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1457. (1902) La poésie nouvelle

Ils observent, ils prennent des notes, ils font des expériences, et leurs romans sont le résumé de leurs constatations. […] Ils n’ont point d’étonnement, ni d’admiration, ni ne s’inquiètent de merveilleux, car ils savent que tout ce qui est doit être, et de la manière que l’expérience révèle.‌ […] Il n’y a pas seulement du mystère au-delà des faits constatés, le mystère est au cœur même des stricts résultats de l’expérience.‌

1458. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre IV. Shakspeare. » pp. 164-280

Il a été trempé jusqu’au fond dans son siècle, j’entends qu’il a connu par expérience les mœurs de la campagne, de la cour et de la ville, et visite les hauts, les bas, le milieu de la condition humaine ; rien de plus ; du reste sa vie est ordinaire, et les irrégularités, les traverses, les passions, les succès qu’on y rencontre, sont à peu près ceux qu’on trouve partout ailleurs175. […] Du milieu de sa conception complexe et de sa demi-vision colorée, il arrache un fragment, quelque fibre palpitante, et vous le montre ; à vous, sur ce débris, de deviner le reste ; derrière le mot il y a tout un tableau, une attitude, un long raisonnement en raccourci, un amas d’idées fourmillantes ; vous les connaissez, ces sortes de mots abréviatifs et pleins : ce sont ceux que l’on crie dans la fougue de l’invention ou dans l’accès de la passion, termes d’argot et de mode qui font appel aux souvenirs locaux et à l’expérience personnelle220, petites phrases hachées et incorrectes qui expriment par leur irrégularité la brusquerie et les cassures du sentiment intérieur, mots triviaux, figures excessives221.

1459. (1853) Portraits littéraires. Tome II (3e éd.) pp. 59-300

Malgré sa prédilection obstinée pour les thèses philosophiques, il ne paraît pas se douter de la différence qui sépare l’expérience de l’expérimentation, et confond, comme à plaisir, le langage des sciences physiques et celui des sciences sociales. […] Dans ce récit sommaire, fondé sur de nombreuses expériences, je m’abstiendrai de tous les traits qui pourraient avoir un caractère satirique ; je resterai dans la région des idées générales, et si les épisodes de ce chapitre s’appliquent, avec une littéralité rigoureuse, à plusieurs physionomies contemporaines, ce sera la faute de la vérité, mais non pas la mienne. […] En le voyant à l’œuvre, en assistant chaque jour aux progrès de la pensée qui est née sous ses yeux, en surveillant avec une attention assidue l’épanouissement et la floraison du germe déposé dans le sol fécond de la réflexion, il acquiert fatalement une subtilité d’interrogation, une précision de curiosité qu’il n’aurait jamais pu atteindre, s’il n’avait pas eu devant lui l’expérience vivante de la poésie, le spectacle intérieur d’une intelligence aux prises avec l’inspiration.

1460. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome III pp. 5-336

Ne croyez pas que le besoin de m’étendre en récriminations amères m’ait suggéré d’inutiles images de l’oppression qui m’imposait le silence : les causes, si bien définies par Longin, de ces décadences dont il avait médité l’origine, trouvaient leur preuve absolue dans notre esclavage : nous les avions reconnues par notre propre expérience ; nous portions les symptômes ; du mal dont un nouvel ordre nous a soulagés. […] Ces conditions de leurs poèmes ont obtenu l’approbation de tous les temps, de toutes les nations éclairées : l’expérience en est faite ; elles se sont donc converties en lois, d’après cette preuve constante de leur réalité. […] Notre art s’appuie sur les plus belles règles de l’antiquité ; le leur s’autorise avec érudition de ses licences : ils vous citent en leur faveur les écarts de génie des meilleurs poètes Grecs ; nous nous attachons aux plus corrects linéaments que Sophocle nous ait tracés en ses chefs-d’œuvre irréprochables : ils en sont restés aux caprices de l’enfance de l’art, quoiqu’ils aient rompu déjà leurs langes et leurs lisières ; et nous sommes délivrés de leur faiblesse et de leurs erreurs par la raison et l’expérience : ils tendent à l’élévation, il est vrai, mais en perdant leurs idées à travers un horizon sans borne, où rien n’est distinct, où leur vue s’égare dans l’incompréhensible ; c’est là surtout qu’ils se délectent ; et nous nous arrêtons à ces claires limites de la sublimité, par-delà lesquelles l’esprit n’entrevoit plus rien de réel et de saisissable ; c’est là que nous nous plaisons ; Ils admirent passionnément des essais d’audace que nous avons appris à ne plus tenter, et prétendent, en nous niant les nombreuses épreuves de notre maturité réfléchie, alarmer assez nos muses pour qu’elles rétrogradent sur leurs pas, en renouvelant des fautes que nous ne faisons plus depuis longtemps.

