAC (La Recherche de l’Absolu.) » pp. 327-357

A ces reproches plus ou moins fondés, à ces dégoûts ou à ces dédains, trop souvent justifiables, M. de Balzac n’a répondu que par une confiance croissante en son imagination et une exubérance d’œuvres dont quelques-unes ont trouvé grâce aux yeux de tous, et ont mérité de triompher. […] La phrase suivante fait tache à mes yeux dans la première lettre de Louis Lambert à Mlle de Villenoix : « J’ai dû comprimer bien des pensées pour vous aimer malgré votre fortune, et pour vous écrire en redoutant ce mépris si souvent exprimé par une femme pour un amour dont elle écoute l’aveu comme une flatterie de plus parmi toutes celles qu’elle reçoit ou qu’elle pense. […] Mais le plus touchant et le plus inimitable endroit est celui où il raconte sa découverte, et les sensations inouïes qui l’agitèrent sitôt que le mercure brilla fixé en or sous ses yeux : « Que ma joie fut vive et grande ! […] Il ne se passait pas quelques heures sans que j’ôtasse mon chapeau, et, levant les yeux au Ciel, je le remerciais de m’avoir accordé un pareil bienfait, et je versais d’abondantes pleurs 110.

1431. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires sur la mort de Louis XV »

Il voyait avec les mêmes yeux les douleurs dont le roi se plaignait, et en rabattait dans son esprit les trois quarts, toujours par le même calcul. […] Je n’oublierai jamais que Lemonnier lui ayant dit qu’il était nécessaire qu’il fît voir sa langue, et le lit n’étant ouvert que de façon à laisser approcher à la fois l’un deux, il la tira d’un pied appuyant ses deux mains sur ses yeux, que la lumière incommodait, et la laissa tirée plus de six minutes, ne la retirant que pour dire après l’examen de Lemonnier : « À vous, Lassonne » ; et puis : « À vous, Bordeu » ; et puis : « À vous, Lorry », etc. ; et puis, et puis, enfin jusqu’à ce qu’il eût appelé l’un après l’autre tous ses docteurs, qui témoignaient chacun à leur manière la satisfaction qu’ils avaient de la beauté et de la couleur de ce précieux et royal morceau. […] On avait toujours dit, et avec assez de raison, que je le servais fort à ma commodité, et on avait voulu me faire de cette légèreté un grand démérite à ses yeux ; mais son apathie, qui lui rendait tout indifférent, l’avait empêché de s’en choquer, et j’avais usé plus que personne de cette facilité que l’on admirait en lui pour les gens qui l’approchaient, et qui n’était que l’effet de la plus complète indifférence. […] Il ne parlait pas, et avait les yeux fixes et hagards.

1432. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

Avant d’aller plus loin l’on demanderait, peut-être, une définition du bonheur ; le bonheur, tel qu’on le souhaite, est la réunion de tous les contraires, c’est pour les individus, l’espoir sans la crainte, l’activité sans l’inquiétude, la gloire sans la calomnie, l’amour sans l’inconstance, l’imagination qui embellirait à nos yeux ce qu’on possède, et flétrirait le souvenir de ce qu’on aurait perdu ; enfin, l’inverse de la nature morale, le bien de tous les états, de tous les talents, de tous les plaisirs, séparé du mal qui les accompagne ; le bonheur des nations serait aussi de concilier ensemble la liberté des républiques et le calme des monarchies, l’émulation des talents et le silence des factions, l’esprit militaire au-dehors et le respect des lois au-dedans : le bonheur, tel que l’homme le conçoit, c’est ce qui est impossible en tout genre ; et le bonheur, tel qu’on peut l’obtenir, le bonheur sur lequel la réflexion et la volonté de l’homme peuvent agir, ne s’acquiert que par l’étude de tous les moyens les plus sûrs pour éviter les grandes peines. […] Tel individu qui vous déchire, n’est pas digne que vous regrettiez son suffrage, mais vous souffrez de tous les détails d’une grande peine, dont l’histoire se déroule à vos yeux ; et déjà certain de ne point éviter son pénible terme, vous éprouvez cependant la douleur de chaque pas. […] Si l’âme doit être considérée seulement comme une impulsion, cette impulsion est plus vive quand la passion l’excite ; s’il faut aux hommes sans passions, l’intérêt d’un grand spectacle, s’ils veulent que les gladiateurs s’entredétruisent à leurs yeux, tandis qu’ils ne seront que les témoins de ces affreux combats, sans doute il faut enflammer de toutes les manières ces êtres infortunés, dont les sentiments impétueux animent, ou renversent le théâtre du monde ; mais quel bien en résultera-t-il pour eux, quel bonheur général peut-on obtenir par ces encouragements donnés aux passions de l’âme ? […] j’ai tant éprouvé ce que c’était que souffrir, qu’un attendrissement inexprimable, une inquiétude douloureuse s’emparent de moi, à la pensée des malheurs de tous et de chacun ; des chagrins inévitables et des tourments de l’imagination, des revers de l’homme juste, et même aussi des remords du coupable, des blessures du cœur les plus touchantes de toutes, et des regrets dont on rougit sans les éprouver moins ; enfin, de tout ce qui fait verser des larmes, ces larmes que les anciens recueillaient dans une urne consacrée, tant la douleur de l’homme était auguste à leurs yeux.

