/ 4293
2355. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De l’état de la France sous Louis XV (1757-1758). » pp. 23-43

Il est certain que cet événement est glorieux en apparence, et qu’il donne à M. de Richelieu la facilité de se porter en avant ; mais gare les suites ! […] Vous avez du nerf, et vous en donnerez plus que moi, parce que vous ne ferez peur qu’au bout d’un certain temps ; car vous méritez bien d’en faire autant qu’un autre ; mais du moins vous n’en ferez pas à vos amis, et je pense que notre union à tous trois n’en sera que plus forte, plus douce et plus solide. […] J’aurais voulu, pour éviter les jugements téméraires, que les circonstances qui l’ont précédée eussent pu l’annoncer au public ; au reste, nous nous sommes donné réciproquement les plus grandes marques de confiance et d’amitié ; nous ne saurions donc nous soupçonner l’un l’autre sans une très grande témérité. […] Je vous remercie des nouvelles marques d’amitié et d’intérêt que vous voulez bien me donner… Dans les lettres suivantes adressées à Choiseul, Bernis le remercie de certaines formes qu’il a apportées en annonçant sa disgrâce à la cour de Rome ; il lui parle ensuite de quelques affaires particulières qu’il a à cœur, et pour lesquelles M. de Choiseul se montre empressé à l’obliger. […] L’ensemble de cette correspondance, dont je n’ai pu offrir qu’une idée rapide, ne grandit point certainement Bernis ; elle donne et fixe sa mesure comme principal ministre, et répond à une question que je m’étais adressée précédemment, à son sujet : il n’avait pas la trempe de l’homme d’État, et, après l’entrain des premiers succès, son organisation, mise à une trop forte épreuve, a manifestement fléchi.

2356. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

Mais auparavant j’ai à donner, à ceux de nos lecteurs qui ne la connaîtraient pas, une première idée de la personne distinguée dont il s’agit et dont le nom a quelque effort à faire, ce semble, pour courir aisément sur des lèvres françaises, — pour se loger dans les mémoires françaises. […] J’en donnerai quelques exemples. […] — M. de Falloux, dans le récit qu’il nous a donné de la jeunesse de Mme Swetchine, élude la principale de ces questions ; ne trouvant chez lui aucun indice précis, aucune explication satisfaisante, j’ai pourtant voulu savoir, j’ai interrogé, et il m’a été répondu : « Mme Swetchine a eu un orage de jeunesse : elle avait inspiré une grande passion au comte de Strogonof, un des hommes les plus aimablesde la Russie, et elle l’avait ressentie elle-même. » On ne s’en douterait pas en lisant M. de Falloux. […] c’est cinq minutes d’exaltation religieuse qui suffirent pour obtenir tous les sacrifices et pour donner au reste de ma vie la direction qu’elle a prise. […] En fait de sentiments, dépensées portant sur les affections et les passions humaines, j’ai parcouru un cercle immense et creusé jusqu’aux antipodes ; je suis vraiment docteur en cette loi-là… C’est dans l’enceinte de mon propre cœur que j’ai appris à connaître celui des autres, et la seule connaissance de moi-même m’a donné la clef de ces énigmes innombrables qu’on appelle les hommes. » Elle se flatte et s’exagère sans doute un peu cette connaissance universelle, cette clef, ce passe-partout qu’elle croit tenir et qui l’a conduite, en définitive, à la possession d’un monde très-distingué, mais restreint.

2357. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance »

Les bons Sismondi, s’il en restait encore, lui eussent donné volontiers l’accolade sur les deux joues. […] Enfin, les nombreux villages placés comme l’aire d’un d’un aigle entre des rochers ou sur le penchant rapide des monticules, et les habitations rapprochées qui semblent les couvrir, animent la perspective et lui donnent le coup d’œil le plus romantique… » Romantique, je saisis le mot au passage ; il donne bien la date et trahit aussi la légère intention littéraire qui venait se mêler à ces instructions d’une économie rurale positive. […] Mais je continue de donner la description tout agréable : « C’est dans une soirée d’automne, lorsque les lumières qui brillent de toutes parts décèlent les maisons modestes des cultivateurs, cachées sous des treilles ou des groupes d’arbres fruitiers et d’oliviers ; lorsque des flambeaux de paille errant sur tous les sentiers font remarquer les paysans qui vont gaiement se réunir chez leurs voisins et passer les veillées ensemble ; lorsque les croupes arrondies des montagnes, que les oliviers semblent velouter, se dessinent dans le ciel le plus pur, c’est alors que le spectacle des collines rappelle les idées les plus romanesques. […] Si elle le voyait, par exemple, engoué à première vue de Benjamin Constant et tout disposé à lui donner cœur pour cœur, âme pour âme, elle l’avertissait et lui disait : « Tu vas me trouver pis que ridicule, mon Charles, si je me mêle encore de te donner des avis sur Constant. […] Né comme par miracle hors de son siècle, il appartenait tout entier à des temps qui ne sont plus, et il avait été donné à l’Italie comme un monument de ce qu’avaient été ses enfants, comme un gage de ce qu’ils pouvaient être encore.

2358. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de La Mennais »

Il avait pourtant des heures qu’il devait donner au comptoir de son père. […] Ce mot donne la clef de La Mennais ; il a besoin d’un guide ! […] Blaize donnent une pauvre idée du goût et de la méthode qui présidaient à son instruction. […] Béranger, quand il se trouvait avec lui en compagnie, se plaisait à lui en donner l’honneur et à le dénoncer pour tel. […] Béranger dit notamment le mot au prince Napoléon qu’il rencontrait chez La Mennais (La Mennais donnait en 1847 des leçons de philosophie au prince) : « Voilà de nous deux le poète ; moi, je n’ai qu’un peu de bon sens. »

2359. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « QUELQUES VÉRITÉS SUR LA SITUATION EN LITTÉRATURE. » pp. 415-441

Mais ceci n’est qu’un aspect immédiat, et il suffirait de deux ou trois de ces nobles esprits qui sont toujours une exception, et qui peuvent toujours sortir de la grande loterie providentielle, pour donner à la conjecture d’heureux démentis. […] Si tel romancier à la mode résiste bien rarement à gâter ses romans encore naissants après le premier demi-volume, c’est que, voyant que le début donne et réussit, il pense à tirer l’étoffe au double, et à faire rendre au sujet deux tomes, que dis-je ? […] En ce xviiie  siècle qu’on ne donne pas d’ordinaire pour une époque de grande pureté morale (tant s’en faut !) […] La solitude, la réflexion, le silence, et un juge clairvoyant et bienveillant dans une haute sphère, un de ces juges investis par la société ou la naissance, qui aident un peu par avance à la lettre de la postérité, et, qui au lieu d’attendre l’écho de l’opinion courante, la préviennent et y donnent le ton, ce sont là de ces bonheurs qui sont accordés à peu d’époques, et dont aucune (sans qu’on puisse trop en faire reproche à personne) n’a été, il faut en convenir, plus déshéritée que celle-ci. […] (On a essayé dans cette réimpression, moyennant les notes et post-scriptum ajoutés en plus d’un cas au premier portrait, de donner un aperçu de ce que deviendrait le second.)

2360. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Victor Duruy » pp. 67-94

Une Providence ingénieuse donnait à ce professeur ardemment français entre nos historiens un élève, futur historien lui-même, profondément français entre nos princes. […] je ne puis te donner un autre nom ». […] Il était lui-même, par sa foi philosophique et sa conception de la cité, un Français de la Révolution, mais muni d’expérience historique, et de prudence et d’obstination romaines : quelque chose comme un idéologue pratique (je vous prie de donner au premier de ces deux mots son plus beau sens). […] Chaque année, il se faisait un devoir d’accompagner, dans les lycées où ce prélat donnait la confirmation, Mgr Darboy, qui était, d’ailleurs, un homme doux et triste et, dit-on, d’une foi très peu agressive. […] Il croyait que le travail, la domination sur soi, la sincérité, la justice, le dévouement à la famille, à la patrie, à l’humanité, sont des devoirs dont la base est assez éprouvée pour que nous y donnions notre vie sans crainte de nous tromper trop grossièrement et pour que nos scepticismes et nos ironies ne soient plus qu’exercices de luxe et d’agrément passager.

2361. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVII. Rapports d’une littérature avec les littératures étrangères et avec son propre passé » pp. 444-461

. — Quand on découvre des ressemblances entre une littérature et les autres littératures avec lesquelles elle a pu se trouver en contact, on peut être en présence de trois cas bien distincts : ou la littérature donnée a passé par les mêmes phases que ses sœurs sous l’influence de causes analogues ; ou bien elle a subi leur action ; ou encore elle leur a fait sentir la sienne. […] Une orientation nouvelle est parfois donnée de la sorte à une génération par des œuvres qui l’ont séduite. […] On ne peut donc bien connaître la littérature dans une époque donnée sans déterminer quelles sont les époques de son passé qui revivent alors d’une vie posthume, qui sont admirées ou détestées, en tout cas discutées et par cela même présentes aux souvenirs. […] Dans le nôtre surtout, une foule d’auteurs gardent la trace de ce commerce avec les maîtres qu’ils se sont donnés. […] Mais qu’elle aille du petit au grand, ou, ce qui est le cas le plus ordinaire, du grand au petit, cette assimilation entre gens qui se coudoient et visent au même but se produit régulièrement et elle contribue à donner un air de famille aux écrivains d’une même époque.

2362. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre IV »

C’est le conseil que madame Huguet donne à son fils Philippe, dans la comédie de M.  […] Il a cette jaunisse morale que donne l’or à ceux qui le regardent trop fixement. […] Le poète voulait guérir subitement son malade ; aussi ne lui a-t-il donné qu’une migraine morale, que l’air de la campagne suffit à dissiper. […] La toile tombe sur ce baiser, auquel la situation donne la valeur d’un calice d’amertume vidé courageusement jusqu’à la lie par une héroïne. Je vous donne cet acte pour un chef-d’œuvre de vie, d’action, de rapidité dramatiques.