1461. (1905) Propos littéraires. Troisième série

Entre les deux il se livre, lui aussi, à quelques expériences de vie sentimentale qui n’ont pas le charme pathétique des essais du même genre tentés par le Faust de Goethe. […] Ni impassible à la façon de M. de Ryons, de Dumas, auquel cas il ne serait pas intéressant ; ni trop sensible, auquel cas je crois que les trois dames, mère et filles, aux expériences sentimentales desquelles il s’est trouvé mêlé, l’auraient à jamais rendu incapable de passer aucun doctorat. […] On ne s’arrêta pas au non-sens de l’expression qui suppose que l’on peut faire des expériences sur les caractères des hommes, alors qu’on ne peut faire sur eux que des observations ; et l’on comprit que M.  […] Si Zola voulut faire l’expérience de dépasser la mesure, il dut voir qu’il était à peu près impossible de la dépasser et qu’elle est, pour ainsi parler, à l’infini.

1462. (1896) Les idées en marche pp. 1-385

Il faut lire ici d’un œil libre, faire table rase de ses préjugés, même de ses convictions, suivre André Maltère dans ses expériences intérieures et dans sa lente éducation sensible. […] Mais ses propos sont sages, fondés sur l’expérience et vraiment philosophiques. […] Établi dans le comté de Wiltshire, à Winsterslov, bénéficiant de toutes les libertés que laisse à l’initiative individuelle la législation anglaise, il a commencé là une expérience singulière, peut-être pleine d’avenir, un essai d’organisation à la chinoise, par groupements de familles qui cultivent chacune un lot du sol à elle attribué, associent leurs intérêts et leurs affections, se rangent sous la discipline d’une sorte de conseil des anciens et des plus sages. […] Que les communes tentent, encouragées par l’État, des expériences sur ces biens communaux. […] Il prit sans doute sur le vif quelques décisifs enseignements, des axes d’expérience.

1463. (1905) Pour qu’on lise Platon pp. 1-398

Cela se vérifie, on peut le dire, et par expérience. […] De ce qu’après s’être fié à un homme, sans aucun examen, et l’avoir toujours cru sincère, honnête et fidèle, on trouve enfin qu’il est faux et méchant ; et après plusieurs épreuves semblables, voyant qu’on a été trompé par ceux qu’on croyait ses meilleurs et ses plus intimes amis, las enfin d’être si longtemps dupe, on hait tous les hommes également et on reste persuadé qu’il n’y en a pas un seul qui soit sincère… Si l’on avait un peu d’expérience ou de réflexion, on saurait que les bons sont très rares et très rares aussi les méchants, et que ceux qui tiennent le milieu sont en très grand nombre, comme il y a peu d’hommes très grands et peu d’hommes de très petite taille. […] La chose est d’observation et d’expérience ; et l’on peut ajouter, du reste, que le bien de l’espèce le veut ainsi. […] Il convient à une âme libre et forte et qu’on veut qui reste telle, d’avoir fait l’épreuve, l’expérience et comme l’apprentissage des plaisirs pour n’en être pas séduite plus tard et trop tard et pour avoir appris à temps à les mépriser. […] C’était un État agricole et pastoral, très vertueux et très heureux : « Ceux d’alors, n’ayant aucune expérience d’une infinité de biens et de maux nés dans le sein de nos sociétés, ne pouvaient être méchants… La discorde et la guerre étaient bannies de presque tous les lieux du monde.

1464. (1905) Propos de théâtre. Deuxième série

J’ai dit ce qu’il avait de bon, sa grande théorie de la vraisemblance dramatique — ajoutons : et littéraire — où seul, au milieu d’une querelle littéraire où tout le dix-septième siècle a pataugé avec fureur, il a dit le mot juste, formulé la règle d’expérience et de tact, que sa grande connaissance du théâtre ancien et de tout ce qu’on connaissait en son temps du théâtre moderne lui avait dictée. […] Il faut la remercier de n’avoir pas hésité à faire sur elle-même cette expérience redoutable. […] L’inexpérience y court ; mais c’est seulement l’expérience consommée qui s’en tire.

1465. (1876) Romanciers contemporains

Elle va d’une passion à une passion nouvelle, et chaque expérience l’enfonce davantage encore dans son scepticisme. […] C’est que ce genre ne s’imite pas ; il exige impérieusement l’expérience des objets qu’il montre, une vue exacte et fidèle des grands tableaux de la nature. […] D’ailleurs, spirituels, enjoués, observateurs, acquérant l’expérience à leurs dépens et passant sans scrupule du camp des dupes dans celui des dupeurs ; suivant la pente de leur temps et prenant le monde comme il est, sans visée de réformes, sans prétentions de novateurs, moins originaux et grossis que Panurge, plus vrais que Figaro, ils sont capables de repentir et de retour, et par un dernier trait de ressemblance, qui est en même temps une profonde vérité du cœur humain, ils finissent en hommes de bien, car, ainsi que l’a dit un critique éminent10 les caractères moyens s’améliorent en s’avançant dans la vie. […] Aussi avec quelle expérience consommée, avec quelle connaissance approfondie de tous les sites, nous conduit-il dans ces lieux charmants au milieu desquels il a souvent rêvé ! […] Il a oublié que, s’il est donné à l’âge mûr de produire beaucoup après qu’ont été amassés des trésors d’observations et d’expérience, la jeunesse a un fonds trop restreint pour pouvoir se dépenser impunément.

