On ne trouve plus que chez eux l’esprit des Montalembert et des Cochin, l’heureux malentendu du catholicisme libéral, et cela en dépit des persécutions subies. […] Leur esprit forme un remarquable contraste avec celui de la Compagnie de Jésus. […] En ce temps-là, il me semble qu’il y avait, autour des catholiques pratiquants, un grand nombre d’hommes qui avaient au moins l’imagination chrétienne et un fonds de religiosité, des esprits souffrant de leur doute, enclins aux vastes spéculations, tourmentés par ce qu’on est convenu d’appeler les grands problèmes. […] Et s’il s’agit de la révélation considérée comme un fait historique, j’ai rencontré des ecclésiastiques qui reconnaissaient que pour un esprit muni de critique et non prévenu par la grâce, il peut y avoir, à la rigueur, autant de raisons de rejeter ce fait que de l’admettre. […] Il pourra bien sans doute démontrer par les preuves traditionnelles chaque article de la doctrine, mais pour les fidèles seulement, avec cette pensée que ces arguments ne peuvent convaincre que ceux qui sont persuadés d’avance, sans prétendre foudroyer les incrédules par des raisonnements irréfragables et sans supposer non plus que ces malheureux soient toujours de mauvaise foi ni qu’ils se donnent tous pour des esprits forts : car il y en a qui se donnent de la meilleure grâce du monde pour des esprits faibles, incertains, gouvernés par des forces obscures, incapables d’atteindre l’absolue vérité.
Car votre esprit, Mélusine, est une clarté adorable et le feu auquel il s’allume est la plus noble des âmes. […] Loin d’être restés pauvres d’esprit, ils proclament, ces juifs de cœur, aussi haut que leurs frères reniés, les israélites de naissance : Que l’industrie soit ! […] Très oratoire aussi, la simplicité agressive de son esprit. […] Sous les reflets trompeurs de ton ironie, la lettre vit d’un peu de l’esprit et l’esprit s’alourdit d’un peu de la lettre. […] Ton esprit s’arrête toujours aux bagatelles de la porte.
« Il n’y a point d’écrivain, a-t-on dit judicieusement, plus propre à rendre le pauvre superbe. » Malgré tout, en le considérant ici, nous lâcherons de ne pas trop nous ressentir nous-même de cette disposition comme personnelle qui porte de bons esprits à lui en vouloir dans les circonstances pénibles que nous traversons. […] Leur esprit, nous le connaissons de reste et nous en jouissons ; mais où est leur cœur ? […] Son esprit droit et ferme prête partout à l’imagination son burin, pour que rien d’essentiel dans le dessin ne soit omis. Enfin, ce sentiment de la réalité se retrouve chez lui jusque dans ce soin avec lequel, au milieu de toutes ses circonstances et ses aventures heureuses ou malheureuses, et même les plus romanesques, il n’oublie jamais la mention du repas et les détails d’une chère saine, frugale, et faite pour donner de la joie au cœur comme à l’esprit. […] Je dispose en maître de la nature entière… Ne lui demandez pas d’écrire en ces moments les pensées sublimes, folles, aimables, qui lui traversent l’esprit : il aime bien mieux les goûter et les savourer que de les dire : « D’ailleurs portais-je avec moi du papier, des plumes ?
Cela peint l’esprit de Paris, où le mépris et l’opinion sont impuissants ; où il suffit d’amuser pour couvrir tout. […] Beaumarchais n’échappa point à l’un des inconvénients que les gens du plus grand esprit subissent quelquefois dans leur vieillesse. […] Après avoir tiré tout son feu d’artifice d’esprit, Beaumarchais était insensiblement revenu à ses premiers penchants de Grandisson ; un singulier Grandisson toujours ! […] Au milieu de tout ce que j’ai dû omettre sur Beaumarchais, je serais heureux si j’étais parvenu à laisser se dessiner d’elle-même, dans l’esprit de mes lecteurs, sa figure si libre et si naturelle, telle que je la conçois, sans la forcer en rien, sans trop la presser, et en y respectant même les inconséquences. J’ai évité jusqu’ici de traiter la question de moralité positive en Beaumarchais, et je dirai simplement pourquoi : il appartient à cette famille d’esprits que nous connaissons très bien pour l’avoir déjà étudiée chez Gourville et chez d’autres encore, famille en qui la morale rigide tient peu de place, et qui, dans l’âge de l’activité et des affaires, se sert du oui ou du non, selon l’occasion, et sans trop de difficulté.
Maintenant remplacez cet A + B par le chiffre spécial à chaque grand artiste et à chaque grand poëte, et vous aurez, dans sa physionomie multiple et dans son total rigoureux, chacune des créations de l’esprit humain. […] L’esprit humain, c’est l’infini possible. […] En voici un, le premier venu qui s’offre à notre esprit : Jacob Metzu, scientifiquement Métius, trouve le télescope, par hasard, comme Newton l’attraction et Christophe Colomb l’Amérique. […] Identité de cœur, différence d’esprit ; tout est là. […] Insistons d’ailleurs sur ceci, car l’émulation des esprits c’est la vie du beau, ô poètes, le premier rang est toujours libre.
J’aime vos livres, je vous lis et je vous relis ; je vous relis, parce que le bon sens et l’esprit coulent tout ensemble de votre plume, et que votre scepticisme est traversé et comme amolli — par moments — des tristesses du sentiment vrai. […] Si les imbéciles étaient de l’avis des gens d’esprit, il ne vaudrait pas la peine d’être un homme spirituel. […] Et le brave homme d’écrivain rentre au logis — le carnier vide, l’esprit rêveur — et suspend au clou sa cartouchière, en se disant qu’il est mieux de faire le bonheur des lapins que de les manger en civet. […] Ils laissent le plus souvent flâner leur esprit, — ils rêvent. […] Je suis loin de vouloir soutenir qu’on ne peut être à la fois hommes de lettre et homme d’ordre, — que les hasards de l’amour libre sont plus favorables que le mariage aux créations de l’esprit, que l’art enfin se trouve mal assis au foyer domestique et mal couché sur le lit conjugal.
Qu’y aurait-il de plus conforme à l’esprit de son institution ? […] Émile Faguet, esprit libre et indépendant s’il en M. […] Par esprit de réaction contre le romantisme ? […] L’esprit du siècle n’est plus avec eux. […] C’est une preuve, à ses yeux, de peu de largeur d’esprit.
Jules Lemaître a trop d’esprit pour ne pas céder à la tentation d’en avoir plus qu’il ne faudrait, même à tort. […] Ce don d’un prince de l’esprit, Méry Laurent l’estima-t-elle à son exacte valeur ? […] Il avait des pointes dans l’esprit, mais il en arrêtait les piqûres « au premier sang ». […] Sa prose a l’élégance, la souplesse, la grâce, la vivacité et le mordant de son esprit. […] Ils attestaient chez leur auteur un esprit singulièrement biscornu où l’hermétisme se mêlait à la bouffonnerie.
Ici l’attrait des sens ne s’étalait pas, et l’auteur s’attaquait surtout à la corruption du cœur et de l’esprit. […] Ces jugements, tout favorables à l’ouvrage, et dans lesquels on s’appuyait de l’aversion non douteuse que devaient produire sur les cœurs droits et les esprits bien faits ces odieux personnages et leurs manèges honteux si fidèlement représentés, venaient se résumer dans un seul mot : “C’est une pièce a où l’on ne mènera certes pas sa fille, mais on pourra y conduire son fils.” […] Le ministre, homme de bien, qui a laissé une mémoire si honorée8, en recommandant expressément aux auteurs dramatiques, à la date de 1851, une direction morale formelle et un enseignement d’une utilité presque directe, portait secours là où il y avait encore danger ; il cherchait à proportionner le contrepoids à la force de l’entraînement qui avait précipité les esprits en sens contraire. […] Aujourd’hui que, selon une expression mémorable, la pyramide a été retournée et replacée dans son vrai sens, quand la société est remise sur sa large base et dans son stable équilibre, ne serait-il pas plus simple, dans cet ordre aussi de récompenses dramatiques, de rendre aux choses leur vrai nom, d’encourager ce qui a toujours été la gloire de l’esprit aux grandes époques, ce qui est à la fois la morale et l’art, c’est-à-dire l’Art même dans sa plus haute expression, l’Art élevé, sous ses diverses formes, la tragédie ou le drame en vers, la haute comédie dans toute sa mâle vigueur et sa franchise ?
