/ 1682
22. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — IV »

Il semble tout d’abord, pour le moi humain, comme pour l’Etre universel que cette utilité s’exprime dans la joie de connaître : tous les efforts de l’homme, pour augmenter la somme de ses sensations heureuses au détriment de ses déplaisirs, se heurtent, ainsi qu’on l’a montré, à cette faculté de mécontentement qui transforme l’assouvissement de ses convoitises en une sensation d’ennui ou en un malaise nouveau : à cette fin, que les individus semblent poursuivre et qu’ils ne réalisent jamais un surcroît de bien-être, il semblerait donc qu’il convienne do substituer cette autre qui se montre sans cesse et par chaque effort accomplie, l’embellissement et l’enrichissement du spectacle phénoménal offert à l’esprit. […] Mais, avertie par les obstacles et les déboires rencontrés au cours des premières expériences, elle se propose de trouver pour la sensation, en même temps parfois qu’un état de raffinement, un mode d’assouvissement collectif et le plus universel possible, c’est-à-dire combiné de telle sorte que la joie de l’un ne contrarie plus la joie de l’autre. […] C’est elle enfin qui, avec le fait passionnel de la joie esthétique, rend possible la connaissance et la contemplation. […] Il faut donc reconnaître que, pour la plus grande part de l’humanité, les joies et les souffrances attachées à la sensation et à ses dérivés sont si fortes qu’elles expliquent tous les efforts tentés pour augmenter et fixer les états de joie, pour diminuer et abolir les états de souffrance.

23. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Le Comte Léon Tolstoï »

L’accomplissement de cette tâche est un grand fait et l’effort qu’il suppose suscite peu à peu, chez le lecteur admis à suivre cette haute entreprise, le sentiment de tension spirituelle, les élans et les arrêts, les joies et les défaillances que l’auteur put éprouver. […] Le lecteur sent le goût amer de ce désenchantement effleurer ses lèvres ; une ironie oblique et tacite, une arrière-pensée de déplaisir, comme un immense désir d’autre chose que le réel se glisse en son esprit lentement lassé, sans qu’un aveu soit sorti du livre, sans qu’une page formule le mécompte de l’écrivain et donne au lecteur le droit d’être sûr, la joie de la création et de l’existence, la joie de la perception de la force se ranime sans cesse et s’éteint dans son esprit, comme une flamme menacée, mal entretenue, et qui brûle en pure perte. […] La joie, l’ambition, le ressaisissement ; il se mêle aux affaires publiques, s’éprend, est trahi, retourne à la guerre et, mortellement atteint sur un champ de bataille, s’abandonne tout entier, au seuil de l’ombre, à cette méditation muette de la mort, cette contemplation ravie de l’inconnaissable où ne le touchent plus les caresses de son fils et de son amante. […] C’est sans joie, sans le cri de l’enfantement que jaillit son livre, mais lentement et lourdement produit avec la tristesse déçue d’un homme qui aperçoit l’inanité de tout ce que ses fibres le portent à aimer. […] Tolstoï ne pouvait hausser son intelligence à la joie ou à l’illusion des explications métaphysiques.

24. (1910) Muses d’aujourd’hui. Essai de physiologie poétique

La poésie, c’est de la sensualité transposée en éréthisme mental : cela devient l’amour de la vie, du soleil, des odeurs, des violences, des douleurs, des joies et des rêves. […] il n’est peut-être pas ‘de douleur comparable à celle-là : survivre à un immense amour, et sentir peu à peu mourir en soi tout ce qui constituait notre joie d’exister. […] On a la sensation que cette sentimentalité sensuelle est presque exclusivement cérébrale, et que le plaisir de ciseler une image un peu étrange est pour le poète une joie supérieure aux réelles délices de la tendresse. […] Ô grands blés pleins de vie où je suis enfouie, Perdue en vos soupirs, vos spasmes, votre joie. […] Cette mort, pour elle, ne la flatte ni né l’attriste : déjà son organisme (dont sa petite conscience n’est en somme que l’inscription inconsciente) redemande de la joie, du sommeil, de l’amour, comme tous les jours.

25. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon. » pp. 270-292

Et ce secret, qu’il cherche et qu’il arrache de toutes parts, jusque dans les entrailles, il nous le livre et nous l’étale, je le répète, dans un langage parlant, animé, échauffé jusqu’à la furie, palpitant de joie ou de colère, et qui n’est autre souvent que celui qu’on se figurerait d’un Molière faisant sa pâture de l’histoire. […] Le peintre abonde et surabonde ; il nage et s’en donne partout à cœur joie. […] Là aussi il ne dort pas de joie durant les nuits qui précèdent, dans l’attente où il est de ce grand jour qui va le venger enfin de tant d’affronts et de colères étouffées. […] Quant à Saint-Simon, qui tâche de ne point paraître du secret, et de faire le modéré et le modeste dans le triomphe, il faut l’entendre se dépeindre lui-même et nous confesser l’ivresse presque sensuelle de sa joie : Contenu de la sorte, dit-il, attentif à dévorer l’air de tous, présent à tout et à moi-même, immobile, collé sur mon siège, compassé de tout mon corps, pénétré de tout ce que la joie peut imprimer de plus sensible et de plus vif, du trouble le plus charmant, d’une jouissance la plus démesurément et la plus persévéramment souhaitée, je suais d’angoisse de la captivité de mon transport, et cette angoisse même était d’une volupté que je n’ai jamais ressentie ni devant ni depuis ce beau jour. […] Elle ne peut suffire à porter toute sa joie et toute sa fougue.

26. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre v »

Pour définir sa méthode et son état d’esprit, son culte ou sa culture du moi, il trouve une quantité d’expressions pleines d’esprit : « Réjouissez-vous, écrit-il à ses parents, mais non d’une joie de primitif, à la façon des Boches, d’une joie critique. » Un autre jour, voulant indiquer la monotonie des journées et des heures et son repos quasi-monastique d’esprit, il écrit : « Je jouis du sentiment de la continuité. » Et encore : « J’étais fait pour cette vie aventureuse… Je jouis de l’exercice voluptueux de ma volonté. »‌ Son refrain dans cette dure vie ne varie pas un instant. […] Enfin, tout ce que je vois autour de moi, pays, ciel, forêt et scènes humaines, tout est si beau, si beau que la joie de la contemplation est constamment la plus forte. […] J’aurais voulu que vous puissiez voir notre joie, à nous juifs qui, d’après vous, Monsieur, n’ont pas l’amour réel de leur patrie ou ne l’ont que par reconnaissance pour un pays où ils n’ont pas été martyrisés… Je me souviens de ce samedi soir, lorsque mes parents m’ont accompagné au Paris-Lyon-Méditerranée. Ma mère pleurait et mon père riait de joie en ayant malgré tout une larme au coin de l’œil. […] Être de ceux qui auront contribué directement à te rendre ton berceau natal sera pour moi une bien douce joie et comme un complément à notre vie si unie et si tendre.

27. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1851 » pp. 1-9

C’est une joie plein la poitrine, une de ces joies, de première communion littéraire, une de ces joies qu’on ne retrouve pas plus que les joies du premier amour.

28. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Guérin, Charles (1873-1907) »

— Joies grises (1895). — Georges Rodenbach (1894). — Le Sang des crépuscules (1896). — Sonnets et un poème (1897). — Le Cœur solitaire (1898). — L’Éros funèbre (1900). — Le Semeur de cendres (1901). […] L’adolescent Narcisse des Joies grises, l’androgyne déchu de l’Art parjure, est devenu, cette fois, en même temps que très humble et de plus en plus charmeur, somptueux. […] André Theuriet Avec le Cœur solitaire nous nous élevons sur de plus hauts sommets et nous goûtons le charme d’une facture plus savante… Seulement, ici, il nous faut dire adieu à la joie de vivre… M. 