1466. (1908) Jean Racine pp. 1-325

Il dut agir encore sur Racine par sa compagnie même et son contact, par le spectacle de sa liberté d’esprit, et de ses souffrances morales, et de sa vie si tourmentée, et peut-être par les confidences d’une expérience très étendue et très amère. […]   Pour l’instant, ayant conquis le succès par une adroite concession au goût du jour, célèbre, triomphant, aimé du roi, très goûté d’Henriette d’Angleterre et de la jeune cour, — agressif, insolent, sensible d’ailleurs comme une femme, ivre du plaisir de vivre, tout à l’heure amant de cette charmante Du Parc, qui fut adorée de trois grands hommes, — débarrassé pour un temps, je suppose, des secrètes excommunications de la mère Agnès, — sentant sa force, libre désormais d’écrire exactement ce qu’il veut, — il prémédite cette neuve merveille d’Andromaque où il mettra toute sa sensibilité, son expérience et à la fois sa divination de la vie passionnelle, son audace mesurée et, déjà, tout son génie. […] puis, lorsque Pyrrhus retourne à sa Troyenne et va l’épouser, chancelante sous le coup, gardant un silence farouche ; puis « voyant rouge » à cause des images précises qu’elle se forme dans ce silence ; puis appelant Oreste et lui ordonnant le meurtre ; rencontrant là-dessus Pyrrhus et l’accablant des plus magnifiques injures que puisse inspirer la jalousie, c’est-à-dire la haine inextricablement mêlée à l’amour ; voulant ensuite le sauver, puis le tuer elle-même ; reprochant à Oreste le meurtre qu’elle a commandé, et se frappant sur le corps de son amant : ce qui la distingue parmi tout cela, c’est une certaine candeur violente de créature encore intacte, une hardiesse à tout dire qui sent la fille de roi et l’enfant trop adulée, toute pleine à la fois d’illusions et d’orgueil : qui est passionnée, mais qui n’est pas tendre, l’expérience amoureuse lui manquant, et qui n’a pas de pitié. […] Cléopâtre dans Rodogune, Phocas dans Héraclius sont bien d’abominables criminels ; mais ils sont sans nuances, mais leurs actes même sont commandés par la nécessité d’amener telle situation dramatique ; et enfin leur scélératesse est comme en dehors du champ de notre expérience personnelle.

1467. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre V. Comment finissent les comédiennes » pp. 216-393

Il faut avant tout que la nature ait donné au comédien, les qualités de la personne, à savoir : la figure, la voix, le jugement, la finesse ; il obtiendra plus tard, de l’étude et d’un travail assidu, l’usage du monde, l’expérience du théâtre et la connaissance du cœur humain. […] — En vain le drame se montre et se fait sentir à l’esprit de cette fillette sans expérience, et docile à toutes les impressions, ah la malheureuse, si elle cède à cette invitation, aux grands cris, aux grands effets, aux grands gestes… elle est perdue ! […] C’est d’ailleurs une expérience de l’esprit français au xixe  siècle ; il aime à refaire (même il le refait assez mal) ce qui a été fait avant lui. […] Tant ils se mettaient de moitié dans l’œuvre commune, celui-ci apportant sa vieille expérience des choses du théâtre, celui-là ses anecdotes et ses bons mots, et celles-là leur beauté, leur jeunesse, leurs sourires, leurs habitudes élégantes, puisées aux meilleures sources.

1468. (1924) Souvenirs de la vie littéraire. Nouvelle édition augmentée d’une préface-réponse

Il connaissait si bien les cruels débuts, les familles pauvres, les arrivées à Paris avec deux francs dans la poche, dures expériences qui l’avaient laissé sans rancune et qu’il ne se rappelait que pour mieux aider ceux qui s’y débattaient. […] Comment les candidats à la gloire n’eussent-ils pas été attirés par ce grand artiste toujours prêt à mettre à leur disposition les ressources de son expérience et de son talent ? […] Il faut bien s’amuser avec ce qui vous ennuie, si on ne veut pas s’ennuyer avec ce qui vous amuse. » Moréas montrait rarement le fond de son âme ; mais il était facile, à travers ses plaisanteries, d’entrevoir le dégoût que lui laissait parfois l’expérience sacrilège des grossières passions avec lesquelles il s’efforçait de masquer le néant de sa vie. […] Paul Bourget est un homme aimable qui prodigue volontiers les conseils de son expérience.