Il y a toujours sans doute beaucoup de tendresse et de douce intimité dans les lettres du philosophe à sa maîtresse ; mais la passion éclatante, épurée, et par moments sublime, a disparu dans une causerie plus molle, plus patiente, plus désintéressée ; les nouvelles, les anecdotes, les conversations sur toutes choses, s’y trouvent comme auparavant ; une analyse ingénieuse et profonde du cœur y saisit toujours et y amuse ; mais la verve de l’esprit supplée fréquemment à la flamme attiédie de la passion ; un gracieux commérage, si l’on peut parler ainsi, occupe et remplit les heures de l’absence ; on s’aime, on se le dit encore, on ne sera jamais las de se le dire ; mais par malheur les cinquante ans sont là qui avertissent désagréablement le lecteur et le désenchantent sur le compte des amants ; les amants eux-mêmes ne peuvent oublier ces fâcheux cinquante ans qui leur font l’absence moins douloureuse, la fidélité moins méritoire, et qui introduisent forcément dans l’expression de leurs sentiments les plus délicats, je ne sais quelle préoccupation sensuelle qui les ramène à la terre et les arrache aux divines extases de l’âme où s’égare et plane en toute confiance la prodigue jeunesse. […] Diderot, qui avait déjà aimé plus d’une fois et avec passion, mais qui avait fini par trouver à sa femme trop peu d’esprit, et à madame de Puisieux trop peu d’honneur, recueillit toute son âme, toute sa chaleur égarée de cœur et de vertu, toutes ses facultés surabondantes de sensibilité et de génie, pour les consacrer à tout jamais au seul être qu’il en jugeât digne. […] Ce qu’Horace disait à un ami qui était devenu amoureux de son esclave : “Il est beau, il est adroit, il a des mœurs, de l’esprit, des connaissances, c’est un enfant parfait de tous points ; mais je vous en préviens, il est un peu fuyard…” ». […] Nous n’en citerons qu’un seul exemple : « Cet autre moine-ci était un galant homme, d’un esprit assez leste et point du tout enfroqué.
Esprit plus pénétrant qu’étendu, avide de clarté, il poursuit en ennemi acharné les métaphores, la phraséologie vague, les arguments de rhétorique qui usurpent la place de la science, les explications qui font semblant de résoudre les difficultés : il demande pour la psychologie une langue aussi précise que possible. […] Relatives à l’esprit. […] Mais comme les différences dans la réalité sont aussi communément accompagnées de différences dans les apparences, l’esprit induit le réel en se fondant sur l’apparent. […] Voici la substance de ce morceau curieux, qu’il a reproduit dans ses Lettres sur la philosophie de l’esprit humain 277.
Ce n’est que par la clarté, la méthode & la précision, qu’on peut éclairer & former le commun des esprits. […] Tant qu’ils se bornent à ne puiser que dans leur propre fond, on s’apperçoit d’une sécheresse, d’un désordre, d’une monotonie rebutante, partage ordinaire d’un esprit qui n’a pas su fortifier ses propres richesses par celles des autres. […] En méditant, en approfondissant un Modele, on acquerra, non l’habitude d’inventer, de penser, de procéder & de s’exprimer comme lui ; mais la force nécessaire pour inventer, penser, procéder & s’exprimer, à son tour, aussi bien que lui : Les Ouvrages des Grands Maîtres, d’après Longin, sont comme autant de sources sacrées, d’où il s’éleve des vapeurs heureuses qui se répandent dans l’ame de leurs Imitateurs & animent les esprits les moins échauffés *. […] Son esprit, si capable de produire par lui-même, ne lui permit plus que d’être un Compilateur, après qu’il se fut attaché à la lecture de Bayle, dont il entreprit de donner une Analyse.
Toute l’ambition des esprits les plus grands du siècle tient dans ces paroles solennelles, graves et brûlantes. […] Pourquoi ces intrépides esprits n’ont-ils pu réussir à nous donner les pages dont nous sommes désireux ? […] le fier et noble esprit à qui nous devons une histoire forte et solide, le fin et mélodieux chanteur des Harmonies, le riche et abondant poète des Feuilles d’Automne, des drames, de la Légende des Siècles, l’immense Balzac, le magnifique et sévère Comte, le bon et intrépide Tolstoï, l’âpre et tragique Dostoïevskya, et tant d’autres, qui ont tout compris, tout dépeint, tout vu et tout fait, ne se sont pas trouvés capables de dire une parole simple, âcre et inaltérable comme celles qu’ont rapportées les quatre évangélistes. […] Par son étude de l’univers, par sa patience obstinée à en reproduire des péripéties, par l’attention qu’il a prêtée pendant trente années de sa vie aux phénomènes extérieurs, ce grand et rigoureux esprit était plus préparé qu’un autre à la création d’une sagesse pratique, assisse sur des réalités, conforme à notre évolution et appropriée aux besoins des races nouvelles.
L’emploi qu’il faisoit des figures de rhétorique, son affectation à prodiguer l’antithèse & l’hyperbole, son attention ridicule à courir après l’esprit, ses grands mots, ses longues phrases, eussent gâté le plus beau génie. […] Un religieux Manceau, dom André de saint Denis, auteur pitoyable, composa rapidement un petit écrit absurde, dénué d’esprit & de raison, mais très-bien conditionné pour les injures. […] Goulu, le représentèrent comme un ivrogne, buvant nuit & jour dans un verre fait exprès & plus grand que la coupe de Nestor ; comme un gourmand, faisant très-bonne chère en gras, quoiqu’il eût le teint si frais & l’embonpoint si excellent qu’on ne croyoit pas qu’il eut besoin d’être dispensé de la règle du maigre ; comme un religieux très-éloigné de l’esprit de son ordre, le plus sévère de tous dans son institution, suivant un auteur*. […] Rien de plus judicieux que sa lettre au chancelier Séguier, en réponse à celle où ce digne chef de la magistrature lui disoit : « Je viens de faire supprimer un libèle composé contre vous. » Les gens de lettres devroient toujours avoir dans l’esprit cet exemple de la modération de Balzac.
En vain, quelques esprits sans prévention, & frappés des beautés de celui-ci, crièrent à l’injustice. […] Mais, dans une telle chaleur des esprits, pouvoit-on bien apprécier les choses ? […] L’esprit de cabale, acharné contre Racine, le persécuta jusqu’à la mort. C’est ce même esprit qui fut cause du peu de succès d’Athalie, un des chefs-d’œuvre de la scène Françoise.
Il aperçoit deux êtres d’une forme plus noble, d’une stature droite et élevée, comme celle des esprits immortels. […] D’où naît cette magie des anciens, et pourquoi une Vénus de Praxitèle toute nue charme-t-elle plus notre esprit que nos regards ? […] l’univers naissant, les mers s’épouvantant pour ainsi dire de leur propre immensité, les soleils hésitant comme effrayés dans leurs nouvelles carrières, les anges attirés par ces merveilles, Dieu regardant encore son récent ouvrage, et deux Êtres, moitié esprit, moitié argile, étonnés de leur corps, plus étonnés de leur âme, faisant à la fois l’essai de leurs premières pensées, et l’essai de leurs premières amours. Pour rendre le tableau parfait, Milton a eu l’art d’y placer l’esprit de ténèbres comme une grande ombre.
Nous nous contenterons d’observer que Dieu qui voit la lumière, et qui, comme un homme content de son ouvrage, s’applaudit lui-même et la trouve bonne, est un de ces traits qui ne sont point dans l’ordre des choses humaines ; cela ne tombe point naturellement dans l’esprit. […] Tout l’esprit du christianisme est là : saint Pierre est l’Adam de la nouvelle loi ; il est le père coupable et repentant des nouveaux Israélites ; sa chute nous enseigne en outre que la religion chrétienne est une religion de miséricorde, et que Jésus-Christ a établi sa loi parmi les hommes sujets à l’erreur, moins encore pour l’innocence que pour le repentir. […] Au reste, l’esprit de tout l’Évangile de saint Jean est renfermé dans cette maxime qu’il allait répétant dans sa vieillesse : cet apôtre, rempli de jours et de bonnes œuvres, ne pouvant plus faire de longs discours au nouveau peuple qu’il avait enfanté à Jésus-Christ, se contentait de lui dire : Mes petits enfants, aimez-vous les uns les autres. […] Élisabeth, remplie tout à coup de l’Esprit saint, élève la voix et s’écrie : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de votre sein sera béni.