29. (1894) Propos de littérature « Chapitre V » pp. 111-140

Dans Joies déjà, la chanson populaire lançait sa note claire et vive. […] Les Cygnes sont des poèmes humains, dans le meilleur sens de ce mot, puisqu’ils font vivre l’homme, l’homme d’à présent, d’hier et de demain, celui qui a toujours été, celui que nous voyons, celui-là même de l’avenir : l’homme en tant qu’être sensitif et agissant, voué à la douleur et à la joie et tenant en ses mains la force qui fait créer. […] C’est en Belgique, en Flandre et à Bruxelles, qu’elle se développa le plus complètement et je me rappelle y avoir entendu souvent des axiomes tels que ceux-ci : « la douleur est plus artiste que la joie ; la pureté n’offre guère d’intérêt non plus que la franche vie ; il n’y a de beau que le vice, la maladie, la souffrance et la mort. » M.  […] Elle n’a pas sonné, ici, dans ta tristesse Il me semble l’entendre ailleurs et dans ta joie Et plus l’obscurité de la chambre est épaisse, Mieux il me semble qu’en la clarté je te voie. […] Il s’agit, bien entendu, des livres les plus récents (Joies, les Cygnes et la Chevauchée) comme à tous les endroits où je ne cite pas expressément les autres ; car il y a dans Ancæus, par exemple, la préoccupation de coordonner les formes et de les assembler, avec le vers lui-même, en une solide structure.

30. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) «  Essais, lettres et pensées de Mme  de Tracy  » pp. 189-209

ce n’est plus ici la joie de Plombières, ce n’est plus le mouvement, la danse, cette légèreté d’écureuil, ces gaietés de chèvre par les hauts sentiers. […] Le jour où elle avait quarante ans, la duchesse de B…31, belle et vertueuse, dans un bal auquel elle assistait, exprimait à une amie sa joie d’être délivrée enfin de cette jeunesse qui oblige à tant de mesures voisines des écueils, et d’avoir hautement acquis les droits de l’âge de raison. […] À chaque âge, à chaque étape de la vie, une hôtesse nouvelle, une joie proportionnée à la saison, et possible encore, nous accueille et nous reçoit. […] Je trouve qu’à chaque jour suffit sa joie, et je suis plus que jamais convaincue que notre bonheur réside en nous-mêmes. […] Dans la société, dans la haute société surtout, qui a ses habitudes impérieuses et ses exigences, beaucoup de choses se sont envolées des âmes, la sincérité, la candeur, la joie, l’imagination, le sentiment vif de la vérité : Mme de Tracy avait gardé en elle quelque chose de ces trésors.

31. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vielé-Griffin, Francis (1864-1937) »

. — Joies (1889). — Les Cygnes, nouveaux poèmes (1890-1891) […] Francis Vielé-Griffin, sans avoir exprimé encore à l’auteur, reconnaissance puérile et honnête, quelle sereine joie j’emporte toujours avec moi, ne me séparant guère de sa petite plaquette. […] Son pays modela sa joie, il exprime la joie de son pays ; le décor offrit au poète le don et la variété de son spectacle ; il me paraît que c’est en lui que le poète a retrouvé l’enseignement du vieux potier et le rire de Mélissa.

32. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIe entretien. Poésie lyrique » pp. 161-223

L’air, la terre, les eaux, les plantes, les êtres animés ne forment qu’un concert dont la note universelle est la joie de vivre. […] Joie et larmes deviennent des hymnes dans sa voix. […] Je ne manquais jamais de me mêler à ces rondes, et je bondissais de joie naïve et précoce, en tenant par mes deux mains les mains complaisantes des plus jeunes et des plus jolies faneuses du pays. […] Elle s’en alla, comme le matin, pleurer seule dans la grange ; mais cette fois c’étaient des larmes de joie. […] Voilà la première ode que j’entendis ; voilà comment je compris que le besoin de chanter, quand l’âme est émue jusqu’à l’enthousiasme par la joie, est un instinct inné de l’homme chez le paysan comme chez le lettré.

33. (1911) L’attitude du lyrisme contemporain pp. 5-466

Il dira : « Voici un bleu qui chante, un rouge pervers », et son âme tressaillira de joie. […] Fort, son panthéisme et sa joie. […] Elle est « l’ivresse de totaliser, le délire des ensembles, la joie de la synthèse ». […] Et notez que le mouvement, la vie, la joie n’ont pas ici d’autre fin qu’eux-mêmes. […] La joie de la lumière, de la vie, du mouvement orienta le lyrisme vers un plus grand subjectivisme.

34. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. L’Histoire »

Michelet eut une grande joie en 1831 : il fut nommé chef de la section historique aux Archives nationales ; c’était, pour ainsi dire, tout le dépôt de notre histoire nationale qu’on lui confiait : il avait désormais sous la main, à sa discrétion, dans cette masse de documents, le dossier authentique, inconnu, de la vieille France. […] Depuis l’invasion barbare jusqu’à la révolution française, il nous donne moins l’histoire objective, impersonnelle, scientifique de la France, que les émotions de Jules Michelet lisant les documents originaux qui peuvent servira écrire cette histoire : on entend ses cris de joie, de douleur, d’amour, de haine, d’espérance, de dégoût, tandis que les pièces qu’il dépouille font passer sous ses yeux les passions, les désirs, les actes de nos ancêtres. […] Il avait le sens des symboles, et la grandeur poétique, la plénitude morale du symbolisme chrétien l’ont saisi : à mesure que la religion du moyen âge se matérialisera, se desséchera, il pleurera cette grande ruine ; il cherchera de tous côtés les illuminés, les indépendants, les révoltés, qui ont gardé la vue de l’Idée et le contact de Dieu : il mettra en eux son amour et sa joie. […] Là, son âme de poète, plus tendre, plus enthousiaste, plus juvénile que jamais, s’ouvre à la grande et divine nature, qui toujours, du reste, avait été la religion de son intelligence, la joie de ses sens. […] La nature, si dure et si immorale au sentiment de beaucoup de nos contemporains, est pour Michelet une inépuisable source de joie, de force et de foi : il y renouvelle sa vie morale.

35. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre X. Les sociales »

Jamais, en le regardant, nous n’avons eu la joie de dire : Ecce homo ! […] Soyez remerciée, Mélusine, pour les profondes joies que vous m’avez données. […] Il n’a jamais la joie des larges mouvements et de l’irrésistible puissance à demi-consciente. […] … Renan diminué, Renan plus joli, Renan de salon, Renan journaliste, ô gracieux Renanet, tu as plus de vanité intellectuelle que de joie intellectuelle. […] Seules, les nobles constructions équilibrées donnent la joie qui dure.

36. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Werther. Correspondance de Goethe et de Kestner, traduite par M. L. Poley » pp. 289-315

Il a sur la fête de Noël une lettre à Kestner pleine de joie, de cordialité, de sentiment pittoresque, et aussi de sentiment de famille : Hier (veille de Noël), mon cher Kestner, j’ai été avec plusieurs braves garçons à la campagne ; notre gaieté a été bruyante : des cris et des rires depuis le commencement jusqu’à la fin. […] Je courus chez les Gerock, et demandai un crayon et du papier, et je dessinai, à ma grande joie, le tableau entier aussi chaud qu’il se représentait dans mon âme ; tous partagèrent ma joie sur ce que j’avais fait, et leur approbation me rassura. […] J’ai encore d’autres sujets de joie que je ne puis pas dire (Ne serait-ce point l’idée de Werther qui déjà remue et qui veut sortir ?)  […] Car on l’a très justement remarqué, et les lettres de Goethe, écrites dans le cours de cette inspiration, nous le confirment ; ce n’est pas le désespoir, c’est plutôt l’ivresse bouillonnante et la joie qui président à la conception de Werther ; c’est le génie de la force et de la jeunesse, l’aspiration, douloureuse sans doute, mais ardente avant tout et conquérante, vers l’inconnu et vers l’infini. […] Mais il nous causera encore de grandes joies, quand son âme ardente se sera un peu calmée. » Ces joies ne furent que lointaines et telles que les peut procurer un ami, homme de génie, à ceux qui, séparés par les situations et les circonstances, se sentent avec lui un nœud étroit dans le passé.

37. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mendès, Catulle (1841-1909) »

S’il a parfois souillé à l’oreille de Ninon des secrets que Ninon elle-même ignorait et qui la firent rougir jusqu’au lobe délicat de ses oreilles, il a dit dans Hespérus la joie du renoncement et annoncé l’Évangile de l’enfance. […] Vous avouerai-je maintenant que j’adore votre troisième volume, surtout les heureusement si nombreux poèmes d’amour et de joie ? […] On y trouve avec joie des élans lyriques. […] Autant que la Faute de l’abbé Mouret ou la Joie de vivre, le Roi vierge fit saisir aux mains actives l’inanité charmante des chapeaux de rêve. […] Il pleure de joie.