2363. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le Brun-Pindare. » pp. 145-167

Cette fâcheuse disposition de Le Brun sera son perpétuel échec, et elle finira par donner le change à son ambition, tellement que celui qui aspirait au rôle d’un Pindare et d’un chantre auguste des grandes pensées publiques ne sera, en définitive, qu’un épigrammatiste excellent. […] Les strophes les plus exécrables qu’on puisse citer d’alors sont de lui, du chantre et du pensionné de Calonne : et à la fois, oubliant ces gages publics qu’il avait donnés si récemment encore, il se proclamait un républicain de tous les temps ; il prenait son humeur invétérée pour des principes. […] Toi qui de la discorde allumas le flambeau, Reine que nous donna la colère céleste, Que la foudre n’a-t-elle embrasé ton berceau ! […] Le cardinal Maury fut plus généreux, et, bien qu’un des plus blessés, il donna le signal de l’oubli des injures. […] Mais il n’eut pas le suprême bon goût de donner une au moins des dix épigrammes.

2364. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Il fut élevé à la campagne d’abord, puis à Paris au collège Mazarin ; mais, malgré de bonnes études, il se plaît à remarquer qu’il n’eut en définitive « que l’instruction qu’il se donna ». […] Il se donne à nous comme dénué de toute ambition, de tout intérêt personnel : « Mon grand défaut, mon imperturbable défaut est l’antipathie pour le mouvement. » Il avait pour principe qu’il y a de bons défauts, et qu’il ne s’agit que de savoir en prendre son parti et s’en arranger pour y trouver du bonheur. […] La Dot de Suzette, qui ne semblait qu’une anecdote vraie, racontée avec intérêt et délicatesse par une femme (car la première édition était anonyme), donna satisfaction à ce désir d’un goût plus simple. […] Pour couper court aux insinuations secrètes, il se hâta de lui donner des gages publics d’adhésion. […] Fiévée y donnait cours à toute sa veine.

2365. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre VI. Le beau serviteur du vrai »

Le génie sur la terre, c’est Dieu qui se donne. […] Il dit : Le roi prendra vos fils et les mettra à ses chariots ; il prendra vos filles et les fera servantes ; il prendra vos champs, vos vignes et vos bons oliviers, et les donnera à ses domestiques ; il prendra la dîme de vos moissons et de vos vendanges, et la donnera à ses eunuques ; il prendra vos serviteurs et vos ânes et les fera travailler pour lui ; et vous crierez à cause de ce roi qui sera sur vous, mais comme vous l’aurez voulu, l’Éternel ne vous exaucera point ; et vous serez des esclaves. » Samuel, on le voit, nie le droit divin ; le Deutéronome sape l’autel, l’autel faux, disons-le ; mais l’autel d’à côté n’est-il pas toujours l’autel faux ? […] Ces pauvres chers vices payants, ces excellents forfaits bons princes, son altesse Rufin, sa majesté Claude, cette auguste madame Messaline qui donne de si belles fêtes, et des pensions sur sa cassette, et qui dure et qui se perpétue, toujours couronnée, s’appelant Théodora, puis Frédégonde, puis Agnès, puis Marguerite de Bourgogne, puis Isabeau de Bavière, puis Catherine de Médicis, puis Catherine de Russie, puis Caroline de Naples, etc., etc., tous ces grands seigneurs, les crimes, toutes ces belles dames, les turpitudes, leur fera-t-on le chagrin de consentir au triomphe de Juvénal ? […] Quand Bayle émet avec sang-froid cette maxime : « Il vaut mieux affaiblir la grâce « d’une pensée que d’irriter un tyran », je souris, je connais l’homme ; je songe au persécuté presque proscrit, et je sens bien qu’il s’est laissé aller à la tentation d’affirmer, uniquement pour me donner la démangeaison de contester. […] » Le poëte est le seul être vivant auquel il soit donné de tonner et de chuchoter, ayant en lui, comme la nature, le grondement du nuage et le frémissement de la feuille.

2366. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Doyen » pp. 178-191

C’est un assez plat passe-temps que vous vous donnez là… " il est certain qu’il n’y a pas le moindre vestige d’intérêt, de commisération sur son visage, et qu’on en fera, quand on voudra, une jolie assomption à la manière de Boucher. […] On ne donne pas plus d’expression, on ne montre pas mieux l’incertitude et l’effroi, on ne peint pas avec plus de vigueur, on ne fait rien de mieux que cet enfant qui est dans la demi-teinte penché sur elle. […] Il est difficile d’exécuter un tableau d’après une description donnée et détaillée, il l’est peut-être encore davantage de l’exécuter d’après une estampe. […] J’ai prononcé là-dessus autrefois un peu légèrement. à tout moment je donne dans l’erreur, parce que la langue ne me fournit pas à propos l’expression de la vérité. […] Donnez à Vien la verve de Doyen qui lui manque ; donnez à Doyen le faire de Vien qu’il n’a pas, et vous aurez deux grands artistes.

2367. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre I. »

* * * Les contes enregistrés dans ce recueil émanent de sources assez diverses pour justifier plus qu’à demi le sous-titre, guère trop général, qui leur a été donné. […] Aussi me bornerai-je à indiquer qu’ils se subdivisent en 3 classes principales et à donner quelques exemples, afin de mieux préciser la pensée qui a présidé à cette sous-classification. […] Quoi qu’il en soit, il est un fait à retenir c’est qu’à part le titre de roi donné à l’éléphant on ne voit pas trace dans les fables indigènes d’une société animale constituée avec ses marabouts, ses parasites des puissants, ses dignitaires et ses magistrats, bien que la société indigène offre des exemples d’un semblable état de choses29. […] Cette dénomination a été donnée en souvenir de cette mode des « combles » qui sévit jadis en France… dans un milieu où l’on se montre assez accommodant quant à la qualité de l’esprit. […] Les noirs lui donnent aussi quelquefois ce rôle.

2368. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Saint-Simon »

Nous allons pouvoir goûter à loisir la sensation rare que donne le génie, — le plus grand bonheur pour la pensée ! […] Ni Boulainvillers, ni Dubost, ni Montesquieu lui-même, ni personne, n’a parlé de la monarchie française avec cette sûreté et cette clarté de connaissances qui donnent à ces deux pièces de procédure, à ces deux Mémoires d’occasion, l’éternelle solidité de l’Histoire. […] C’est tout cela enfin qui donne au Mémoire de Saint-Simon un pathétique et une grandeur que je n’avais jamais vus au même degré, même dans lui, dans Saint-Simon ! […] Mais il eut trois sœurs naturelles qu’il maria richement, mais sans leur donner de rang dans l’État. […] Cette histoire de choses mortes qui donne une si grande idée du temps où elles étaient vivantes, n’est à présent qu’un vain document sur un temps qui n’est plus.

2369. (1868) Curiosités esthétiques « VI. De l’essence du rire » pp. 359-387

J’ai un vague souvenir de l’avoir lue dans un de ses livres, mais donnée comme citation, sans doute. […] La rêveuse Germanie nous donnera d’excellents échantillons de comique absolu. […] Je vais en donner la preuve par quelques échantillons de mes souvenirs. […] Quelques jovialités de Pierrot ne peuvent donner qu’une pâle idée de ce qu’il fera tout à l’heure. […] Elle lui promet sa protection, et, pour lui en donner une preuve immédiate, elle promène avec un geste mystérieux et plein d’autorité sa baguette dans les airs.

2370. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XI : M. Jouffroy moraliste »

Jouffroy fut la connaissance de la destinée humaine ; il la donna pour but à la philosophie82 ; pour lui les autres recherches ne furent que rentrée de celle-là. […] Étant donné un fait il y a toujours une cause, force ou nécessité, qui le produit ; sans cela, il ne se produirait pas. […] Il errait entre deux sens qui s’excluent, et donnait à des prémisses païennes une conclusion chrétienne. […] Il donna pour but à la psychologie la psychologie, et ne permit pas aux questions métaphysiques de diriger sourdement ses recherches, et de pervertir par degrés ses observations. […] Cousin en philosophe, le plaçait au dix-neuvième siècle, et lui donnait pour disciple M. 

2371. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le buste de l’abbé Prévost. » pp. 122-139

Disons-le sans détour, l’abbé Prévost, reparaissant à Hesdin sous forme de marbre et couronné de la main de ses compatriotes, ce n’est pas seulement l’homme célèbre qui est salué avec respect, c’est à la fois moins et plus, et c’est mieux : c’est l’Enfant prodigue, qui, après une longue absence et après avoir longtemps fait parler de soi en bien des sens, illustré par ses erreurs mêmes et par cette sorte de magie qu’il n’est donné qu’au génie d’y répandre, a terminé son temps d’exil, et qui revient plus aimé, plus embrassé de tous, fêté même et pardonné par les plus sévères. […] M. le préfet donna le signal par quelques paroles bien senties, où l’administrateur montrait qu’il se ressouvenait de l’homme de lettres. […] Quoique je ne prétende point donner un récit complet de la fête, j’indiquerai encore, après les discours, une cantate qui fut exécutée par cent musiciens de la ville. […] Mais, même dans ces besognes obligatoires que la nécessité lui imposait, une fois la plume à la main, que ce soit la grande compilation de l’Histoire générale des voyages qu’il entreprenne (1746) que ce soit un simple Manuel lexique ou Dictionnaire portatif des mots français obscurs et douteux (1750), un de ces vocabulaires comme Charles Nodier en fera plus tard par les mêmes motifs ; que ce soit le Journal étranger, ce répertoire varié de toutes les littératures modernes, dont il devienne le rédacteur en chef (1755) ; de quelque nature de travail qu’il demeure chargé, remarquez le tour noble et facile, l’air d’aisance et de développement qu’il donne à tout ; il y met je ne sais quoi de sa façon agréable et de cet esprit de liaison qui est en lui. […] Mais, si huit mois d’éloignement et de silence peuvent vous paraître une satisfaction suffisante, je me flatte, monseigneur, que votre bonté achèvera de se laisser toucher en considérant que mon caractère est tout à fait exempt de malignité, que, dans plus de quarante volumes que j’ai donnés au public, il ne m’est rien échappé qui soit capable d’offenser, et que l’accident même qui fait mon crime n’a été qu’un aveugle sentiment de charité et de compassion pour un malheureux camarade d’école que j’ai voulu secourir dans sa misère après l’avoir aidé longtemps de ma propre bourse… M. le curé de Saint-Sulpice et Mlles de Raffé du Palais-Bourbon, qui l’ont assisté aussi à ma recommandation, ne me refuseront pas ce témoignage.