Il est impossible de noter tous les accens, les soupirs, les adoucissemens, les inflexions, les ports et les éclats de voix, en un mot, s’il est permis de parler ainsi, l’esprit de la déclamation dont la varieté des tons n’est que le corps. […] Le bon acteur qui sent l’esprit de ce qu’il chante, presse ou bien rallentit à propos quelques notes, il emprunte de l’une pour prêter à l’autre, il fait sortir de même ou bien il retient sa voix, il appuïe sur certains endroits, enfin il fait plusieurs choses propres à donner plus d’expression et plus d’agrément à son chant qu’un acteur mediocre ne fait pas ou qu’il fait mal à propos. […] Nous y reconnoissons bien les chants de Lulli, ajoûtent-ils, mais nous n’y retrouvons plus l’esprit qui animoit ces chants. […] L’esprit humain hait naturellement la gêne où le mettent toutes les methodes qui prétendent l’assujetir à n’operer que suivant certaines regles.
En France, surtout, c’est presque impossible… Le courage contre tout le monde n’est pas connu dans ce pays… Or, tout le monde a, pour une raison ou pour une autre, contribué de sa propre badauderie à ces réputations qui semblent être des préjugés venus en pleine terre, mais cultivés en pot par des gens d’esprit, et même par des connaisseurs, comme des capucines par des grisettes. […] Dès qu’on parle de l’expression enflammée d’une passion vraie, il est de bonne rhétorique de citer les Lettres portugaises, et les esprits les plus forts d’appréciation comme les plus faibles, les esprits qu’on bride le plus et les esprits qu’on bride le moins, ou qui sans bruit vont sur la foi d’autrui, reprennent alors la phrase d’admiration qui traîne partout et y ajoutent leur petite arabesque… Écoutez tous ceux qui ont dit leur mot sur les lettres de la Religieuse portugaise, depuis madame de Sévigné, la Célimène de la maternité… — et qui ne sait pas plus que l’autre Célimène ce que c’est qu’une passion trahie, ce que c’est que cette morsure de l’Amour, qui s’en va après l’avoir faite, — jusqu’à Stendhal, le Dupuytren du cœur, et qui n’aurait pas dû se tromper sur les tressaillements de ses fibres, et vous entendrez de tous côtés le même langage : une symphonie de pâmoisons.
Ayez du goût comme des Anglais, de l’esprit comme des Allemands ; c’est le seul moyen qui vous reste de cueillir encore des couronnes. […] Mais ce grand homme, le plus habile des poètes dramatiques de tous les pays et de tous les siècles, avait autant d’esprit que de génie : un goût sûr, un art profond dirigeait son talent flexible : il a su, sans qu’on y prît garde, se dégrever lui-même, et payer son tribut en une monnaie bien plus pure que celle qu’on voulait exiger de lui. […] Par hasard resterait-il dans l’esprit des spectateurs romantiques assez de traces de ces superstitions surannées, pour que le drame diabolique de Faust et ceux qui lui ressemblent, produisent encore de véritables émotions ? […] Après qu’on a vu se reproduire en Allemagne, en Écosse, en France, les doctrines et la philosophie transcendantale des platoniciens d’Alexandrie, on ne doit pas s’étonner de l’altération des théories littéraires· En littérature comme en philosophie, il n’y a que deux routes ouvertes à l’esprit humain, celle de l’observation et celle de l’extase. […] M. de Stendhal, l’auteur qui écrit avec le plus d’esprit et de grâce en faveur du genre romantique, ne nous apprend point d’où il vient, ni en quoi il consiste.
Même certains satisfont à l’esprit par ce fait de ne sembler pas dépourvus de toute accointance avec de hasardeux symboles. […] Si l’esprit français, strictement imaginatif et abstrait, donc poétique, jette un éclat, ce ne sera pas ainsi : il répugne, en cela d’accord avec l’Art dans son intégrité, qui est inventeur, à toute Légende. […] Wagner faisait singulièrement baisser dans mon esprit M. […] Et, pendant ces trente heures, nous possède la cause précise du voyage ; la pensée des Représentations, pour lesquelles nous admettons ce dur effort, accapare, forcément, notre esprit ; l’importance du but croît, selon l’importance de l’effort : cette chose connue, la Fête Bayreuthienne se fait, en ces longues heures de voyage, mystérieusement obsédante : la jouissance difficilement acquise sera, certes, puissante ; l’extraordinaireté du pèlerinage prépare l’émotion d’une non commune révélation, d’une haute cérémonie, de quelque chose grande. […] Ainsi était commencé le drame de Gœtterdaemmerung, — le Crepuscule des Dieux : — Siegfried, ayant quitté Brünnhilde, était pris par l’esprit de mensonge, il oubliait Brünnhilde, il la trahissait, il se parjurait, le loyal Héros ; et la sainte Voyante, Brünnhilde, chutée de la divine Virginité, privée de la Sagesse, possédée par l’Egoïsme, ordonnait la mort de Siegfried.
L’esprit & l’éloquence de Josephe ne se font pas moins remarquer dans ses livres des antiquités, & l’ouvrage seroit inestimable, s’il y eût exactement suivi les loix de l’histoire.” […] La Vierge y dit, que c’est bien de l’honneur à elle d’être désignée Mere d’un Dieu : le Sauveur y fait assaut d’esprit avec la Samaritaine. […] Pinchinat, on ne trouvera point un tableau des égaremens de l’esprit humain, en matiere de Religion, aussi bien fait aussi bien frappé que celui-ci. […] Son livre n’est proprement qu’un abrégé de celui de Dom Ceillier ; mais on sent qu’il a été dirigé par un homme plein de l’esprit de la Religion, & qui avoit de l’ordre dans ses idées. […] L’auteur avoit de l’esprit.
Ce qui m’y plaît c’est Villers, à qui je trouve vraiment beaucoup d’esprit, et je vous recommande de tirer parti de cet esprit cet hiver : il a toutes les idées du nord de l’Allemagne dans la tête. […] et trouvez-vous que, mes enfants et moi, nous sommes faits pour planter des choux à Coppet sans rien faire de nos esprits ni de nos âmes ? […] Les anecdotes, les toilettes et les amours de cette petite cour me paraissent occuper tous les esprits et faire le fond de toutes les conversations. […] Quoiqu’il soit homme d’esprit et qu’il ait le goût et l’habitude du monde, je ne sais pourquoi il ne me plaît guère. […] A. de Gravillon est lui-même un esprit cultivé, ami des lettres, digne héritier, par ce côté, de son aïeul maternel.
Dargaud, mais dans un esprit souvent contraire, que nous allons recomposer nous-même cette figure, rapide ébauche d’un grand tableau. […] L’Écosse, une fois protestante, comme l’était, depuis Henri VIII, l’Angleterre, un des grands obstacles à l’absorption de l’Écosse par l’Angleterre disparaissait avec la différence de religion ; le catholicisme était une partie du patriotisme écossais ; l’y tuer dans les esprits, c’était tuer la patrie dans le cœur du peuple. […] C’était un enfant par l’esprit et par la faiblesse plus encore que par l’âge. […] L’esprit de vertige et d’orgueil, l’esprit du papisme, l’esprit de ses damnés oncles les Guise est en elle. » Elle se jeta dans les bras des seigneurs, repoussée qu’elle était par le cœur du peuple ; elle confia la direction du gouvernement à un bâtard de son père Jacques V, nommé lord James, qu’elle traita en frère, et qu’elle éleva au rang de comte de Murray. […] La séduction fut si rapide et si complète, qu’on crut à un sortilége de la reine sur son mari ; le sortilége n’était que la beauté de l’une, la jeunesse ardente de l’autre, et cette supériorité d’esprit d’une femme qui employait maintenant son génie et ses charmes à fléchir, comme elle les avait employés naguère à offenser.
L’esprit vient d’un côté. L’objet de l’esprit vient de l’autre, et au devant. Ni l’esprit n’a plus rien à dire, ni l’objet n’a plus rien à dire. […] Elle revient essentiellement à remonter violemment une pente et à la faire remonter à l’esprit. […] De même que ce sont les méthodes souples, les logiques souples qui requièrent un esprit perpétuellement tenu à jour, un esprit perpétuellement pur.
Barbey d’Aurevilly est un homme d’esprit, c’est incontestable, et l’esprit, surtout chez nous, est un pavillon qui fait passer bien des marchandises, ce qui est en même temps notre éloge et notre condamnation. Je ne veux pas médire de l’esprit. […] Esprit d’homme de lettres, idées moyennes, sensations cordiales bourgeoises — nul plus mauvais « chantre » de l’amour. […] … Elle régnait dans tous les esprits et dans tous les cœurs. […] néanmoins j’y participais d’esprit, je communiai de cœur avec les ouvriers qu’enfin je vois et de qui je viens enfin de voir les œuvres.
que le véritable esprit est bon à tout, même à pleurer ! […] mon cher Lamartine, je ne sais pas ce que vous croyez avec votre esprit, peu m’importe ! […] Mais quel nom te donner, bel oiseau sans mélange, Pur comme les esprits, ailé comme les anges ? […] Mais le jour vient une fois, pour ces grands esprits solitaires, et ils descendent de leurs niches aériennes, et le grand jour les éblouit. […] » (Comme l’esprit sent tout, quand c’est l’esprit d’un homme de cœur !)