1469. (1864) Le roman contemporain

Thiers revint avec plus de zèle et plus de suite que jamais et avec une expérience de plus, à sa grande histoire du Consulat et de l’Empire, qu’il devait enfin terminer. […] Éveline me rappelle ces héroïnes audacieuses, guerroyantes, altières, bottées, éperonnées, et toujours à cheval, qui, dans Leone Leoni, mettaient les hommes sous leurs pieds ; seulement l’expérience est venue pour l’auteur ; il a compris la vanité de ces caractères de femme en dehors des lois et des vertus de leur sexe, et les inconvénients qui résultent du mépris des convenances sociales. […] Sans doute ces riantes apparitions s’effacent bientôt sous les nuages sombres et gris que l’expérience et le désenchantement font monter au ciel quand, on s’éloigne du matin de la vie. […] Où a-t-on vu jamais un notaire, je dis un notaire de vieille roche, présenter pour régisseur à une famille quatre ou cinq fois millionnaire un gentilhomme de vingt-quatre ans, qui n’a aucune expérience de la gestion des affaires et de l’aménagement des propriétés, sous le prétexte unique qu’il a beaucoup de probité ? […] Est-elle donc toujours séparée de l’expérience pour qu’il faille choisir entre les deux, par l’impossibilité de les rencontrer unies ?

1470. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

A partir de ce jour-là, l’humanité dépouilla sa robe virile et entra dans les années de deuil et de triste expérience.

1471. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Gabriel Naudé »

Mais cette sévérité, fruit amer de l’expérience humaine, n’admet pas nécessairement la fraude et n’exclut pas la justice ; et j’aime à penser toujours, malgré la rareté du fait, que la volonté ferme du bien, une sagacité pénétrante jointe à l’absence de toute imposture, une équité inexorable, seraient encore les voies les plus sûres de gouverner, de tenir le pouvoir,  — de le tenir, il est vrai, non pas de le gagner ni de l’obtenir.

1472. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Le Chevalier de Méré ou De l’honnête homme au dix-septième siècle. »

Cela l’obligea de me laisser jusqu’à l’âge de vingt-deux ans au collège, et lorsque j’en fus sorti, je connus par expérience qu’excepté le latin que j’étois bien aise de savoir, tout ce qu’on m’avoit appris m’étoit non-seulement inutile, mais encore nuisible, à cause que je m’étois accoutumé à parler dans les disputes sans entendre ni ce qu’on me disoit, ni ce que je répondois, comme c’est l’ordinaire.

1473. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre I. Principe des mœurs sous l’Ancien Régime. »

Midi ou une heure sonne avant que cette toilette soit achevée, et le secrétaire, qui sans doute sait par expérience l’impossibilité de rendre un compte détaillé des affaires, a un petit bordereau qu’il remet entre les mains de son maître pour l’instruire de ce qu’il doit dire à l’assemblée des fermiers. » — Oisiveté, désordre, dettes, cérémonial, ton et façons de protecteur, tout cela semble une parodie du vrai monde ; c’est que nous sommes au dernier étage de l’aristocratie.

1474. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre III. Ben Jonson. » pp. 98-162

Ce qu’on découvre au bout de toutes les expériences pratiquées et de toutes les observations accumulées sur l’âme, c’est que la sagesse et la connaissance ne sont en l’homme que des effets et des rencontres.

1475. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VII. Les poëtes. » pp. 172-231

Walsh déclarait que « ce n’était point flatterie de dire qu’à cet âge Virgile n’avait rien fait d’aussi bon. » Quand plus tard elles parurent en volume1102, le public fut ébloui. « Vous avez déplu aux critiques, écrivait Wycherley, en leur plaisant trop bien. » La même année, le poëte de vingt et un ans achevait son Essay on Criticism, sorte d’art poétique ; c’est le poëme qu’on fait à la fin de sa carrière, quand on a manié tous les procédés et qu’on a blanchi dans la critique ; et dans ce sujet qui réclame, pour être traité, l’expérience de toute une vie littéraire, il se trouvait d’emblée aussi mûr que Boileau.

1476. (1864) Cours familier de littérature. XVII « Ce entretien. Benvenuto Cellini (2e partie) » pp. 233-311

Je fis ensuite creuser une fosse, dans laquelle je la fis transporter avec toutes les précautions possibles, et selon toutes les règles de l’art, ou celles que me dicta mon expérience ou mon imagination ; et, lorsque j’eus donné toutes mes instructions à mes travailleurs et à mes ouvriers, je me tournai du côté de mon fourneau, que j’avais fait remplir de cuivre et d’étain, selon les proportions.

1477. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (2e partie) » pp. 315-400

II Il me dit, ce jour-là, que la connaissance du monde était innée chez le vrai poète, et que pour le peindre il n’avait besoin ni de grande expérience ni de longues observations.

1478. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

Malgré toute notre expérience, quand il s’agit d’une personne qui nous est chère, nous croyons la mort toujours impossible, et nous ne pouvons y croire ; elle est toujours inattendue.

1479. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 octobre 1885. »

S’il était vrai qu’à n’importe quelle époque, sous l’impression d’expériences désagréables, je me fusse laissé entraîner à insulter la nation française, j’en subirais les conséquences sans m’en préoccuper davantage, n’ayant pas l’intention d’entreprendre quoi que ce soit en France.

1480. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

Elles recréaient aisément une vie fantastique, pleine d’accidents surnaturels : car elles n’avaient pas encore modelé leur conception de la vie suivant les seules lois du possible ; ne voyaient-elles point, dans leur expérience sommaire, mille choses qu’elles devaient juger miraculeuses ?