2372. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — III. (Fin.) » pp. 162-179

Le président Jeannin, amateur de la paix et sachant qu’au fond c’était aussi la politique de Henri IV, sut dissimuler dans l’origine et ne pas donner son dernier mot : Il était, a dit Grotius, si puissant en paroles et tellement maître des mouvements de son visage, que, quand il cachait le plus ses sentiments, il semblait toujours qu’il parlât à cœur ouvert (Vultus autem sermonisque adeo potens, ut cum maxime abderet sensus apertissimus videretur). […] Sully, lui écrivant dans les derniers mois, n’avait pu s’empêcher de le louer : J’ai toujours fort estimé la vivacité de votre esprit et la solidité de votre jugement, lui disait ce témoin difficile, mais ces dernières actions m’en donnent meilleure opinion que jamais, ayant su vous débarrasser de tant de diversités et opinions différentes qui tombent d’heure à autre dans l’esprit de toutes les parties avec lesquelles vous avez à traiter ; car non seulement il faut concilier deux ou trois partis fort éloignés de désirs et intentions les uns des autres, mais il semble que vous ayez à faire autant de traités qu’il y a de personnes d’autorité de tous bords, y ayant autant d’opinions que de têtes. […] Quoi qu’il en soit, Henri IV espérait faire découvrir le passage et avoir l’honneur de donner son nom à cet autre détroit qui serait le pendant de celui de Magellan. Un navire fut en conséquence équipé à ses frais, et Jeannin chargé de donner en secret toutes les instructions au capitaine. […] Claude, de la Bibliothèque impériale, m’a bien voulu donner copie, entre autres pièces, d’une lettre de Jeannin au président de Thou, dont j’ai cité un passage sur la mort de Scaliger.

2373. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. (Tome XII) » pp. 157-172

On en a, dans la campagne de Portugal, autour de Masséna, tout un groupe dont les principaux, n’étant plus contenus par un maître, se donnent carrière et se permettent la contradiction. […] Simple, dépourvu d’extérieur, ne cherchant pas à montrer son esprit, qui était pourtant remarquable, négligent même lorsqu’il avait encore toute l’activité de la jeunesse, déjà très dégoûté de la guerre, sacrifiant beaucoup à ses plaisirs, il n’avait pas cette hauteur d’attitude, naturelle ou étudiée, qui impose aux hommes, qui est l’un des talents du commandement, que Napoléon lui-même négligeait quelquefois de se donner, mais qui était suppléée chez lui par le prestige d’un génie prodigieux, d’une gloire éblouissante, d’une fortune sans égale. […] Il a fait quelque part une très belle analyse des explications que demande et que donne l’empereur Alexandre, à M. de Caulaincourt au moment du refroidissement avec la France. […] Thiers donne ici raison à ce qui lui ressemble, et voit des ressemblances là même où il y en a le moins. […] J’aurais bien encore à présenter quelques remarques, mais les volumes prochains m’en donneront l’occasion.

2374. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres complètes de Saint-Amant. nouvelle édition, augmentée de pièces inédites, et précédée d’une notice par M. Ch.-L. Livet. 2 vol. » pp. 173-191

Il y a dans ce rythme aisance, harmonie, douceur, et les deux vers à rimes rapprochées qui terminent la strophe lui donnent par leur monotonie un air de complainte qui ne déplaît pas. […] Il a donné en cet endroit la recette de son ragoût ; je laisse à de plus connaisseurs que moi à décider si le cuisinier a réussi. […] Il obtint de sa libéralité titre de gentilhomme et pension (pension d’ailleurs assez inexactement payée), il l’alla visiter en Pologne, en un mot il s’était donné à elle, selon l’expression d’alors, et autant que le lui permettaient les autres prodigalités qu’il faisait de sa personne. Dès qu’il a à parler de cette princesse, il change subitement de ton, il sort du cabaret pour donner dans le sublime et dans la dernière quintessence. […] [NdA] Les jeunes gens le savaient bien ; et ceux qui, venus quelque temps à Paris, voulaient se donner un genre de mauvais sujets, disaient par vanterie, après s’en être retournés en province : « J’ai fait la débauche avec Saint-Amant. » 28.

2375. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Eugénie de Guérin, Reliquiae, publié par Jules Barbey d’Aurevilly et G.-S. Trébutien, Caen, imprimerie de Hardel, 1855, 1 vol. in-18, imprimé à petit nombre ; ne se vend pas. » pp. 331-247

Il ne paraît pas avoir donné une attention particulière à Guérin ni l’avoir deviné. […] j’ai cette confiance que tes sentiments religieux me donnent, que la miséricorde de Dieu m’inspire. […] la chose la plus maligne, la plus tenace, la plus emmaisonnée, qui rentre par une porte quand on l’a chassée par l’autre, qui donne tant d’exercice pour ne pas la laisser maîtresse du logis ! […] Quel chagrin m’ont donné ces figues ! […] Jamais ne me donneras-tu signe de là ?

2376. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — I » pp. 107-125

» Et quand ses médecins jugeaient à propos de le saigner, il lui fallait donner sa pertuisane qu’il avait au chevet de son lit, pour lui servir de bâton dans la faiblesse ; il n’en voulait point d’autre22. […] Au retour de cette glorieuse campagne, la princesse Marie lui donna un logement à l’hôtel de Nevers et lui sut gré de sa peine : elle eut un de ses plus charmants sourires. […] Il n’avait donné que son Lucain, une suite de l’histoire romaine de Coeffeteau, tirée d’Aurelius Victor et autres, quelques versions de l’office de la Semaine sainte, des heures canoniales, des épîtres et Évangiles. […] À peine le précédent abbé avait-il rendu le dernier soupir, que Marolles, alors sur les lieux, en donna avis en toute hâte à son père, grâce à l’obligeance d’un maître de poste qui par un très mauvais temps, à dix heures du soir, expédia un courrier qui devança tous les autres. […] Tout en envisageant ces dignités ecclésiastiques d’une manière beaucoup trop mondaine, il eut pourtant le bon sens de reconnaître ses limites et de sentir qu’il n’avait rien de la capacité ni de la vocation épiscopale : « Car pour en dire la vérité, bien que je tinsse à honneur d’avoir été proposé pour un état si sublime, si est-ce que, ne m’en trouvant pas digne, je me contentais seulement d’avoir donné sujet d’en parler. » C’était déjà, en effet, beaucoup d’honneur pour lui qu’on eût songé, un moment, à en faire un évêque.

2377. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Essais de politique et de littérature. Par M. Prevost-Paradol. »

Il a obtenu dans sa première jeunesse le prix d’éloquence à l’Académie française pour l’Éloge de Bernardin de Saint-Pierre ; je ne vois pas qu’il ait même fait imprimer cet Éloge ; il n’en a donné qu’un court extrait sur Paul et Virginie. […] Il avertit dans la préface qu’il écrivit d’abord en français et la traduisit ensuite en latin « pour répondre aux exigences du doctorat » ; mais c’est sous sa première forme qu’il la donne au public. […] J’avais écrit sur Tocqueville dans le Moniteur et en le faisant j’avais eu en vue deux choses : témoigner d’abord, dans le journal même du Gouvernement, de mon respect et de mon estime pour un adversaire de haut mérite ; et, en second lieu, à la veille d’une grande solennité littéraire, au moment où l’on allait peut-être essayer de nous donner un faux Tocqueville, j’avais tenu a en présenter un vrai et à prendre, autant que je le pouvais, la mesure de l’homme, avant qu’il passât à l’état de demi-dieu ou de pur génie par le fait de l’apothéose académique. […] Je ne prétends pas dire qu’un esprit de cette qualité ne pourrait pas suffire à autre chose et nous donner plus et mieux encore qu’il ne nous donne aujourd’hui. […] Mais enfin, s’il veut bien considérer que la société n’est pas faite uniquement pour donner exercice et matière à tous nos talents, à toutes nos aptitudes, même à celles de luxe, il sera plus indulgent.

2378. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Essai sur l’Histoire générale des sciences pendant la Révolution française. »

Il me le disait encore tout récemment à l’occasion des Mémoires de M. de Candolles : il ne comprenait pas qu’on occupât ainsi le public de soi ; je ne donne pas cette opinion comme juste, mais comme sienne. […] Un général qui assistait à l’exercice demanda le nom de l’adroit tireur, et voulut donner au canonnier Biot une pièce de cinq francs qui fut noblement refusée. […] L’intelligence humaine en possession des méthodes modernes, de ces méthodes précises et graduelles « qui lui donnent non des ailes pour l’égarer, mais des rênes qui la dirigent, » y reçoit des hommages qui ne sont, à les bien prendre, qu’un juste et fier encouragement. […] Des savants furent chargés de décrire et de simplifier leurs procédés ; la fonte des cloches donna tout le cuivre nécessaire. […] Si l’Académie française, comme on peut l’espérer, donne pour successeur à M. 

2379. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’Impératrice Catherine II. Écrits par elle-même. »

« Il leur donnait des grades et des rangs, et les dégradait selon sa fantaisie. » Elle, à peine arrivée, elle se mit à se faire instruire dans la religion grecque et à apprendre le russe : les deux instruments essentiels pour réussir auprès de cette nation sur laquelle elle aspirait à régner. […] Il paraît bien cependant que des années se passèrent (sept ans environ), avant que cette charmante jeune fille devînt femme et pût espérer de donner un héritier au trône. […] Il est bon de savoir que l’Impératrice Élisabeth était très-bien en homme ; elle était ce qu’on peut appeler la plus belle jambe de son empire ; elle dansait en perfection, et il était naturel dès lors quelle se plût à donner des bals masqués où tous les hommes étaient en habits de femme, toutes les femmes en habits d’homme. […] Elle prit très-bien ce que je lui dis et me répondit sur le même ton, le plus gracieusement du monde, que si elle était homme ; ce serait à moi qu’elle donnerait la pomme. […] Je n’en fis pas secret à Mr Tchoglokoff qui le redit à l’oreille de deux ou trois personnes, et de bouche en bouche, au bout d’un quart d’heure à peu près, tout le monde le sut. » Avec une galanterie des ce genre et moyennant cette adroite flatterie pour un caprice souverain, la grande-duchesse réparait pour quelque temps, dans l’esprit futile d’Élisabeth, bien des préventions contre elle, qu’on lui avait inspirées. — Mais voici le mieux, et je ne crois pas qu’un peintre de femmes, fût-il un Hamilton, eût jamais pu mieux faire ni mieux dire, s’il s’était proposé de nous donner le portrait de Catherine, à l’âge de vingt et un ans : « Aux bals de la Cour, où le public n’assistait pas, je me mettais le plus simplement que je pouvais, et en cela je ne faisais pas mal ma cour à l’Impératrice, qui n’aimait pas beaucoup qu’on y parut fort parée.