Malgré la bienveillance de M. de Malesherbes, directeur de la librairie, qui avait l’esprit très large, l’Émile détruisit la tranquillité de l’écrivain. […] Et avec les livres des grands esprits, c’étaient les idées de tout le monde, les lieux communs de l’esprit public qui pouvaient instruire Rousseau ; depuis longtemps, depuis Montaigne même, flottaient dans les esprits, circulaient dans les livres, l’antithèse du civilisé et du sauvage, et le paradoxe qui met du côté de celui-ci la supériorité de raison et de vertu : ces idées ne s’étaient-elles pas produites jusque sur la scène de la Comédie Italienne, avec l’Arlequin sauvage de Delisle, et l’âne de son Timon ? […] Des souvenirs d’antiquité, au hasard de ses lectures, imprégneront ses réminiscences patriotiques, et la bourgeoisie genevoise prendra dans son esprit la couleur des démocraties antiques. […] Rousseau a raison : toutes les inégalités politiques et sociales sont peu sensibles, tant que l’égalité des mœurs et des esprits subsiste. […] Quant aux expériences machinées, ici encore regardons plutôt le mécanisme en lui-même que les applications fournies par le tour d’esprit romanesque de Rousseau.
Dans un parallèle, assez contestable d’ailleurs, qu’il a établi entre l’œuvre du littérateur et l’action de l’homme d’État, il a rappelé la difficulté qu’il y a quelquefois, pour le meilleur gouvernement, à être le bienfaiteur des peuples qui ressemblent trop aux Athéniens de l’Antiquité ; il a parlé de cet esprit qui était aussi celui de Rome en de certains siècles (Roma dicax), de cet esprit de dénigrement devant lequel rien ne trouve grâce, et il s’est plaint de ce qu’il a nommé notre dissolvante ingratitude. […] Homme aimable, esprit conciliant et juste, académicien exemplaire, fidèle à tous les sentiments honorables, ami intime et constant de Béranger, il a justifié aujourd’hui tous ces titres et fait preuve des qualités qu’on estime en lui.
2° Le gros du monde, même des gens d’esprit, est dupe des genres : il admire à outrance, dans un genre noble et d’avance autorisé, des qualités d’art et de talent souvent moindres que celles qu’il laissera passer inaperçues dans des genres moyens non titrés. […] Mais il y a de l’esprit, de l’observation, des indiscrétions, de l’agrément enfin et du profit. […] Stanislas Julien en érudition philologique, mais pas du tout en esprit.
Il est de la suite de Joseph de Maistre, de la famille des esprits élevés, mais arrogants ! […] — Décidément on n’a pas une activité si multiple, si infatigable, si élevée dans son objet, sans être de la volée des grands esprits. […] Cousin, comme esprit, en effet, est des plus grands.
Les lecteurs tout à fait contemporains de l’écrivain de Souvenirs aiment à refeuilleter avec lui au hasard quelques années de leur vie ; ceux qui sont venus plus tard, s’ils ont l’esprit curieux, ouvert, un peu oisif, pas trop échauffé à sa propre destinée, apprennent beaucoup de détails à ces causeries familières et devinent toute une société légèrement antérieure, au sein de laquelle ils s’imaginent volontiers avoir vécu. Il y a quelque temps que, parcourant un de ces livres aimables et légers, les Souvenirs de madame Lebrun, je me plaisais à y retrouver tout ce monde facile, brillant, poliment mélangé d’avant la Révolution, gens de cour, gens d’esprit, Russes, Français, dont Delille était le poète favori, et madame Lebrun le peintre ordinaire. […] Madame de La Fayette écrivait à madame de Sévigné : « Votre présence augmente les divertissements, et les divertissements augmentent votre beauté lorsqu’ils vous environnent : enfin, la joie est l’état véritablement de votre âme, et le chagrin vous est plus contraire qu’à personne du monde. » Ninon écrivait encore à Saint-Évremond : « La joie de l’esprit en marque la force. » L’auteur de ces Souvenirs, à mesure qu’ils se déroulaient devant nous, et que nous nous plaisions à composer son image, nous paraissait ainsi une personne chez qui la joie, une joie qui n’exclut nullement la sensibilité, est compagne de la force de l’âme.
D’abord l’esprit, parcourant en tous sens le sujet qu’il s’est proposé, interrogeant l’expérience d’autrui et la sienne propre, s’est fait une provision de pensées, encore vagues et informes, flottantes ou troubles. […] Cette langue personnelle doit se réduire à la langue commune ; nos idées, nos sentiments doivent revêtir dans notre esprit les formes qui les feront reconnaître de tous les esprits.
L’étude des Anciens & des bons Modeles, dont il paroît nourri sera toujours la source de cette aversion que tout esprit vraiment éclairé a pour le faux ou le médiocre, & un préservatif contre les innovations des minces Littérateurs. […] Nous ne saurions trop le répéter ; il est avantageux, & même nécessaire au maintien de la République des Lettres, qu’il s’éleve de temps en temps des esprits assez éclairés pour connoître les regles du bon goût, assez habiles pour démêler les usurpations du mauvais, & assez fermes pour en arrêter les progrès. […] On connoît à présent tout le danger de cet esprit systématique, qui, d’une main, renversoit les Autels consacrés, & de l’autre, s’en élevoit à lui-même ; on a dévoilé les mysteres de cet orgueil plus qu’hypocrite, qui s’immoloit tous les jours de nouvelles victimes, & ne décoroit que les humbles Satellites destinés à embellir son triomphe.
Il est beau d’abandonner au printems de l’age, au milieu des douces illusions de la grandeur, & dans le sein de l’abondance, les plaisirs des sens, pour vous livrer entiérement à ceux de l’esprit. […] Ce n’est pas que vous dédaigniez la lecture des chefs-d’œuvres d’Athènes & de Rome, la meilleure école du goût & du génie ; mais né avec un tempérament aussi délicat que votre esprit, & ne voulant pas vous faire de l’étude un travail pénible, vous avez pensé, avec raison, qu’on éprouvoit toujours quelque fatigue en lisant des Livres écrits dans une langue morte, dont les tours variés, les expressions singulieres, les inversions fréquentes mettent l’esprit à la torture.
On sent que l’auteur laisse son esprit travailler comme le vin nouveau, après avoir mis son cœur en sûreté. […] où est maintenant ta jeune bonne grâce Et ton gentil esprit plus beau que ta beauté ? […] Baïf, instruit et d’un esprit enclin aux tentatives, n’était pas très naturellement poète. […] Du Bellay y montrait ses séductions ordinaires, et Gilles Durant son gentil esprit. […] Nous voyons que l’on vante leur initiative ou leur libre esprit, et ils ne furent peut-être que les ravaudeurs de la Pléiade.
Votre malheur ne serait qu’une conception de votre esprit. […] Les plus grands esprits en sont eux-mêmes empreints. […] Voilà pour son esprit d’à-propos. […] », font quelques mots d’esprit, et se lèvent de table. […] L’esprit de MM.
Ce nom seul indique assez que nous sommes là en présence d’une disposition d’esprit plus imaginative que réaliste. […] L’esprit de système l’en a empêché. […] Ses rapports avec Bülow sont un signe encore d’une disposition d’esprit qui ne lui permettait pas le recrutement de conseillers vraiment dévoués et supérieurs. […] Il a subi aussi, et tout le pays avec lui, cette contagion de l’esprit de guerre — indiscutable autant qu’inexplicable. […] Bismarck l’a jadis protégé, il reste un des favoris de Guillaume II que son esprit caustique amuse.
L’esprit se refuse à discuter les limites qui séparent l’horreur de la poésie. […] L’esprit flotte incertain, et n’ose pas se prononcer. […] L’étude est un labeur mesquin, c’est le procédé des petits esprits. […] L’esprit y gâte souvent l’émotion. […] Cette liberté prématurée a donné à son esprit un caractère quelque peu viril.