1481. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre X, Prométhée enchaîné »

Il arrive porté sur un Dragon familier, soucieux et morose, gonflé d’une expérience qui va s’épancher en sentences.

1482. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre VI » pp. 394-434

Avec ses leçons son expérience et ses bons conseils, mademoiselle Mars eût fait de Madeleine sa légataire universelle.

1483. (1902) Symbolistes et décadents pp. 7-402

., Toute l’expérience, toute la science des formes tangibles s’analysa. […] Nous ne ressentons une impression mentale ou affective, qu’en vertu de l’existence antérieure d’une autre impression ; ces phénomènes sont variés par l’heure de la vie, la disposition initiale, l’atavisme, la santé générale de l’individu, sa santé momentanée, ses conditions de force, de normalité, le nombre des expériences acquises, l’essence de l’individu, plus toutes les mêmes conditions de variations chez l’être ou les êtres avec lequel il est en contraste. […] Les lecteurs du livre devront, dans les points de détail, se souvenir que l’auteur est russe, profondément russe, que son champ d’expériences a été la ville et la campagne russe. […] Plus sûr qu’il est que nul autre de la provenance de ses originalités, il tente d’ériger une personnalité en trompe-l’œil, au premier abord et pour les yeux ignorants, personnalité bien tranchée et à vous arrêter — c’est bien tel et non tel autre comédien qui parcourt emphatiquement une menue scène. — Chez l’artiste de premier ordre, au contraire, quelle que soit sa force de production ou sa franchise d’exécution, la certitude existe que ce moi profond, dont il est déjà doué et dont il n’a nul besoin de se pourvoir, est un vaste champ d’expériences, champ sans limites, où certes il trouvera longtemps à inventorier, et à glaner ; il sait que toute transposition de son âme amènera sans qu’il y tâche un autre décor d’imagination, et que son originalité se renouvellera de sources vraies, d’autant plus vraies qu’il ne fera qu’en éclaircir le flot, sans en être entièrement le créateur. […] Sans doute Rimbaud était au courant des phénomènes d’audition colorée ; peut-être connaissait-il par sa propre expérience ces phénomènes.

1484. (1903) Propos de théâtre. Première série

Le propos délibéré de mettre une doctrine morale en lumière est, d’expérience faite, le moyen (un des moyens, car il y en a d’autres) de ne pas bien faire une œuvre dramatique, non plus, d’ailleurs, qu’aucune autre œuvre littéraire. On n’a jamais bien su pourquoi il en est ainsi ; mais toutes les expériences sont concluantes. […] Je ne suis pas fâché de cette expérience. […] Pour savoir s’il est bon, au quatrième acte, que Tartuffe, à Orgon qui lui dit : « Sortez de la maison », réponde tout de go : « C’est à vous d’en sortir » ou, comme il est de tradition à la Comédie-Française, aille jusqu’au fond du théâtre, ramasse son chapeau, le plante sur sa tête, redescende la scène et crie seulement alors : « C’est à vous d’en sortir » ; Régnier a fait jouer vingt fois la scène des deux manières à ses amis, à ses camarades, à ses élèves ; il l’a jouée lui-même ; et c’est seulement après toutes ces expériences qu’il s’est prononcé, soutenu du suffrage unanime, pour la seconde manière.

1485. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Lamartine »

En somme, elle repose sur l’expérience. […] La possibilité de l’assouvissement recule à mesure que les expériences se multiplient.

1486. (1778) De la littérature et des littérateurs suivi d’un Nouvel examen sur la tragédie françoise pp. -158

Mais l’expérience vient démentir visiblement cette assertion. […] au reste, je le répete, je ne les connois pas ; je n’ai point été à portée de les étudier ; la conformation de mon œil qui voit les hommes nuds, & l’habitude où je suis de les juger absolument dépouillés de leurs titres, ne m’a fait jeter qu’un regard furtif sur leur personne : mais sage par l’expérience d’autrui, je n’ai point voulu acheter cherement celle qui me manque.

1487. (1927) Les écrivains. Deuxième série (1895-1910)

Clemenceau en a fait souvent la morne et décourageante expérience. […] À notre époque, tous les gens cultivés, et ceux qui croient l’être, se soucient fort de retour à la tradition et parlent de s’imposer une forte discipline… N’est-il pas délicieux que ce soit une ouvrière, ignorant l’orthographe, qui retrouve, ou plutôt qui invente ces grandes qualités de sobriété, de goût, d’évocation, auxquelles l’expérience et la volonté n’arrivent jamais seules ? La volonté, d’ailleurs, ne fait pas défaut à Marguerite Audoux, et, quant à l’expérience, ce qui lui en tient lieu, c’est ce sens inné de la langue qui lui permet, non pas d’écrire comme une somnambule, mais de travailler sa phrase, de l’équilibrer, de la simplifier, en vue d’un rythme dont elle n’a pas appris à connaître les lois, mais dont elle a, dans son sûr génie, une merveilleuse et mystérieuse conscience.