2380. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Sainte-Hélène, par M. Thiers »

Quelle imagination de poète eût mieux inventé que la réalité ici ne donna ? […] Mais, par la suite, la plus cruelle gêne pour lui comme pour tous les habitants de Longwood fut l’absence d’ombre ; un bois de gommiers voisin de l’habitation n’en donnait pas ; la tente qu’on avait dressée et qui lui en procurait un peu n’avait ni la mobilité ni la fraîcheur d’un ombrage. […] Ce n’est pas celle des philosophes proprement dits, qui analysent la machine humaine, la démontent, la décomposent, se donnent le plaisir de la regarder en dedans et en dessous, de l’expliquer tant bien que mal, et puis n’en font rien. […] II J’ai pu à peine donner idée de ce chapitre élevé et pathétique qui couronne dignement la plus sérieuse histoire. […] Thiers, en prétendant établir comment on se passe d’un style proprement dit, donne au même moment l’exemple d’un style vif, pressé, excellent.

2381. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

On ne recevait alors en Savoie d’autre éducation que celle que donnaient les ecclésiastiques. […] Le salpêtre révolutionnaire était dans l’air ; la France de Juillet avait donné le signal et fait explosion. […] Si je voulais chercher quelques traces ou indices du talent de Veyrat à cet âge de vingt-deux ans, je les trouverais plutôt dans ses Italiennes, poésies politiques dont il ne se donnait que comme l’éditeur52. […] La jeunesse est sujette à prendre au pied de la lettre tout ce qui s’écrit ; et, ce qui doit donner à penser à ceux qui écrivent, elle met ses actions, sa personne et sa vie au bout des phrases ; elle s’embarque, corps et âme, sur la foi des paroles. […] La situation étant donnée, la pièce est noble et fort belle.

2382. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres choisies de Charles Loyson, publiées par M. Émile Grimaud »

Ses amis, et ils étaient nombreux encore, Cousin, Viguier, Patin, et bien d’autres m’en surent gré ; mais parmi les nouveaux venus, parmi ceux qui occupaient alors le devant de la scène et qui faisaient le plus de bruit, il y en eut d’assez pleins d’eux-mêmes, d’assez infatués et enivrés de l’orgueil de la vie, pour me reprocher ce souvenir donné à un humble mort, comme si par là on les volait eux-mêmes, insatiables qu’ils étaient, dans leur célébrité présente ; je recueillis de ce côté quelques injures127. […] Une note de l’auteur ne manqua pas de donner à deviner à quelle « auguste critique » il avait dû la correction de cette faute. […] On dirait véritablement que l’histoire littéraire, comme la nature, à la veille d’une grande création, au moment où elle va enfanter et produire un grand individu nouveau, s’essaye et prélude par des ébauches moindres, par des moules préparatoires un peu indécis, mais approchants, qui donnent déjà quelque idée du prochain génie, mais qui, à son apparition, se brisent comme inutiles avant de s’achever et de s’accomplir. […] Cette espèce de rendez-vous à prochaine échéance qu’il n’hésitait pas à donner à l’âme de Loyson se trouva heureusement fort ajournée : mais il est juste de dire que, s’il tarda de près d’un demi-siècle à le rejoindre, il ne l’oublia jamais ; il aimait à s’en entretenir avec nous ; il provoquait notre ami M.  […] Ceci laisse assez clairement entrevoir que, bien que Loyson fût mort à Paris, il n’avait pas été donné à ses anciens amis de l’Ecole normale de l’approcher dans sa maladie dernière et il ses instants suprêmes » .

2383. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre II. Rapports des fonctions des centres nerveux et des événements moraux » pp. 317-336

Tyndall155, que tous les grands penseurs qui ont étudié ce sujet, sont prêts à admettre l’hypothèse suivante : que tout acte de conscience, que ce soit dans le domaine des sens, de la pensée ou de l’émotion, correspond à un certain état moléculaire défini du cerveau ; que ce rapport du physique à la conscience existe invariablement, de telle sorte que, étant donné l’état du cerveau, on pourrait en déduire la pensée ou le sentiment correspondant, ou que, étant donnée la pensée ou le sentiment, on pourrait en déduire l’état du cerveau. […] Au fond, ce n’est pas là un cas de déduction logique ; c’est tout au plus un cas d’association empirique. — Vous pourrez répondre que bien des déductions de la science ont ce caractère d’empirisme ; telle est celle par laquelle on affirme qu’un courant électrique circulant dans une direction donnée fera dévier l’aiguille aimantée dans une direction définie. […] Prenons la sensation du jaune d’or, d’un son comme ut, celle que donnent les émanations d’un lis, la saveur du sucre, la douleur d’une coupure, celle du chatouillement, de la chaleur, du froid. […] Avant l’opération, il se représentait une tasse de porcelaine comme froide, polie, capable de donner à sa main telle sensation de résistance et de forme ; lorsque pour la première fois elle frappe sa vue et lui donne la sensation d’une tache blanche, il conçoit la chose blanche et lustrée comme autre que la chose résistante, pesante, froide et polie.

2384. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXe Entretien. Souvenirs de jeunesse. La marquise de Raigecourt »

Sa présence chez sa mère et le mystère qui l’entourait donnaient à la maison de la marquise de Raigecourt la grâce d’un secret deviné, mais jamais révélé. […] Ils lui parlèrent de moi comme d’un jeune homme qui donnait de belles espérances à la poésie, au royalisme, et qui n’était point enrôlé dans le parti opposé à la religion. […] Un peu plus loin, les prairies s’élargissent et éloignent la rivière du château ; là s’élève un petit château que le duc me donna pour en faire mon habitation personnelle, quand il me conviendrait de m’y fixer pendant la belle saison. […] Cuvier donna pour moi un grand dîner dans son palais d’études au Jardin des plantes. […] Il trouva en Suisse, dans la maison de Coppet, l’amitié la plus tendre, la religion la plus tolérante et toutes les consolations que les mêmes déceptions donnent aux illusions également trompées.

2385. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre V. Premiers aphorismes de Jésus. — Ses idées d’un Dieu Père et d’une religion pure  Premiers disciples. »

Cette personnalité exaltée n’est pas l’égoïsme ; car de tels hommes, possédés de leur idée, donnent leur vie de grand cœur pour sceller leur œuvre : c’est l’identification du moi avec l’objet qu’il a embrassé, poussée à sa dernière limite. […] Il n’a pas été donné jusqu’ici à l’égarement d’esprit d’agir d’une façon sérieuse sur la marche de l’humanité. […] Le Gaulonite soutenait qu’il faut mourir plutôt que de donner à un autre qu’à Dieu le nom de « maître » ; Jésus laisse ce nom à qui veut le prendre, et réserve pour Dieu un titre plus doux. […] Donne-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour. […] On écrivait très peu ; les docteurs juifs de ce temps ne faisaient pas de livres : tout se passait en conversations et en leçons publiques, auxquelles on cherchait à donner un tour facile à retenir 268.

2386. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Les regrets. » pp. 397-413

Le grand malheur des révolutions fréquentes et périodiques auxquelles notre France s’est vue sujette depuis quarante ans, a été de faire de vastes coupes réglées dans les générations qui formaient la tête de la société, de les déposséder presque en masse du pouvoir en un seul jour, et de donner aux générations survenantes le caractère d’une conquête et d’une invasion. […] Dans ce moment, même, qu’ils daignent, je les en prie, ne pas prendre ou donner le change sur ma pensée : je ne viens pas ici conseiller d’épouser le pouvoir, mais simplement de ne pas le nier avec obstination, de ne pas bouder la société qui l’a ratifié, le fond et le vrai de la société de notre temps. […] Il y a un mal terrible et rebelle à guérir, une maladie non décrite et qui n’a pas pris place encore dans les livres de médecine ; je l’ai peu observée directement, je l’ai entrevue toutefois, et je me la suis fait raconter par des témoins, et presque par des malades eux-mêmes : je puis en donner un léger aperçu que de plus experts compléteront. […] Les importuns et les sots même entre les solliciteurs ne vous déplaisent pas ; ils donnent le sentiment de ce qu’on peut, même quand on refuse. […] Une autre remarque plus frappante porterait sur l’espèce de conseil que le digne Marmontel donne à ses enfants en leur présentant ce triste exemple de l’ambition politique.

2387. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — II. (Fin.) » pp. 206-223

Ayant fait choix de son jeune Scythe voyageur pour le faire parler et juger de la Grèce vers le temps d’Épaminondas et de Philippe, il s’est donné beaucoup de peine pour introduire l’examen de certaines questions que la vue de la Grèce, à cette date, ne soulevait pas, pour en éluder et en écarter adroitement certaines autres, et pour atteindre à une sorte de vraisemblance froide dont on ne lui sait aujourd’hui aucun gré. […] Ce talent énergique et brillant commence d’abord, et à tout hasard, par donner des coups d’épée à travers son sujet, et de cette épée jaillissent des éclairs. […] En entendant ces nombres heureux et cette musique nouvelle unie à la couleur, on se rappelle le mot de Chênedollé, que « Chateaubriand est le seul écrivain en prose qui donne la sensation du vers ; d’autres ont eu un sentiment exquis de l’harmonie, mais c’est de l’harmonie oratoire : lui seul a une harmonie de poésie ». […] C’est ainsi que, vers la fin, dans le séjour à Délos, il n’a pu s’empêcher de se donner carrière : l’homme s’est révélé ; il a placé dans la bouche de Philoclès ses propres idées sur le bonheur, sur la société, sur l’amitié, et a introduit par extraits cet ancien petit Traité de morale qu’il avait composé bien des années auparavant pour le neveu de M. de Malesherbes. […] Un seul trait vous peindra la douceur de son âme philanthropique : « Que n’est-il donné à un mortel, s’écriait-il souvent, de pouvoir léguer le bonheur !

