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2080. (1842) Discours sur l’esprit positif

Sous le second aspect, il envisage toujours l’état présent comme un résultat nécessaire de l’ensemble de l’évolution antérieure, de manière à faire constamment prévaloir l’appréciation rationnelle du passé pour l’examen actuel des affaires humaines ; ce qui écarte aussitôt les tendances purement critiques, incompatibles avec cette saine conception historique. […] Une véritable explication de l’ensemble du passé, conformément aux lois constantes de notre nature, individuelle ou collective, est donc nécessairement impossible aux diverses écoles absolues qui dominent encore ; aucune d’elles, en effet, n’a suffisamment tenté de l’établir. […] Car, on peut assurer aujourd’hui que la doctrine qui aura suffisamment expliqué l’ensemble du passé obtiendra inévitablement, par suite de cette seule épreuve, la présidence mentale de l’avenir. […] S’adressant à des populations plus avancées, il a livré à la raison publique une foule de prescriptions spéciales que les anciens sages avaient cru ne pouvoir jamais se passer des injonctions religieuses, comme le pensent encore les docteurs polythéistes de l’Inde, par exemple quant à la plupart des pratiques hygiéniques. […] Ne pouvant plus se prolonger que par l’espèce, l’individu sera ainsi entraîné à s’y incorporer le plus complètement possible, en se liant profondément à toute son existence collective, non seulement actuelle, mais aussi passée, et surtout future, de manière à obtenir toute l’intensité de vie que comporte, en chaque cas, l’ensemble des lois réelles.

2081. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre III. Ben Jonson. » pp. 98-162

Il manie les alambics, les cornues, les récipients, comme s’il avait passé sa vie à chercher le grand œuvre. […] Laissez-nous passer !  […] seigneur, il a passé l’éblouissement. […] Cette imposture publique n’est pour lui qu’une comédie de plus, un joyeux divertissement et un chef-d’œuvre. « Duper la cour, détourner le torrent contre les innocents, c’est un plaisir plus grand que si j’avais joui de la femme151. » Pour achever, il écrit un testament en faveur de Mosca, se fait passer pour mort, et regarde, caché derrière un rideau, les visages des héritiers. […] Il chasse à coups de bâton les montreurs d’ours et les tireurs d’épée qui osent passer sous ses fenêtres.

2082. (1858) Cours familier de littérature. V « XXIXe entretien. La musique de Mozart » pp. 281-360

Dieu nous a envoyé une petite croix, et nous rendons grâce à son infinie miséricorde que tout se soit passé sans trop de mal. […] mes angoisses sont passées. […] Si nous n’étions pas restés près de quinze jours à la maison, la fête ne se serait pas passée sans cadeau. […] On y passe sans cesse des larmes de l’admiration aux larmes de l’attendrissement. […] Huit jours se passent sans que j’entende parler de rien.

2083. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

Le duc de Mantoue, de la maison de Gonzague, qui n’avait pas cessé de s’intéresser à lui depuis le voyage qu’il avait fait autrefois à Mantoue avec son père, vint à Ferrare, et passa chaque jour plusieurs heures dans sa prison. […] Il dit adieu à ses hôtes du monastère de Monte Oliveto, où il avait passé des jours si heureux. […] » Il passa l’hiver de 1589 à 1590 dans cet isolement et dans cet abandon. […] Le poète passa l’hiver à se préparer à la mort plus qu’à ce vain triomphe ; on lit avec attendrissement une lettre de lui à Ingegneri, son éditeur de Venise, dans laquelle il lui recommande d’imprimer toutes ses œuvres, avec ou sans profit pécuniaire pour l’auteur. […] La foi était si jeune et si vive en ce siècle à Rome, qu’aucun doute n’en altérait la sécurité, et qu’on passait de cette vie à l’autre, comme si du sein des ténèbres mortelles on eût vu luire les splendeurs visibles du ciel chrétien.

2084. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVe entretien. Alfred de Vigny (2e partie) » pp. 321-411

Il me la passa, et j’y bus un peu de mauvais vin blanc avec beaucoup de plaisir ; je lui rendis le coco. […] J’avais défense d’ouvrir cette lettre avant le premier degré de latitude nord, du vingt-sept au vingt-huitième de longitude, c’est-à-dire près de passer la ligne. […] Le petit mari prit le marteau, et la petite femme les clous, et ils me les passaient à mesure que je les demandais ; et elle me disait : À droite ! […] Moi, encore passe ; mais toi, bel ange, devenue femme depuis quatre jours à peine ! […] Quand je revins en France, je demandai à passer avec mon grade dans les troupes de terre, ayant pris la mer en haine parce que j’y avais jeté du sang innocent.

2085. (1856) Jonathan Swift, sa vie et ses œuvres pp. 5-62

Bien qu’on ait longtemps montré à Dublin la maison où naquit Swift, bien qu’il ait passé la plus grande partie de sa vie en Irlande et y soit devenu populaire, Swift n’avait rien d’Irlandais, ni dans le sang, ni dans le caractère. […] Lorsque après avoir passé huit ans dans une petite école, Swift entra à quatorze ans dans l’université de Dublin, il sentait déjà vivement la différence que mettaient entre lui et la plupart de ses camarades la pauvreté et l’abandon. […] Il passa encore trois années au collège, de plus en plus inquiet de l’avenir, à mesure qu’il approchait du monde, appauvri, s’il était possible, par la mort de son oncle Godwin, secouru de meilleur cœur, mais avec aussi peu d’efficacité par son oncle William. […] On montrait, longtemps après cette funeste histoire, le berceau entouré de fleurs, et rafraîchi par un ruisseau, où Swift et Vanessa venaient souvent s’asseoir avec des livres et passaient de longues heures, toujours trop courtes pour l’amante délaissée. […] La meilleure méthode que je connaisse en cette vie, est de prendre son café quand on peut, et de s’en passer gaîment quand on ne le peut pas ; tant que vous aurez le spleen, vous pouvez être sûre que je vous prêcherai. » Il n’eut pas à lui faire longtemps ces injustes et inutiles reproches.

2086. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

Nous quittions tous les ans notre maison moins pastorale du Mâconnais pour aller passer l’été et l’automne dans sa belle demeure ; elle m’était destinée après lui. […] Nous avons passé la soirée à parler des exploits d’Ulysse. […] Ne nous étonnons plus que les anciens aient appelé les poètes des devins ; ils devinent le passé comme l’avenir. […] Il les passe à la flamme, les partage en morceaux, les enfile à des broches. […] Non ragionam di loro ma guarda e passa !

2087. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

Le passé, lié tout entier à la cause de la religion, y conservait son empire. […] Une fois prononcée, la parole était pour eux sainte comme la religion, immuable comme le passé (fas, fatum, de fari). […] Elles passent successivement sous trois gouvernements. […] Tout ce que nous avons passé dans la table, se trouve placé ailleurs, et plus convenablement. […] Cette tradition, dont on rapporte l’origine à Genovesi, a passé de lui à Galanti son biographe, et ensuite à M. de A.

2088. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « LOUISE LABÉ. » pp. 1-38

Mais Louise Labé, précédemment louée par Marot, n’eut pas besoin, elle, pour s’élancer à son tour, de rompre avec le passé et de s’éprendre de cette ardeur rivale. […] En le voyant ainsi, de mes rêves passés Je croyais ressaisir la fugitive image, Et retrouver un être aimé depuis longtemps ; Mon écharpe effleura le mobile feuillage, Et l’inconnu put voir le trouble de mes sens7 ! […] Elle dut pourtant continuer de jouir plus que jamais du contrecoup de sa renommée ; tout ce que Lyon avait de considérable, tout ce qui passait d’étrangers de distinction allant en Italie, devait désirer de la connaître, et sa cour sans doute ne diminua pas. […] De la foule qui passe évitant la faveur, Inclinant sur ton fleuve un front tendre et rêveur, Louise, tu chantas ! […] En prenant aujourd’hui parti, à la suite de plusieurs bons juges, pour sa vertu, ou du moins pour son élévation et sa générosité de cœur, nous ne craignons pas le sourire ; nous nous souvenons que des débats assez semblables se raniment encore après des siècles autour des noms d’Éléonore d’Este et de Marguerite de Navarre, et, pourvu que le pédantisme ne s’en mêle pas (comme cela s’est vu), de telles contestations agréables, qui font revivre dans le passé et qui se traitent en jouant, en valent bien d’autres plus pressantes.