38. (1856) Mémoires du duc de Saint-Simon pp. 5-63

C’est peu d’obtenir des distinctions de gloire, il faut obtenir des distinctions de honte : les bâtards simples du roi ont la joie de draper à la mort de leur mère, au désespoir des bâtards doubles qui ne le peuvent pas. […] La sensibilité violente est la moitié du génie ; pour arracher les hommes à leurs affaires, pour leur imposer ses douleurs et ses joies, il faut une surabondance de douleur et de joie. […] Saint-Simon a des fureurs de haine, des ricanements de vengeance ; des transports de joie, des folies d’amour, des abattements de douleur, des tressaillements d’horreur que nul, sauf Shakespeare, n’a surpassés. […] Il écrit avec emportement, d’un élan, suivant à peine le torrent de ses idées par toute la précipitation de sa plume, si prompt à la haine, si vite enfoncé dans la joie, si subitement exalté par l’enthousiasme ou la tendresse, qu’on croit en le lisant vivre un mois en une heure. […] L’artiste est une machine électrique chargée de foudres, qui illumine et couvre toute laideur et toute mesquinerie sous le pétillement de ses éclairs ; sa grandeur consiste dans la grandeur de sa charge ; plus ses nerfs peuvent porter, plus il peut faire ; sa capacité de douleur et de joie mesure le degré de sa force.

39. (1858) Cours familier de littérature. V « XXIXe entretien. La musique de Mozart » pp. 281-360

Voici venir en triomphe le dieu de la joie ! […] Bacchus, toujours jeune et beau, créa le premier les joies de l’ivresse. […] Le cardinal en témoigna une grande joie, disant que Wolfgang parlait bien l’italien. […] Si je te connais, je n’ai à attendre de toi que de la joie, et c’est ce qui me console de ton absence, laquelle me ravit la paternelle joie de t’entendre, de te voir, de t’embrasser. […] Aussitôt après la fin j’allai dans ma triste joie au jardin du Palais-Royal.

40. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

L’homme a dans ses rêves des refuges splendides, dans son amour des joies inépuisables. […] Ce don de la joie sans quoi point d’idéal puisque point de désir. Ce don de la douleur qui double le prix de la joie et lui prête un caractère auguste. […] Il souffrira de sa joie impossible et la réalisera dans son rêve par le verbe de la parabole ou du poème ; il jouira de sa douleur où il puisera une nouvelle intensité de vie ; et de sa joie et de sa douleur il parviendra par la mort à la gloire — comme Jésus, comme Orphée. […] Il avait chanté la joie de vivre : il célèbre la volupté de souffrir.

41. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIIe entretien. Poésie lyrique. David (2e partie) » pp. 157-220

« Tu as mis ainsi plus de joie dans mon cœur que dans le cœur de ceux dont tu multiplies le blé et le vin. […] Le soir les larmes entrent dans sa demeure ; le matin, la joie ! […] Les plaines du désert en débordent, les collines sont enceintes de joie, les prés sont couverts d’agneaux, les vallées vêtues de moissons ; on est dans la joie et on chante ! […] « Ceux qui sèment dans les larmes moissonneront dans la joie. […] C’étaient ces sons, ces horizons, ces joies du ciel et ces tristesses de la terre qui l’avaient fait poète.

42. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — I » pp. 139-158

Et toi qui fidèlement me retraces celle qui m’est si chère, hôte bienvenu quoique inattendu ici, qui m’ordonnes d’honorer d’un vers aimant et simple une mère depuis si longtemps perdue, j’obéirai non seulement de bon gré, mais avec joie, comme si l’ordre me venait d’elle ; et tandis que ces traits viennent renouveler ma filiale douleur, l’imagination ourdira un charme pour me consoler ; elle me plongera dans une rêverie élyséenne : — songe d’un moment qui me fera croire que tu es elle. […] À le voir, cependant, tel qu’il était d’abord et qu’il dut être avant les accidents qui rembrunirent ses pensées, il paraît avoir eu bien des heures de gaieté, de joie, et de la plus gracieuse sociabilité ; il excellait aux jeux de son âge, et particulièrement à la crosse et au ballon. […] Cowper, en causant avec ce jeune homme, rencontra avec une joie inexprimable une âme nourrie des plus vives notions du christianisme, tel qu’il le concevait lui-même ; il fut introduit bientôt dans la famille, et dès lors une amitié s’engagea qui décida de toute la vie, et, l’on peut dire, de toutes les facultés et des talents du poète. […] Cette vie à demi monastique s’accordait avec une joie intérieure et une allégresse véritable ; elle était assurément des plus conformes à ce qu’exigeaient alors le raffermissement moral et la sensibilité si récemment ébranlée de Cowper. […] Il ne goûtait rien médiocrement : « Je n’ai jamais reçu, disait-il, un petit plaisir de quoi que ce soit dans ma vie : si j’ai une impression de joie, elle va à l’extrême. » Il commençait aussi à écrire à quelques amis de jolies lettres soignées, élégantes, ingénieuses dans leur naturel.

43. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Banville, Théodore de (1823-1891) »

— Le poète des Exilés et des Odes funambulesques a sauvé le Parnasse du possible ridicule où son allure guindée l’eût entraîné, et, sachant que la mélancolie n’est pas le dernier but de l’Art, lui a ouvert le chemin vers cette aurore où tout se rajeunira : la Joie. Ce mot suffirait pour indiquer le rang magnifique du poète : il a la joie ! […] Émile Besnus C’est la Joie lyrique, immense, ivre encore, on dirait, du vin des rêves. […] Néanmoins l’humanité retiendra le nom du divin poète qui chanta dans un jardin de joie, Erynna, le Festin des Dieux et l’Âme de Coelio, et qui écrivit aussi le Forgeron. […] Edmond Pilon Ô toi dont la geôle est pareille à la source Qui coule nue et vive entre les cailloux clairs, Banville, jeune dieu des époques de lumière, Poète dont la voix tour à tour grave et douce Disperse le sourire, la joie et la lumière, Banville, sois béni entre les dieux du vers… Ta statue est bâtie au palais des oiseaux, Auprès des massifs frais de buis et d’anémones, Le socle dans la mousse et le front aux couronnes Que tressent les branchages et que mêlent les rameaux ; D’antiques marbres blancs se cachent sous les saules’ Où rêve ton sourire, où de sur ton épaule Chante le rossignol, face à face à tes eaux, Banville, dieu des strophes, du rire et des oiseaux !

44. (1902) La poésie nouvelle

Sa présence est toute la joie, toute la gaieté. […] Elle tue toute joie, elle flétrit toute félicité. […] sa seule joie, sa dernière joie, amère et douce : savourer l’excessive torture, s’abandonner plus consciemment à sa démence. […] Joie merveilleuse et parfaite extase, amour infini de la paix retrouvée ! […] Il s’est senti gagné par cette universelle ardeur ; il en a tiré de la joie et de l’espérance.‌

45. (1890) Le massacre des amazones pp. 2-265

Elle cède pour la seule joie de céder. […] Ne vous désintéressez pas de votre propre joie. » Il faut « vivre dans une atmosphère de joie ». […] Toujours, d’ailleurs, la joie de Max Lyan a quelque chose de contradictoire. […] Mais les profondes joies de la femme sont des joies de disciple : elles consistent à suivre, à obéir, à calquer, à s’efforcer d’être parfaite comme le Dieu est parfait. […] S’ils font du bruit, ces échos, ils auront la joie vaine des éloges payés, et la joie vaine des éloges de camarades, et la joie vaine des éloges équivoques des lâches.

46. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dupont, Pierre (1821-1870) »

Personne n’a dit, en termes plus doux et plus pénétrants, les petites joies et les grandes douleurs des petites gens. […] Henri Roujon Nous l’aimons parce qu’il verse la joie. […] Pierre Dupont ne montrait pas moins de clairvoyance que les élégiaques pessimistes quand il déclarait les joies vivantes et réelles, à l’égal des douleurs.

47. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — II »

Ils n’entrent en effet en relation avec tous ces objets du monde extérieur, ainsi qu’on vient d’en faire la remarque, qu’autant que leur sensibilité est encore affectée par eux : quelque joie à considérer les formes et les couleurs leur rend seule perceptibles les formes et les couleurs, quelque émotion, au contact des passions humaines leur permet seule de connaître les passions humaines. Cette joie de curiosité affirme encore et maintient l’existence du sujet. […] Si l’on retranche cette joie, comme étrangère à l’acte même de la connaissance, voici le pur contemplatif privé de toute communication avec les objets de sa contemplation ; le voici supprimé lui-même comme sujet par cet effort suprême où il tente de convertir en objet de contemplation cette dernière passion qui l’animait encore en tant que sujet.

48. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxviiie entretien. Littérature germanique. Les Nibelungen »

Par cette mort, toute joie était chassée loin d’elle, sans retour. […] La triste nouvelle leur enleva toute joie. […] On se mit à s’installer, et les noces du roi commencèrent au milieu de la joie générale. […] Pendant ce temps, la reine enfanta un fils ; jamais le roi Etzel n’eut plus grande joie. […] Ils dirent au roi toutes les offres de service qu’on lui faisait ; il en devint rouge de joie.

49. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Signoret, Emmanuel (1872-1900) »

Edmond Pilon La Daphné d’André Chénier me laissa l’impression d’une douce bucolique à la joie innocente, mais la Daphné de M.  […] Il y a de belles Étoiles au ciel, l’Enfant baigne dans la source la blancheur de ses pieds, les statues se découpent sur l’émeraude du Parc et le Poète chante, chante à voix hautaine et vibrante, si forte qu’elle briserait bien Syrinx et si douce ; parfois, qu’elle ferait pleurer de joie les choses. […] Emmanuel Signoret égalent en fougue harmonieuse toutes celles qu’il chanta jamais ; et c’est une grande tristesse de penser que la vie est dure à ce poète épris de lumière et de beauté qui, dans la pire détresse matérielle, invente encore, pour notre joie, des formes magnifiques et charmantes.

50. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série «  M. Taine.  »

Et quant aux autres joies dont je parlais tout à l’heure, songez que ce sont presque toutes des joies spéciales, des aubaines individuelles, et que l’infortuné poète s’était imposé le devoir de décrire le bonheur en général. […] Ce vaste poème sur le bonheur est sans volupté et sans joie. […] J’aime cet effort désespéré d’un poète triste et lucide pour exprimer l’ivresse et la joie. […] Faustus, après le parfait contentement de ses sens, a la joie plus haute de connaître la vérité. […] Une chose lui manque : la joie, la fierté de l’effort et du sacrifice accompli.

51. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vii »

Voilà une lettre qui va donner à papa une telle joie que c’est encore cela qui me paraît le meilleur.‌ […] En développant celles-ci, il a la joie de penser qu’un plus grand nombre d’honnêtes gens seront soumis à son influence. […] Comment faut-il entendre cette joie, dont le simple écho pour nous est déchirant ? […] Mais leurs visages terriblement graves attestent que leur joie ne les empêche pas de souffrir. […] Sa joie intérieure est si forte qu’elle tient en échec les plus violentes misères du dehors.‌

52. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XII] »

IV, chap. 15] Le Dante a répandu quelques beaux traits dans son Purgatoire ; mais son imagination, si féconde dans les tourments de l’Enfer, n’a plus la même abondance quand il faut peindre des peines mêlées de quelques joies. […] ……………………………………………………………………………………………… Mais, mes frères, ce n’est pas à moi de publier ces merveilles, pendant que le Saint-Esprit nous représente si vivement la joie triomphante de la céleste Jérusalem par la bouche du prophète Isaïe. « Je créerai, dit le Seigneur, un nouveau ciel et une nouvelle terre, et toutes les angoisses seront oubliées, et ne reviendront jamais : mais vous vous réjouirez, et votre âme nagera dans la joie durant toute l’éternité dans les choses que je crée pour votre bonheur : car je ferai que Jérusalem sera toute transportée d’allégresse, et que son peuple sera dans le ravissement : et moi-même je me réjouirai en Jérusalem, et je triompherai de joie dans la félicité de mon peuple219. » Voilà de quelle manière le Saint-Esprit nous représente les joies de ses enfants bienheureux. […] , réjouissez-vous avec elle d’une grande joie, et sucez avec elle par une foi vive la mamelle de ses consolations divines, afin que vous abondiez en délices spirituelles, parce que le Seigneur a dit : Je ferai couler sur elle un fleuve de paix ; et ce torrent se débordera avec abondance : toutes les nations de la terre y auront part ; et avec la même tendresse qu’une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, dit le Seigneur220. » Quel cœur serait insensible à ses divines tendresses ? Aspirons à ces joies célestes, qui seront d’autant plus touchantes qu’elles seront accompagnées d’un parfait repos, parce que nous ne les pourrons jamais perdre.

53. (1858) Cours familier de littérature. V « XXXe entretien. La musique de Mozart (2e partie) » pp. 361-440

C’était surtout la voix sereine, impassible, mais terrible de la Providence vengeresse qu’il voulait faire prédominer sur toutes ces joies, sur toutes ces douleurs et sur tous ces défis du cœur humain. […] Don Juan, plein de verve et de bonne humeur, se promène au milieu de ses nombreux convives qu’il excite à la joie. […] Mais ce seul mot suffit à me faire reconnaître, au son de la voix, par celle de mes sœurs qui m’avait entendu et qui, jetant un grand cri de surprise et de joie, s’écria en parlant à mes autres sœurs : C’est lui ! […] si ces deux pauvres enfants étaient avec nous à présent, s’écria-t-il, quelle ne serait pas leur joie et la nôtre ? […] paradis plein de charmes, où une douleur céleste et indicible remplit mieux qu’une joie infinie toutes les espérances semées sur la terre.

54. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre I. François Rabelais »

Rabelais suivit la voie de Despériers : mais Berquin et Caturce brûlés comme le Cymbalum lui servirent de leçons ; il savait la vigoureuse joie de son Pantagruel odieuse à Genève autant qu’en Sorbonne, et il était averti qu’il ne ferait pas bon pour lui d’aller trouver Calvin. […] Voyez la joie dont Gargantua saine l’imprimerie inventée, l’antiquité restaurée. […] Il faut ajouter, pour être juste, que de ce même culte de la vie, de cette même joie d’être sortira une égalité sereine de l’âme. […] Ainsi se fondera le pantagruélisme, « vivre en paix, joie, santé, faisant toujours grandchère » : disposition qui s’épure d’un livre à l’autre, et s’élève jusqu’à être « certaine gaieté confite en mépris des choses fortuites ». […] Plutôt qu’à la beauté, il s’intéresse à l’énergie : et l’effort, la lutte ne sont pas à ses yeux imperfection et souffrance ; il n’y a de joie que là, parce que là seulement il y a vie.

55. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre septième. Les sentiments attachés aux idées. Leurs rapports avec l’appétition et la motion »

A la racine des joies les plus hautes comme des plus humbles, on trouve une dépense de mouvement proportionnée à la puissance, sous la forme d’une perception à la fois une et multiple ; on y trouve l’harmonie dans le contraste, en même temps que la satisfaction liée au déploiement de la pensée. […] Le sentiment de joie lié à la vérité objective n’est guère que la joie liée à l’intellection même, à l’acte du sujet intelligent.

56. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre V. L’antinomie esthétique » pp. 109-129

Elle représente la liberté de la passion : l’apothéose de la joie de vivre. […] Jouissance sensuelle et égoïste, joie de se distinguer et d’être distingué, volonté d’individuation et de suprématie, ferment d’orgueil, d’envie et de rivalité, joie égoïste du rêveur oisif et contemplatif, oublieux des tâches et des obligations sociales, appel à la liberté de la passion et à la joie de vivre, la Beauté est tout cela et par tout cela, elle représente l’égoïsme, l’amour de la personnalité, le dédain de la morale. […] D’après Guyau, l’art est le grand trait d’union des âmes ; il est une bénédiction sociale avant d’être une joie individuelle.

57. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires touchant la vie et les écrits de Mme de Sévigné, par M. le baron Walckenaer. (4 vol.) » pp. 49-62

Il y avait de la joie en elle. Elle vérifiait de sa personne le mot de Ninon : « La joie de l’esprit en marque la force. » Elle était de cette race d’esprits dont étaient Molière, Ninon elle-même, Mme Cornuel un peu, La Fontaine ; d’une génération légèrement antérieure à Racine et à Boileau, et plus vivace, plus vigoureusement nourrie. […] Enfin la joie est l’état véritable de votre âme, et le chagrin vous est plus contraire qu’à qui que ce soit. […] Sa joie si réelle n’était pas pour cela à tout propos ni hors de saison, et, sans jamais s’éteindre, elle s’adoucit sans doute avec les années. Parlant d’un voyage qu’elle faisait en 1672, et où elle regrettait la compagnie de son aimable cousin de Coulanges : « Pour avoir de la joie, écrivait-elle, il faut être avec des gens réjouis.

58. (1896) Le IIe livre des masques. Portraits symbolistes, gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui, les masques…

Nous allons faire un feu de joie et danser autour des cendres de nos amours !  […] Mais n’est-ce point charmant de se prédire les joies d’un maternel hôpital, par imitation, par amour pour un poète cher ? […] que ma joie ne te paraisse pas puérile ! […] La femme à la beauté impassible souffre en silence, sans gestes, sans parade, sans larmes : sa peine est adoucie par la joie d’être belle. […] Vianey, il souhaiterait de plus répugnantes joies : par un côté, la vénération des reliques se rapproche des divagations sensuelles.

59. (1895) Nos maîtres : études et portraits littéraires pp. -360

Vertu et joie, n’est-ce donc point même chose ? […] La meilleure joie étant la compréhension du monde, cette joie doit être donnée à tous. […] Mallarmé, sans doute, connaît cette joie. […] Une joie, cela est positif, réel, apodictique. Recherche donc les vraies, les durables joies !

60. (1898) Les personnages de roman pp. 39-76

Et en attendant ce jour, et même s’il n’arrive jamais, ne sait-on pas qu’il existe des esprits, en grand nombre, qui se penchent d’eux-mêmes, sans aucune préoccupation personnelle, vers la souffrance et vers la misère, et qui cherchent des devoirs à remplir comme d’autres des joies à prendre ? […] Elle a considéré qu’une paysanne était, aussi bien qu’une reine, une âme en marche, à travers la douleur et la joie, vers une éternité. […] Nous les retrouvons souvent, quelques années plus tard, Sœurs d’hôpital, Sœurs débarbouillant et gardant les enfants dans les crèches, Sœurs des pauvres, Sœurs d’écoles, mêlées à toutes les misères, à toutes les peines, jamais à nos joies, qu’elles n’ont pas l’air de nous envier. […] Mais l’expression avait partout une parenté émouvante, et c’était la jeunesse, une joie enfantine, facile et pleine, qui déborde comme les fontaines en attendant qu’on y puise, et c’était une limpidité de regard qui disait la parfaite virginité des âmes. […] » Et ils viennent, dans la joie.

61. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Abailard et Héloïse »

Les dernières pudeurs de la femme et de la chrétienne, le mystère et la honte de sa faute, ce qui reste à la plus coupable pour que le pardon descende sur sa tête, tout est sacrifié par Héloïse à cette vanité infernale d’avoir été la préférée d’un homme célèbre et sa fille de joie, — car le mot y est : meretrix, et M.  […] — un autre aurait été plus doux pour mon cœur, celui de votre CONCUBINE et de votre fille de joie, espérant que bornée à ce rôle j’entraverais moins vos glorieuses destinées. » On a vu dans ce dernier mot une abnégation à la sainte Thérèse, quelque chose qui, déplacé de l’ordre divin dans le désordre humain, rappelait le cri sublime de la religieuse espagnole : « Quand vous me damneriez, Seigneur, je vous aimerais encore, même en enfer !  […] Pouvait-elle être la sainte Thérèse d’une passion humaine et coupable, la femme qui, à vingt lignes de là, écrit les phrases suivantes, où s’étalent avec naïveté les pauvretés d’une âme chétive : « Quelle femme, quelle reine et quelle princesse n’ont pas envié mes joies et mon lit ? […] ces deux années n’ont pas laissé de traces, sœurs gracieuses qui avaient pris pour elles toutes les joies nuptiales, etc., etc., etc. » Et M. 

62. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XIX. Abailard »

Les dernières pudeurs de la femme et de la chrétienne, le mystère et la honte de sa faute, ce qui reste à la plus coupable pour que le pardon descende sur sa tête, tout est sacrifié par Héloïse à cette vanité infernale d’avoir été la préférée d’un homme célèbre et sa fille de joie, — car le mot y est, meretrix, — et M.  […] un autre aurait été plus doux pour mon cœur, celui de votre CONCUBINE et de votre fille de joie, espérant que bornée à ce rôle, j’entraverais moins vos glorieuses destinées. » On a vu dans ce dernier mot une abnégation à la sainte Térèse, quelque chose qui, déplacé de l’ordre divin dans le désordre humain, rappelait le cri sublime de la religieuse espagnole : « Quand vous me damneriez, Seigneur, je vous aimerais encore, même en enfer !  […] Pouvait-elle être la sainte Térèse d’une passion humaine et coupable, la femme qui, à vingt lignes de là, écrit les phrases suivantes, où s’étalent avec naïveté les pauvretés d’une âme chétive : « Quelle femme, quelle reine et quelle princesse n’ont pas envié mes joies et mon lit ? […] ces deux années n’ont pas laissé de traces, sœurs gracieuses qui avaient pris pour elles toutes les joies nuptiales, etc., etc., etc. » Et M. 

63. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Jean Lahor (Henri Cazalis). »

Quelle joie de passer et de n’être rien, puisque les autres êtres ne sont rien et passent ! […] De ton âme l’ennui mortel faisait sa proie, Etant le châtiment de l’incessant désir ; Du fier renoncement de ton âme à la joie Goûte la joie austère et le sombre plaisir… Je n’ai voulu que dégager, tant bien que mal, le fond et la substance même des vers de M. 

64. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVI, les Érynnies. »

Les Olympiens ne frayaient pas avec elles ; ils les bannissaient de leur table, ils leur interdiraient l’entrée du palais céleste : les « Filles de la Nuit » auraient noirci sa lumière et glacé sa joie. En revanche, leurs privilèges sinistres étaient inviolables, et le cercle sanglant où s’exerçaient leurs vindictes ne pouvait être franchi par l’intrusion d’aucun dieu. — « Quand nous sommes nées », — dit l’un de leurs chœurs, — « le Sort nous imposa cette loi, que nous ne toucherions point aux Immortels, que nulle de nous ne pourrait s’asseoir à leurs festins, et que nous ne porterions jamais les vêtements blancs de la joie. […] On se figurait donc que les Érynnies mettaient une joie méchante à poursuivre et à torturer les coupables, et que l’habitude de verser le sang leur en avait fait prendre le goût.

65. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hannon, Théodore (1851-1916) »

. — Les Rimes de joie (1884). […] Huysmans Les Rimes de joie, de M. 

66. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Le mariage du duc Pompée : par M. le comte d’Alton-Shée »

M. de Noirmont est un personnage bien vrai, et qui nous rappelle plus d’un profil connu : « Né avant 89, d’une ancienne maison, mais abandonné à lui-même dès l’enfance, libre par conséquent de préjugés traditionnels, il a assisté avec indifférence, presque avec joie, à la chute de la vieille société. […] J’ai souvent fait un rêve, ou plutôt (car la chose est irréparable) j’ai formé et senti un regret : c’est que parmi toutes ces générations qui se sont succédé dans notre France légère depuis tant de siècles, il ne se soit pas trouvé, à chaque génération un peu différente, un témoin animé, sincère, enthousiaste ou repentant, présent d’hier à la fête ou survivant le dernier de tous et s’en ressouvenant longtemps après ; lequel, sous une forme quelconque, ou de récit naïf, ou de regret passionné, ou de confession fidèle, nous ait transmis la note et la couleur de cette joie passagère, de cette ivresse où l’imagination eut bien aussi sa part. […] Sous le premier Empire, la joie était redevenue une pure joie, une joie naturelle, pétillante, sans arrière-pensée, la joie du Caveau et des enfants d’Épicure ; mais après 1830, aux environs de cette date nouvelle, l’imagination reprit son essor ; le plaisir ne se produisait lui-même que sous air de frénésie et dans un déguisement qui le rendait plus vif, plus divers, plus éperdu, donnant l’illusion de l’infini ; il fallait, même en le poursuivant, satisfaire ou tromper une autre partie de soi-même, une partie plus ambitieuse et plus tourmentée.