1433. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

Mais on en conclurait à tort que le public verra juste ; car il reste encore à examiner l’état de ses yeux, s’il est presbyte ou myope, si, par habitude ou par nature, sa rétine n’est pas impropre à sentir certaines couleurs. Pareillement il nous reste à considérer les Français du dix-huitième siècle, la structure de leur œil intérieur, je veux dire la forme fixe d’intelligence qu’ils emportent avec eux, sans le savoir et sans le vouloir, sur leur nouvelle tour. […] Regardez dans Homère, puis dans Fénelon, l’île de Calypso : l’île rocheuse, sauvage, où nichent les mouettes et les autres oiseaux de mer aux longues ailes », devient dans la belle prose française un parc quelconque arrangé « pour le plaisir des yeux ». […] Parcourez les harangues de tribune et le club, les rapports, les motifs de loi, les pamphlets, tant d’écrits inspirés par des événements présents et poignants ; nulle idée de la créature humaine telle qu’on l’a sous les yeux, dans les champs et dans la rue ; on se la figure toujours comme un automate simple, dont le mécanisme est connu.

1434. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. Le théâtre romantique »

Les Burgraves sont « le symbole palpitant et complet de l’expiation » ; ils posent devant les yeux de tous une « abstraction philosophique », la « grande échelle morale de la dégradation des races ». […] Aux moyens de tragédie s’ajoutent tous les trucs du mélodrame : portes secrètes, caveaux, poisons, les six cercueils de Lucrèce Borgia, tout un matériel d’effets pathétiques pour les nerfs et pour les yeux. […] Hugo nous a donné avec puissance la vision poétique du passé : en dépit des extravagances de l’action, Ruy Blas évoque devant nos yeux l’effondrement de la monarchie espagnole, l’épuisement de la dynastie autrichienne à la fin du xviie  siècle ; et les Burgraves ressuscitent dans notre imagination l’effrayante, la confuse grandeur de l’Allemagne féodale. […] Le métier, la technique sont tout à ses yeux ; et il y est maître.

1435. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Francisque Sarcey »

Les autres imitations de la vie, telles que l’épopée ou le roman, ne nous la mettent pas directement sous les yeux, mais l’évoquent seulement par la narration : c’est nous, en somme, qui nous composons à nous-mêmes les scènes que la narration nous suggère. […] Et, d’autre part, il faut qu’elle ait l’air de la reproduire plus exactement, parce que la représentation qu’elle en donne est directe et s’adresse sans intermédiaire aux yeux et aux oreilles. […] Il faut donc alors que le public accepte le point de départ les yeux fermés, mais à une condition : c’est que le poète les lui fermera, s’arrangera de manière à détourner son attention de ces invraisemblances. […] C’est peut-être, après tout, qu’ils n’aiment pas le théâtre ; et j’en ai rencontré en effet qui disaient franchement que le théâtre est un art inférieur parce qu’il est soumis à des conventions plus étroites et plus nombreuses que les autres arts, parce qu’il est forcé de s’adresser à la foule, parce que l’intérêt d’une pièce « bien faite » est un intérêt de curiosité un peu vulgaire, et parce que, d’autre part, l’œuvre dramatique tend à produire une illusion aussi complète que possible : en sorte que l’art dramatique est à la fois le seul de tous les arts qui ait la prétention de nous mettre la réalité même sous les yeux, et celui à qui sa forme impose les plus graves altérations de cette réalité.

1436. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre douzième »

Buffon peint d’idée tout ce qu’il voit, et il ne voit rien qu’avec les yeux de l’esprit. […] Entre l’écrivain qui les voit par l’esprit, sous la forme de types, et celui qui, l’œil fixé sur l’objet, en suit servilement les contours comme la lumière indifférente dans l’appareil photographique, il y a le peintre. […] Ni les ardeurs combattues de Didon, ni les langueurs d’Épicharis n’ôtent du prix à la peinture de Virginie perdant la sérénité et le sourire, gaie tout à coup sans joie et triste sans chagrin, n’osant plus arrêter ses yeux sur ceux de Paul, se dérobant à ses caresses qu’autrefois elle cherchait, s’éloignant de la maison, fuyant dans la solitude pour éviter Paul et ne s’y trouvant que plus en sa présence ; puis revenant auprès de sa mère, « pour lui demander un abri contre elle-même », et se dérober dans son sein à l’image aimée dont elle n’ose plus parler. […] Chaque fois que je l’ai lu, aux mêmes pages, aux mêmes paroles, mes yeux se sont mouillés de larmes.

1437. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre II : La Psychologie. »

Par l’association, nos sensations de toucher sont devenues représentatives des sensations de résistance, avec lesquelles elles coexistent habituellement ; comme les diverses nuances de couleurs et les sensations musculaires, qui accompagnent les divers mouvements de l’œil, deviennent représentatifs des sensations de toucher et de locomotion. […] Si on éprouve de la difficulté à le croire, c’est que l’œil contribuant à produire notre notion actuelle de l’étendue, en altère beaucoup le caractère, et nous empêche de reconnaître que la notion d’étendue a été successive à l’origine. […] Comme exemple de combinaison mentale, on peut citer la couleur blanche résultant de la succession rapide des sept couleurs du prisme devant notre œil. […] Ce n’est pas qu’à nos yeux la barrière semble infranchissable ; elle est même un peu conventionnelle, vu que la logique rentre dans la psychologie, comme la partie dans le tout.