2089. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre II. Principale cause de la misère : l’impôt. »

Dans les paroisses de second ordre, ce sont tous « de petits propriétaires, et chacun d’eux passe à la collecte à peu près tous les six ans ». […] Parfois on procède contre lui et contre les contribuables « par établissement de garnisons, saisies, saisies-arrêts, saisies-exécutions, et ventes de meubles »  « Dans la seule élection de Villefranche, dit l’assemblée provinciale de la Haute-Guyenne, on compte cent six porteurs de contraintes et autres recors toujours en chemin. » La chose est passée en usage, et la paroisse a beau pâtir, elle pâtirait davantage si elle faisait autrement. « Près d’Aurillac, dit le marquis de Mirabeau677, il y a de l’industrie, du labeur, de l’économie, et, sans cela, rien que misère et pauvreté. […] Pour passer trois ou quatre jours jusqu’au samedi, elles firent bouillir un reste de saumure, dont elles tirèrent quelques onces de sel. […] Défense aux juges de modérer ou réduire les amendes prononcées en matière de sel, à peine d’en répondre et d’être interdits  Je passe quantité d’autres ordres et défenses : il y en a par centaines. […] Lorsque dans les correspondances administratives on examine de près le grand filet fiscal, on découvre à chaque instant quelques mailles par lesquelles, avec un peu d’industrie ou d’effort, passent tous les poissons moyens ou gros ; le fretin seul reste au fond de la nasse.

2090. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (2e partie) » pp. 305-367

Cette royauté suspendue sur la tête du roi passe à l’Assemblée constituante ; une constitution règne métaphysiquement à sa place ; l’Assemblée constituante rend un trône presque aboli à ce fantôme de roi captif. […] Elle marche au hasard à sa propre destruction et passe des bourreaux aux victimes, des intrigants aux idéologues, des idéologues aux soldats, des soldats aux dictateurs, des dictateurs aux despotes. […] XI Le curé de Bessancourt, encore vert et comme présent à tout ce passé, nous donna tous les renseignements désirés sur les derniers jours, sur les diverses dispositions d’esprit, sur les conversations des condamnés. […] Si ces témoignages de la consciencieuse minutie de mes recherches sur les moindres circonstances historiques de mon Histoire des Girondins ne suffisaient pas pour édifier l’écrivain qui m’attribue l’invention de cette prétendue fable, voici à ce sujet une lettre d’un des principaux habitants de Bessancourt, qui m’arrive aujourd’hui, avec l’autorisation de la reproduire : « Monsieur, « Je n’ai pas besoin de remonter plus loin dans mes souvenirs pour attester que le vénérable abbé Lambert a été, pendant de longues années (depuis 1816 jusqu’en 1847, année de sa mort), curé de Bessancourt (Seine-et-Oise) ; que cet ecclésiastique a toujours passé dans la commune pour avoir été l’ami des Girondins et le pieux consolateur de quelques-uns d’entre eux la veille de leur supplice, en 1793 ; et que vous êtes venu, accompagné d’un de vos amis ou collègues dont le nom m’échappe, passer de longues heures chez M. le curé Lambert dans son presbytère de Bessancourt, pour recueillir personnellement, de la bouche de ce vieillard, tous les détails que vous rapportez dans votre Histoire des Girondins. […] La jeune fille était devenue femme, mère, veuve ; elle avait vieilli d’années et de visage, sans rappeler par ses traits aucune beauté passée, mais sans aucun signe de vieillesse ou de caducité.

2091. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (3e partie) » pp. 365-427

La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (3e partie) I Humboldt passe à la peinture et au dessin. […] L’un, le mystère du passé ; l’autre, le mystère de l’avenir. […] Un soldat qui avait passé sa vie entière dans les missions de l’Orénoque supérieur, campait avec nous sur les bords du fleuve. […] Il a une tige grêle, fortement tordue, flexible, qui s’enroule autour des grands arbres, passe de l’un à l’autre, et atteint une longueur incroyable. […] Ce sont les racines aériennes des épiphytes (aroïdées), qui vivent sur les cimes, en plein air, qui se passent fort bien d’emprunter leur nourriture à la terre et sont comme une seconde forêt par-dessus la première, qui s’attachent à demeure aux plus fortes et aux plus hautes mères branches, et retombent droit comme un fil à sonde, tantôt isolément, tantôt en paquets, s’arrêtant ici à moitié chemin du sol, finissant ailleurs par y toucher et par y enfoncer leurs radicules. » XXII « Le taillis de la forêt vierge change d’un endroit à l’autre.

2092. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre quatrième »

Cet éloge des biens de l’esprit est déjà de la haute poésie la Renaissance et la Réforme ont passé par là. […] Du Bellay a dit ce qu’il fallait laisser et où il fallait tendre ; il a rompu avec le passé, et il a ouvert une voie nouvelle. […] Ses poésies en offrent des exemples qui passent tout ce qu’on sait de plus extravagant, en fait de complaisance pour soi-même. […] Si je play donc, si je say contenter, Si mon renom la France veut chanter, Et si du front les estoiles je passe Certes, mon luth cela vient de ta grace106. […] Ailleurs il le loue de sa, veine immortelle, Qui les vieux passe et les nouveaux espritz.

2093. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre sixième. »

Les poëtes ne peuvent pas se passer du suffrage du moment ; ils sont esclaves de tout ce qui peut faire voler leur nom de bouche en bouche ils vont au-devant de la gloire, au risque de ne rencontrer que la vogue, ce vain enthousiasme d’aujourd’hui, auquel le dégoût succédera demain. […] Il semble avoir senti tous les mouvements, passé par toutes les contradictions de notre nature. […] Il était conseiller au parlement de Bordeaux à l’âge de 21 ans ; plus tard, gentilhomme de la chambre du roi Charles IX ; du reste, n’ayant pas connu l’ambition, dont sa fortune le dispensait ou, s’il en sentit un moment les atteintes dans sa jeunesse, s’en étant bientôt défait, « avec le conseil de ses bons amis du temps passé », y dit-il, et parce que l’ambition n’est convenable « qu’à celui à qui lafortune refuse de quoi planter son pied146. » Mais s’il n’en connut pas le principal mobile, il en put du moins considérer les objets d’assez près pour en porter des jugements purs d’illusions et de préventions. […] Balzac, à côté d’éloges sincères, en fait des critiques assez vives ; Port-Royal le trouve impie, et l’attaque pour sa philosophie qui prétend se passer de religion. […] Puis il compare, sur chaque point particulier, le présent avec le passé, les opinions que d’autres en ont eues avec celle qu’il en a lui même, les actions qui s’y rattachent avec sa conduite personnelle.

2094. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 15 décembre 1886. »

De ces poèmes, c’est la Vaelsunga-Saga qui lui a sans doute le plus servi pour le gros œuvre dramatique, du moins lorsqu’il lui a fallu passer des dieux aux héros, de Wotan à Siegfried. […] Loke « Quel est ce poisson qui ne sait passe préserver du piège ? […] Des poètes, des chevaliers, des moines sont allés entendre l’oiseau des bois ; saisis par le charme, ils sont demeurés dans la fascination de leur songe : en une heure, des siècles ont passé pour eux. […] Wagner a recueilli pieusement les traditions significatives du passé : Shakespeare et Goethe avaient agi de même, en Poésie dramatique, et bien d’autres comme eux ! […] Aussi faut-il passer la frontière pour constater l’existence d’une opposition malveillante.

2095. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre deuxième. Le développement de la volonté »

Transportez cette impulsion dans toutes les cellules élémentaires d’un organisme, elle sera le fond psychique de ce qui se passe chez les petits êtres vivants dont l’organisme total est composé. […] Il ne reste qu’une conscience spontanée qui passe comme un éclair et ne produit pas de changement appréciable dans la cœnesthésie. […] Un pas de plus et l’élément psychique disparaît, ou du moins devient indistinct, ou encore se déplace et passe à des centres autres que les centres cérébraux. […] 156 L’échelle des instincts de plus en plus complexes représente les divers degrés par lesquels un instinct a passé avant d’arriver à sa forme supérieure. […] Puis, prenant mieux conscience de ce qui se passe en lui, il agit sous l’idée de cette similitude, en jugeant que la même épine produit la même piqûre.

2096. (1870) La science et la conscience « Chapitre II : La psychologie expérimentale »

C’est du dehors que l’école dont nous parlons observe ce qui se passe à l’intérieur. […] Stuart Mill et Bain ne voient dans la relation, soit accidentelle, soit constante de l’effet à la cause, qu’une simple association passée en habitude. […] Quand la volonté obéit à la passion, au penchant, elle est encore libre, alors même que cette faiblesse serait passée en habitude. […] Aux écoles française, anglaise, écossaise, qui toutes pratiquent la méthode expérimentale avec un esprit différent, il oppose le sentiment immédiat, direct, intime, qui fait le caractère propre de l’observation de conscience ; à la recherche plus ou moins laborieuse des lois, il substitue l’intuition des causes ; en face des révélations de l’expérience proprement dite qui ne peuvent passer les limites d’une science tout extérieure de l’homme, il fait jaillir du fond même de la nature humaine une lumière qui l’éclairé dans ses profondeurs. […] Toutes deux concourent également à l’œuvre de la science de l’homme, et chacune d’elles y a son rôle à part, de manière à ne pouvoir se passer l’une de l’autre.