67. (1927) Les écrivains. Deuxième série (1895-1910)

Et l’humanité vient les cueillir, ces fleurs, pour en faire les gerbes de joie de son futur affranchissement. […] Et c’est fini du mauvais désir… C’est, tout à coup, l’apaisement, presque la joie. […] Joie mélancolique par cette terreur ; terreur sérénisée par cette joie ! […] … Et pour que ma joie soit complète… voici que M.  […] Comme moi-même, ils y goûteront des joies rares, ils y sentiront une émotion nouvelle et très forte.

68. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — K — Krysinska, Marie (1857-1908) »

. — Joies errantes (1894). — Folle de son corps (1896). […] Les Joies errantes sont jolies, capricantes comme des chèvres, montent et descendent dans d’inextricables sentiers rocailleux, broutent du même air indépendant le lotus bleu ou la menthe sauvage.

69. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Morhardt, Mathias (1863-1939) »

Mathias Morhardt ; livre d’amour chaste, ardent et discret ; malgré la langue pas toujours assez sure, à notre gré, le rythme comme parlé des strophes berce et entraîne de l’inquiétude à la joie, du rêve au baiser. Le poète s’est émerveillé de vivre en mots qui le confessent délicat et doux, ayant la pudeur de sa joie, la reconnaissance d’aimer ; ce livre est une parole basse, dite pour une seule et dont le hasard d’une surprise involontaire nous a fait le confident indulgent.

70. (1896) Essai sur le naturisme pp. 13-150

Le plaisir littéraire disparaît devant une joie supérieure. […] Où sont les saines joies d’autrefois ? […] C’est un annonciateur de joie et le poète de la Vie et de l’Action. […] Sa joie est toute précieuse, et il lui arrive de parler comme une prude. […] Les échos ont sonné de nos hymnes de joie.

71. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Magre, André (1873-1949) »

Une enfance, une adolescence, les premières joies et les premières tristesses de la Chair, décrites en de successifs états d’âmes, d’une subtilité d’analyse et d’un art infinis, tel est ce livre d’où se dégagé un charme enveloppant et profondément émouvant, parce qu’il est fait de sincérité et que l’on sent, par-delà les musiques charmeuses des mots, passer un intense frisson de vie. Je voudrais pouvoir citer plusieurs de ces pages exquises qu’il faut lire et aimer et dans lesquelles nous retrouvons tous un peu de nous-mêmes, car elles sont, fixées par un Véritable poète, les minutes fugitives d’amour, de souffrances et de joies de nos enfances et de nos vingt ans, aujourd’hui déjà devenus de lointains passés.

72. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Souchon, Paul (1854-1923) »

C’est un long cri ensoleillé et fleuri, un cri adorant éperdu vers la joie ; l’émanation harmonieuse et durable du jour, béni par le poète, où l’Épouse Comme une jeune aurore entra dans la maison. […] Charles Maurras Il y a dans cette joie, dont l’expression semble exagérer la vivacité, il y a, si je ne me trompe, un arrière-fond d’élégie ; et, de plus, au ton familier du discours, en dépit de la solennité de l’alexandrin, se dessine, dans une forme vague encore, comme une aspiration au système d’une poésie plus intime, l’idée d’un retour à Parny… Mais voilà qui va me rendre odieux à la jeune lyre des Élévations poétiques.

73. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Richepin, Jean (1849-1926) »

. — Vers la Joie, conte en 5 actes (1894). — Flamboche, roman (1895). — Les Grandes Amoureuses (1896) […] Un de ces jours, nous aurons la joie de constater l’éveil du sentiment religieux chez Raoul Ponchon. […] Un homme qui va sur la grand route et qui n’a rien, rien que le mystérieux trésor de l’aventure, c’est toute l’indépendance, toute la Chimère, la Vie libre et la Joie, en un mot la Poésie totale. […] Respectons les joies simples des simples et ne médisons pas des albums d’Épinal en qui leurs âmes trouvent, malgré tout, des motifs de rêve et de désintéressement.

74. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre II. Filles à soldats »

C’est plus souvent quelqu’un qui se force à de lointaines et peu dangereuses bravoures, pour se donner la joie des lâches raffinés, la joie de trembler et de conchier son pantalon. […] Des imbéciles incapables de saisir directement une pensée originale ; des imbéciles dont l’oreille fermée aux hommes est faite pour recueillir avec joie les échos, les bavardages des perroquets, les bafouillements des phonographes, vous appellent penseur, comme ils appellent astronome M.  […] J’en prends deux, au hasard, dans Leurs figures : « Dans cette plaie panamiste, si mal soignée par des médecins en querelle, les sanies accumulées mettaient de l’inflammation. » L’autre phrase est particulièrement basse et, joyeux d’une joie de latrines, vous avez souligné vous-même deux fois le mot qui en aggrave ignominie : « Resté seul, cet homme de valeur, subitement chassé de son cadre, fit de la poésie sentimentale, tel un influenzé eût fait de l’albumine. » Je vous souhaite, Monsieur, de ne jamais faire de poésie sentimentale et d’albumine.

75. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre douzième »

Mais rien n’égale, pour la grâce et la pureté de la peinture, cet amour qui naît comme à l’abri de l’amitié fraternelle ; cet éveil des sens chez le jeune homme qui se trahit le premier, parce qu’il se défie le moins de ce qu’il sent : les troubles de la pudeur qui agitent la jeune fille avant que sa conscience soit avertie, et qui lui parlent sans paroles ; le malaise secret dans ce qui ressemble le plus au bonheur, le premier amour ; les joies permises qui ne laissent guère plus de paix à l’âme humaine que les joies défendues. […] Jamais l’amour de la vie et jamais le dégoût de vivre n’avaient été plus violents et plus inséparables qu’en ces temps de ruines récentes et de restaurations merveilleuses, où, pareils à des réchappés d’un naufrage, les hommes éprouvaient en même temps les dernières terreurs du péril et les premières joies de la délivrance. […] Je ne vois guère, dans les Mémoires, d’autres joies que celles de la raillerie ou de la vengeance. Tristes joies ! […] Elles s’appellent les mauvaises joies de l’âme, mal a gaudia mentis.

76. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — La solidarité des élites »

Liaison étroite au sein des mondes de vie où nous sommes plongés, liaison intime des cœurs humains, joie et justice, telle est sa profession de foi panthéiste. […] Il veut des corps vigoureux et souples, des cerveaux nourris de science réelle, des natures puissantes et libres, transfigurées, comme il le dit lui-même, « dans cette lumière héroïque que le bonhomme Luther a nommée noblement la Joie ».‌ […] Ne pensez-vous pas que ces parcelles de nature et d’humanité recèlent un monde de douleur et de joie, de vérité profonde et d’insondable idéal ? […] Il n’y a aucun orgueil dans ce sentiment ; il y a la joie profondément vitale de se sentir infiniment lié à l’universel courant, de sentir vivre en soi un million de vies, de rayonner dans la lumière, de tous. […] Sur ses ruines, une autre naîtra, dont les adeptes diront : Nous reconnaissons nous aussi une patrie d’origine ; nous ne méconnaissons pas le lien sacré qui unit l’homme au sol, non plus que celui qu’a lentement constitué la communauté des douleurs et des joies.

77. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre III. »

admettre l’avènement miraculeux de l’homme, le produire sans enfance, avec tous les dons de l’âge viril en naissant, pour n’essayer sur lui qu’une leçon de physiologie, développer sa vie matérielle, sans ouvrir son âme et l’inonder de lumière et de joie, sans un rayon du ciel ni un retour vers Dieu ? […] voici venir la joie et la douceur d’habiter ensemble, comme des frères ! […] Ce que l’on a nommé l’inspiration, c’est ce moment où l’âme, ravie au-dessus d’elle-même, épuise le dernier degré de douleur, de joie, d’amour, qu’il lui soit possible d’atteindre sans briser sa faible enveloppe et s’échapper d’ici-bas. […] « On a entendu mes gémissements ; et il n’est personne qui me console ; tous mes ennemis ont entendu mes douleurs ; et ils ont grande joie, ô Dieu, que tu m’affliges ainsi. […] Que les filles des Philistins n’en aient pas la joie !

78. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gérardy, Paul (1870-1933) »

Gérardy, Paul (1870-1933) [Bibliographie] Pages de joie (1893). — Roseaux (1898). […] Gérardy nous tend ses délectables Pages de joie.

79. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Girardin, Delphine de (1804-1855) »

. — La Joie fait peur, comédie (1853). — Le Chapeau de l’horloger (1854). […] Édouard Fournier Ce qui restera de Mme de Girardin, avec les deux petites pièces… (La joie fait peur et Le Chapeau d’un horloger), ce sont quelques-uns de ses poèmes, dont celui qu’elle préférait, Madeleine, n’est malheureusement pas achevé, et quelques poésies, comme celle consacrée à la mort de la jeune Rémy, tombée parmi les victimes de l’attentat Fieschi.

80. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série «  Leconte de Lisle  »

Sa gloire et sa joie, c’est de comprendre et de ressusciter l’âme des générations éteintes, et sa plus grande originalité consiste à pénétrer dans l’âme des autres siècles. […] Il connut la rêverie sans tendresse, le sentiment de notre impuissance à l’égard des choses, la soif de rentrer au grand Tout, dont la vie un moment nous distingue, et, en attendant, la joie immobile de contempler de splendides tableaux sans y chercher autre chose que leur beauté. […] Il y a une volupté dans cet état d’insurrection, d’autant plus que le sens critique, véritable esprit du diable, ouvre un domaine spacieux et nouveau à l’imagination plastique et, en même temps que la joie de la révolte, nous donne celle de reconstruire et de contempler avec des yeux d’artiste l’immense tragédie humaine. […] Après Marathon et Salamine, une sorte de joie héroïque les transporte, et leur génie s’épanouit en œuvres confiantes et superbes. […] Or la sérénité de leur fatalisme, de leurs révoltes et de leurs joies, et tout ce qu’il y a d’humain dans leurs mythes revit aux poèmes de M. 

81. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Émile Zola » pp. 70-104

Nana, Pot-Bouille, le Bonheur des Dames, la Joie de vivre, sont de même brossés en larges scènes, traversées de gens visibles constitués eux-mêmes de linéaments, de notes biographiques, de menues perceptions de mouvements et de couleurs. […] Pot-Bouille, le Bonheur des Dames, Germinal débitent chacun une énorme tranche de la société, dont une Page d’Amour et la Joie de vivre détaillent un point. […] Dans la Joie, Pauline est détaillée des secrets de sa chair aux plis honteux de son âme. […] Gervaise raisonnable et fraîche, au début de l’Asommoir, est aimable ; Mme Hédouin illumine de sa beauté de femme de tête l’ignoble bourgeoisie de Pot-Bouille ;  Denise pousse à bout la raison vertueuse ; et l’héroïne de la Joie de vivre est de même une fille sensée, forte et savante. […] Celui de Gervaise tombant en travail sur le carreau, puis couchée toute pâle dans son lit, tandis que Coupeau s’empresse bonnement dans la chambre ; l’accouchement douloureux et misérable d’Adèle dans sa mansarde, aboutissent à ces pages magistrales de la Joie où Pauline, sainement instruite des mystères sexuels, assiste et coopère à la délivrance de Louise.

82. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Doyen » pp. 178-191

Ce malade a je ne sais quoi d’égaré dans les yeux, il sourit d’une manière effrayante, c’est sur son visage un mélange d’espérance, de douleur et de joie qui me confond. […] Je sais que quelques spectateurs pusillanimes en ont détourné leurs regards d’horreur, mais qu’est-ce que cela me fait à moi, qui ne le suis point, et qui me suis plu à voir dans Homère des corneilles rassemblées autour d’un cadavre, lui arracher les yeux de la tête en battant les ailes de joie ? […] Il présente à l’imagination des cadavres, des yeux arrachés de la tête, des corneilles qui battent leurs ailes de joie. […] Cet oiseau cruel battant les ailes de joie est horriblement beau. […] Non, puisqu’il y a une image plus rare, celle de l’oiseau qui bat les ailes de joie.

83. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre II. Définition. — Énumération. — Description »

Voyez de quelle façon l’écrivain russe Tolstoï représente un homme dans un état de joie extrême : il fait sa première visite à sa fiancée : Il rôda dans les rues pour passer le temps qui lui restait à attendre, consultant sa montre à chaque instant, et regardant autour de lui. […] Tout cela réuni produisit sur Levine une impression si vive qu’il se prit à rire et à pleurer de joie. […] » Non seulement il savait tout, mais il était plein d’allégresse et s’efforçait de cacher sa joie. […] Tout cela veut dire : Levine était joyeux ; mais, à cette sèche indication, l’écrivain substitue une riche analyse, qui montre la révolution produite par la joie dans tout le domaine de l’intelligence et de la sensation.

84. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Anatole France, le Lys rouge »

Un jour elle rencontre un autre homme pour qui elle sent qu’elle est faite et qui lui donnera, elle en est sûre d’avance, des joies supérieures ; bref, « son homme. » Et l’homme sent en lui un avertissement pareil et un désir égal. […] Je revenais de l’albergo… J’étais inondé d’une joie céleste que votre vue m’a fait perdre. […] Ce par quoi elles étaient, au fond, des bêtes de joie  et de tristesse, — nous était discrètement dérobé. […] Ils se disent que, comme les compagnons de François, ils poursuivent eux aussi, mais sur terre et douloureusement, un infini de joie.

85. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame la duchesse d’Angoulême. » pp. 85-102

Elle s’était fixée durant les années mêmes qui sont pour toute jeunesse celles de la légèreté, de la joie et de la première fleur, durant ces trois ans et quatre mois de captivité au Temple où elle vit mourir, l’un après l’autre, son père, sa mère, sa tante et son frère. […] Il y avait sept ans déjà que la reine était mariée, quand un jour elle fit part aux personnes de son intérieur de sa première joie d’épouse et de ses futures espérances. […] Il ne faut pas cesser de le répéter pour comprendre Mme la duchesse d’Angoulême, tout ce qui s’appelle fleur et joie première, cet aspect enjoué et enchanté sous lequel, en entrant dans la vie, on voit si naturellement toutes choses, fut supprimé, flétri de bonne heure pour elle. […] Y eut-il jamais place, dans ce cœur qui avait été saturé d’agonie dès sa tendre jeunesse, à une pure et véritable joie ? […] Même à travers l’habitude des peines, une sorte de joie enfin surnageait comme il arrive aux âmes austères et éprouvées que la religion a guidées et consolées dans tous les temps.

86. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre XII. Dernière et nécessaire opération, qui consiste à corriger ce que l’on a écrit »

Dernière et nécessaire opération, qui consiste à corriger ce que l’on a écrit Quand on a longuement médité un sujet, et qu’on a reconnu les idées qui lui appartiennent, quand on a distribué ces idées selon leur importance particulière et leurs rapports mutuels, quand enfin on a mis par écrit tout ce qu’on avait conçu, et bien exécuté le plan qu’on avait arrêté, a-t-on fini sa tâche, et ne reste-t-il qu’à se reposer dans la joie de l’effort qui vient d’aboutir ? […] Quand la prévention qu’on ne saurait manquer d’avoir pour ce qu’on fait, au moment où on le fait, est passée, quand la joie de produire, qui aveugle si facilement l’amour-propre, est apaisée, et qu’on peut regarder son travail avec le même détachement qu’on ferait celui d’un étranger, alors on peut se faire avec fruit le critique de soi-même : le moment est venu de corriger son œuvre.

87. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gilkin, Iwan (1858-1924) »

L’Amitié est magnifique à ce point de vue, et Le Mauvais Jardinier, Le Mensonge donnent la joie des choses décisives, pour jamais stables. […] Tout le livre célèbre, dans la forme la plus ravissante, les pensées d’amour et de joie, rimées en français sur le mode anacréontique.