Les nouveaux jeunes gens n’ont-ils pas l’esprit positif ? […] Une grâce de leur esprit leur a fait aimer les bornes que la sagacité de leur esprit leur a fait reconnaître ; et leur génie s’est épanoui dans un espace limité. […] Giraudoux révèlent un esprit du moyen âge. […] Alors, la synthèse ne sera pas accomplie en esprit seulement. […] Désormais, « l’esprit n’est point seul.
il faut aimer ; et, au lieu de l’esprit ou des sens, c’est le cœur qu’il faut écouter et apprendre à entendre. […] L’individualité, qui mesure bien la supériorité des consciences, ne mesure pas la valeur des esprits. […] Leurs qualités d’éloquence ou d’esprit sont celles de leurs contemporains, qui s’y reconnaissent, pour ne pas dire qu’ils s’y mirent avec complaisance ; et déjà c’est une chose rare que d’avoir à soi tout seul autant d’esprit ou d’éloquence que tous ses contemporains ensemble. […] L’esprit éclate sous sa plume comme les étincelles qui partent d’une machine électrique trop chargée. […] Marcel Prévost, quand il dit à son tour « que le romanesque est une catégorie de la conscience et de l’esprit humain » ?
Et l’on ne saurait alors distinguer la forme de l’esprit qui semble l’animer ; la forme, c’est l’esprit lui-même. […] Beaucoup de bons esprits, induits en erreur par la forme, ont été injustes pour elle. […] Mais qui s’attaquerait aux multiples pensées que suscite à l’esprit le souvenir du Cloître ? […] Non romantique, mais « classique », dans l’esprit sinon dans la forme. […] J’aurais peu de peine à montrer que Laine représente l’esprit d’aventure et de fantaisie.
On ne saurait pousser plus avant que dans cette famille littéraire l’esprit de solidarité. […] Il semble qu’elle soit obligée de prendre à témoin quelqu’un de ceux qui contribuèrent à la formation de son esprit. […] Laissons dire : il n’est rien comme les esprits brouillons pour mettre sur le compte de l’impuissance ce qui n’est qu’ordre et méthode dans l’art de composer. […] Un seul point leur est commun : le souci de la Forme, qui donne la durée aux œuvres de l’esprit, par où tous deux relèvent d’une même école et sont disciples des mêmes maîtres. […] Prenons les plus illustres entre les ouvrages de l’esprit, ceux où nous avons voulu voir les garanties de cette virilité ; pas un qui n’ait un puissant support intellectuel.
L’esprit de Victor Hugo est tout plein de belles images. […] Et c’est cela même que j’aperçois dans l’esprit d’Alfred de Musset. […] Nous aimons beaucoup l’esprit en France — on l’aime partout, — et il faut bien dire que les romantiques avaient manqué d’esprit. Lamartine n’a pas d’esprit, et même il est assez bizarre de parler d’esprit à propos de Lamartine. […] Sainte-Beuve a eu de l’esprit en prose, — quand il s’est agi d’égratigner les confrères, — mais il n’a pas d’esprit dans ses vers.
. — Différence des deux tempéraments, des deux goûts et des deux esprits. […] Enfin, par ses détails minutieux et ses conseils pratiques, il offre une matière à l’esprit précis et moraliste. […] Leur tempérament vous demande des émotions fortes ; leur esprit vous demande des démonstrations précises. […] Il a l’accent d’un provincial, l’esprit d’un laquais, les façons d’un rustre. […] Transportez ce noble, ladre et d’esprit étroit, dans une boutique ; ce sera un marchand exemplaire.
Or il n’y a que Votre Seigneurie qui, par le poids de son autorité sur moi, puisse fixer les irrésolutions de mon esprit, dans le cas où il chancellerait par inconstance ou par folie. […] « Vos craintes, vos suspicions, sont, je vous assure, complètement imaginaires ; chassez-les donc, je vous en conjure, de votre esprit ! […] Il en donne lui-même de tristes témoignages dans le récit des apparitions qui troublent ou consolent sa solitude, et dans ses prétendus entretiens avec un esprit céleste dont il est visité. […] Le Tasse s’enivra de cette liberté, de ce respect et de ce bien-être si différents des chaînes, des hontes, des peines d’esprit et de corps qu’il venait de supporter pendant six ans de captivité. […] » Cependant le souvenir de la perte de Léonora d’Este occupait si peu son cœur que, pendant le carnaval de 1587, à Mantoue, la beauté d’une des jeunes femmes de cette cour parut faire une impression puissante sur son esprit.
Causerie sur de Sade auquel revient toujours, comme fasciné, l’esprit de Flaubert : « C’est le dernier mot du catholicisme, dit-il. […] C’est l’esprit de l’inquisition, l’esprit de torture, l’esprit de l’Église du moyen âge, l’horreur de la nature… Remarquez-vous qu’il n’y a pas un animal, pas un arbre dans de Sade ? […] Donc ils avaient inventé un personnage imaginaire, dans la peau et les manches duquel ils passaient, tour à tour, et les bras et leur esprit de blague. […] » * * * — L’esprit ne dort pas dans le sommeil, mais il semble tomber, la nuit, sous l’esclavage des sensations physiques qui le régissent. […] » N’est-ce point un mot d’esprit du cœur.
Dans les romans judiciaires, des préfaces de plusieurs pages d’un style défini et lucide, d’une élocution correcte, sertissant en un clair argent de froids paradoxes, préparent, toute sentimentalité réprimée, à épanouir ce que l’esprit contient de dispositions spéculatives, de curiosité supérieure et sèche. […] S’attachant à montrer l’activité d’un esprit, Poe la décompose en mouvements rudimentaires successifs, suivis dans leur enchevêtrement, reliés à travers leurs interstices, distincts et réunis comme sous le microscope, les cellules d’un tissu. […] Des êtres pris partiellement dans la réalité seraient d’ailleurs plus complexes et moins intenses, auraient une âme plus mêlée et plus trouble que les esprits rigides et clairs qui passent dans les contes de Poe. […] Que ce mot soit le signal de notre séparation, oiseau ou malin esprit, hurlai-je en me dressant. […] « C’est la malédiction de certains esprits », dit Poe dans ses Marginalia, « de ne pouvoir être satisfaits, quand ils se sentent capables d’accomplir une œuvre.
Les évocations des morts et des esprits sont un autre signe de ces sortes de traditions. […] Mais ne nous arrêtons point sur une hypothèse qui a l’air d’un jeu de l’esprit. […] L’esprit des traditions primitives s’était d’abord perdu à Rome. […] Cet homme, en qui les sentiments étaient si vrais, s’abandonna trop souvent aux fascinations de son esprit naturellement raisonneur. […] De là les langues sacrées, qui ont été faites lentement, et modelées sur les formes mêmes de l’esprit humain.
Quoi qu’il en soit, ce que M. de Balzac confesse à l’article du souvenir de Lambert est vrai en général de tous les heureux souvenirs dont se nourrit et s’empare son imagination d’aujourd’hui : il lui fallut arriver à plus de trente ans pour découvrir, pour exploiter la mine fertile que son esprit enfermait à son insu, ses impressions d’enfance en Touraine, ses originaux de province, ses chanoines célibataires, son malin teinturier de Vouvray dans Gaudissart ; tout cela dormait je ne sais où auparavant. […] M. de Balzac à cette époque ne se contentait plus d’écrire ; son esprit d’entreprise l’avait poussé à des opérations de librairie et d’imprimerie ; les Annales romantiques, où il insérait les vers dont je parle, étaient, je crois, imprimées par lui, et il publiait une édition de La Fontaine à laquelle il ajoutait une notice. […] Un homme de vif esprit qui l’a beaucoup connu et qui lui a servi quelquefois de conseil, M. de Latouche, pourrait seul, s’il le voulait sans trop d’ironie, raconter en détail et éclairer ces origines contemporaines qui déjà se dérobent ; il pourrait animer d’anecdotes caractéristiques toute l’arrière-scène obscure de l’atelier littéraire de ce temps-là. […] Ou elles se mettent simplement, en comprenant que leur charme est tout moral ; ou elles savent faire oublier la disgrâce de leurs proportions par une sorte d’élégance dans les détails qui divertit le regard et occupe l’esprit. » Il est impossible de plus délicatement observer et de mieux dire. […] Un homme d’esprit à qui je citais, comme singulier, ce rapprochement qu’on avait fait des premiers écrits de M. de Balzac avec Pigault, n’en parut pas étonné : « Mais encore maintenant, me dit-il, voyez !