1438. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de Pompadour. Mémoires de Mme Du Hausset, sa femme de chambre. (Collection Didot.) » pp. 486-511

 » — Les larmes lui vinrent aux yeux en disant ces paroles, ajoute l’honnête femme de chambre. […] L’œil est partout satisfait et caressé ; c’est de la mélodie plutôt encore que de l’harmonie. […] » Elle envisagea la mort d’un œil ferme, et, comme le curé de la Madeleine était venu la visiter à Versailles et s’en retournait : « Attendez un moment, monsieur le curé, lui dit-elle, nous nous en irons ensemble. » Mme de Pompadour peut être considérée comme la dernière en date des maîtresses de roi, dignes de ce nom : après elle, il serait impossible de descendre et d’entrer décemment dans l’histoire de la Du Barry. […] La race des maîtresses de roi peut donc être dite sinon finie, du moins très interrompue, et Mme de Pompadour reste à nos yeux la dernière en vue dans notre histoire et la plus brillante42.

1439. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « André Chénier, homme politique. » pp. 144-169

Ce n’est pas qu’il ne l’eût jugé au moral et littérairement : Pour moi, dit-il, ouvrant les yeux autour de moi au sortir de l’enfance, je vis que l’argent et l’intrigue sont presque la seule voie pour aller à tout ; je résolus donc dès lors, sans examiner si les circonstances me le permettaient, de vivre toujours loin de toute affaire, avec mes amis, dans la retraite et dans la plus entière liberté. […] Il se fait leur dénonciateur déclaré et commence contre eux sa guerre à mort : Comme la plupart des hommes, dit-il, ont des passions fortes et un jugement faible, dans ce moment tumultueux, toutes les passions étant en mouvement, ils veulent tous agir et ne savent point ce qu’il faut faire, ce qui les met bientôt à la merci des scélérats habiles : alors, l’homme sage les suit des yeux ; il regarde où ils tendent ; il observe leurs démarches et leurs préceptes ; il finit peut-être par démêler quels intérêts les animent, et il les déclare ennemis publics, s’il est vrai qu’ils prêchent une doctrine propre à égarer, reculer, détériorer l’esprit public. […] C’est l’armée dont il faut voiler les yeux pour qu’elle ne voie point quel prix obtiennent l’indiscipline et la révolte. […] Mais, tout à coup, devant les yeux lui repasse l’image des horreurs publiques, et alors le sentiment vertueux et stoïque revient dominer le sentiment poétique et tendre.

1440. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Études sur Saint-Just, par M. Édouard Fleury. (2 vol. — Didier, 1851.) » pp. 334-358

Elle n’était pas impossible à ses yeux, moyennant des institutions draconiennes, soutenues pendant longtemps de la guillotine en permanence : il se réservait tout un lointain de clémence et d’âge d’or dans le fond. […] Saint-Just n’en désespère pas ; l’échafaud de Louis XVI est le premier moyen : La République, dit-il, ne se concilie point avec des faiblesses : faisons tout pour que la haine des rois passe dans le sang du peuple ; tous les yeux se tourneront alors vers la patrie. […] Tout dissident lui paraissait à l’instant, et du même coup, méprisable, haïssable et criminel : c’était à ses yeux un homme à supprimer, un homme ou une classe d’hommes, le chiffre ne l’arrêtait pas ; et le tout, disait-il, en vue d’assurer le plus grand bien futur. […] Quand on avait causé avec la respectable Mme Lebas, on était tenté de croire que l’homme dont elle ne parlait que les larmes aux yeux et avec cet accent attendri, avait été, en effet, moins un bourreau qu’une victime ; et ainsi de l’ami Saint-Just, de l’ami Maximilien.

1441. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1879 » pp. 55-96

» — et cela était modulé avec l’annotation indéfinissable de l’œil dudit directeur. […] Assise seule à l’écart, en le clair-obscur d’un boudoir, elle exhibe aux yeux des visiteuses dans un état intéressant, la toilette appropriée avec le plus de génie à la déformation de l’enfantement. […] Il disait qu’aujourd’hui encore, il avait dans son cabinet un portrait d’elle, au-dessus d’un divan, et que lorsqu’il rentrait fatigué du palais, il faisait une sieste sur ce divan, s’endormant les yeux sur l’image de l’assassine. […] et je n’y comprends rien, mais c’était comme ça… Il y a un moment dans le galop, où le pied gauche ne laissait plus de trace, ne laissait que cette petite marque presque invisible. » Et voilà l’original garçon, qui se met à parler du galop du cheval, avec une grande science, des aperçus nouveaux, des divagations amusantes, tout en me faisant passer sous les yeux des croquetons, où il s’est essayé à saisir la réalité du galop : « C’est le diable, vois-tu, cette jambe est vraie, et elle paraît bête, c’est juste et ça semble faux.