2388. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre I : Principe de la métaphysique spiritualiste »

Qui donc sait que dans cette entreprise commune à ces deux penseurs se rencontrait une vue neuve et profonde, qui, développée avec la patience du génie allemand, eût peut-être donné naissance à un mouvement philosophique aussi considérable dans l’histoire que l’a été le mouvement kanto-hégélien, si des circonstances favorables se fussent prêtées à un semblable développement ? […] C’est ainsi que dans son Mémoire sur l’habitude, où à chaque page il se donne très-sincèrement comme le disciple de Condillac et de Tracy, il n’est pas difficile à celui qui connaît sa philosophie future d’en découvrir non seulement les germes, mais les principes essentiels sous la terminologie de Condillac, encore conservée. […] Si nous passons maintenant à l’être qui se connaît lui-même, on peut se demander d’abord s’il existe un tel être ; mais la réponse est donnée dans la question même, car celui qui demande cela sait bien qu’il le demande, il sait donc qu’il pense, il sait donc qu’il est. […] L’expérience interne me donne non-seulement l’être et le phénomène, mais le passage de l’un à l’autre : ce passage est l’activité. […] On comprend que des métaphysiciens exacts et rigoureux aient craint de donner le nom de substance à cet être fuyant qui peut dire avec Héraclite : « Nous ne repassons jamais deux fois les eaux du même fleuve. » Il semble qu’une substance doive être quelque chose d’absolument fixe, et en ce sens un tel mot paraît ne pouvoir s’appliquer qu’à l’être infini.

2389. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Maurice Rollinat »

Les Névroses avaient paru devant moi sous deux formes qu’elles ne pouvaient pas garder malheureusement, et qui devaient donner à ce livre une poussée formidable pour atteindre au succès qu’il a le droit d’ambitionner. […] On a été injuste et ingrat envers un talent qui avait donné un plaisir de la plus étonnante électricité, et on est allé dans l’ingratitude jusqu’à nier au poète sa sincérité. […] Ils lui avaient donné. […] Ses Névroses sont contagieuses ; elles donnent réellement des névroses à ceux qui parlent d’elles ! […] Je conçois très bien que toute cette littérature cadavérique, qui n’est pas une ironie, donne au cadavre vivant de tel vieux critique la peur désagréable d’être tout à fait un cadavre demain, et que cela influe légèrement sur son impartialité.

2390. (1903) Considérations sur quelques écoles poétiques contemporaines pp. 3-31

Le Romantisme a donné avec le Parnasse sa floraison dernière, en sa forme maintenue, et il s’est mué en Symbolisme en léguant au Symbolisme son appétit de nouveauté, sa recherche d’un coloris neuf, sa tendance à l’évolution rythmique, c’est-à-dire son essence même. » Et, qu’on le veuille ou non, la chose est très vraie. […] Bédier nous a donné une savante édition dans sa thèse latine4. […] On donne à l’officier les droits de son office, On donne au serviteur le gain de son service, Et au docte poète on donne le laurier. […] Elles ne s’écartent en rien du génie de notre race et tendent à donner un peu d’élasticité à des préceptes dont l’étroitesse ne peut que nuire à l’essor poétique, puisque la poésie est l’expression musicale et rythmée du sentiment et des idées.

2391. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VIII : M. Cousin érudit et philologue »

Celui-ci, homme d’État, est passionné pour le jardinage ; il donne six heures par jour aux affaires, et six heures à la culture des dahlias. […] En voici une que nous donnons pour ce qu’elle peut valoir. On lit dans les Mémoires manuscrits d’André d’Ormesson, et dans la Gazette de France de Renaudot, que le 18 février 1635, il fut donné au Louvre, sous le roi Louis XIII, un grand ballet où figurèrent toutes les beautés du jour, et parmi elles, Mlle de Bourbon. » Ce n’est point de ce ton qu’on conduit au bal une jeune princesse, surtout lorsqu’on est amoureux d’elle ; M.  […] Puisse aussi quelque homme instruit et laborieux, voué à l’étude de Paris et de ses monuments, ne pas laisser périr la rue Saint-Thomas-du-Louvre sans en donner une description et une histoire fidèle à l’époque de son plus grand éclat49 !  […] Sa biographie ne dit pas s’il fut directeur de femmes ; en tout cas, il n’eût accepté que les plus illustres pénitentes ; quoique roturier, il aimait les nobles et n’aurait voulu donner son avis que sûr les grandes aventures du cœur.

2392. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Lettres de la mère Agnès Arnauld, abbesse de Port-Royal, publiées sur les textes authentiques avec une introduction par M. P. Faugère » pp. 148-162

» donne à penser qu’elle-même n’eût pas été loin de céder s’il n’y avait eu toute une armée derrière elle, et si tout ne lui avait rappelé à chaque heure qu’elle était une Arnauld. […] Mais elle est plus dans le sens de sa propre nature et de son goût, lorsqu’à l’occasion du miracle ou prétendu miracle de la Sainte-Épine, dont Port-Royal était si glorieux, elle engage la même Mlle Pascal, devenue la sœur Euphémie, à le célébrer en vers : et elle fut grondée pour avoir pris sur elle de lui donner ce conseil à demi littéraire et profane. […] Elle en parlait à son aise, ayant pour maxime « que plus on ôte aux sens, plus on donne à l’esprit ». […] Il avait un grand parasol pour se préserver du soleil, et les polissons du quartier qui voyaient cet homme grave, nu-tête, marchant à pas comptés sous son parasol, le poursuivaient de leurs cris et peut-être de mieux : il avait envie de les traiter parfois comme fit le prophète Élisée des enfants qui le huaient, et il consulta son confesseur pour savoir s’il ne lui serait point permis de leur faire donner du bâton par un domestique qui le suivrait à quelque distance. […] Le bon chevalier aurait bien voulu entrer, au moins une fois, dans ce cloître pour lequel il avait conçu de si grands desseins, et il en exprima le désir à la mère Agnès qui lui répondit par un refus le plus agréablement tourné : Je vous remercie très humblement de votre unique et rare fruit (un de ses petits cadeaux journaliers), vous avez le privilège de donner tout ce que vous voulez et d’accorder tout ce qu’on vous demande ; et nous, au contraire, nous trouvons des impuissances partout.

2393. (1874) Premiers lundis. Tome II « Mémoires de Casanova de Seingalt. Écrits par lui-même. »

Un certain nombre, qui ne possèdent ces hautes facultés qu’inégalement ou selon une mesure assez moyenne, sont favorisés dans leur honorable ténacité, par le peu de tentation que leur donnent à droite ou à gauche les facultés mobiles et divertissantes, presque nulles chez eux. […] Saumaise lui avait rapporté l’histoire à Leyde, bien des années auparavant, et, pour mieux circonstancier le fait, il avait envoyé chercher l’exemplaire du Moyen de parvenir à la Bibliothèque de la ville, et l’avait donné à Huet, fort élégamment relié. […] L’illustre poète lubrique Baffo donna l’œil à l’achèvement de son éducation poétique ; un vieux sénateur retiré des affaires, mais non du monde, perclus de jambes, mais sain de tête, M. de Malipiero, lui ouvrit sa maison, sa table, avec les conseils d’une expérience vénitienne de soixante-dix ans, et l’initia au savoir-vivre exquis et à une honnête corruption. […] Vers ce même temps, Casanova fut présenté chez une courtisane et actrice à la mode, J…, qu’il trouva singulière, et aux impertinences de laquelle il résista : « Chaque fois qu’elle me regardait, elle se servait d’un lorgnon, ou bien elle rétrécissait ses paupières comme si elle eût voulu me priver de l’honneur de voir entièrement ses yeux, dont la beauté était incontestable : ils étaient bleus, merveilleusement bien fendus, à fleur de tête et enluminés d’un iris inconcevable que la nature ne donne quelquefois qu’à la jeunesse, et qui disparaît d’ordinaire vers les quarante ans, après avoir fait des miracles. […] Je te ferai plaisir en t’informant que j’ai si bien mis ordre à mes affaires que je serai pour le reste de mes jours aussi heureuse qu’il peut m’être donné de l’être, privée de toi.

2394. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre II. Signes de la prochaine transformation »

et je fais serment de ne pas lui donner de dégoût, et de la recevoir au contraire comme une libératrice 608. » Ne voyons-nous pas se former dans les cœurs et déborder sur les lèvres les sentiments romantiques, le lyrisme éperdu de l’amour ou du désespoir ? […] Il était didactique et descriptif à jet continu : et il a réussi à exprimer les notions de toutes les choses sensibles, sans en avoir ni en donner peut-être une seule fois l’impression. […] Un amoureux qui a en effet des entretiens secrets avec Hédelmone donne de la jalousie à Othello : l’action est réduite à une rivalité d’amour, et l’intrigue est un long quiproquo, comme dans Zaïre. […] Le comte de Lauraguais donne 20 000 livres aux comédiens en 1739, pour qu’ils renoncent à placer des spectateurs sur la scène. […] Le comte de Volney (1757-1820), donne en 1791 les Ruines : mélange singulier de philosophisme (haine des tyrans et des prêtres ; foi au progrès et à la raison) et de notation exacte des choses extérieures (costumes, moeurs, traits locaux, etc.).

2395. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Conclusion »

Nous n’avons pu donner un tableau complet des travaux psychologiques en Angleterre. […] Parmi les psychologistes anglais, l’auteur auquel il doit le plus, dit-il, est Herbert Spencer, « en particulier pour l’habile analyse qu’il a donnée du raisonnement sous sa forme qualitative et quantitative. […] Si donc, laissant de côté les opinions personnelles et les solutions discutées, nous mettons en lumière les points sur lesquels ils s’accordent, ce sera donner le résumé des travaux et des résultats de l’Ecole expérimentale, en psychologie. […] L’expérience fondamentale, irréductible, qui donne la notion de l’extériorité, c’est la résistance. […] Ces solutions écartées, l’école donne la sienne.