2097. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre III. De la logique poétique » pp. 125-167

Ce mot, dans son premier sens, dans son sens propre, signifia fable (qui a passé dans l’italien favella, langage, discours) ; la fable, chez les Grecs, se dit aussi μῦθος, d’où les latins tirèrent le mot mutus ; en effet, dans les temps muets, le discours fut mental ; aussi λόγος signifie idée et parole. […] Conséquemment, ces symboles durent être des métaphores, des images, des similitudes ou comparaisons qui, ayant passé depuis dans la langue articulée, font toute la richesse du style poétique. […] Si nous passons aux Latins, les premiers monuments de leur langue sont les fragments des vers saliens. […] Ainsi le chant uni aux vers devint de plus en plus rapide, en suivant exactement le progrès du langage et des idées. — Ces vérités philosophiques sont appuyées par la tradition suivante : l’histoire ne nous présente rien de plus ancien que les oracles et les sibylles ; l’antiquité de ces dernières a passé en proverbe. […] Ainsi les Grecs et les Français qui ont passé d’une manière prématurée de la barbarie à la civilisation ont conservé beaucoup de diphthongues.

2098. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

Dans le présent épisode surtout, les Confessions ont retenti des deux parts, et ce serait le cas de dire avec Bossuet, si nous en avions le droit et si nous n’étions pas des leurs, qu’il y en a « qui passent leur vie à remplir l’univers des folies de leur jeunesse égarée. » L’univers, il faut en convenir aussi, c’est-à-dire la France, s’y est prêtée en toute bonne grâce ; elle a écouté et accueilli avec un intérêt prononcé, et d’une âme encore très littéraire en ce temps-là, tout ce qui du moins lui paraissait éloquent et sincère. […] Et pourtant elle est immortelle, Et ceux qui se sont passés d’elle Ici bas ont tout ignoré. […] [NdA] Un élégant écrivain qui passe pour un de nos premiers critiques, mais qui n’a jamais été un bon critique dès qu’il s’agissait de se prononcer sur les contemporains et les vivants, M. 

2099. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française, par M. D. Nisard. Tome iv. » pp. 207-218

Nisard, avec toutes les qualités qu’il lui attribue, passât sans contestation. […] L’esprit français, à l’état d’archétype comme dans Platon, est censé présider en personne à cette Histoire ; selon qu’il se reconnaît plus ou moins dans tel ou tel écrivain qui passe, il l’approuve ou le condamne, il l’élève ou le rabaisse. […] Passons vite.

2100. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « À M. le directeur gérant du Moniteur » pp. 345-355

Oui, je suis effrayé, mon cher directeur, et vous en comprendrez les raisons si vous voulez bien vous mettre un instant à ma place, et me laisser vous rappeler tout ce qui s’est passé à la suite de l’article, mêlé de critique et d’éloge, que j’ai écrit sur Fanny 63. […] Si j’avais parlé de son livre, il n’aurait pas échappé toutefois aux avis, aux remontrances, aux gronderies même ; il eût essuyé tout un sermon ; il veut bien me les passer quelquefois. […] La scène qui se passe dans le cabinet du procureur du roi à Bruxelles, et où sont réunis pour y être confrontés les principaux personnages, est d’un dramatique terrible sous sa forme judiciaire contenue.

2101. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Waterloo, par M. Thiers »

Parti de Paris le 12 juin, l’Empereur passait la frontière dans la nuit du 14 au 15, et se portait sur Charleroi. […] ou bien a-t-il été égal à lui-même et à son passé, pour le moins égal si l’on considère l’ensemble des difficultés et les menaces de l’avenir ? […] « Le caractère de plusieurs généraux, a dit Napoléon, avait été détrempé par les événements de 18H ; ils avaient perdu quelque chose de cette audace, de cette résolution et de cette confiance qui leur avaient valu tant de gloire et avaient tant contribué aux succès des campagnes passées. » À tous ces éléments humains de fatalité s’ajouta, la veille du dernier jour, un orage du ciel, un obstacle matériel considérable et imprévu.

2102. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Appendice — II. Sur la traduction de Lucrèce, par M. de Pongerville »

L’exemple de ce qui s’était passé en nos derniers troubles civils contribuait à nous faire expliquer Lucrèce dans ce sens. […] M. de Pongerville nous l’affirme en propres termes ; il consacre sa préface à démontrer cette vérité ; et, comme M. de Pongerville a passé dix ans à traduire en vers ce poète, quatre ans à retoucher et à revoir sa traduction ; comme il s’occupe en ce moment de retraduire en prose cette traduction en vers, et qu’un volume en a déjà été publié dans la collection Panckoucke, il n’y a pas moyen de récuser un homme aussi compétent sur Lucrèce ; on ne peut que s’incliner et croire. […] ô Memmius, à cet affreux supplice Ajoute la fatigue et la honte du vice, D’un lâche égarement le cruel souvenir, La dette, affreux serpent qui ronge l’avenir, Un honneur chancelant, le remords implacable À revoir le passé forçant un cœur coupable.

2103. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Feuilles d'automne, (1831) »

Rien ne reste de nous : notre œuvre est un problème ; L’homme, fantôme errant, passe sans laisser même Son ombre sur le mur. L’autre vie, celle qui suit la tombe, est redevenue un crépuscule nébuleux, boréal, sans soleil ni lune, pareil aux limbes hébraïques ou à ce cercle de l’enfer où souffle une perpétuelle tempête ; des faces mornes y passent et repassent dans le brouillard, et l’on sent à leur souffle ce frisson qui hérisse le poil ; les ailes d’or qui viennent ensuite et les âmes comparées aux hirondelles ne peuvent corriger ce premier effroi de la vision. […] Nous avons essayé de caractériser, dans la majesté de sa haute et sombre philosophie, ce produit lyrique de la maturité du poëte ; mais nous n’avons qu’à peine indiqué le charme réel et saisissant de certains retours vers le passé, les délicieuses fraîcheurs à côté des ténèbres, les mélodies limpides et vermeilles qui entrecoupent l’éternel orage de la rêverie.

2104. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « FLÉCHIER (Mémoires sur les Grands-Jours tenus à Clermont en 1665-1666, publiés par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont.) » pp. 104-118

Gonod nous rend l’écrit oublié, et la mémoire de Fléchier s’en rafraîchit pour longtemps, pour toujours ; on le retrouve lui-même en personne, tel qu’il causait chez M. de Caumartin, avec sa diction exquise, sa lenteur étudiée, sa douce raillerie et ses grâces ; et voilà, si l’on n’y prend pas garde, qu’on va tout sacrifier de son passé pour ne plus voir de lui que l’œuvre nouvelle. […] Mais, pour ne point passer d’un extrême à l’autre, qu’on nous permette de bien maintenir d’abord le premier, l’ancien Fléchier et ses titres à jamais durables dans l’histoire de notre littérature. […] L’Auvergne, ce pays de montagnes où la féodalité était comme retranchée, nous représente en abrégé et dans un échantillon plus marquant l’état d’une grande partie de la France, au sortir des guerres civiles ; il fallut, pour asseoir bien incomplétement encore l’ordre administratif, que la souveraineté toute-puissante de Louis XIV passât là-dessus avec vigueur et rasât bien des châteaux.

2105. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « VICTORIN FABRE (Œuvres publiées par M. J. Sabbatier. Tome Ier, 1845. » pp. 154-168

Sabbatier, a mise en tête du volume, ne nous paraissait trop singulière à bien des égards pour devoir être passée sous silence. […] Les grandes causes philosophiques et politiques, les grands partis littéraires, une fois que l’influence leur échappe et que le monde tourne décidément à un autre cours d’idées, se rétrécissent, s’immobilisent, passent à l’état de secte et comme de petite Église ; ils tombent dans ce que j’appellerai une fin de jansénisme. […] L’éditeur répète à chaque page de sa Notice qu’il n’y a plus ni critique, ni indépendance de jugement en France ; il aurait trop lieu de le croire, si de pareilles énormités littéraires passaient tout à fait inaperçues.

2106. (1875) Premiers lundis. Tome III « M. Troplong : De la chute de la République romaine »

L’histoire de ces temps peut donc servir à la nôtre, ou plutôt le spectacle de ce que nous avons eu sous les yeux et le sentiment de ce que nous avons observé nous-mêmes peuvent nous servir à entendre complètement cette histoire du passé ; car c’est moins l’histoire ancienne qui, en général, éclaire le présent, que l’expérience du présent qui sert à rendre tout leur sens et toute leur clarté aux tableaux transmis et plus ou moins effacés des anciennes histoires. […] Mais, les yeux fixés avec admiration sur les sommets les plus lointains et les plus âpres du passé, il ne voyait pas les moissons florissantes que l’équité et l’humanité des mœurs avaient fait naître dans le champ d’une civilisation plus moderne. […] Aussitôt Pompée mort et son âme envolée aux cieux, Caton passe au premier plan.