1442. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vi »

Et maintenant, bon pied, bon œil contre les barbares. […] Si tu les avais vus pendant l’attaque de l’autre jour, c’étaient d’autres hommes ; on voyait dans leurs yeux de la joie et presque de l’enthousiasme, et je t’assure qu’ils ne songeaient plus alors à se plaindre de la longueur de la guerre, mais que tous se laissaient prendre à l’intérêt passionné de la grande partie qui se joue.‌ […] « Une mâchoire serrée, des yeux où rayonne une flamme claire, un orgueil prompt à s’offenser », ainsi le décrit Paul Desjardins, qui l’a beaucoup connu et aimé. […] Celle-ci, à ses yeux, était un instrument dangereux de déclassement et de déracinement16.‌

1443. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre I. La conscience et la vie »

Quand j’ouvre les yeux pour les refermer aussitôt, la sensation de lumière que j’éprouve, et qui tient dans un de mes moments, est la condensation d’une histoire extraordinairement longue qui se déroule dans le monde extérieur. […] L’évolution de la vie, depuis ses origines jusqu’à l’homme, évoque à nos yeux l’image d’un courant de conscience qui s’engagerait dans la matière comme pour s’y frayer un passage souterrain, ferait des tentatives à droite et à gauche, pousserait plus ou moins avant, viendrait la plupart du temps se briser contre le roc, et pour tant, dans une direction au moins, réussirait à percer et reparaîtrait à la lumière. […] Ils ont beau être au point culminant de l’évolution, ils sont le plus près des origines et rendent sensible à nos yeux l’impulsion qui vient du fond. […] Seules, les sociétés humaines tiennent fixés devant leurs yeux les deux buts à atteindre.

1444. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XI. »

Quant à la grandeur passive du Prométhée enchaîné, quant à la fiction qui forme l’intérêt de ce drame immobile, nous n’avons rien à conjecturer : « l’œuvre originale est sous nos yeux ; et il nous est donné de sentir, dans cette œuvre extraordinaire, à la fois l’enthousiasme de l’hiérophante et la raison élevée du philosophe. […] Mars a détourné de nos yeux le fléau cruel. […] Ici encore, ce que je n’entends pas nommer sur le sol d’Asie, ni dans l’île dorienne de Pélops, ce qui n’est pas semé d’une main morte telle, ce germe né de lui-même, qui fait peur aux épées, et qui fleurit surtout dans cette terre, ici croît la feuille de l’olivier, nourrice de la jeunesse, cette feuille que ni jeune ni vieux général ne déracinera de sa main : car toujours la regarde l’œil de Jupiter, maître du destin, et la prunelle de Minerve. […] Quelle poésie légère, insaisissable, dans ce chœur des Nuées : « Nuées éternelles133, élevons-nous, dans notre mobile et vaporeuse essence, du sein paternel de l’Océan tumultueux, sur les cimes ombragées des hautes montagnes, d’où nous voyons au-dessous de nous de lointaines perspectives, et la terre sacrée fertile en moissons, et les frémissements des fleuves divins, et la mer bruyante ; car l’œil infatigable de l’éther brille d’une éclatante lumière ; et, quand nous avons écarté l’ombre épaisse des pluies, nous donnons à nos regards qui percent au loin, pour vision éternelle, la terre….

1445. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — II. (Fin.) » pp. 364-380

Les Scapin, les Crispin, les Mascarille, sont assez ordinairement des gens de sac et de corde : chez Marivaux, les valets sont plus décents ; ils se rapprochent davantage de leurs maîtres ; ils en peuvent jouer au besoin le rôle sans trop d’invraisemblance ; ils ont des airs de petits-maîtres et des manières de porter l’habit sans que l’inconvenance saute aux yeux. […] Marivaux était arrivé, on peut le dire, à l’entière et complète perfection de son talent ; il l’avait varié en bien des genres ; il avait fait de son fruit fin et musqué les cadeaux de dessert les plus excellents ; mais tout ce qu’il avait à donner de bon, il l’avait produit et à plusieurs reprises ; les variétés, les distinctions qu’il pouvait y faire encore, n’étaient plus sensibles que pour lui seul : aux yeux des autres, il se répétait. […] Le xixe  siècle a été particulièrement favorable à Marivaux ; le gracieux interprète qu’il a retrouvé sur la scène, cette actrice inimitable qui a débuté par ses rôles malins et ingénus, leur a rendu à nos yeux toute leur jeunesse.

1446. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal du marquis de Dangeau — I » pp. 1-17

Quels que soient d’ailleurs les points de supériorité de Saint-Simon sur Dangeau, et qui sautent aux yeux, il en est sur lesquels il a aussi ses ridicules et ses travers. […] Il m’écrit quatre mots fort galants : il y a longtemps que je n’avais ouï parler de la beauté de mes yeux… Dangeau, qui touchait à quatre-vingts ans, trouvait encore à faire son compliment galant à une autre octogénaire ; c’est bien de l’homme. […] Pour mon compte, sans être un M. de Saint-Germain, c’est l’illusion que je me fais quelquefois, quand les yeux fermés je rouvre les scènes et les perspectives de ma mémoire : car enfin ce temps qui a précédé notre naissance, ce xviiie  siècle tout entier, nous le savons, avec un peu de bonne volonté et de lecture, tout autant que si nous y avions assisté en personne et réellement vécu : Mme d’Épinay, Marmontel, Duclos, tant d’autres nous y ont introduits ; nous pourrions entrer à toute heure dans un salon quelconque et n’y être pas trop dépaysés ; et même, après quelques instants de silence pour nous mettre au fait de l’entretien, nous pourrions risquer notre mot sans nous trahir et sans être regardés en étrangers.