2396. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Cours de littérature dramatique, par M. Saint-Marc Girardin. (2 vol.) Essais de littérature et de morale, par le même. (2 vol.) » pp. 7-19

Il semble avoir pris tout aussitôt pour devise ce mot de Vauvenargues : « La familiarité est l’apprentissage des esprits. » Dans des conseils qu’il adressait à un jeune homme, Vauvenargues, développant cette même pensée, disait encore : Aimez la familiarité, mon cher ami ; elle rend l’esprit souple, délié, modeste, maniable, déconcerte la vanité, et donne, sous un air de liberté et de franchise, une prudence qui n’est pas fondée sur les illusions de l’esprit, mais sur les principes indubitables de l’expérience. […] en ce qui est des choses de l’esprit et de l’expérience, n’avoir point de passion dans sa jeunesse, cela donne dix ou quinze ans d’avance pour la maturité. […] Il s’est bien gardé de prendre ce mot dans le sens qu’un amateur des modernes lui eût probablement donné. […] C’est ainsi que, prenant un à un les différents sentiments, les différentes passions qui peuvent servir de ressorts au drame, il nous en fait l’histoire chez les Grecs, chez les Latins, chez les modernes, avant et après le christianisme : « Chaque sentiment, dit-il, a son histoire, et cette histoire est curieuse, parce qu’elle est, pour ainsi dire, un abrégé de l’histoire de l’humanité. » M. de Chateaubriand avait, le premier chez nous, donné l’exemple de cette forme de critique ; dans son Génie du Christianisme, qui est si loin d’être un bon ouvrage, mais qui a ouvert tant de vues, il choisit les sentiments principaux du cœur humain, les caractères de père, de mère, d’époux et d’épouse, et il en suit l’expression chez les anciens et chez les modernes, en s’attachant à démontrer la qualité morale supérieure que le christianisme y a introduite, et qui doit profiter, selon lui, à la poésie. […] Elle a besoin d’eux pour se donner à elle-même toute son originalité et tout son piquant, pour égayer à temps son sérieux, qui, en se prolongeant, pourrait tourner au subtil.

2397. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Évolution de la critique »

Mais il veut aussi le connaître, sans parvenir à voir que cette connaissance n’affecte en rien le plaisir esthétique que peuvent donner ses livres. […] Il pose ainsi « une loi de dépendance mutuelle » entre une société donnée et sa littérature. […] D’autre part, ayant à déterminer d’une façon précise et individuelle, la nature de l’esprit d’artiste qu’elle veut connaître, elle est obligée de recourir aux notions générales sur l’intelligence humaine que donne la psychologie ; et s’appliquant à démêler les groupes naturels d’hommes auxquels un artiste peut servir de type, elle est contrainte de s’adresser à la sociologie et à l’ethnologie. […] On comparera avec profit le résumé du système tainien donné ici par Hennequin avec ceux proposés par Bourget dans ses Essais, ou par Brunetière dans son Evolution de la critique. […] Matthew Arnold (1822-1888) : fils du Docteur Thomas Arnold, proviseur de la Rugby School, poète, essayiste, critique littéraire, traducteur, défenseur de l’hellénisme, pédagogue, inspecteur des écoles, Arnold a notamment publié des réflexions sur la littérature classique, issues de cours donnés à Oxford (On Translating Homer, 1861), et un essai dans lequel il analyse la place des humanités dans la société victorienne (Culture and Anarchy, 1869).

2398. (1860) Ceci n’est pas un livre « Décentralisation et décentralisateurs » pp. 77-106

Donnez-leur des hémistiches débonnaires, — d’une parenté visible avec ceux qu’ils mâchent et ruminent depuis les bancs du collège : cela leur rappellera le printemps de leur vie et la littérature de l’empire. […] — Est-il possible de se laisser émouvoir par un poète qui donne — dans ses vers — sa vie pour sa bien-aimée, et refuse un manchon de trente francs à sa femme ! […] * *  * La fièvre que donne Paris — (c’est trop joli !) […] Cette vie, cette activité de la pensée, c’est la centralisation qui la donne et qui peut seule la donner.

2399. (1912) L’art de lire « Chapitre II. Les livres d’idées »

Dieu qui ne peut pas se tromper ni nous tromper, et qui, par conséquent nous a donné une évidence qui n’est pas une illusion d’évidence et par lequel nous sommes donc assurés qu’à croire à notre évidence nous ne serons pas illusionnés. […] Cela peut aussi nous paraître très facile à réfuter par une donnée immédiate de la conscience, par cette affirmation de notre être intime que, si nous sentons en nous bien des vices, nous nous saisissons aussi à tel moment comme capable d’une vertu et comme dans une sorte d’impuissance de ne pas céder à son appel. […] Tel auteur est préféré par un lecteur, non pas parce que ce lecteur lui trouve l’esprit juste, mais parce qu’il lui trouve l’esprit faux, ce qui donne à ce lecteur le plaisir d’avoir toujours raison ou de croire toujours avoir raison contre lui, par suite de quoi c’est à cet auteur que ce lecteur revient constamment. […] Et ils s’aimaient réciproquement, du reste : l’un étant heureux des occasions que lui donnait l’autre d’exposer la doctrine de son maître et de s’en pénétrer à nouveau ; l’autre étant heureux des occasions que lui donnait le premier de discuter comme avec Proudhon lui-même et de le terrasser par procuration.

2400. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IV. Des changements survenus dans notre manière d’apprécier et de juger notre littérature nationale » pp. 86-105

Notre littérature a vieilli, comme nos souvenirs : on n’ose pas encore l’avouer ; et certainement je serai soumis à d’amères censures, parce que j’aurai donné de la réalité à un fait que l’on voudrait refuser de constater, dont on voudrait même pouvoir douter. […] Nous ne connaissions point jusqu’à présent de genre classique ; nous appelions auteurs classiques ceux qui ont fixé la langue, et qui font autorisé sous ce rapport ; ensuite, par extension, nous donnions encore le nom de classiques aux auteurs qui sont restés fidèles au génie de la langue et à toutes les convenances de notre littérature nationale. […] Lorsque l’homme doué de génie prenait cette lyre d’or que lui avait donnée le ciel, il en tirait des sons qui lui étaient inconnus à lui-même ; et il n’y avait alors que ces sons divins qui eussent reçu le pouvoir d’adoucir les mœurs, d’élever les sentiments, d’agrandir les facultés. […] Ne faudrait-il pas créer de nouveau la puissance de ces traditions mythologiques, la pompe de ces solennités religieuses et nationales qui donnent la vie à ces admirables compositions ? […] Vous n’êtes point trompé : on vous avait promis de l’or, et c’est de l’or que l’on vous donne.

2401. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Introduction. Du bas-bleuisme contemporain »

Les Bas-bleus ont, plus ou moins, donné la démission de leur sexe. […] Rudement mais nettement posé par la Révolution française, et toujours frémissant dans les limites entre lesquelles Napoléon, qui savait l’indomptabilité du monstre, l’enferma, le principe de l’Égalité sautera, dans un temps donné, ses barrières. […] » Et les hommes se laissèrent donner cette claque, d’une joue soumise, et furent heureux, quand ils la reçurent, comme Figaro quand il reçut celles de Suzanne ; mais Figaro avait pour excuse qu’il était amoureux. […] Le théâtre même ne donnait pas le succès à visage assez nu, et il lui a fallu des chaires ! […] Mais pour être nos semblables, en nature humaine, doivent-elles se donner, — comme elles le font, — pour nos égales ?

2402. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VI. M. Roselly de Lorgues. Histoire de Christophe Colomb » pp. 140-156

III D’ailleurs, toute vérité à part, le point de vue, hardiment mystique, qui donne au livre de M.  […] Affreux ingrat qui avait fini par donner la gangrène de son ingratitude à Isabelle, et qui, elle morte, assassina Colomb avec les procédés d’une politesse irréprochable. […] Si un jour, et dans l’absence et sous les cris de paon des hidalgos révoltés contre le grand étranger auquel ils ne voulaient plus obéir, Isabelle fut sur le point de renier celui qui lui avait donné un monde, il faut rappeler qu’elle était femme et qu’elle aimait son époux. […] Dieu, qui ne doit à ses serviteurs que des épreuves, lui donna le bonheur du cœur aussi tard que la gloire, — cette gloire si triste, malgré son éclat, qui se lève sur nous, quand nous, nous baissons vers la tombe ! […] Littérairement, artistement, on peut signaler des défauts et des inégalités dans ce long ouvrage, mais ils sont couverts par de grandes qualités, et, dans un temps donné, ces qualités les couvriront mieux encore.

2403. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VIII. M. de Chalambert. Histoire de la Ligue sous le règne de Henri III et de Henri IV, ou Quinze ans de l’histoire de France » pp. 195-211

Henri III, Henri IV, tous les événements du siècle qui tourne autour d’eux, n’ont pas donné une seule distraction à l’historien attaché au sujet particulier de son livre et qui l’ouvre en 1584 pour le fermer en 1598. […] On a le droit de s’étonner du silence des historiens qui ne parlent jamais de l’industrie protestante qu’à propos de la révocation de l’édit de Nantes, sous Louis XIV, et négligent de poser au xvie  siècle cette question de vie et de mort qui donne un intérêt si suprême, un instant si marqué, une âme si forte à l’intérêt catholique ! […] Le peuple, menacé au xvie  siècle dans tout ce qui était sa vie, sentait absolument cette identité que les historiens devraient montrer davantage pour expliquer une action qui ne fut point une révolte dans le sens que les révolutions modernes ont donné à ce terrible mot, et pour l’expliquer aux penseurs politiques de nos jours qui ont rayé, il est vrai, les questions de foi de leurs programmes, c’est-à-dire toute l’économie de la vie morale, mais qui, en présence des intérêts matériels, comprendront peut-être que la Ligue, c’est-à-dire la société même, courût aux armes pour se sauver ! […] Religieux comme M. de Chalambert, il aurait, sous le couvert de cette Providence qui ne donne aux races royales que la durée de leurs vertus, conclu hardiment le rejet par Dieu de cette maison de Bourbon qui n’eut qu’un seul grand homme (Louis XIV) parmi ses plus brillants coupables, et qui, de faute en faute, accula la France jusqu’à l’effroyable expiation de 1789. […] Pour notre compte, à nous, nous ne savons pas de gloire à meilleur marché que celle de ce capitaine d’aventure, qu’on nous donne pour un grand capitaine parce qu’il allait gaiement au feu avec les autres, et, malgré le vaudeville qui obstrue l’histoire, nous n’en savons pas de moins française.