88. (1896) Le livre des masques

Voit-on sur quelque théâtre libre un drame joué entre des êtres qui se nomment Cœur, Haine, Joie, Silence, Souci, Soupir, Peur, Colère et Pudeur ! […] En œuvrant ainsi, on échappe au bizarre et à l’obscur ; le lecteur n’est pas brusquement jeté dans une forêt dédalienne ; il retrouve son chemin, et sa joie de cueillir des fleurs nouvelles se double de la joie de cueillir des fleurs familières. […] Vielé-Griffin soit un poète joyeux ; pourtant, il est le poète de la joie. […] Eekhoud sont passionnées ; il s’attable avec ferveur et, s’étant nourri de charité, de colère, de pitié, de mépris, ayant goûté à tous les élixirs d’amour fabriqués pieusement par sa haine, il se lève, ivre, mais non repu, des joies futures. […] L’immoralité absolue, pour les mystiques, c’est la joie de vivre.

89. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Essai de critique naturelle, par M. Émile Deschanel. »

En voici quelques passages, quelques versets ou couplets, c’est bien le mot ; l’auteur, tout récemment alors époux et père, y chantait ses délices nouvelles et ses joies : « Si vous n’avez pas d’enfants, ayez-en d’abord ; ensuite vous lirez la première partie de ce livre. […] Lorsque l'enfant rit, le ciel rit : tout est sérénité, lumière, joie. […] source de consolation, de joie, de vie ! […] Profond mystère, féconde joie, réciprocité de la vie : le fils régénère le père et la mère, il les crée à son tour ! […] Lorsqu’on vous l’apporte sur votre lit, c’est la joie qu’on vous apporte.

90. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires de Marmontel. » pp. 515-538

Je ne sais pas quel mets nous eût paru meilleur que nos raves et nos châtaignes ; et en hiver, lorsque ces belles raves grillaient le soir à l’entour du foyer, ou que nous entendions bouillonner l’eau du vase où cuisaient ces châtaignes si savoureuses et si douces, le cœur nous palpitait de joie. […] Il va continuer ses études au collège des Jésuites à Mauriac ; il nous peint ses maîtres, ses camarades ; il nous fait sentir et aimer ses privations, ses joies d’écolier, ses triomphes. […] Lorsque mes vestes de basin lui étaient renvoyées, elle regardait vite si la chaîne d’argent qui suspendait la croix avait noirci ma boutonnière ; et, lorsqu’elle y voyait cette marque de mon triomphe, toutes les mères du voisinage étaient instruites de sa joie ; nos bonnes religieuses en rendaient grâces au ciel ; mon cher abbé Vaissière en était rayonnant de gloire. […] Cela touché, il faut vite reconnaître ses aimables qualités sociales, cette facilité à prendre à tout, cette finesse sous la bonhomie et cette cordialité qui sait trouver une expression ingénieuse : « J’ai toujours éprouvé, disait-il, qu’il m’était plus facile de me suffire à moi-même dans le chagrin que dans la joie. […] Pas un vice qui les dégrade, pas un regret qui les flétrisse, pas une passion qui les attriste et les tourmente ; elles sont libres de cette liberté qui est la compagne de la joie, et sans laquelle il n’y eut jamais de pure et durable gaieté.

91. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre premier. Prostitués »

Délivre mon corps de joie ; délivre mes rêves d’amour : tous les songes libres, toutes les pensées libres de ton esclave seront tournés vers toi. […] Les prostitués les ont appelés : « Envieux. » Et le Maître a répondu : « Leur intelligence a justement mérité à ceux-ci la meilleure part. » Et : « Il faut que tout le monde vive. » Et encore : « Tout travail mérite salaire. » Bien que penser, chanter, sculpter, donner son âme et son esprit aux jeunes gens ne soient que des repos et des joies, le Maître avait raison d’employer le mot travail. […] Alors, j’ai tâché d’avoir très peu de besoins et je me donne pour ma propre joie à ceux qui m’achètent.

92. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Ponchon, Raoul (1848-1937) »

Maurice Bouchor Pour avoir la joie d’écrire un nom qui m’est cher et qui, je pense, n’a pas figuré encore dans votre enquête, je déclare que je donnerais toutes les productions à moi connues de nos symbolistes, pour n’importe laquelle des chroniques rimées de Raoul Ponchon. […] Charles Frémine Toi qui soupes d’un rêve et d’une fleur déjeunes, Toujours l’âme à la joie et la lèvre au cruchon, Nul barde, dans la gloire et le respect des jeunes, Ne s’élance plus haut que toi, Raoul Ponchon.

93. (1889) La littérature de Tout à l’heure pp. -383

Voltaire est une contre-façon de la Joie, Rousseau une contre-façon de la Douleur. […] Ils n’ont pas de rêve, pas de joie. […] Elle avait, du même trait, biffé les mots : Beauté, Vérité, Joie, Humanité. […] Ce mot suffirait par indiquer le rang magnifique de ce Porte : il a la Joie ! — la joie des idées, la joie des couleurs et des sons, la joie suprême des Rimes et de l’Ode.

94. (1894) Propos de littérature « Chapitre IV » pp. 69-110

Il est homme avant d’être artiste ; pour lui, vivre c’est agir, regarder est une joie puissante, puisqu’en l’action, puisqu’en les images se développe et se précise le moi. […] ……………………………………………………… Ce qu’annonçaient ces vers, Joies nous l’apporte bientôt, au moins en grande partie. Avec Joies — l’un des plus beaux livres de M.  […] Dans Joies se trouve quasi réalisée la strophe souhaitée par M. de Régnier, — à cela près que le vers dégagé ne se résout pas en l’alexandrin, mais plutôt en des mètres variés de 7, de 8, de 10, de 12 syllabes. […] Griffin aux prises avec M. le préfet de police ; mais la querelle que je lui cherche ici n’est point nouvelle : il y a quelques années déjà, dans une étude sur Joies 26, je reprochais à la préface de ce livre de compter pour rien l’Harmonie.

95. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VII. Maurice Barrès et Paul Adam » pp. 72-89

L’étonnement, sans doute, s’est dissipé, qui nous faisait, avouons-le sans fausse pudeur, nous récrier de joie. […] Mais le rare est que le ton de polémique prédicatrice n’exclut pas chez Adam la désinvolture du tour, la joie du mot. […] La gaffe commune de ces ascètes bourgeois, pleins d’ailleurs et bedonnants de bonnes intentions, consiste dans l’oubli d’une notion expérimentale : que notre plaisir ne peut susciter la joie d’autrui, — et dans la négligence d’une vérité plus foncière : que nos mouvements affectueux sont d’ordre sentimental, tandis qu’une équitable construction sociale serait d’ordre rationnel et scientifique. […] On ne trouvera pas d’indice mesurable et les statistiques sont dénuées de sens. — L’agitation divine de la joie traduit une satisfaction supérieure : il n’est de perceptible que le changement, d’agréable que le changement vers plus.

96. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

Cet Alléluia par sa souveraine onction et son glorieux éclat, nous rend la joie, la confiance, l’espérance, et nous laisse comme inondés d’un céleste rafraîchissement. […] Seriez-vous, de charmes si divers, la Vertu et la Joie ? N’est-ce donc point même chose, la Vertu et la Joie ? […] La Vertu et la Joie ont été séparées : on a même gagé des philosophes pour découvrir entre elles des différences. […] Il enfante les images, toujours réelles et magnifiques, d’âmes harmonieuses : il recrée leurs actes et leurs visions : il éprouve les angoisses et les joies de leurs émotions.

97. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Eugène Gandar »

Et puis, ne sens-tu pas qu’un voyageur, longtemps absent et longtemps seul, retrouve avec une joie d’enfant un langage qui répond aux secrètes émotions de son cœur ? […] « Pour moi, dans les plus vives souffrances et dans les plus vives joies, je retrouve les mêmes pensées. […] Plus il a de racines de ce côté, plus il trouve à l’intérieur de consolations et d’appui, et plus il s’appliquera à ses travaux avec tranquillité et joie, en toute assurance. […] Joies et souffrances, chaque souvenir est un lien. […] Cherchons donc, cherchons toujours : c’est l’art et c’est la vie ; et grâce à Dieu, les joies de l’effort, si sévères qu’elles soient bien souvent, valent mieux que les joies passagères et stériles du succès. » Quelle digne et loyale nature !

/ 1682