1447. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La Divine Comédie de Dante. traduite par M. Mesnard, premier vice-président du Sénat et président à la Cour de cassation. » pp. 198-214

Ozanam, doué d’enthousiasme, et les yeux dirigés vers un soleil qui l’éclairait plus vivement sur quelques points, et qui l’éblouissait peut-être sur quelques autres, a porté l’admiration plus loin qu’il n’est donné à de moins ardents de la concevoir et de la soutenir pour ces formes si compliquées de l’esprit humain au Moyen Âge : il a du moins rassemblé tout ce qui peut aider à faire mieux comprendre le monument poétique dans l’explication duquel il a gravé son nom. […] Toutes les fois qu’il s’engagea dans des actes par lesquels il semblait y déroger, il lui arrivait bientôt de s’en repentir, d’en rougir à ses propres yeux dans le secret, et de désirer expier sa faute et la réparer. […] De sorte que si Dante avait écrit lui-même le commentaire de son grand poème, comme il l’a fait pour d’autres de ses poèmes moindres, il aurait pu soutenir doublement qu’en effet Béatrix était bien la Béatrix qu’il avait aimée, la fille de Folco de’ Portinari de Florence, et qu’elle n’en était pas moins aussi, en définitive, la Théologie sublime, revêtue de rayons, et dirigeant l’œil humain, qui la considère et qui l’étudie, vers les plus hautes vérités.

1448. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Eugénie de Guérin, Reliquiae, publié par Jules Barbey d’Aurevilly et G.-S. Trébutien, Caen, imprimerie de Hardel, 1855, 1 vol. in-18, imprimé à petit nombre ; ne se vend pas. » pp. 331-247

Une touchante et haute préoccupation anime à nos yeux cette sœur admirable, cette pure et sainte vestale qui s’agenouille sur un tombeau. […] je l’ai là sous les yeux, sous la main, au cœur, partout. […] Tout cela je l’aime, je m’en savoure l’œil, je m’en pénètre jusqu’au cœur, qui tourne aux larmes.

1449. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — III » pp. 476-491

Un homme tel que lui, si vil par gloriole, est un spectacle pour des yeux observateurs. […] Voltaire, dont notre Révolution eût fait le désespoir (car jamais esprit ne fut à la fois plus aristocratique et plus libéral), excitait ses disciples de Cour à mêler aux discussions littéraires l’examen de l’état social de leur époque ; ce puissant intérêt, tout nouveau pour des esprits légers, les élevait à leurs propres yeux, en même temps qu’il ouvrait à leur curieuse ardeur un champ inconnu et sans bornes. […] mais elle avait eu une très jolie taille, la peau très blanche et des yeux très éclatants, qui avaient conservé leur vivacité jusque dans ses derniers jours ; avec ces avantages, c’est trop de dire qu’elle était laide.

1450. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Tallemant et Bussy ou le médisant bourgeois et le médisant de qualité » pp. 172-188

Même à l’époque de la corruption commencée, ils avaient la mesure des grandes choses et la vue nette des plus belles ; ils avaient Virgile sous les yeux, et Homère à l’horizon. Quant à Bussy, il se croit poète quand il a fait un méchant couplet de sarabande :         De tout côté         On vous désire ; Mais quand vos yeux ôtent la liberté, On veut aussi que votre âme soupire, etc. […] Il crie, il est rude, il rompt en visière, et s’il gronde quelqu’un, il lui remet devant les yeux toutes ses iniquités passées.

1451. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — I » pp. 417-434

Bonstetten, disons-le bien vite pour nos Français qui savent si bien ignorer et sitôt oublier (quand ils l’ont su un moment) tout ce qui ne figure pas chez eux, sous leurs yeux et sur leur théâtre, était un aimable Français du dehors, un Bernois aussi peu Bernois que possible, qui avait fini par adopter Genève pour résidence et pour patrie, esprit cosmopolite, européen, qui écrivait et surtout causait agréablement en français, et qui semblait n’avoir tant vécu, n’avoir tant vu d’hommes et de choses que pour être plus en veine de conter et de se souvenir. […] Croissez, comme j’ai vu ce palmier de Latone, Alors qu’ayant des yeux je traversai les flots ; Car jadis, abordant à la sainte Délos, Je vis près d’Apollon, à son autel de pierre, Un palmier, don du ciel, merveille de la terre : Vous croîtrez comme lui… Après avoir tenté inutilement de l’acclimater à Berne, le trésorier de Bonstetten permit à son fils de se rendre en Hollande à l’université de Leyde, mais sous la condition expresse qu’il n’y étudierait pas la philosophie : il craignait que ce regard aux choses du dedans ne nuisît à l’observation des faits du dehors ; mais Bonstetten était assez éveillé pour suffire aux deux sortes de vue. […] En regard du Bonstetten de vingt-quatre ans que Gray vient de nous montrer dans toute sa fougue et sa gentillesse, et dont il a peur en même temps qu’il en est charmé, représentons-nous celui que Zschokke a dépeint à bien des années de là, « d’une taille un peu au-dessous de la moyenne, mais fortement constitué, trahissant par la grâce et la noblesse de ses manières l’habitude d’une société choisie, le visage plein d’expression, d’un coloris frais et presque féminin, le front élevé et d’un philosophe, les yeux pleins d’une souriante douceur, tout à fait propre à captiver, et tel, en un mot, qu’après l’avoir vu une fois, on ne l’oubliait plus ».