2107. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre II. Définition. — Énumération. — Description »

Et pourtant, par un jeu mécanique de la mémoire, ces mêmes esprits pensent avec des mots abstraits, généraux, collectifs : les ayant pensés et exprimés, ils semblent avoir épuisé du coup leur puissance d’invention, et ne peuvent passer outre. […] De courtes aurores, des midis plus longs, plus pesants qu’ailleurs, presque pas de crépuscule ; quelquefois une expansion soudaine de lumière et de chaleur, des vents brûlants qui donnent momentanément au paysage une physionomie menaçante et qui peuvent produire alors des sensations accablantes ; mais, plus ordinairement, une immobilité radieuse, la fixité un peu morne du beau temps, enfin une sorte d’impassibilité qui du ciel semble être descendue dans les choses, et des choses avoir passé dans les visages. […] Voyez de quelle façon l’écrivain russe Tolstoï représente un homme dans un état de joie extrême : il fait sa première visite à sa fiancée : Il rôda dans les rues pour passer le temps qui lui restait à attendre, consultant sa montre à chaque instant, et regardant autour de lui.

2108. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Ernest Renan, le Prêtre de Némi. »

La vertu n’a pas besoin de la justice des hommes ; mais elle ne peut se passer d’un témoin céleste qui lui dise : Courage ! […] C’est qu’il les connaît pour les avoir étudiées dans le passé et dans le présent et que, s’il est poète, il est historien  Ou bien parmi de magnifiques paroles sur la vertu, il nous avertit subitement qu’elle n’est que duperie, et cela nous scandalise ; mais ce n’est pourtant qu’une façon de dire que la vertu est à elle-même sa très réelle récompense. […] Ce grain de sel, il est toujours facile de voir où il l’a mis  Si la femme le préoccupe, s’il parle d’elle avec un mélange de dédain et d’adoration qui n’est qu’à lui, ces deux sentiments s’expliquent par son passé ecclésiastique et par la longue austérité de sa jeunesse : voudriez-vous qu’il abordât la femme avec la belle tranquillité de M. 

2109. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XII. L’antinomie morale » pp. 253-269

Car si la justice se réalise un jour, elle n’aura pas d’effet rétroactif ; le futur ne rachètera pas le passé et le contraste de la perfection de l’état futur avec l’imperfection ancienne ne fera que rendre plus sensibles les injustices passées et irréparables. — Spiritualisme, Messianisme, ce sont deux « stades de l’illusion » dont parle M. de Hartmann. […] Solidarité ou liberté, égalité ou inégalité, résignation ou révolte, moralisme ou immoralisme ; ou, pour passer à des problèmes plus spéciaux, mariage indissoluble ou divorce facilité, condamnation ou légitimation du suicide, ce sont là autant de problèmes à solutions ambiguës que tranche au fond le jugement de l’individu et pour tout dire, en fin de compte, le tempérament de l’individu.

2110. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VII. Développement des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

Jésus s’y soumit à l’exemple des autres et passa quarante jours sans autre compagnie que les bêtes sauvages, pratiquant un jeûne rigoureux. […] On crut que pendant le temps qu’il passa dans cet affreux pays, il avait traversé de terribles épreuves, que Satan l’avait effrayé de ses illusions ou bercé de séduisantes promesses, qu’ensuite les anges pour le récompenser de sa victoire étaient venus le servir 337. […] Mais, en constituant une immense association libre, qui, durant trois cents ans, sut se passer de politique, le christianisme compensa amplement le tort qu’il a fait aux vertus civiques.

2111. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre III, naissance du théâtre »

La Muse dramatique, attachée comme une Pythie esclave au trépied du dieu, s’échappe ainsi du sanctuaire et passe du côté de l’humanité. Le Dithyrambe se lasse de tourner le pressoir sanglant et capiteux de Bacchus ; il rompt sa chaîne festonnée de pampres, jette son lierre au vent, et va chanter et pleurer, souffrir et s’émouvoir chez les hommes, Le fameux cri de détresse que répéteront longtemps les vieux pontifes du passé : Ουδεν προς Διόνυτον ? […] Le héros tragique paraissait à travers l’élément lyrique qui submergeait encore sa personne, comme un nageur qui passe sa tête au-dessus des flots.

2112. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — La déclamation. » pp. 421-441

Passons à la déclamation notée. […] Desfontaines passe ensuite à l’énumération des défauts qu’on remarque communément dans les prédicateurs, & qui sont les tons d’écolier, des exclamations périodiques & déplacées ; une véhémence ridicule dans des choses triviales, au lieu d’une noble simplicité qu’on devroit avoir jusques dans les plus beaux morceaux ; des cris & des transports de routine ; une monotonie ennuyeuse, une déclamation dénuée d’attention, d’intelligence & de sentiment. […] Les ouvriers ne peuvent point passer maîtres, s’ils ne présentent un chef d’œuvre qui fasse connoître qu’ils méritent ce titre ; & un jeune orateur aura l’impudence de déclamer en public, sans avoir auparavant exercé ses talens en particulier, ou corrigé ses défauts en secret. » Il est étonné qu’il n’y ait pas une chaire publique pour apprendre à déclamer.

2113. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre I : Une doctrine littéraire »

Nous transportons ces vues dans la littérature et dans les beaux-arts ; nous pensons que c’est l’initiative individuelle qui a trouvé le beau, que l’idéal n’est passé dans la réalité et n’est devenu sensible que par la création libre des grands artistes et des grands écrivains, dont chacun lui a donné la couleur de son âme. […] La littérature française a ainsi passé à plusieurs reprises par certaines manies qui ont duré un jour, ont enchanté les ruelles ou les salons pendant une saison, et ont disparu chacune à son tour : le précieux, le galant, le grotesque, le pompeux, le pleureur, le voluptueux, le lugubre, l’imitation italienne, espagnole, anglaise, allemande, grecque, tous ces faux goûts ont successivement succombé ; mais à côté de ces fausses beautés il y en avait d’autres vraies, générales, durables, qui ont subsisté. […] J’ajoute que la tradition n’est pas la même chose que la discipline : il peut très-bien y avoir une discipline nouvelle, sans relation avec le passé ; elle n’aurait pas de tradition.

2114. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre premier. Astronomie et Mathématiques. »

Les hommes ont beau se tourmenter, ils n’entendront jamais rien à la nature, parce que ce ne sont pas eux qui ont dit à la mer : Vous viendrez jusque-là, vous ne passerez pas plus loin, et vous briserez ici l’orgueil de vos flots 143. […] Un poète avec quelques vers passe à la postérité, immortalise son siècle, et porte à l’avenir les hommes qu’il a daigné chanter sur sa lyre : le savant, à peine connu pendant sa vie, est oublié le lendemain de sa mort. […] Dans les sciences, celui qui vient le dernier est toujours le plus instruit : voilà pourquoi tel écolier de nos jours est plus avancé que Newton en mathématiques ; voilà pourquoi tel qui passe pour savant aujourd’hui, sera traité d’ignorant par la génération future.

2115. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Deshays » pp. 208-217

Je n’en excepte ni son Saint Benoît du Salon passé, ni son Saint Victor, ni son autre martyr dont le nom ne me revient pas, quoiqu’il y eût et de la force et du génie. […] Je m’en rapporte à vous, marquis de la Vallée de Josaphat, chevalier d’honneur de la Résurrection, illustre Montami, vous qui avez calculé géométriquement la place qu’il faudra à tout le monde au grand jour du jugement, et qui à l’exemple de Notre Seigneur entre les deux larrons, aurez la bonté de placer dans ce moment critique à votre droite Grimm l’hérétique, et à votre gauche Diderot le mécréant, afin de nous faire passer en paradis, comme les grands seigneurs font passer la contrebande dans leurs carrosses aux barrières de Paris, illustre Montami, je m’en rapporte à vous.

2116. (1811) Discours de réception à l’Académie française (7 novembre 1811)

L’histoire nous rappelle, nous retrace le passé, la comédie nous y transporte. […] Mais passons aux temps modernes, et hâtons-nous d’arriver à l’époque la plus mémorable de notre gloire dramatique, à l’apparition de Molière. […] Ceux du temps passé ne ressemblent pas à ceux du siècle présent ; mais cette variété de physionomie, cette bigarrure d’ajustements, n’en forment pas moins une galerie intéressante pour le curieux qui examine et pour l’observateur qui compare.

2117. (1824) Notice sur la vie et les écrits de Chamfort pp. -

Depuis que son esprit et ses succès l’avaient lancé dans le grand monde, il n’y était pas resté spectateur oisif, ni, si l’on veut, spectateur bénévole ; les vices qu’on appelait aimables, les ridicules consacrés et passés en usage, avaient fixé ses regards ; et c’était par le plaisir de les peindre qu’il se dédommageait souvent de l’ennui et de la fatigue de les voir. […] Les personnes qui se trouvaient chez lui, et avec lesquelles il venait de dîner, averties de ce qui se passait par le bruit du coup de pistolet et par le sang qui coule à flots sous la porte, se pressent autour de Chamfort pour étancher le sang avec des mouchoirs, des linges, des bandages ; mais lui, d’une voix ferme, déclare qu’il a voulu mourir en homme libre, plutôt que d’être reconduit en esclave dans une maison d’arrêt, et que si, par violence, on s’obstinait à l’y traîner dans l’état où il est, il lui reste assez de force pour achever ce qu’il a commencé. […] La philosophie avait tellement renforcé en lui la nature, qu’après avoir, pendant quelques années, joui des douceurs de l’aisance, il sut, déjà sur son déclin, envisager avec courage et sérénité une position presque aussi malheureuse que celle où il avait passé sa jeunesse.