Ils acquirent la richesse, mais ils ne la conquirent par aucune violence : leur or leur donna une clientèle, mais ne corrompit pas l’esprit public ; ce fut la monarchie de la civilisation, la dynastie des familles. […] Il faut toujours qu’on la retrouve quelque part, ou dans l’esprit, ou dans le trésor, ou dans le bras. […] Nous avons vu il y a quelques années, en France et en Angleterre, une illusion aussi généreuse s’emparer de tous les esprits pour ressusciter la Grèce, qui ne pouvait être ressuscitée, car on ne ressuscite pas les nations ; mais on l’espérait, l’espérance fut du fanatisme. […] Les Médicis fondèrent un nom immortel et presque un empire ; ils étaient, par le hasard de leur opulence et par le hasard de leur mérite, ceux de tous les citoyens du moment qui pouvaient le mieux se consacrer à l’idée en vogue : le rajeunissement de l’esprit humain. […] Julien, enfin, le dernier de tous, qui est encore un enfant, s’attache tous les cœurs de la cité par sa modestie, sa beauté, et par une nature merveilleuse et suave qui se décèle dans sa probité, son honnêteté et son esprit.
La difficulté serait plutôt de trouver un problème qui eût laissé indifférent ce grand esprit, un des plus vastes que l’Angleterre ait produits au cours du siècle dernier. […] Qui dit esprit dit, avant tout, conscience. […] Quand Leibniz disait de la matière que c’est « un esprit instantané », ne la déclarait-il pas, bon gré, mal gré, insensible ? […] Considérez la direction de votre esprit à n’importe quel moment : vous trouverez qu’il s’occupe de ce qui est, mais en vue surtout de ce qui va être. […] Mais pourquoi l’esprit s’est-il lancé dans l’entreprise ?
Et ce ne sont pas de médiocres esprits, mais des Scaliger, des Grotius, des Selden, des Huet, qui poussèrent plus ou moins loin cette hypothèse, où se plaisait le génie savant et inspiré de Milton. […] Un autre ordre d’idées, qui appartient moins à l’instinct de la conscience qu’aux spéculations de l’esprit, pourrait faire supposer davantage une tradition reçue, un souvenir immédiat. […] Aussi de savants esprits se sont-ils attachés à des rapports plus généraux. […] Certes, si cette poésie est venue d’un esprit d’homme, c’est d’un esprit transformé par la grâce divine, comme, à la descente du Sinaï, le visage de Moïse était encore resplendissant de la lumière qu’il avait vue. […] Il n’est donné à l’esprit de l’homme de luire à cette hauteur que par éclairs.
Son esprit vif, aiguisé, subtil, sa fermeté et son élévation de caractère, un certain art suivi de serrer les liens et de rattacher sans cesse les relations de société à des convictions et à des espérances d’un ordre supérieur, créèrent son ascendant sur tout ce qui l’entourait et l’approchait : son influence peu à peu s’organisa. […] Voici le passage dans lequel il parle du mariage de Mlle Soymonof (c’était le nom de famille de Mme Swetchine), âgée pour lors de dix-sept ans, et du choix que son père fit pour elle du général Swetchine, protecteur encore plus qu’époux : « C’était un homme d’une taille élevée et d’un aspect imposant, d’un caractère ferme, droit, d’un esprit calme et plein d’aménité. […] Ce qui la séduisit surtout dans cette union fut la certitude que sa petite sœur ne la quitterait pas, qu’elle resterait maîtresse de lui prodiguer ses soins et de lui servir de mère. » « On cita, parmi les seigneurs russes dont ce mariage avait frustré les vœux, un jeune homme auquel la naissance, la fortune et de rares qualités d’esprit ouvraient une grande destinée, le baron, depuis, comte Strogonof. […] La pensée et l’esprit n’y sont jamais oubliés, mais le sentiment aussi y a sa part, son intérêt et son jeu. […] Si cependant, pour éclaircir ses idées, on veut absolument, parmi les salons connus, chercher un terme de comparaison avec le salon de Mme Swetchine, celui de Mme Récamier se présente naturellement à l’esprit.
On s’épand trop aujourd’hui en écrivant comme en vivant ; le cœur ni l’esprit n’y suffisent plus. […] Elle en est dès longtemps à ce qu’elle nomme ses fredaines de raisonnement : « L’universalité m’occupe, la belle chimère de l’utile (s’il faut l’appeler chimère) me plaît et m’enivre. » Elle juge en philosophe sa dévotion d’hier, et se l’explique : « C’est toujours par elle que commence quelqu’un qui à un cœur sensible joint un esprit réfléchi. » Son idéal d’amitié pourtant, avec la pieuse et indulgente Sophie, ne reçut point de ralentissement de ce côté-là. […] Sa vie déborde, elle se compare à un lion en cage : elle devait naître femme spartiate ou romaine, ou du moins homme français ; osons citer son vœu réalisé depuis par des héroïnes célèbres : « Viens donc à Paris, écrit-elle à la douce et pieuse Sophie ; rien ne vaut ce séjour où les sciences, les arts, les grands hommes, les ressources de toute espèce pour l’esprit, se réunissent à l’envi. […] Il est certainement mieux qu’elle n’ait jamais vu Rousseau, l’incomparable objet de son culte ; c’est ainsi que les religions de l’esprit se conservent mieux. […] Dès le premier jour, celle qui est destinée à illustrer historiquement son nom tient à son estime et se soucie de lui paraître avec avantage ; mais l’esprit seul et la considération sont engagés.
Leur autorité fut brisée et le souvenir de leur empire quasi tyrannique contribua puissamment à jeter les esprits dans l’extrême opposé. […] De plus, sans compter les œuvres dont la renommée n’a jamais franchi les frontières de leur pays natal, il n’est pas rare que certains auteurs soient peu goûtés à l’étranger, précisément parce qu’ils sont trop originaux, parce qu’ils contiennent comme une quintessence de l’esprit national. […] Musset n’a pas l’ampleur, la noblesse, l’abondance fluide et harmonieuse de Lamartine ; mais il a plus de grâce, d’esprit, de finesse, de passion. […] La tâche, même ainsi bornée, est encore assez délicate, et ce n’est pas trop de plusieurs méthodes, qui se corrigent et se complètent l’une l’autre, pour mesurer, peser, jauger, par une série de calculs approximatifs, ces produits si complexes de l’esprit humain. […] En tous ces cas, pour des motifs divers, son œuvre est de nature à satisfaire l’esprit.
Né pauvre, de la plus honnête mais de la plus entière pauvreté, d’une famille où l’on mourait de père en fils à l’hôpital, il a raconté lui-même les impressions de son enfance dans ses Souvenirs, un petit poème plein d’esprit, de finesse, d’allégresse et de sensibilité. […] Cette manière élevée et sobre dont Jasmin conçoit l’art du poète, il l’a exprimée avec bien de la gentillesse et de l’esprit en une occasion singulière. […] Depuis lors, cette langue éparse et morcelée avait encore eu ses poètes particuliers en Béarn, à Toulouse, dans le Rouergue, en différents lieux ; mais ces poètes d’un naturel aisé ne faisaient aucun effort pour sortir de l’esprit du cru, et pour élargir l’horizon tout local où les avait confinés la Fortune. […] M. l’archevêque, homme d’esprit, et qui comprend la race des poètes, promit d’essayer au dessert d’introduire la pièce de vers entre le fromage et le café : « Mais vous aurez un fort rival dans le café ! […] Dumon, qui reste un homme de tant d’esprit et de littérature : mais c’est s’honorer et bien prendre son temps que de lui dire devant tous aujourd’hui : Je vous suis autant que jamais reconnaissant.
Zola de voir et de rendre entièrement toute la nature : son individualité qui, dans l’ensemble totale des faits pyschologiques et matériels, l’a porté à en préférer une série douée d’un caractère commun, à modifier certains rapports, à dénaturer certains aspects, à donner de tout ce qu’il décrit une image notablement altérée dans le sens de ses sympathies, c’est-à-dire de sa nature d’esprit. […] Les quelques personnages loués dans ses romans sont bien constitués dans-leur corps et leur esprit, ont des membres sans tare et une raison sans fêlure, sont logiques, forts et humains. […] Comparant les fortes et complètes créations de son esprit aux êtres que ses sens lui montrent, apercevant le moment vital qu’il adore, la santé, la raison, la vertu, éparses, restreintes et mêlées en d’imparfaites manifestations, M. […] Il est permis d’admettre qu’un esprit parvenu à ces sympathies, comparant leur objet — de pures idées — aux misérables éléments dont il est extrait — la réalité — se prenne de tristesse et de mépris pour l’imperfection et l’hostilité des choses, se sente irrité contre les vices mesquins et les vertus compromises des créatures vivantes, parvienne au pessimisme colère qui caractérise toute l’œuvre de M. […] Cesser tout à coup de penser les choses réelles, en détacher un caractère extrêmement compréhensible et ne plus concevoir les individus qu’en tant qu’ils participent de cet attribut métaphysique est le fait soit d’une intelligence spéculative et savante, soit parfois d’un styliste émérite, d’un homme au tour d’esprit verbal qui emploie inconsciemment la synthèse que les mots ont faits de nos idées générales.
esprits ! […] Nulle région, dans la spéculation ou dans le fait, n’est fermée à l’esprit. […] L’esprit de civilisation est avec cet inconnu. […] Ici l’ilote est un esprit. […] Qu’est-ce qu’un esprit ?