2404. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Gaston Boissier » pp. 33-50

L’Académie française, par ses prix donnés continûment et systématiquement aux ouvrages qui exaltent les sociétés païennes, et qui ne les exaltent jamais qu’au détriment de la société chrétienne, fait acte flagrant de paganisme. […] L’avalanche se ramasse en tombant dans le fond du gouffre ; les dernières pages sont les derniers coups… Il faut empêcher par toute voie que le Christianisme soit un démenti donné à toutes les lois du monde, de la nature et de l’humanité ! […] Le stoïcisme et la philosophie platonicienne, dit joliment notre dandy, s’étaient donné le mot pour sauver « l’état social des dieux », et pour couvrir les bêtises de ces dieux, qui en faisaient beaucoup, on avait inventé les démons. […] Boissier a cette magie… Je me suis intéressé, moi qui le pénétrais pourtant, à toute la peine qu’une nature souple, gracieuse et veloutée comme la sienne, s’est donnée pour saisir délicatement de ses fines dents de rat érudit et pour ronger, sans faire le bruit scandaleux d’une vaste déchirure, le bas de cette aube divine du Christianisme, qui traîne dans les siècles et qui y passe, sans perdre jamais un seul fil de sa trame sacrée, au-dessus du museau de tous les rongeurs ! […] Gaston Boissier a touché, à travers celui qui donnait le nom à son livre, un sujet pour lequel il n’avait pas les mains qu’il fallait, — des mains savantes d’une autre science que la sienne, compétentes, théologiennes.

2405. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « IX. L’abbé Mitraud »

Ce livre qui nous promet un système ne le donne point : il nous l’annonce, et après des réfutations tardives de doctrines épuisées, réfutations qui ne peuvent pas passer décemment pour des prolégomènes, il nous renvoie au numéro prochain, c’est-à-dire à un second volume qu’il nous faut attendre pour juger la valeur philosophique de M.  […] La théologie qu’il a étudiée et qui aurait dû donner de la trempe à son esprit n’a pu l’empêcher d’être et de rester un métaphysicien d’un ordre inférieur, qu’attire un problème qui échappe à sa portée. […] Mais cet état des multitudes dans l’univers donne-t-il le droit d’affirmer à un penseur rigoureux que l’idéal social existe réellement sur la terre, en dehors de cette société, qu’on nous passe le mot : crépusculaire, créée par le christianisme entre les ténèbres de l’ancien monde et la lumière du Jour Divin ? […] Sorte de harpe éolienne philosophique, qui donne des notes et ne joue pas d’airs ! […] Pousser un esprit de bonne foi et de bonne volonté, mais sans connaissance de la profondeur des partis et de leurs desseins, sur la voie dangereuse où il s’est imprudemment avancé, lui retourner un jour ses idées contre ses intentions, compromettre un prêtre, compromettre Dieu, dans cette question du socialisme contre laquelle un gouvernement d’énergie ferait plus que tous les écrivains réunis, voilà ce que M. l’abbé Mitraud, dans les illusions de sa charité, ne voit pas au fond des éloges donnés à son livre par tous ceux-là qui devraient le plus le repousser.

2406. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Relation inédite de la dernière maladie de Louis XV. »

Ce n’était pas à la fin de son règne seulement qu’il était ainsi ; la jeunesse elle-même ne lui put jamais donner une étincelle d’énergie. […] Ce fut vous qui le pressâtes de vous donner une heure pour le lendemain ; vous fûtes étonné vous-même, mon cher duc, du peu de mots qu’il articula à cet envoyé, et de ce qu’il était comme un écolier qui a besoin de son précepteur. […] Et la nation, les hommes de 89, qui se formaient à l’amour du bien public, à l’aspect de toutes ces bassesses, n’auraient pas été prêts pour ressaisir les débris de l’héritage et donner le signal d’une ère nouvelle. […] De pareils spectacles, il faut en convenir, étaient bien propres à exciter de nobles cœurs et à leur donner la nausée des basses intrigues.

2407. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre II. Utilité de l’ordre. — Rapport de l’ordre et de l’originalité »

Saisi à chaque moment de la vérité de ce qu’il exprime, il poussera devant lui ; il s’enfoncera dans les affirmations de plus en plus absolues, et il ne s’apercevra pas que ce  qu’il dit maintenant contredit ce qu’il a dit tout à l’heure, que ce sont des vérités partielles et relatives, qui doivent se tempérer et se limiter mutuellement L’humeur du moment donnera le ton à son œuvre, et l’on y lira toutes les lassitudes, tous les caprices, toutes les faiblesses de son esprit pendant l’exécution. […] Enfin, ne calculant pas la distance à parcourir ni l’effort à donner, il écrira pour lui, non pour le lecteur : il estimera intéressant ce qui l’intéresse, clair ce qu’il comprend, vrai ce qu’il croira, et ainsi il ne saura éviter ni l’ennuyeux, ni l’obscur, ni le faux. […] … « Il n’y a un véritable ordre que quand on ne peut en déplacer aucune partie sans affaiblir, sans obscurcir, sans déranger le tout…… « Tout auteur qui ne donne point cet ordre à son discours ne possède pas assez sa matière ; il n’a qu’un goût imparfait et qu’un demi-génie. […] Les idées sont susceptibles d’une infinité de valeurs, comme les mots d’une infinité de sens : la place qu’on leur donne exclut toutes les valeurs possibles, sauf une seule qu’elle réalise ; elles n’existent vraiment que quand elles sont ainsi localisées.

2408. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes maudits » pp. 101-114

Or cette Émotion, l’Idée, procédant par étapes successives, par graduations logiques et nécessaires, est impuissante à la donner d’emblée. […] Simplement ceci : Lui donner une Finalité. […] Quant à Pauvre Lélian (Paul Verlaine, pour mieux dire), l’École dont il est le chef l’a mis en pleine lumière et a donné à sa gloire une impulsion telle qu’il est impossible que ce mouvement ne se continue pas, en sa faveur, dans l’Avenir. […] Rimbaud avait donné à son manuscrit (Paul Verlaine).

2409. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — L’orthographe, et la prononciation. » pp. 110-124

Les Italiens avoient donné à toute l’Europe, l’exemple de ces changemens. […] De serviles compilateurs de phrases, d’une langue qu’on a bien de la peine à entendre, plus amateurs des mots que des choses, osèrent se donner pour des oracles en fait de prononciation. […] Par exemple, est-il dans la règle de ne pas faire sentir, ou de prononcer avec affectation en chaire, au barreau & sur le théâtre, le s final des noms, & le r final des verbes dont l’infinitif est terminé en er ou en ir, sous prétexte que cette pratique donne plus de dignité & d’énergie à la prononciation ? […] En général, il nous manque un bon traité de prosodie, c’est à l’académie Françoise à nous en donner un aussitôt qu’elle aura terminé son grand dictionnaire.

2410. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 9, de la difference qui étoit entre la déclamation des tragedies et la déclamation des comedies. Des compositeurs de déclamation, reflexions concernant l’art de l’écrire en notes » pp. 136-153

C’est le caractere qu’Horace avoit déja donné au second. […] Si le sort ne m’eut donnée à vous, mon bonheur dépendoit de l’avoir pour époux. […] Ces musiciens m’ont répondu que la chose étoit possible, et même qu’on pouvoit écrire la déclamation en notes en se servant de la gamme de notre musique, pourvu qu’on ne donnât aux notes que la moitié de l’intonation ordinaire. […] On n’y donneroit à une blanche que la valeur d’une noire, à une noire la valeur d’une croche, et on évalueroit les autres notes suivant cette proportion.

2411. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XIV »

Brunetière nous donna sur ce sujet : l’Art d’écrire s’enseigne-t-il 44 ? […] Quels conseils, en effet, nous donne-t-on ? […] Brunetière avait coutume de se donner pour un homme plus grave.‌ […] Le procédé est commode pour se donner l’air d’avoir raison.

2412. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Rome et la Judée »

Mais l’homme — l’homme qui nous l’a donnée après vingt années, lesquelles ont été probablement des années de recherches et d’étude, — est-il fini et mort sans qu’on en ait rien su, et ce qu’on en voit là, est-ce donc son fantôme ? […] Puisque sa veine était tarie, puisqu’il avait donné le meilleur du sang de sa pensée à son premier livre, ne pouvait-il pas, au moins, s’imiter ? […] Il n’a pas d’aperçu supérieur, et si son livre a encore, çà et là, de la vie, ce n’est pas sa faute ; ce n’est pas lui qui la lui a donnée. […] Et quant au style qui revêt tout cela, le style qui donne parfois aux livres les moins agencés et les moins approfondis au moins la valeur d’un noble langage, il a péri, ou plutôt il s’est amolli, avec tout le reste, dans le piquant auteur des Césars.

2413. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Th. Gautier. Émaux et Camées »

Dans ce volume d’Émaux et Camées, le poète, systématique au fond, a donné sa poétique avec le prestige de sa poésie, habile homme jusque-là ! […] Et quoique cette poétique ne soit pas la nôtre, quoique nous ne puissions jamais admettre que la poésie existe en raison directe de sa difficulté, cependant cette poétique a donné en M.  […] Gautier est un esprit hardi, absolu, qui ne se donne pas à moitié. […] Quant aux autres progrès que le livre d’Émaux et Camées nous atteste, ils sont moins faits pour étonner parce qu’ils sont dans le sens et dans la donnée des facultés connues du poète et de ses puissances.

2414. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XIX. »

Comme elle avait donné jadis Lucain et Martial à la monstrueuse grandeur et aux vices de Rome, elle offrait aux vertus de l’Église sortant des catacombes un chantre harmonieux et pur. […] « C’est la loi donnée de Dieu à notre fragile nature, que ce plaisir qui guérit et tempère la souffrance. […] S’agit-il du noble orgueil de l’esprit, dans sa croyance à l’immortalité, quel mécompte devaient lui donner ces vers d’Horace sur un sage illustre : « Ô toi qui mesurais la mer, et la terre, et le sable infini, Archytas, te voilà réduit à un peu de poussière, sur le rivage de Matine ! […] « Qui me donnera les ailes de la colombe, pour me mêler vite à ces chœurs, dont les voix, à ton exemple, célébreront le Christ Dieu ?