2118. (1818) Essai sur les institutions sociales « Addition au chapitre X de l’Essai sur les Institutions sociales » pp. 364-381

Restait donc à savoir, selon lui, comment le son émis par un organe, reçu par un autre organe, passe à l’état de signe abstrait et général, en vertu de la faculté fondamentale du moi, l’absolu, qui tient à notre nature d’être infini ; comment nous obtenons ainsi la série de l’ordre des signes vocaux ou oraux, laquelle se substitue successivement à l’ordre des signes visuels et tactiles. […] Mais à mesure que les mots se créent, que les conjugaisons et les déclinaisons s’établissent, enfin que les formes grammaticales s’organisent, les idées, les pensées (liaisons d’idées), passent dans le domaine de la parole, se fixent dans l’ordre des signes vocaux ; « Et la pensée devient, de plus en plus, dépendante de la parole. […] Et cependant il avait reconnu l’absolu dans le moi de l’homme exprimant par le son un rapport entre l’être physique et l’être métaphysique, et faisant passer ce son émis à l’état de signe abstrait.

2119. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Chine »

Si c’était un livre inexact, passe encore ! […] Après les grands travaux du Père Du Halde, du Père Grosier, du Père Amyot, du Père Gaubil, et de tant d’autres Pères jésuites, qui firent, pendant un moment, de la Chine une province de leur ordre ; après les livres des voyageurs anglais sur cette Chine logogriphique, aussi difficile à déchiffrer que son écriture ; en présence surtout de ces Pères de la foi, notre Compagnie des Indes de la rue du Bac (comme les appelait un grand écrivain), et dont les observations sont le meilleur de l’érudition contemporaine sur les institutions et les mœurs de la Chine, si deux sinologues, ayant passé toute leur vie dans une Chine intellectuelle qu’ils ont redoublée autour d’eux comme les feuilles d’un paravent, se mettaient à écrire de leur côté une histoire du pays qu’ils n’ont pas cessé d’habiter par l’étude et par la pensée, il y avait lieu de croire, n’est-il pas vrai ? […] On dira d’elle ce qu’on en a dit toujours : les choses les plus exclusives et les plus contraires, et ce sera peut-être aussi faux ou peut-être aussi vrai que par le passé, car, qui sait ?

2120. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’ancien Régime et la Révolution »

Tocqueville, l’auteur de la Démocratie en Amérique, — un livre dépassé et passée — s’est-il assez accru, s’est-il assez mûri pour arriver à ce résultat considérable ? […] Est-ce que le livre sur la France de Tocqueville ne serait pas le pendant du livre de Montalembert sur l’Angleterre, et ne cacherait-il pas dans ses replis plus de petites vues d’opposition que de grandes vues d’histoire, plus d’hostilité contre le présent que de justice pour le passé ? […] Tocqueville, qui a de la propreté plus que de la propriété dans la phrase, est un écrivain de troisième ordre, et, pour emprunter aux faits de son livre une image, il ne sortira jamais du tiers pour passer dans l’ordre de la noblesse littéraire.

2121. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « L’idolâtrie au théâtre »

Chaque fois qu’une maison jusque-là chastement fermée s’érige publiquement en petit théâtre, il n’y a pas que la préoccupation dramatique, l’imitation des comédiens à distance, l’étude futile du rôle ou du costume, qui en passent le seuil. […] Demandez pourtant au christianisme, demandez à l’Église, et à la conscience qu’elle pénètre de son esprit, si elle ne voit nul inconvénient à ces amusements artistiques et littéraires, si c’est simplement insignifiant et destiné à nous faire passer agréablement quelques heures que ces comédies de société, qui tuent la société, et que des mères jouent devant leurs filles, quand elles ne les jouent pas en camaraderie avec elles ? […] Nous ne passons pas notre temps à foudroyer des tourterelles ; seulement il nous est impossible d’admettre, et nous vous défions de la supposer, l’innocence ou la moralité de ces comédies de société où le comédien est mandé pour apprendre le rôle à monsieur, et la comédienne pour l’apprendre à madame et à mademoiselle, et où, dans le laisser-aller de la coulisse, les professeurs peuvent faire échange de fonction et intervertir leur personnage avec la souplesse de leur art et les habitudes de leur état !

2122. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Ernest Hello » pp. 389-403

., reste donc dans le désert de l’inconnu, comme Saint Siméon Stylite sur sa colonne, mais avec cette différence que des populations tout entières allaient se grouper d’admiration et de respect aux pieds du Solitaire miraculeux, comme autour d’un Prophète, pour entendre tomber ses oracles, tandis que le Saint Siméon Stylite du xixe  siècle reste sur la colonne de ses écrits, sans que la foule qui passe y prenne garde et s’aperçoive que cette colonne est rayonnante ! […] Il est redoutable, en effet, car il voit juste, et la justesse d’esprit mène à la terrible justice… mais il n’est pas cruel, comme la plupart des moralistes, et même comme ceux-là qui passent aux yeux des hommes pour les plus grands. […] IV Faits de dix-neuf chapitre s, ou, comme on dit maintenant, dans ce temps de journalisme et d’éparpillement, d’articles qui peut-être ont passé dans quelque Revue catholique où leur beauté, cette beauté fatale des choses chrétiennes, a été étouffée dans l’obscurité qui est présentement leur destin, ces Plateaux de la balance n’ont pas d’autre unité que l’âme de leur auteur, et c’est cette âme, enthousiaste comme on ne l’est plus et qui palpite partout en cette dispersion de sujets différents, qui les relie entre eux et en fait un livre.

2123. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire des Pyrénées »

… Quand on l’aura lu, sera-t-elle bien et dûment convaincue, cette ingrate Histoire, d’avoir oublié dans ses annales des pages qui étaient nécessaires à l’intelligence du passé et à la grandeur du genre humain ? […] Ce grand spectacle de l’ensemble et de l’unité de l’Europe aurait replacé, pour l’historien des Pyrénées, dans leur véritable perspective les hommes, les événements et les choses de cette encoignure historique, qu’il nous a grossis parce qu’il les a regardés de trop près, et il n’eût pas fait l’honneur d’une si longue et si pieuse histoire à ces bouillonnements de peuplades, écumant ici ou là, un instant, aux avant-postes des vraies nations, de ces nations aux pieds de marbre qui constituent l’Europe actuelle, et qui n’ont point passé entre deux soleils ! […] Il y avait au xviiie  siècle — on l’y voit passer dans quelques coins de lettres de mesdames Necker ou Du Deffand — un homme presque mystérieux, dont personne ne parle maintenant, qui s’appelait tout uniment Dubucq, et qui n’a laissé que des mots, mais frappés comme des médailles d’or à l’effigie du génie.

2124. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme et l’Enfant » pp. 11-26

Les idées qui se sont soulevées, qui ont lutté, qui ont écumé, comme des vagues, dans ce bassin du temps qu’on appelle un siècle, passent — ainsi que les flots matériels — par-dessus la limite de leurs rivages, et vont presque toujours, dans la durée, — comme les autres flots dans l’espace, — plus loin que la barre qui devrait les arrêter et les contenir. […] n’a pas vu, en raison de sa science ; car il n’est donné qu’à l’idée fixe d’une science quelconque de passer les yeux ouverts auprès des plus grosses vérités sans les voir, et seule, peut-être, une intelligence d’économiste ou de philosophe, émoussée par la préoccupation de la matière et de ses vaines combinaisons, devait attendre uniquement d’un peu de poussière : de la production matérielle, le soulagement de cette souffrance organisée et infinie qui constitue l’âme humaine, et à laquelle les hommes, par leurs institutions ou par leurs vices, ont trouvé moyen d’ajouter. […] En cherchant sérieusement à créer une population agricole, au lieu de laisser presque au hasard et à la misère le soin de retenir dans les campagnes les enfants qu’il y a placés, l’État agrandira le domaine fécondé de la patrie, et pourra donner à la fois et des leçons et des exemples utiles à l’avenir du pays. » Et, plus loin, ajoute-t-il encore : « L’agglomération de grands territoires dans une seule main, par suite des substitutions aristocratiques, étant impossible avec nos mœurs françaises et un passé historique qui remonte aux propriétés morcelées de Tacite, il faut, de toute nécessité, chercher dans la généralisation d’un principe appliqué aujourd’hui dans les manufactures ce que le droit de primogéniture avait jusqu’ici réalisé.