1452. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir a l’histoire de mon temps. Par M. Guizot »

Guizot, et à le déduire tel qu’il ressort à nos yeux de ses Mémoires mêmes. […] Entre ces deux hommes, d’ailleurs, qui se fussent si bien complétés, il y avait des différences profondes d’origine, de tempérament et de nature ; elles sautent aux yeux. […] Il classe volontiers le monde en honnêtes gens et en ceux qui ne le sont pas ; sa morale sociale admet essentiellement le bien et le mal, dont les noms reviennent sans cesse à sa bouche d’une manière qui, à la fin, devient provocante : les instincts conservateurs, à ses yeux, sont les seuls bons ; les autres instincts plus actifs et plus remuants sont vite déclarés pervers.

1453. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Daphnis et Chloé. Traduction d’Amyot et de courier »

Indépendamment du cercle entier des saisons qui se déroulent sous nos yeux dans ce tableau varié de l’idylle, et où chaque saison, y compris l’hiver, passe tour à tour en offrant les scènes qui lui sont propres, des incidents romanesques ou mythologiques viennent retarder ou exciter la marche légère de l’action. […] Lycénion, qui donne à Daphnis sa première leçon d’amour, est une voisine et non une « courtisane » ; c’est une jeune femme alerte et fringante, qui vit avec un vieux cultivateur et qui a l’œil aux jeunes gens. […] « Il y a aussi, reprenait d’Eckermann faisant écho et tout vibrant de la parole du maître, il y a tous les degrés de la vie humaine, de la naissance à la vieillesse ; et les différents tableaux d’intérieur que les saisons différentes amènent avec elles passent tour à tour devant nos yeux. » — « Et le paysage, s’écriait Goethe, revenant sur sa première idée, le paysage !

1454. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc »

Tout à coup les grandes orgues se firent entendre : pour moi, c’était la rose que j’avais devant les yeux, qui chantait. […] monsieur Beulé, homme de mérite et de talent comme vous l’êtes, et à qui il ne doit pas coûter d’en reconnaître chez les autres, convenez que ce n’est pas trop mal pour un de ces « architectes diocésains », que vous accusiez l’autre jour de n’avoir d’yeux que pour le Moyen-Âge. […] Viollet-Le-Duc se sépare des architectes classiques proprement dits, à le suivre dans les fines et savantes explications qu’il a données de l’architecture française des XIIe et XIIIe siècles, sa grande et principale étude, son vrai domaine royal, si je puis ainsi parler, et à y reconnaître avec lui, sous des formes si différentes à l’œil, et si grandioses à leur tour ou si charmantes, quelque chose de ces mêmes principes et de ce libre génie dont l’art s’est inspiré et s’inspira toujours aux époques d’invention heureuse et de florissante originalité ; tellement qu’à ne voir que l’esprit, il y a plus de rapport véritable entre les grands artistes de la Grèce et nos vieux maîtres laïques bâtisseurs de cathédrales, qu’entre ces mêmes Phidias ou Ictinus d’immortelle mémoire et les disciples savants, réguliers, formalistes, qui croient les continuer aujourd’hui.

1455. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres choisies de Charles Loyson, publiées par M. Émile Grimaud »

Oui, j’avais cru sentir dans des songes confus S’évanouir mon âme et défaillir ma vie ; La cruelle douleur, par degrés assoupie, Paraissait s’éloigner de mes sens suspendus,    Et de ma pénible agonie Les tourments jusqu’à moi déjà n’arrivaient plus Que comme dans la nuit parvient à notre oreille Le murmure mourant de quelques sons lointains    Ou comme ces fantômes vains Qu’un mélange indécis de sommeil et de veille Figure vaguement à nos yeux incertains. […]    Tandis que mon œil vous contemple, L’avenir tout à coup a refermé son temple, Et dans la vie enfin je rentre avec effort : Mais nul impunément ne voit de tels mystères ; Le jour me rend en vain ses clartés salutaires,    Je suis sous le sceau de la mort ! […] Il est, à mes yeux, des inexactitudes d’un autre ordre, et dont l’auteur ne paraît pas assez se douter ; elles consistent, par exemple, à prendre M. 