2415. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « PAUL HUET, Diorama Montesquieu. » pp. 243-248

Hoffmann, en son admirable conte de l’Église des Jésuites, à l’endroit où le peintre Berthold, ce pauvre génie incomplet, s’épuise dans ses paysages à copier textuellement la nature, introduit à son côté un petit Maltais ironique, espèce de Méphistophélès de l’art, qui lui frappe sur l’épaule et lui donne de merveilleux conseils : on dirait que M. […] Quinet87, qu’il a entendu la voix de la végétation, et qu’il lui a été donné de comprendre « le génie des lieux. » Si nous revenons maintenant à la vue de la plaine et du château d’Arques qui nous a suggéré tout ceci, nous y trouverons une application heureuse de cette faculté de paysagiste expressif et intelligent. […] J’ai toujours paru ne me préoccuper d’art qu’incidemment ; j’en ai rarement écrit, bien persuadé que, pour être tout à fait compétent en ces matières, il faut y passer sa vie ; mais je n’ai cessé tant que j’ai pu de voir et de regarder, et je n’ai pas laissé l’occasion de dire mon mot et de donner mon coup de collier à ma manière.

2416. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires sur Voltaire. et sur ses ouvrages, par Longchamp et Wagnière, ses secrétaires. »

Il fut renvoyé par Voltaire, lors du voyage de Prusse, soupçonné de tirer deux copies des ouvrages qu’on lui donnait à transcrire et d’en garder une dans son portefeuille. […] Après sa retraite forcée, il se mit à enseigner la géographie dont il avait appris quelque chose à Cirey, et à rédiger ces souvenirs qu’on nous donne. […] Il aime bien mieux, dans sa naïve jactance pour la gloire de son maître, ne nous faire grâce en rien de ces confessions et communions dérisoires, dont le seigneur de Ferney donnait le spectacle aux grands jours dans son église paroissiale, et de celles, plus dérisoires encore, pendant lesquelles, couché sur un lit de mort supposé, il jouait la solennité de l’agonie tête à tête avec un capucin effrayé, et, par une inexplicable débauche d’imagination, se plaisait à célébrer le scandale avec mystère.

2417. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Donec eris felix… »

Tu n’étais qu’un nom, le nom donné par les mécontents à leurs espérances ou à leurs convoitises, à leurs passions bonnes ou mauvaises. […] Ils ne te devaient rien, puisque c’est eux qui t’avaient tout donné… Console toi pourtant : ta bizarre aventure restera instructive, comme un chef-d’œuvre de l’ironie du destin, comme un exemple unique de l’artifice des renommées. […] Je ne puis désormais te donner un autre nom ! 

2418. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre III. Des moyens de trouver la formule générale d’une époque » pp. 121-124

Il nous suffit de constater que, en un temps et en un pays donnés, l’art, la littérature, le costume, l’habitation, l’état politique et religieux sont rattachés par des traits d’union que nul ne songe plus sérieusement à contester. […] Il arrive parfois, dans l’exécution d’une cantate par une société musicale, que les chanteurs, basses, barytons, ténors, se groupent au fond du théâtre et forment en sourdine un chœur puissant, tandis que, sur le devant de la scène, en pleine lumière, se détache une prima donna ; elle chante et sa voix domine toutes les autres, sans cesser cependant d’être en harmonie avec elles. […] Nous allons donc parcourir lentement la série des opérations qu’il convient de faire pour étudier dans une époque donnée les divers milieux où se développe la littérature, en nous gardant d’oublier que les faits environnants doivent être envisagés tour à tour par nous comme révélateurs, producteurs ou produits de faits littéraires.

2419. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 79-87

Il se met à crier, dans son délire : Janséniste, qu’on a vu donner des scènes au cimetiere de St. […] Il dit que j’ai donné des scènes au cimetiere de St. […] Tous ces Ouvrages sont plus que suffisans pour donner une idée avantageuse de cet Homme de Lettres, dont les mœurs douces & honnêtes méritoient autant d’égards que l’utilité de ses travaux.

2420. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 196-203

En un mot, ses différens Mélanges donnent l’idée la plus avantageuse de son discernement, & inspirent l’amour des Lettres. […] Ce ne furent donc plus que bains, que festins, qu'inclination & attachement ; il n'y eut plus de discipline, ni pas celui qui devoit donner les ordres, ni en ceux qui devoient les exécuter. […] Rien de plus ressemblant que le portrait qu'il fait de Mécène ; on ne peut recueillir plus parfaitement les différentes idées qu'Horace nous en donne.

2421. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Appendice. Note concernant M. Laurent-Pichat, et Hégésippe Moreau. (Se rapporte à la page 395.) » pp. 541-544

Je donne acte à M.  […] Ils éludèrent toujours la question, et je me résignai à la patience, persuadé que ces messieurs, préoccupés de graves intérêts politiques, n’avaient pas de temps à donner à la littérature. […] Je demande un peu ce qu’il peut y avoir d’officiel dans l’article que j’ai donné sur Moreau et qui fut inséré au Constitutionnel, où j’écrivais alors.

2422. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Clément Marot, et deux poëtes décriés, Sagon & La Huéterie. » pp. 105-113

Sagon & la Huéterie, au désespoir d’être ainsi désignés, donnèrent promptement contre Marot la grande généalogie de Fripelippes, composée par un jeune poëte champestre. […] C’est au plus haut du mont Parnasse que se donne la fête. […] Donné en nostre palais, ce jourd’y après disner ; scellé de nostre grand scel, & signé Honneur en tout. » Nous verrons dans la suite Marot avoir affaire à d’autres ennemis que des poëtes.

2423. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Jean-Baptiste Guarini, et Jason de Nores. » pp. 130-138

Si l’instinct & la loi, par des effets contraires,         Ont également attaché         L’un tant de douceur au péché,         L’autre des peines si sévères ; Sans doute, ou la nature est imparfaite en soi, Qui nous donne un penchant que condamne la loi ; Ou la loi doit passer pour une loi trop dure, Qui condamne un penchant que donne la nature. […] Orlando Pescetti & Paul Beni, tous deux en réputation de bel-esprit & de sçavoir, en donnèrent alors des marques.

2424. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 19, qu’il faut attribuer aux variations de l’air dans le même païs la difference qui s’y remarque entre le génie de ses habitans en des siecles differens » pp. 305-312

La premiere, c’est que de tout temps certaines plantes ont atteint une plus grande perfection dans une contrée que dans une autre, et que dans le même païs les arbres et les plantes n’y donnent pas toutes les années des fruits également bons. […] L’impulsion de la nature à laquelle on ne resiste gueres, ne fait-elle pas aimer encore aujourd’hui les exercices qui fortifient le corps à ceux à qui elle a donné une santé capable de les soutenir ? […] Pourquoi ne pas croire que c’est le physique qui donne la loi au moral ?

2425. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « X »

Ils ont tous à peu près suivi la même méthode ; adoptons-la et, toute transposition gardée, elle nous donnera ce qu’elle leur a donné. […] La première rédaction peut fournir d’excellentes choses ; les corrections des auteurs prouvent que le travail peut en donner d’aussi bonnes et en aussi grand nombre.

2426. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Charles Barbara » pp. 183-188

La donnée du roman est le sujet de roman ou de drame le plus commun dans l’histoire de nos mœurs présentes. […] Mais Charles Barbara, qui, je vous l’assure, est un homme, n’a pas craint de mettre son pied dans ce soulier éculé, rempli de sang, et, au lieu de barboter là-dedans comme un réaliste de 1855 ou un romantique de 1832, il nous a donné une étude superbe de vérité inattendue sur le remords dans les âmes fortes, — et, comme un chirurgien retire du fond d’une plaie des os brisés, des fragments de l’homme corporel il nous a retiré une conscience, les fragments d’une âme déchirée et mutilée par le crime… Jusqu’ici, la plupart des livres qui avaient peint le remords lui avaient fait pousser quelque cri sublime ou l’avaient peint accessoirement, de côté, le mêlant au torrent des autres sentiments de la vie. […] Et comme l’ensemble d’une composition littéraire est toujours plus vaste que l’étroit espace ou l’étroite durée d’un tableau, il se trouve que L’Assassinat du Pont-Rouge n’a pas que la beauté solitaire du principal personnage, tête merveilleuse de désordre et d’anarchie depuis son crime, Satan vrai, Satan d’homme, à qui Barbara s’est bien gardé de donner même un pouce de plus que la taille humaine !

2427. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre V. Observations philosophiques devant servir à la découverte du véritable Homère » pp. 268-273

Il a donné à son poème le titre de comédie, dans le sens de l’ancienne comédie des Grecs, qui prenait pour sujet des personnages réels. […] La mémoire rappelle les objets, l’imagination en imite et en altère la forme réelle, le génie ou faculté d’inventer leur donne un tour nouveau, et en forme des assemblages, des compositions nouvelles. […] En poésie, l’art est inutile sans la nature : la poétique, la critique, peuvent faire des esprits cultivés, mais non pas leur donner de la grandeur ; la délicatesse est un talent pour les petites choses, et la grandeur d’esprit les dédaigne naturellement.

2428. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Addition au second livre. Explication historique de la Mythologie » pp. 389-392

On donnait du grain pour récompense aux soldats victorieux, adorea. […] Le même poète donne toujours aux rois l’épithète de πολύμηλους, riches en troupeaux. […] Plus tard on donna un sens métaphysique à cette fable de la naissance de Minerve, et on y vit la découverte la plus sublime de la philosophie, savoir, que l’idée éternelle est engendrée en Dieu par Dieu même, tandis que les idées créées sont produites par Dieu dans l’intelligence humaine.

2429. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [1] Rapport pp. -218

Abominable enseignement ; et abominable exemple donné par la Pléiade. […] Mais il a le souci du nom qu’il lui a donné, et qu’elle peut donner. […] Il s’apitoie comme un prince donne sa main à baiser. […] Elle donne le vertige. […] Puis, il me donna des vers à lire.

2430. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre I. Le Roman. Dickens. »

Contentons-nous de ce que Dickens nous a donné. […] Georges Sand donne envie d’être amoureux ; donnez-nous envie de nous marier. […] Si vos personnages donnent de meilleurs exemples, vos ouvrages seront de moindre prix. […] Mais le mariage vous donnera des compensations. […] Il a donné à ses filles les noms de Mercy (compassion) et Charity.

/ 4293