2125. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XI. MM. Mignet et Pichot. Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de Yuste. — Charles V, chronique de sa vie intérieure dans le cloître de Yuste » pp. 267-281

C’est que ces deux livres nous transmettent la lumière inattendue qui vient de frapper l’un des faits de l’Histoire moderne qui semblait le plus devoir se passer de lumière, l’événement classique, à force d’être fameux, qu’on pouvait appeler le grand lieu commun de la rhétorique de l’Histoire. […] Si le politique Charles-Quint, mi-parti d’Autrichien, de Flamand, de Bourguignon, et dont le génie, mêlé au génie de plusieurs races, était écartelé comme son blason impérial, si ce Charles-Quint ne fut pas un moine et ne songea jamais à l’être, malgré la piété très profonde de toute sa vie, l’Espagne était, elle, qu’on nous passe le mot, une nation moine (una monja), et tellement moine d’éducation, d’habitude et de préjugés, que c’est à l’influence de cette nation cloîtrée dans des mœurs religieuses comme il n’en avait peut-être existé nulle part, que Charles-Quint dut ces impulsions monastiques dont la philosophie a été la dupe, et qui étaient parfaitement contraires à la nature positive et tout humaine de son génie. […] Mignet, qui passe pour un logicien historique, ne s’est pas souvenu dans son livre de la meilleure de ses facultés.

2126. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « MM. Jules et Edmond de Goncourt » pp. 201-216

Dans la préface de l’édition d’aujourd’hui, il y a, à propos des livres d’histoire publiés par lui et son frère, un jugement très ferme et très impersonnel sur le talent et sur ces livres, à tous les deux… Aucun critique par la plume de qui ces livres, qui embrassent tout le xviiie  siècle, ont passé, n’a mieux dit. […] C’est elle qui a conduit, en peu de temps, à ce système bête et grossier qu’on appelle, en ce moment, « le Naturalisme », et qui passera dans le rire et dans le mépris, comme tous les systèmes littéraires. […] Il n’est que le produit du temps ; il est sorti de son fumier… Il est vrai que quand Louis XV, sous la pression universelle, fut allé du premier bond à l’inceste et passa successivement par les bras prostitués des quatre sœurs, cette France, livrée de toute éternité à ce que nous appelons à présent en politique : le centre gauche, c’est-à-dire à la modération bourgeoise dans le mal, trouva trop de Gabrielles comme cela à la clef et se prit à crier contre un sardanapalisme si effroyablement exaspéré, non par vertu, mais par inconséquence de tête changeante et frivole, et pour que l’Histoire eût deux fois à la mépriser.

2127. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Crétineau-Joly » pp. 247-262

Mais cette gloire qui sort de l’obscurité et de l’obstacle, peu à peu, comme un chêne sort de terre, et sur le gland duquel, les racines et les premières pousses, des troupeaux de bêtes ont passé, cette gloire, qui fut celle de Joseph de Maistre, ce génie de trempe immortelle qui pouvait attendre et qui attendit, je ne crois point que Crétineau-Joly l’ait jamais, et peut-être n’était-il pas fait pour elle. […] Ce grand de Maistre, qui passa sa vie dans la société des empereurs et des rois sans y rabaisser son génie ; qui commença en la société intellectuelle par les Considérations sur la France, et ne trouva pas, après trente ans de services de génie, un prêtre ou un évêque pour rendre compte du livre du Pape, ce chef-d’œuvre consacré à Rome, et qui mourut, frappé au cœur, de l’ingratitude du sacerdoce, aussi grande alors que celle des gouvernements ; ce grand de Maistre a été vengé de tout cela par sa gloire… Crétineau, moins grand et moins infortuné, eut tout de suite ce qui lui revenait. […] Un jour, Armand Marrast, un polémiste d’un autre genre, mais qui se connaissait en polémistes, donna à Crétineau un petit sanglier d’or sculpté, comme son symbole, et il fut flatté, tout sanglier qu’il fût, de cette caresse de vérité, de cette main passée sur ses soies.

2128. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Alexandre de Humboldt »

Il était doué d’une curiosité intrépide, d’une persévérance infatigable, d’une sagacité infiniment perçante, le tout revêtu d’une organisation d’acier fin que ne brisèrent, ni ne faussèrent, ni n’usèrent les fatigues, les climats, les voyages, et qui dura près de cent ans, comme celle de Fontenelle, cette porcelaine fêlée dans son fauteuil ouaté, ce Fontenelle qui s’arrêtait au milieu d’une phrase quand une voiture passait, pour ne pas forcer et user sa voix ! […] … IV Eh bien, c’est ce grand chroniqueur, c’est ce grand gazetier de la Science et de la Nature, c’est cette immense commère du globe (qu’on me passe le mot parce qu’il est juste), qui nous raconte tout ce qui se passe à sa surface, ou dessus, ou dessous, ou dedans, que je retrouve, trait pour trait, tout entier, dans cette Correspondance où l’on m’avait annoncé qu’il y avait un second Humboldt !

2129. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXI. Philosophie positive »

Tout s’était passé d’abord dans un coin de l’École polytechnique, d’où on l’avait chassé pour cause de doctrine malséante et malsaine. […] Il se distingue des autres philosophes qui traitent le passé avec l’insolence du présent, et il le salue comme un mort, il est vrai, mais il le salue ! […] « L’intelligence humaine, dit-il, a passé par trois états — rien de plus, rien de moins (toujours l’escamoteur !) 

2130. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIV. Alexandre de Humboldt »

Il était doué d’une curiosité intrépide, d’une persévérance infatigable, d’une sagacité infiniment perçante, le tout revêtu d’une organisation d’acier fin, que ne brisèrent, ni ne faussèrent, ni n’usèrent les fatigues, les climats, les voyages, et qui dura près de cent ans, comme celle de Fontenelle, cette porcelaine fêlée dans son fauteuil ouaté, ce Fontenelle qui s’arrêtait au milieu d’une phrase quand une voilure passait, pour ne pas forcer et user sa voix ! […] c’est ce grand chroniqueur, c’est ce grand gazetier de la Science et de la Nature, c’est cette immense commère du globe (qu’on me passe le mot parce qu’il est juste), qui nous raconte tout ce qui se passe à sa surface, ou dessus, ou dessous, ou dedans, que je retrouve, trait pour trait, tout entier aujourd’hui dans cette Correspondance où l’on m’avait annoncé qu’il y avait un second Humboldt !

2131. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Raymond Brucker. Les Docteurs du jour devant la Famille » pp. 149-165

Il avait quarante ans passés. Mais il n’écrivait plus ; il avait donné sa démission de la littérature… L’ancien éventailliste du premier Figaro, dégoûté des Célimènes et des journaux pour lesquels il avait travaillé, dégoûté même des livres qu’il avait écrits, dégoûté des philosophies par lesquelles il avait passé, s’était fait chrétien pour en finir avec tous ces dégoûts, qui sont les égouts de nos cœurs… Il était devenu chrétien, — mais le christianisme de Brucker n’était pas ce haut balcon d’où l’on peut cracher sur le monde méprisé. […] La Paternité, qui crée la Famille, insultée maintenant et presque avilie dans une société où les mœurs et les comédies qui les réfléchissent montrent le père toujours inférieur aux enfants et éternellement bafoué par eux ; entamée, de plus, par une philosophie qui a créé l’individualisme moderne et par une révolution qui, du premier coup, enleva à la Famille le droit d’aînesse, cette Paternité a eu bientôt contre elle une effroyable et universelle conspiration, et on le conçoit, car plus une société devient irréligieuse, plus elle peut se passer de père et de Dieu !

2132. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Gratry »

Seulement, cette méthode, qui brille plus ou moins dans toutes les grandes philosophies du passé, et qui n’est, après tout, dit l’abbé Gratry quelque part, « que le haut emploi d’un procédé général de la raison », il l’a faite sienne à force de l’avoir précisée, affinée, et pour ainsi dire affilée, comme un instrument de découverte, une espèce de pince intellectuelle avec laquelle, quand il abordera plus tard les applications spéciales de la philosophie, il pourra mieux saisir la vérité. […] Il y a tant de théologie nécessaire dans les moindres notions de la plus simple philosophie, que parmi ceux qui ont réfléchi, personne ne s’étonnera que ce soit un prêtre qui ait pris l’initiative de ce rapprochement salutaire entre les doctrines de l’avenir et les doctrines du passé. […] Le procédé simple et puissant dont l’abbé Gratry a tiré un si bon parti et qu’il a élevé jusqu’à la rigueur d’une méthode, est le procédé de l’humanité tout entière pour aller à Dieu, — comme nous disons, nous, — pour passer du fini à l’infini, comme disent les philosophes, — et soit que nous y allions sur les fortes ailes de la Méditation ou sur les humbles ailes de la Prière.

2133. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Achille du Clésieux »

La langue de Racine a presque disparu, et fait l’effet maintenant de ce spectre charmant de Francesca, dans un des poèmes de Byron, à travers la main pâle de laquelle passe un clair rayon de la lune… Et ce n’est pas dire pour cela que la langue de Racine dût être l’idéal — éternel et immobile — de la langue poétique. […] Ce n’est plus la musique, l’intangible et divine musique de la poésie lamartinienne, qui nous fondait si délicieusement le cœur dans la rêverie et semblait vaporiser eu nous la réalité des douleurs, l’épaisseur noire des mélancolies… L’auteur d’Armelle a ce don mélodieux du chant auquel on préfère une poésie plus physique, et qui, pour arriver à l’âme, passe par un autre organe que l’oreille. La poésie passe aujourd’hui par les yeux, — le plus sensuel des organes.