On aimerait connaître les pensées, les étonnements, les sympathies, les espérances de ce jeune héros d’Israël au milieu des soldats et des paysages de la France, dans une atmosphère morale si différente de son propre esprit, mais dont il s’enivrait et voulait s’enrichir. […] Un « Maguem David » me bercerait peut-être d’un dernier frisson, et mon esprit se complaît à la pensée de dormir mon sommeil éternel à l’ombre du symbole de Sion ». […] Il y a quelque chose de douloureux et d’attachant dans cette destinée d’un jeune esprit qui regarde le monde et la vie exclusivement à travers la nation juive et qui meurt au service de ceux qu’il aime le plus, mais dont il tient à se distinguer. […] Leur patriotisme est tout spirituel, acte de volonté, décision, choix de l’esprit. […] Sa liberté d’esprit, son isolement, sa nature fine et noblement voluptueuse sont tout de même une forme de courage bien élégante et bien forte.
À elle appartenait ce premier âge des troubadours, qui sécularisa l’esprit en Europe, suscita devant l’Église une autre puissance d’opinion, commença le débat de la pensée libre contre le plus fort, et forma dans le midi de la France une race de chanteurs hardis et de poëtes populaires. […] La hiérarchie des rangs se retrouvait dans celle des esprits. […] Ainsi commençait la lumière dans le chaos du moyen âge ; ainsi l’esprit de Dieu, la science et la poésie étaient portées sur les grandes eaux de la barbarie. […] Ce n’est pas l’élégance et l’harmonie de Pétrarque ; c’est déjà quelquefois sa recherche d’esprit. […] Que Notre-Seigneur soit loué de qui pardonne, en amour de lui, et de qui souffre les peines du corps avec patience, et la maladie avec allégresse d’esprit !
Il établit que, dans l’Antiquité classique proprement dite, « les dispositions d’esprit particulières aux Grecs et aux Romains ne permettaient pas que la peinture de paysage fût pour l’art un objet distinct, non plus que la poésie descriptive : toutes deux ne furent traitées que comme des accessoires ». […] Ce n’est là pourtant ni le pittoresque, ni la demeure possible de l’homme, ni même une merveille de gigantesque pour l’œil qui a vu les astres ou pour l’esprit qui conçoit l’univers. […] C’est là qu’en accostant, dit-il, le paysan qui descend la chaussée, ou en s’asseyant le soir au foyer des chaumières, on a le charme encore d’entendre le français de souche, le français vieilli, mais nerveux, souple, libre et parlé avec une antique et franche netteté par des hommes aussi simples de mœurs que sains de cœur et sensés d’esprit ; … — en telle sorte que la parole n’est plus guère que du sens, mais franc, natif, et comme transparent d’ingénuité. […] Renoncer au monde, si l’on prend le précepte dans son esprit, c’est faire en toutes choses une part à la vie et une part à la mort, et cela jusqu’au dernier soupir. » — Dans la première partie de son explication, Töpffer n’a pas assez senti, je le crains, tout le mystère de la vie cachée, de la vie des antiques ermites et des Pères du désert ; mais il est impossible de mieux faire la part de l’homme de la société et du père de famille mourant. […] [NdA] Ce n’est pas sans dessein que j’indique la littérature grecque, car Töpffer était helléniste ; il a même donné une édition des Harangues de Démosthène, et il se souvient évidemment du grec dans cette phrase de ses Voyages en zigzag, par exemple : C’est là mieux qu’ailleurs (dans une excursion en commun du maître avec ses élèves) qu’il dépend de lui, s’il veut bien profiter amicalement des événements, des impressions, des spectacles et des vicissitudes, de fonder de saines notions dans les esprits, de fortifier dans les cœurs les sentiments aimables et bons, tout comme d’y combattre, d’y ruiner à l’improviste, et sur le rasoir de l’occasion, tel penchant disgracieux ou mauvais.
Rappelons-nous toutefois, en lisant ces vieux auteurs peu accoutumés aux lettres et à ce mode d’expression par l’écriture, que nous n’avons que des signes incomplets de leur force même d’esprit et de leurs ressources en ce genre. […] Quand les esprits lui parurent suffisamment préparés, il convoqua dans la chapelle de Saint-Marc tout ce qui put y tenir d’assistants ; on célébra la messe du Saint-Esprit, et, la politique vénitienne ayant par devers elle toutes ses garanties, on donna dorénavant pleine carrière à l’enthousiasme et à l’émotion dramatique. C’est ce mélange de prudence, de calcul, et aussi de piété et d’attendrissement à la suite, qui caractérise ces scènes de Venise chez Villehardouin, et qui montre, sans qu’il le dise, la différence profonde qu’il y avait entre l’esprit de ce gouvernement politique et celui des croisés impétueux. […] Qu’il y eût, dès le siècle de ce dernier, des politiques habiles et consommés, cela est hors de doute ; et l’Église, particulièrement, en eut alors qui en remontrèrent au monde : que, de plus, l’État de Venise fût déjà et dès longtemps habile avec suite et très avisé à ses intérêts, même à travers les acclamations et les pleurs de l’enthousiasme, nous en avons la preuve également ; mais la disposition moyenne des esprits, l’atmosphère morale, à Venise et ailleurs, était autre aux premières années du xiiie siècle qu’à la fin du xve . […] Quant à Villehardouin, toujours dévoué au bien commun et à l’union de l’armée qui lui semble le premier des devoirs, il représente à merveille ce composé de bon sens, d’honneur et de piété qui consiste à remplir religieusement les engagements de tout genre, même humains, une fois contractés ; en chaque occurrence, il tâche, entre les divers partis proposés, de se tenir au meilleur ; et, s’il y eut une sorte de moralité dans l’esprit et la suite de cette croisade si étrange par ses conséquences, c’est en lui et autour de lui qu’il faut la chercher.
67 Lorsque le petit-fils de Fouquet, M. de Belle-Isle, âgé de seize ans, vint à Paris, jeune homme de bonne mine, ayant « de l’esprit, du tact, les sentiments et les façons d’un vrai gentilhomme », grandement apparenté d’ailleurs, allié aux Lévis et aux Charost, l’intérêt de la société se porta sur lui ; on ne pensa à rien moins d’abord qu’à le faire entrer dans les mousquetaires du roi : on y réussit. […] On soigna chez lui l’esprit autant que le corps. […] Rousset nous cite du Journal de M. de Gisors témoigne en effet d’un esprit sérieux et appliqué, qui a du sens et de la finesse. […] Soyez l’exemple du bonheur qui suit la vertu, et pardonnez cette tirade à la tendresse qui me l’a arrachée. » Tous enfin s’accordaient à célébrer en lui le don le plus rare, qui a été départi à si peu, et peut-être à moins d’hommes encore que de femmes, la raison précoce, le fruit dans la fleur, un esprit mûr dès le premier duvet : Sotto biondi capei canuta mento. […] Le maréchal (danger plus grave) a près de lui dans le chef de son état-major, le comte de Maillebois, une âme damnée de Richelieu, un ennemi, un malin esprit et, peu s’en faut, un espion et un traître.
Elle a raconté l’histoire de sa captivité et des événements arrivés au Temple depuis le jour où elle y entra jusqu’au jour où y mourut son frère, et elle l’a fait d’un style simple, correct, précis, sans un mot de trop, sans une phrase, comme il sied à un cœur profond et à un esprit juste parlant en toute sincérité des douleurs vraies, de ces douleurs véritablement ineffables et qui surpassent tout ce qu’on en peut dire. […] Mon esprit était bouché, et je ne compris rien du tout à tout cela : elle m’embrassa, et me dit que si ces dames (les dames de l’intérieur et de la suite) me demandaient pourquoi j’étais si agitée, je devais dire qu’elle m’avait grondée et que je m’étais raccommodée avec elle. […] Tout esprit de parti se désarme et expire en le lisant, et il n’y a place qu’à une compassion et à une admiration profonde. […] Dans les moments où le malheur faisait trêve autour d’elle, on remarquait qu’elle aurait eu volontiers dans l’esprit ou dans l’humeur une certaine gaieté dont elle n’eut, hélas ! […] Ne demandez à cette âme, de bonne heure froissée et dépouillée, ni coquetterie d’esprit ni grâce légère.