1488. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

Patientez avec le temps et l’expérience et soyez tranquille : ces deux tristes conseilleurs viendront assez vite. […] Dans Humain trop humain, il fait un magnifique éloge du théâtre classique français, il remet Lessing à sa place, il rend à Voltaire la justice qui lui est due, il prend en pitié notre moderne barbarie et ses vaines expériences. […] c’était merveille de le voir nuit et jour sur la brèche, réglant la mise en scène et y revenant sans cesse afin de retoucher quelque détail, répréhensible seulement pour son expérience inspirée.

1489. (1868) Rapport sur le progrès des lettres pp. 1-184

Pour la première fois, l’humanité a entrepris une grande et terrible expérience ; la lutte est libre entre le bien et le mal, entre l’erreur et la vérité : expérience insensée, si ceux qui la tentent n’avaient pas une foi profonde dans l’ascendant victorieux du bien sur le mal, de la vérité sur l’erreur ! […] À quelques années d’intervalle, le poëte, loin de son île enchanteresse, assombri par la nostalgie de l’azur et l’expérience amère de la vie, a fait paraître un autre volume que désigne un titre découragé : Épaves, comme si un naufrage inconnu avait jeté à la côte, parmi des débris de navire, ces vers qui méritent si bien d’aborder au port à pleines voiles et par une brise heureuse.

1490. (1836) Portraits littéraires. Tome I pp. 1-388

À cette heure, je crois qu’il est de bonne foi, qu’il a vu les tourments qu’il décrit, qu’il sait irrévocablement la valeur des principes conclus de l’expérience. […] On y sent à chaque pas l’expérience et la sécurité. […] Une fois trompée, sans vouloir renouveler l’expérience, elle a prononcé sur les passions humaines l’anathème des vieillards et des incrédules ; elle a cru que tous les hommes étaient pareils à celui qu’elle avait aimé ; elle s’est persuadé que l’égoïsme était une loi inviolable et constante, et présidait sans relâche à toutes les promesses, à tous les serments.

1491. (1858) Du roman et du théâtre contemporains et de leur influence sur les mœurs (2e éd.)

… Étrange illusion, ou plutôt mensonge cruel, que ne démentent que trop et l’expérience des siècles et la voix des générations, et le cri de la douleur intime qui gémit au-dedans de nous. […] Son interlocuteur répond, mais mollement ; et Marsay, évidemment, a l’avantage : Marsay, c’est l’expérience, la froide raison, c’est le sage mûri par la vie. […] Un fait que l’auteur de Stello tient pour avérer et qu’il pose comme un axiome fourni par l’expérience, c’est que les poètes, c’est que les hommes de génie sont inévitablement persécutés par la société ou le pouvoir.

1492. (1907) Propos littéraires. Quatrième série

Je désigne ainsi un travail qui montrerait dans les faits d’expérience intime, contemporaine, journalière, les mêmes phénomènes spirituels que le christianisme a reconnus de tout temps sous le nom de péché, de péché mortel, de rédemption, de grâce, d’effets de l’ascétisme, d’effets de la prière, d’illuminations du Saint-Esprit, de primauté de l’humilité, de béatitude du renoncement. » — Je mets en fait qu’on ne pourra pas habituer aux phénomènes de la rédemption, de la grâce et de l’illumination du Saint-Esprit un homme qui ne sera pas un catholique pur et simple ; qu’on ne pourra pas faire accepter et pratiquer ces états d’âme à un homme qui n’y croira pas objectivement ; qu’on ne pourra pas les proposer comme des pratiques purement intimes, n’ayant ni réalité, ni aboutissement, ni source non plus en dehors de nous ; que, donc, celui qui y voudra participer sera un catholique, ne pourra pas même les comprendre s’il n’est catholique pleinement et foncièrement, et qu’il échappera par conséquent à M.  […] Chacun de ses dires, vous le contrôlez et pouvez le contrôler ; vous le vérifiez, vous l’étendez et le confirmez ou vous le restreignez et l’infirmez par votre expérience personnelle.

1493. (1910) Propos littéraires. Cinquième série

Fouché le sentit, en homme de sens et d’expérience. […] Je souhaite, sans me dissimuler qu’il y faut les qualités les plus rares et presque les plus contradictoires, que l’expérience, au moins, se renouvelle, et que plusieurs essais en soient faits, dont il peut advenir que l’un réussisse. […] Je souhaite que l’on fasse du féminisme scientifique et droit, muni d’observations, d’expériences, de statistiques et de loyauté dialectique et de probité intellectuelle.

1494. (1885) L’Art romantique

Si toutefois nous consentons à en référer simplement au fait visible, à l’expérience de tous les âges et à la Gazette des Tribunaux, nous verrons que la nature n’enseigne rien, ou presque rien, c’est-à-dire qu’elle contraint l’homme à dormir, à boire, à manger, et à se garantir, tant bien que mal, contre les hostilités de l’atmosphère. […] Conseils aux jeunes littérateurs Les préceptes qu’on va lire sont le fruit de l’expérience ; l’expérience implique une certaine somme de bévues ; chacun les ayant commises, — toutes ou peu s’en faut, — j’espère que mon expérience sera vérifiée par celle de chacun.