1456. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [I] »

Pendant ces travaux où il faisait preuve d’habileté pratique et de connaissance des détails, il avait l’œil aux grands événements qui se déroulaient et qu’il considérait de haut et d’ensemble comme d’un belvédère, ou mieux encore comme du centre d’une fournaise ; car la Suisse, en ces années d’occupation et de déchirement, devenue un champ de bataille dans toute sa partie orientale, offrait «  l’aspect d’une mer enflammée. » Jomini y suivit de près les fluctuations de la lutte, les habiles manœuvres de Masséna pendant les sept mois d’activité de cette campagne couronnée par la victoire de Zurich, les efforts combinés de ses dignes compagnons d’armes, les Dessolle, les Soult, les Loison, les Lecourbe : ce dernier surtout « qui avait porté l’art de la guerre de montagne à un degré de perfection qu’on n’avait point atteint avant lui. » Mais, s’il estimait à leur valeur les opérations militaires, il ne jugeait pas moins les fautes politiques, et ce qu’il y avait de souverainement malhabile et coupable au Directoire à avoir voulu forcer la nature des choses, à avoir prétendu imposer par décret une unité factice à treize républiques fédérées, à s’être aliéné une nation amie, à avoir fait d’un pays neutre, et voué par sa configuration à la neutralité, une place d’armes, une base d’opérations agressives, une grande route ouverte aux invasions. […] L’Empereur, ayant jeté les yeux sur le rapport du maréchal et sur la lettre de Jomini, lui demanda : « Connaissez-vous l’officier qui m’envoie ce paquet ?  […] Même en ayant les volumes sous les yeux, on a peine à s’y reconnaître.

1457. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXe Entretien. Souvenirs de jeunesse. La marquise de Raigecourt »

Le duc de Rohan, qui avait les goûts très-littéraires et la passion des beaux vers, lui dit qu’à ses yeux le grand seigneur était celui qui avait le plus de parenté de nature avec Racine, et qu’il n’hésiterait pas à le prouver en venant lui-même chez moi solliciter mon amitié. […] La résipiscence ne pouvait être complète à ses propres yeux que quand il aurait contribué à rendre un trône aux frères de Louis XVI, auxquels il s’accusait d’avoir involontairement arraché le trône et la vie. […] Ses yeux, grands et bleus, laissent lire jusqu’au fond de son âme.

1458. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XVI. Les derniers temps de la comédie italienne en France » pp. 311-338

On sait trop bien dans Paris que vous avez de l’argent par-dessus les yeux, et qu’au lieu d’emprunter, vous prêtez à tout le monde : mais quelquefois, pour obliger, on se fait violence. […] Il faut parler toujours sans rien dire pour sembler spirituelle ; rire sans sujet pour paraître enjouée ; se redresser à tout moment pour étaler sa gorge ; ouvrir les yeux pour les agrandir, se mordre les lèvres pour les rougir ; parler de la tête à l’un, de l’éventail à l’autre ; donner une louange à celle-ci, un lardon à celle-là ; enfin, badiner, gesticuler, minauder60. » L’arrivée du printemps, qui amène le départ des officiers, jette le désarroi dans le monde des promeneuses, et les force à se rabattre sur les robins et les petits collets fort peu demandés en hiver : Heureux les bourgeois de Paris, Quand le plumet court à la gloire ! […] On irait là les examiner, on les mettrait au pas, à l’entre-pas, on les ferait trotter, galoper, et, sans s’amuser à la belle encolure qui souvent attrape les sottes, on ne prendrait que ceux qui ont bon pied, bon œil, et dont on pourrait tirer un bon service.

1459. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Les Gaietés champêtres, par M. Jules Janin. » pp. 23-39

Réveillé par le chant de l’oiseau, le bonhomme Hilaire, colon d’une masure et d’un petit champ voisin, secoue, en bâillant, le sommeil de ses yeux ; il quitte à regret ce lit si dur, il s’habille à tâtons, et, dans son foyer froid, il cherche quelque étincelle du feu de la veille. […] J’oubliais presque une certaine Denise, paysanne et boulangère, qui vient à la traverse et qui dit bien des choses « dans le patois fleuri de ses doux yeux ». […] Et pourtant je ne veux pas te maudire, mon pauvre enfant : ton esprit était bon, ton cœur était sans fiel ; tu as été affable comme moi, amoureux plus que moi ; tu n’as jamais aimé la vengeance, et le pardon s’est rencontré toujours dans ton sourire et dans tes yeux.

1460. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — II. (Fin.) » pp. 206-223

Barthélemy, dans sa vue de la Grèce, n’a rien d’un Montesquieu : « Il faut que chaque auteur suive son plan, a-t-il dit ; il n’entrait pas dans le mien d’envoyer un voyageur chez les Grecs pour leur porter mes pensées, mais pour m’apporter les leurs autant qu’il lui serait possible. » Il reste à savoir pourtant si les pensées des Grecs, exprimées par eux et traduites sous nos yeux sans explication préalable, sont suffisamment à notre usage. […] Nous le suivîmes des yeux, nous l’entendîmes mugir dans le lointain ; le ciel brilla d’une clarté plus pure ; et cette mer, dont les vagues écumantes s’étaient élevées jusqu’aux cieux, traînait à peine ses flots jusque sur le rivage. […] Ces monuments, environnés de bois et de rochers, vus dans tous les accidents de la lumière, tantôt au milieu des nuages et de la foudre, tantôt éclairés par la lune, par le soleil couchant, par l’aurore, devaient rendre les côtes de la Grèce d’une incomparable beauté : la terre, ainsi décorée, se présentait aux yeux du nautonier sous les traite de la vieille Cybèle qui, couronnée de tours et assise au bord du rivage, commandait à Neptune, son fils, de répandre ses flots à ses pieds.