Ses remarques, à ce sujet, portent le cachet, a-t-on dit, de cette « ingénieuse simplicité de pensée qui est le signe d’un esprit véritablement philosophique ». […] Le tour de son esprit pourtant le ramène toujours à la pratique et à l’usage qu’on peut tirer de la science pour la sûreté ou le confort de la vie. […] Comment cette toute petite île, qui, si on la compare à l’Amérique, ne fait l’effet que d’une pierre posée en travers pour passer un ruisseau, n’ayant à peine au-dessus de l’eau que ce qu’il faut pour empêcher qu’on ne se mouille le soulier ; comment, dis-je, cette petite île fait-elle pour réunir à souhait, dans presque chaque voisinage, plus d’esprits sensés, ingénieux et élégants que nous n’en pouvons recueillir en franchissant des centaines de lieues dans nos vastes forêts ? […] Le mérite de Franklin dans cette longue et à jamais mémorable affaire, fut de ne jamais devancer l’esprit de ses compatriotes, mais, à cette distance, de le deviner et de le servir toujours dans la juste mesure où il convenait. […] Franklin, que j’ai rapproché, pour la forme d’esprit littéraire et scientifique, de ses amis de l’école d’Édimbourg, avait un coin par lequel il en différait notablement : il était passionné et convaincu à ce point que le froid et sceptique David Hume lui trouvait un coin d’esprit de faction, touchant de près au fanatisme.
Les défauts et les qualités du livre s’expliquent très bien par la manière dont il fut composé, et par la nature d’esprit de l’écrivain. […] L’abbé Barthélemy, en introduisant et en faisant parler constamment un personnage du passé, se retranchait la ressource des considérations modernes et vraiment politiques ; mais, eût-il parlé en son propre nom, il se les fût également interdites : elles n’entraient pas dans la nature de son esprit. […] Si vous voulez faire parler Platon au Sunium (ce qui est difficile), inspirez-vous de lui à l’avance, remplissez-vous de son esprit et de ses formes ; et alors, si l’imagination vous le dit, parlez de source et en toute abondance de cœur, improvisez un moment ; mais ne venez point citer de mémoire des centons cousus ensemble de ses pensées. […] Il avait le bon esprit d’étouffer sa plainte, en songeant à l’oppression de tous et à la calamité commune : Je ne vous parle que littérature, écrivait-il à M. de Choiseul-Gouffier en mars 1792, parce que tout autre sujet afflige et tourmente. J’en détourne mon esprit autant qu’il m’est possible.
Cousin appelle raison la faculté ou pouvoir qu’a l’esprit de produire les axiomes et les idées des objets infinis. […] Ce gros mathématicien, mon voisin, qui, la craie en main, s’amuse à chiffrer en fumant, l’air gai et l’esprit tranquille, contemple en ce moment cette intelligence immense qu’on ne peut concevoir sans stupeur. […] Concevoir l’espace comme infini, ce n’est pas apercevoir expressément et distinctement par un seul acte de l’esprit la totalité de ses parties, c’est simplement lui concevoir une limite quelconque, analyser cette idée de limite et y trouver une contradiction. […] De la réponse dépend toute la méthode, et quelque chose de plus grave encore, je veux dire la direction habituelle et involontaire de l’esprit. […] Un esprit élevé dans ces habitudes court droit aux faits sitôt qu’on lui propose une question générale ; il en choisit un particulier et contingent ; il le garde incessamment sous ses yeux ; il sait qu’il n’a pas d’autre moyen de préciser et vérifier ses idées ; il y revient sans cesse ; il sait que ce fait est la source de tous les termes abstraits qu’il va recueillir et combiner.
Dans cet esprit toujours en marche, l’enveloppe seulement avait diminué : rien ne s’était appesanti. […] Je donnerai encore comme un parfait exemple de son indépendance et de son étendue d’esprit, comme aussi de son indulgence et de sa mesure, une lettre de lui écrite à M. […] messieurs, quelles canailles que ces Grecs, mais qu’ils avaient donc de l’esprit ! […] en me laissant l’idée (arrive jusqu’ici, je puis dire la certitude) qu’il n’entendrait guère me répondre, ce dont en effet tout son esprit le laisse peu capable. […] Dans le petit nombre des maîtres universellement salués et reconnus qui tiennent, à leur époque, le sceptre de l’esprit et qui pourraient être dans tous les sens les arbitres des grâces, il s’en est rencontré un (chose rare !)
L’écrivain I Il est amusant de voir combien l’esprit gaulois chez La Fontaine a eu de peine à se dégager du courant public qui l’emmenait ailleurs. […] Elle est hachée menu, en cent petits actes distincts, gaie et moqueuse, toujours légère et faite pour des esprits fins, comme les gens de ce pays-ci. […] L’agilité du charmant esprit qui va et vient de l’une à l’autre les unit sans les brouiller. […] Il aime les jardins, mais parmi eux il voudrait encore « quelque doux et discret ami. » Il loue la paresse et le somme ; « ajoutez-y quelque petite dose d’amour honnête, et puis le voilà fort. » Ajoutez aussi les curiosités et le vagabondage de l’esprit, le discours promené au hasard sur tous les sujets, depuis la bagatelle jusqu’aux affaires d’Etat et au système du monde20, vous aurez la vie qu’il nous propose en exemple. Il ne voit dans les règles des docteurs sévères que des « discours un peu tristes », dans Arnauld et Nicole que des « gens d’esprit, bons disputeurs. » Etranges sentiments dans un siècle chrétien !
Tandis que d’autres travaillaient sur les langues, sur l’histoire, sur la religion, sur la science de l’antiquité, le comte de Caylus614, un original de vif esprit et de puissante curiosité, faisait de l’archéologie son domaine. […] Il étudiait infatigablement les débris de l’art antique, les procédés, les matériaux, la signification, l’usage, etc. : toutes ces études partielles tendaient à restaurer dans les esprits une représentation plus fidèle de la vie antique. […] La découverte d’Herculanum et de Pompéi616 frappa vivement les imaginations : cette réapparition de villes enfouies depuis dix-sept siècles fut le fait saisissant qui captiva l’esprit mondain, et mit le gréco-romain à la mode. […] Il était important de signaler le courant qui porte les esprits de nouveau vers l’art gréco-romain : nous découvrons ainsi les origines, la place d’un génie original que, sans cette étude préalable, on ne sait où loger dans l’histoire de notre littérature. […] A son origine, sans doute, il doit ce caractère unique chez nous d’être plus Hellène que Latin : réfractaire même au génie proprement romain, et dans la poésie romaine incapable de saisir autre chose que les reflets de son aimable Grèce, la vraie patrie de son esprit : ses auteurs préférés, avec les purs Grecs, sont les poètes de l’alexandrinisme latin.
Barrès, en dix lignes, chaque jour, désignait les mains sales avec un esprit, une désinvolture, qui marquent, je le redis parce que c’est l’essentiel de lui : — un grand écrivain. […] Car son tour d’esprit est critique, contestateur et démolisseur, et des sceptiques d’un tempérament moins vigoureux se complaisent à de plus dégagées, à de plus sourieuses jérémiades. […] Ainsi, dans les Cœurs nouveaux, où un critique subjectif aurait le choix entre des thèmes si divers, un esprit susceptible de s’impersonnaliser, ou plutôt de se personnaliser en autrui, discernerait avec netteté : 1º Une peinture réaliste de famille aisée et moderne, avec château et mail-coach, peinture en mouvement juste et de ton nouveau ; 2º Une fiction idéaliste traduisant la position d’un esprit indépendant et d’un cœur de bonne volonté parmi la chose sociale en douleur. […] Mais un esprit clairvoyant et divinateur ne peut pas la devancer, la satisfaire par avance et la canaliser.
Jérusalem était alors à peu près ce qu’elle est aujourd’hui, une ville de pédantisme, d’acrimonie, de disputes, de haines, de petitesse d’esprit. […] Cette culture exclusivement théologique et canonique ne contribuait en rien à polir les esprits. C’était quelque chose d’analogue à la doctrine stérile du faquih musulman, à cette science creuse qui s’agite autour d’une mosquée, grande dépense de temps et de dialectique faite en pure perte, et sans que la bonne discipline de l’esprit en profite. […] Le propre de ces cultures scolastiques est de fermer l’esprit à tout ce qui est délicat, de ne laisser d’estime que pour les difficiles enfantillages où l’on a usé sa vie, et qu’on envisage comme l’occupation naturelle des personnes faisant profession de gravité 587. […] C’était un esprit libéral et un homme du monde, ouvert aux études profanes, formé à la tolérance par son commerce avec la haute société 624.