1495. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mademoiselle Aïssé »

Tant qu’elles furent jeunes, je les livre à vos anathèmes, elles ont fait assez pour les mériter ; mais, une fois qu’elles avaient passé quarante ans, ces personnes-là avaient toute leur valeur d’expérience, de raison, de tact social accompli ; elles avaient de la bonté même et des amitiés solides, bien qu’elles sussent à fond leur La Bruyère.

1496. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

Mais, quand vous en venez à la vérité et à l’expérience, vous ne trouvez rien de tout cela ; et il en est comme de ces beaux songes, qui ne vous laissent au réveil que le déplaisir de les avoir crus72. » Bon coup de massue pour la gaieté.

1497. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIe entretien. Épopée. Homère. — L’Iliade » pp. 65-160

Pleins d’expérience, ils discouraient ensemble, semblables à des cigales qui, sur la cime d’un arbre, font résonner la forêt de leur mélodieuse voix. » La belle Hélène, sortie de son palais pour contempler le combat, affligée des malheurs qu’elle cause, compatit aux peines de Priam, s’agenouille devant lui et lui nomme un à un les principaux chefs des Grecs, à mesure qu’ils défilent sous ses yeux dans la plaine.

1498. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIIe entretien. Balzac et ses œuvres (3e partie) » pp. 433-527

Si l’habitude du monde permettait à M. de Chessel de distinguer ces nuances, un jeune homme sans expérience croit si fermement à l’union de la parole et de la pensée chez une belle femme, que je fus bien étonné quand, en revenant le soir, mon hôte me dit : — Je suis resté, parce que vous en mouriez d’envie ; mais si vous ne raccommodez pas les choses, je suis brouillé peut-être avec mes voisins.

1499. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLIXe Entretien. L’histoire, ou Hérodote »

« Amyntas, témoin de ces insultes, quoique irrité dans l’âme, ne laissa rien percer de son ressentiment, par la crainte que lui inspirait la puissance des Perses ; mais Alexandre, son fils, qui était présent et voyait ce qui se passait, jeune et sans expérience des maux qu’il pouvait attirer sur son pays, ne put se contenir ; et, dans l’indignation qu’il éprouvait, dit à son père : « Laissez, mon père, laissez cette jeunesse avec laquelle il ne vous convient pas de vous commettre, et allez prendre quelque repos ; donnez ordre seulement qu’on n’épargne pas le vin.

1500. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Louis Veuillot »

Et, en effet, si je consulte là-dessus ma propre expérience, je sens très bien que ce que les classiques de l’antiquité ont insinué et laissé en moi, c’est, en somme, le goût d’une sorte de naturalisme voluptueux, les principes d’un épicurisme ou d’un stoïcisme également pleins de superbe, et des germes de vertus peut-être, mais de vertus où manque entièrement l’humilité.

1501. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1875 » pp. 172-248

Il devient un sujet à expériences, et il coûte près de 20 000 francs à l’hôpital, tant on lui fait prendre de sulfate de quinine, qu’on arrêtait lorsqu’il devenait sourd, et de choses extraordinaires, et de bains composés de plantes aromatiques de l’Inde.

1502. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1893 » pp. 97-181

qui s’élèvent, il ajoute : « Oui, je n’ai mis à peindre qu’une ou deux matinées mais la toile a été peinte avec l’expérience de toute ma vie ! 

1503. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XIII : Affinités mutuelles des êtres organisés »

Un naturaliste, frappé d’un parallélisme semblable dans une classe quelconque, en élevant ou abaissant arbitrairement la valeur des groupes d’autres classes, valeur que l’expérience a toujours prouvé être jusqu’ici complétement arbitraire, pourrait aisément donner à ce parallélisme une grande extension ; et c’est ainsi que, fort probablement, les classifications ternaire, quaternaire, quinternaire et septénaire ont été trouvées.

1504. (1902) Les poètes et leur poète. L’Ermitage pp. 81-146

Mais pourquoi le feraient-ils, ceux qui, venus après tant d’expériences, savent que tout est vain, hors d’être humain en demeurant un artiste ?

1505. (1896) Le IIe livre des masques. Portraits symbolistes, gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui, les masques…

Si sa vie n’a été qu’une longue ironie, s’il y avait de l’amertume au fond de cette délectation morose, nul ne s’en est jamais douté : on l’a toujours vu fidèle à conformer sa conduite à des principes qu’il avait patiemment déduits de son expérience et de ses lectures. […] Mauclair va tirer une suite de formules dont l’élégance, fatalement, clarifiera, jusqu’au blanc éclatant, la pensée douteuse qu’il a choisie pour ses expériences.