1461. (1903) Zola pp. 3-31

Les objets sollicitaient vivement l’œil d’Émile Zola, comme celui d’un peintre. […] Il avait dans l’idée de peindre des gens de haute classe, des bourgeois, des ouvriers, des artistes, des paysans, comme tout romancier plus ou moins réaliste, et il trouvait ingénieux et de nature à donner un air scientifique à ses ouvrages, du moins aux yeux des commis-voyageurs, d’établir entre ces différents personnages des liens imaginaires et tout arbitraires de parenté et d’alliances. […] Comme les romantiques, il n’avait aucun instrument psychologique ni le moindre souci d’en avoir un, et il disait lui-même ce mot ébouriffant de la part d’un romancier : « Je n’ai pas besoin de psychologie. » Comme les romantiques, il voyait gros, il voyait énorme ; la moindre taupinée était mont à ses yeux ; et il y avait entre les objets et lui comme un mirage qui les enflait, les renflait, les grossissait, les élargissait et les déformait.

1462. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « J. K. Huysmans » pp. 186-212

Usant d’une imagination adroite et subtile, il s’emploie à donnera tous ses goûts une nourriture facticement convenable, présente à ses yeux des spectacles combinés, substitue les évocations de l’odorat à l’excercice de la vue, et remplace par les similitudes du goût certaines sensations de l’ouïe, pare son esprit de tout ce que la peinture, les lettres latines et françaises ont d’œuvres raffinées, supérieures ou décadentes, oscille dans sa recherche d’une doctrine qui systématise son hypocondrie, entre l’ascétisme morose des mystiques et l’absolu renoncement des pessimistes allemands. […] Le Cyprien des Sœurs Vatard, le Cyprien et l’André de En Ménage, le duc Jean de A Rebours semblent être, en fin de compte, des couples d’yeux montés sur des corps mobiles, aboutissant à de formidables, ganglions optiques, qui pénètrent toute la masse cérébrale de leurs fibrilles radiées. […] S’il met en scène des personnages que leur manque de culture rend incapables d’observations minutieuses, dont les yeux rudimentaires ne savent point voir ; il intervient, décrit en personne, sensation par sensation, les tableaux que ces obtus spectateurs contemplent, et marque ensuite en réaliste exact le peu d’intérêt qu’éveille chez eux ce spectacle inaperçu.

1463. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Seconde partie. Nouvelles preuves que la société a été imposée à l’homme » pp. 243-267

Les inventions qui ont été faites pour ainsi dire sous nos yeux, ou dont nous pouvons encore suivre la trace, sont dues à des hommes inconnus, dont les procédés pour y parvenir sont ignorés, ou appartiennent incontestablement au hasard, connue si la Providence eût voulu nous prouver visiblement que nous n’inventons rien. […] Ce qui se passe là, sous nos yeux, est la preuve écrite de ce qui se passe partout dans toutes les circonstances analogues. […] L’homme communique quelque chose de lui aux animaux qui sont ses serviteurs ou ses compagnons, à peu près comme la main imprime à la pierre placée dans une fronde le mouvement qui doit porter cette pierre à un but fixé par l’œil de l’homme.

1464. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre V. Mme George Sand jugée par elle-même »

La Critique, — dit-elle, avec les yeux baissés d’une jeune Première d’Opéra-Comique qui regarde timidement l’ourlet de son tablier, — a eu toujours trop d’esprit avec moi (Vous êtes bien bonne, Madame). […] Les rapports sautent aux yeux entre ces deux talents et ces deux gloires ; seulement ils n’auront pas la même destinée. […] Mais aujourd’hui je n’en donnerai, pour calmer leur soif de connaître, que quelques exemples, et je vais les prendre dans le livre que j’ai sous les yeux.

1465. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Gustave Droz » pp. 189-211

Le hasard, il est vrai, le hasard des journaux, qui est bien plus abracadabrant que le hasard des livres, n’avait mis sous mes yeux que les deux premières parties du livre. […] Poudre à la maréchale retrouvée, poudre de riz, poudre d’iris, poudre de perles, poudre de rose et poudre d’or, bleu polonais, rouge de blonde, rouge de brune, maquillages d’idoles japonaises, toutes les poudres de perlimpinpin féminines, toutes les poudres à nous jeter aux yeux poudroient en ces écrits qu’elles ennuagent, colorent et parfument. […] … Ce qui attira tout d’abord les yeux sur ce talent charmant, ce fut une fraîcheur de pastel, de jolis détails, une sentimentalité voluptueuse.

1466. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Hippolyte Babou »

Si, un jour qui n’est pas très éloigné dans sa vie littéraire, il y eut pour Hippolyte Babou des Païens innocents, — dans le pays des romans, il est vrai, qui ne peuvent jamais (c’est sa théorie) être trop romanesques, — il n’y a pas à ses yeux de sots innocents sur le terrain de la réalité. […] Son œil malicieux peut-être sait se mouiller d’une larme qui ne jaillit pas uniquement du rire de la gaîté. […] Dans la farandole bariolée de ces Lettres, qui passent sous nos yeux lestes, pimpantes et rapides, et que l’auteur des Amitiés littéraires a mises chacune à l’adresse d’un de ses amis, il en est une adressée à Montégut (de la Revue des Deux-Mondes), et le sujet de cette lettre est Nicolardot et son livre : Ménage et finances de Voltaire.

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