2134. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Edgar Quinet. L’Enchanteur Merlin »

Dans cette succession d’événements qui osent tout, — le chimérique et l’absurde, sous prétexte de merveilleux, — on se demande vainement où finit la légende, fruit de l’imagination des poètes ou des chroniqueurs du passé, et où commence l’inspiration du poète moderne et son travail… Quel est le fait ou la combinaison, de quelque nature qu’ils soient, qui, réellement, lui appartiennent ? […] Non content de cette promenade à travers le monde, il le fait promener même en dehors de ce monde, comme le Dante, et de cette promenade éternelle, le but est de nous dérouler toute l’histoire, légendaire et poétique, du passé comme de l’avenir, car l’enchanteur Merlin, qui entre aux limbes, comme il entre partout, par la vertu de sa petite baguette de coudrier, n’a pas beaucoup de peine ni de mérite à nous prophétiser ce qui est de l’avenir pour lui, du temps du roi Arthur, et ce qui est du passé pour nous, Charlemagne, Hugues Capet, la Saint-Barthélemy, Louis XIV, la Révolution française, la tête coupée de Louis XVI, Robespierre et Napoléon.

2135. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Edmond About » pp. 91-105

Il fut compté, sans passer par les écoles préparatoires, dans la troupe des jeunes, ces vélites de la littérature, auxquels le siècle déclinant est doux. […] Qu’on nous passe l’expression familière, ce n’est pas plus malin que cela. […] Maître Pierre, un Landais, une espèce de Robinson Crusoé de la Lande, est un paysan conçu à l’envers des paysans de Walter Scott, qui sont les fils respectueux du passé, qui aiment leurs coutumes et meurent pour elles.

2136. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Paul Féval » pp. 145-158

III En effet, de tous les romans d’aventure, celui-là qui s’appelle Gil Blas passe, à tort ou à raison, pour un parangon sans égal. […] Un siècle sédentaire comme le dix-huitième siècle, qui vivait dans des salons ou dans des cafés, dut naturellement raffoler de Gil Blas, de ce gentilhomme de grande route, l’idéal impossible d’un bonhomme, parfaitement cul-de-jatte en fait d’aventures, qui passa sa vie en habit gorge de pigeon à jouer au domino au café Procope, entre sa tabatière et sa bavaroise, dans la plus grasse et la plus bourgeoise des tranquillités ! […] Jusqu’à l’impression du chemin qu’on a fait et des endroits par où l’on a passé, tout s’efface.

2137. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVI. Des éloges académiques ; des éloges des savants, par M. de Fontenelle, et de quelques autres. »

D’autres, toujours agités et toujours oisifs, et qui passent laborieusement leur vie à ne rien faire, veulent qu’on ne loue jamais que des services importants rendus à l’État. […] Si maintenant vous passez aux hommes même, à qui nous devons ces connaissances, un autre spectacle vient s’offrir. […] On peut y joindre, quoique dans un ordre un peu inférieur, ceux de Tournefort, de Boherhaave, de Malebranche, du marquis de L’Hôpital, du grand Cassini, de Renau, qui eut le mérite ou le malheur d’inventer les galiotes à bombes ; de Homberg, premier médecin et chimiste du duc d’Orléans, régent ; du fameux géographe de Lisle, qui raccourcit la mer Méditerranée de 300 lieues, et l’Asie de 500 ; et de Ruisch, célèbre anatomiste hollandais, avec qui le czar Pierre passait des jours entiers pour admirer ou pour s’instruire, et dont le cabinet fut transporté de La Haye à Pétersbourg.

2138. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

» et « les beaux yeux de la cassette » sont passés dans la conversation courante. […] À ce compte il y a beaucoup de gens qui passent leur vie à se compléter. […] — Devant mes yeux, Seigneur, a passé votre enfance. […] Les règles sont des garde-fous dont se passent très bien ceux qui ont le génie. […] Il ne s’en passe pas et ne la néglige point.

2139. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre II. Le théâtre. » pp. 2-96

Presque toujours, lorsqu’une génération nouvelle arrive à la virilité et à la conscience, elle rencontre un code de préceptes qui s’impose à elle de tout le poids et de toute l’autorité du passé. […] Rien de semblable ici ; c’est une renaissance, et le frein du passé manque au présent. […] il y a une demi-heure de passée ; toute l’heure sera bientôt passée… Ô Dieu ! […] Que se passe-t-il dans cet esprit ? […] « Pour passer le temps, je dirai à Votre Grâce un rêve que j’ai fait la nuit dernière.

2140. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 3665-7857

Newton avoit annoncé l’applatissement de la terre, des philosophes ont passé d’un hémisphere à l’autre pour la mesurer. […] Passons au choix des images. […] Passons sur le style ; quelle logique ! […] On le disoit de lui dans la société, son caractere n’a fait que passer dans ses fables. […] C’est ainsi que les Romains ont passé de la liberté à la licence, de la licence à la servitude.

2141. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Alfred de Vigny. »

Devenu lieutenant en juillet 1822, il passa l’année suivante (mars 1823) au 55me de ligne avec le grade de capitaine ; il espérait servir dans l’expédition d’Espagne. […] Il en avait passé treize sous les drapeaux. […] La plaine des parfums est d’abord délaissée, Il passe, ambitieux, de l’érable à l’alcée… Et le reste. […] Dans l’intervalle de l’élection de M. de Vigny à sa réception, que se passa-t-il ? […] Passé la première heure si éclatante et si belle, quelque chose s’obscurcit ou se fige en nous.

2142. (1858) Cours familier de littérature. V « XXXe entretien. La musique de Mozart (2e partie) » pp. 361-440

Je finis par sonner moins souvent et par me passer de ses services pour ne pas me distraire et ne pas perdre mon temps à la contempler. […] La veille de la première représentation, Mozart passa gaiement la soirée avec quelques amis. […] « Ce jour-là tous les parents et tous les amis de la maison se réunissent dans la soirée pour passer quelques heures ensemble en veillées de famille et en divertissements innocents. […] « Il faudrait n’avoir point de cœur dans la poitrine pour ne pas concevoir l’état d’un vieillard qui passait de beaucoup quatre-vingts ans dans un événement si surnaturel. […] On passa insensiblement à d’autres sujets d’entretien.

2143. (1894) Textes critiques

Rousseau, surtout la Guerre (Elle passe effrayante…). […] La sphinge passa sous sa grêle et m’entr’ouvrit de sa patte de lion le livre. […] Le bibliophile a copié, respectueux, son œuvre en rubriques spéciales sur papiers idoines avec portraits des idées à mesure qu’elles passent. […] Episode du militaire cérébré un peu, donc sujet au vertige, horrifié de franchir avec armes et sac la longue poutre élevée du portique, et qui passe — parce qu’on lui lit le Code pénal. […] La lutte contre le Grand Tortueux, d’Ibsen, était passée presque inaperçue.

2144. (1885) La légende de Victor Hugo pp. 1-58

» La population, brassée par l’enthousiasme journalistique, jeta trois cent mille hommes, femmes et enfants, derrière le char du pauvre qui emportait le poète au Panthéon, et un million sur les places, les rues et les trottoirs par où il passait. […] Elle l’avait connu à Nantes où siégeait une commission militaire, qui, parfois, jugeait et passait par les armes, en un seul jour, des fournées de dix et douze brigands et brigandes. […] Il y résout ce double problème : donner une dot aux enfants trouvés, et procurer des travailleurs blancs aux planteurs, qui ne pouvaient plus, comme par le passé, aller chercher des noirs sur la côte africaine. […] Les républicains de la Chambre, manquant d’hommes, l’accueillirent malgré son passé compromettant et le sacrèrent chef. […] Il poeta sovrano, qui passa la plus grande partie de sa vie à courir dans les catalogues de vente et les dictionnaires d’histoire et de géographie, après les rimes riches, ne daigne pas s’apercevoir que Lamarckisme, Darwinisme, Transformisme, rimaient plus richement encore que faim et génovéfain.

2145. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIe entretien » pp. 5-85

Nous ne marchons dans le passé que sur la cendre des langues mortes avec leurs chefs-d’œuvre et sur les cadavres des littératures. […] Ce monde, qui a commencé lui-même, finira, parce qu’il a commencé ; mais personne ne connaît ni sa vieillesse dans le passé, ni sa longévité dans l’avenir, excepté celui qui compte d’avance le nombre des révolutions de soleil dans les cieux, et le nombre des pulsations du pouls dans l’artère de l’homme. […] Cette histoire raisonneuse et systématique n’aura que le second rang dans le récit des choses humaines ; elle passera avec les systèmes, les sectes, les théories qu’elle représente. […] Souvenez-vous de ce qui se passa. Les ligues des cours furent désarmées de tout droit d’agression contre la république ; les peuples, respectés et rassurés sur leur territoire, passèrent du côté de nos principes, et la diplomatie française fut l’arbitre du monde en six semaines de temps, sans avoir violenté une nation ni brûlé une amorce.

2146. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — III. (Suite et fin.) » pp. 454-472

Les marchés passés avec l’entrepreneur qui était chargé de l’entretien de ces magasins ayant été cassés par décret supérieur, des embarras étaient survenus. […] Daru et où il devait brusquement passer de la plénitude des emplois à une interruption soudaine. […] L’espèce d’étude pourtant à laquelle il demanda tout d’abord une consolation virile, et où il s’enfonça jour et nuit « pour ne point se dévorer le foie à voir tout ce qu’il voyait », ne fut point celle sans doute qu’il aurait choisie avant d’avoir passé par ces grands enseignements de la politique et par l’école pratique de l’homme d’État. […] Dans l’épilogue qui termine le chant VIe et que je veux citer pour exemple du ton, l’auteur se représente comme ayant passé la nuit à méditer sur ces astres sans nombre et sur tout ce qu’ils soulèvent de mystères, jusqu’au moment où l’aube naissante les fait déjà pâlir et quand, à côté de lui, l’insecte s’éveille au premier rayon du soleil : Ainsi m’abandonnant à ces graves pensées, J’oubliais les clartés dans les Cieux effacées : Vénus avait pâli devant l’astre du jour Dont la terre en silence attendait le retour ; Avide explorateur durant la nuit obscure, J’assistais au réveil de toute la nature : L’horizon s’enflammait, le calice des fleurs Exhalait ses parfums, revêtait ses couleurs ; Deux insectes posés sur la coupe charmante S’enivraient de plaisir, et leur aile brillante Par ses doux battements renvoyait tous les feux De ce soleil nouveau qui se levait pour eux ; Et je disais : « Devant le Créateur des mondes « Rien n’est grand, n’est petit sous ces voûtes profondes, « Et dans cet univers, dans cette immensité « Où s’abîme l’esprit et l’œil épouvanté, « Des astres éternels à l’insecte éphémère « Tout n’est qu’attraction, feu, merveille, mystère. » Ce sont là des vers français qui me font l’effet de ce qu’étaient les bons vers latins du chancelier de L’Hôpital et de ces doctes hommes politiques du xvie  siècle s’occupant, se délassant avec gravité encore, dans leur maison des champs, comme faisait M. 

2147. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

On but à la santé d’Homère, et tout se passa bien. […] Dacier, qui ne pouvait ni se consoler, ni se passer d’une compagne, et qui finit bientôt par la suivre au tombeau (18 septembre 1722). […] Sa femme passait pour en savoir plus que lui en ces deux langues, en antiquités, en critique, et a laissé quantité d’ouvrages fort estimés. […] On ajoute « qu’elle était d’une assiduité opiniâtre au travail et ne sortait pas six fois l’an de chez elle, ou du moins de son quartier : mais, après avoir passé toute la matinée à l’étude, elle recevait le soir des visites de tout ce qu’il y avait de gens de lettres en France ».

2148. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Maucroix, l’ami de La Fontaine. Ses Œuvres diverses publiées par M. Louis Paris. » pp. 217-234

Si on voulait passer la journée en visites, on la passerait, et doucement : toujours nouveaux usages, honnêtes gens d’ailleurs, surtout fort civils, il ne s’y peut y ajouter ; diantre ! […] S’il avait vécu à Paris, sa plume élégante et qui cherchait des sujets où s’employer, eût peut-être aspiré à l’histoire, l’histoire écrite en beau style et traitée comme on l’entendait alors : « Je me serais hasardé à composer une histoire de quelqu’un de nos rois. » Mais vivant en province, loin des secours et des riches dépôts, il finit par s’accommoder très bien de cet obstacle à un plus grand travail, et sauf quelques heures d’étude facile dans le cabinet, il passa une bonne partie de sa vie à l’ombre dans son jardin, au jeu, aux agréables propos et en légères collations. […] On a beaucoup cité ces quatre vers qu’il fit en 1700, quand il avait quatre-vingts ans passés : Chaque jour est un bien que du ciel je reçoi, Je jouis aujourd’hui de celui qu’il me donne ; Il n’appartient pas plus aux jeunes gens qu’à moi, Et celui de demain n’appartient à personne.

2149. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal du marquis de Dangeau — II » pp. 18-35

Mme de Montespan y vint passer l’après dîner et joua avec le roi. » La retraite et la chute de Mme de Montespan était donc imposante encore, et digne, sinon menaçante. […] Nulle part on ne voit mieux de quelle façon les choses se passèrent, quelle fut l’illusion de Louis XIV et la connivence plus ou moins involontaire de tout ce qui l’entourait. […] — C’est une émulation, une passion de convertir les gens en masse, comme s’il n’y avait qu’à y prêter la main : « Dimanche 16 septembre, à Chambord. — La Trousse fut nommé pour aller commander les troupes en Dauphiné, et tâcher de faire aussi bien en ce pays-là que Bouliers a fait en Béarn, en Guyenne et en Saintonge. » Quelquefois on se passe de dragons, et c’est mieux : « Jeudi 27 septembre, à Chambord. — On sut que les diocèses d’Embrun et de Gap, et les vallées de Pragelas, qui sont dépendantes de l’abbaye de Pignerol, s’étaient toutes converties sans que les dragons y aient été. » — « Samedi 29, à Pithiviers. — Le roi nous dit que M. de Duras, revenant de ses terres, l’avait assuré ce matin à Cléry, au sortir de la messe, que tous les huguenots de ses terres s’étaient convertis. » — « Mardi 2 octobre, à Fontainebleau. — Le roi eut nouvelle, à son lever, que toute la ville de Castres s’était convertie. » — « Vendredi 5, à Fontainebleau. — On apprit que Montpellier et tout son diocèse s’étaient convertis. […] L’hiver et l’année suivante se passent pour Louis XIV à aider Jacques II dans son infructueuse expédition d’Irlande : d’ailleurs on ne voit pas qu’il songe à rien de décisif sur le Rhin ni qu’il veuille frapper aucun coup pour déconcerter la ligue ennemie.

2150. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — I » pp. 20-38

Grâce à ce retour en tous sens de la critique vers le passé, le voilà redevenu un sujet présent ; on s’occupe de lui. […] Un homme d’esprit plus impartial que Despréaux, et qui y apportait moins de vivacité de goût, le docte Huet, a jugé Santeul avec beaucoup de vérité quand il a dit : Si l’on avait dressé à cette date (vers 1660) une pléiade des poètes, comme autrefois en Égypte du temps de Ptolémée Philadelphe, ou comme au siècle passé en France, on y aurait certainement donné place à Pierre Petit, médecin, à Charles du Périer et à Jean-Baptiste Santeul, de la congrégation de Saint-Victor à Paris. […] Il passe par la place Maubert, et les harengères du lieu, qui le connaissent et qui aiment à l’attaquer, ont quelquefois les prémices de la pièce de vers du matin. […] « — Et ne croyez pas, jeune homme, que dans ce premier vers la césure qui manque soit un défaut ; c’est la fatigue de monter, c’est la respiration inégale des Nymphes qu’il s’agissait de rendre. » — Santeul a dû bien des fois faire remarquer cette beauté d’harmonie à quelque écolier qui passait devant la fontaine ; et si l’écolier avait été un peu émancipé déjà et un peu précurseur de l’âge futur, ou seulement s’il avait eu pour mère une d’Hervart ou une La Sablière, il aurait pu lui répliquer aussi tôt, en le narguant ; Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé, Et de tous les côtés au soleil exposé.

2151. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — II » pp. 39-56

Je vous demande donc, mon très cher père, si l’on conserve dans Saint-Victor la même mortification intérieure et extérieure, telle qu’elle était dans son origine… Je vous demande encore si les frères de Saint-Victor, c’est ainsi qu’on les appelait, allaient à la campagne chez leurs amis, chez leurs parents, passer des trois semaines entières et des mois entiers ; s’ils allaient par la ville rendre des visites ; s’il en recevaient de toutes personnes et de tout sexe ; s’ils changeaient d’habits, s’ils en prenaient de plus propres et de plus mondains quand ils sortaient pour se montrer en public ; s’ils affectaient de ces airs libres et dégagés, pour ne pas dire licencieux, qui sont si contraires à la tristesse sainte de la modestie religieuse ; s’ils parlaient indifféremment et sans scrupule dans les lieux réguliers ; s’ils s’entretenaient de contes, d’affaires, d’histoires du monde, de plaisanteries, de nouvelles, qui sont choses qui doivent être entièrement bannies des cloîtres. […] Je ne compte pas le grand Condé qui le pria un jour de s’abstenir de célébrer en vers ses louanges ; car les louanges de Santeul passaient aisément les bornes ; les sages les craignaient, et elles pouvaient choquer le tact des délicats. […] Santeul les attendait au passage, et, se jetant à la traverse, les poursuivait son apologie à la main jusqu’à la porte du collège exclusivement ; car je ne sais quelle terreur panique l’empêchait de passer outre. […] Ce pauvre garçon s’attachait aux lieux où il passait quand ils lui plaisaient.

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