1506. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre III. La Déformation de l’Idéal classique (1720-1801) » pp. 278-387

. — De l’entière conformité des écrits de Rousseau avec son caractère ; — et que son Émile ou sa Nouvelle Héloïse elle-même sont véritablement des mémoires et des confessions à peine « romancés » ; — origine de Rousseau ; — sa naissance et son éducation ; — sa jeunesse aventureuse ; — son expérience précoce, multiple, et amère de la vie. — Psychologie de Rousseau : — 1º Le Plébéien ; — et comment à ce premier trait de son caractère se rapportent : — la simplicité native de ses goûts ; — son affectation de grossièreté ; — la nature trouble et passionnée de son éloquence ; — la violence de ses haines ; — l’espèce de son orgueil, qui est l’orgueil de l’« autodidacte » ou du self made man ; — son dédain de l’esprit, qu’il considère comme chose aristocratique ; — son optimisme incorrigible ; — et enfin la profondeur de quelques-unes de ses vues. — 2º L’Homme sensible ; — et comment on peut ramener à ce second trait de son caractère : — sa facilité d’être impressionné par le moindre plaisir ou la moindre douleur ; — sa rapidité à passer tout entier dans son impression du moment ; — la vibration perpétuelle de son style ; — son impuissance habituelle à gouverner ses idées ; — les contradictions dont son œuvre fourmille ; — et la faiblesse d’abord, puis l’atrophie de sa volonté. — 3º Le Fou, c’est-à-dire « le neurasthénique et le lypémaniaque » [Cf.  […] Aussi bien sont-ce surtout les idées de Buffon qui ont agi sur les contemporains, — ou, pour mieux dire, les conséquences de ses idées ; — si nul n’a fait plus ou autant que lui, — pour nous pénétrer du sentiment de la petitesse de notre planète, — et de celui de l’infinité du monde ; — d’où ne pouvaient manquer de résulter la ruine du fondement même de l’humanisme, — en tant qu’il était lié à la supposition qui faisait de l’homme le chef-d’œuvre de la nature ; — et de la terre le centre du monde. — Une autre conséquence de la diffusion des idées de Buffon ; — presque plus importante ; — comme tendant au renouvellement de la méthode ; — a été de substituer les sciences naturelles comme type de la science aux sciences mathématiques ; — c’est-à-dire les résultats de l’expérience et de l’observation à ceux du calcul ou de la méditation ; — et par là de susciter ; — avec une curiosité nouvelle, qu’on pourrait appeler la curiosité biologique ; — une manière nouvelle de penser ; — dont les effets ne sont pas encore épuisés [Cf. 

1507. (1891) Lettres de Marie Bashkirtseff

Expérience élevée qui me tentera toujours. […] Cher maître, Ô vous qui avez peut-être l’intention de voyager quelque jour, suivez ce conseil, fruit d’une expérience amère.

1508. (1900) Quarante ans de théâtre. [II]. Molière et la comédie classique pp. 3-392

Notre expérience personnelle s’accroît de ces observations faites par un homme de génie et mises dans tout leur jour ; c’est là le véritable profit qu’on tire de l’art dramatique. […] Delaunay, qui porte dans les personnages qu’il essaye toute la maturité d’un talent plein d’expérience et consommé, a conservé la vivacité et la grâce d’un jeune poulain échappé. […] Perrin avait, je ne sais pourquoi, pris en grippe et écarté de la scène, y reprendra la place qui est due à ses longues études, à sa connaissance approfondie du répertoire et à son talent mûri par l’expérience.

1509. (1910) Propos de théâtre. Cinquième série

Descartes a tort qui dit que le rire « n’accompagne pas les plus grandes joies et que la joie ne peut le causer que quand elle est seulement médiocre et qu’il y a quelque admiration [étonnement] ou quelque haine [malice] mêlée avec elle ; car on trouve par expérience que lorsqu’on est extraordinairement joyeux, jamais le sujet de cette joie ne fait qu’on éclate de rire… » Descartes a tort : la joie, la joie toute seule fait éclater de rire l’être primitif. […] Sur ce point, tout au moins, il sera sensible à la réalité obstinée, invincible, de nos expériences courantes. […] J’ai envie de faire l’expérience. […] Je ne puis pas faire l’expérience.

1510. (1890) Causeries littéraires (1872-1888)

Cette immobile indifférence Où, parmi de croissants dégoûts, L’expérience et la souffrance Mènent les plus forts d’entre nous, Cette paix divine où nos sages Ne parviennent que dévastés, Tous ces gueux aux calmes visages Du premier coup y sont montés. […] Et il nous décrit les expériences déjà faites, et il s’enivre de la perspective du succès prochain. […] Il propose d’acheter, de prêter, de faire les fonds pour continuer les expériences ; toute combinaison sera acceptée par lui, pourvu qu’elle mène à bonne fin les travaux commencés : il a eu un fils tué par les Prussiens et veut hâter la revanche.

1511. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1867 » pp. 99-182

Elle reste en ce jardin, presque nue, par le froid de la soirée qui nous gèle tous, dégageant autour d’elle la froideur d’un marbre, et manquant de l’éducation, de l’amabilité, de l’acquit, du tact, sans la douceur du charme, sans la caresse de la politesse, sans le liant de la femme, sans même l’excitant de la fille, et sotte tout le temps, — mais jamais bête, et vous surprenant, à tout moment, par quelque réflexion empruntée à la vie pratique ou au secret des affaires, par des idées personnelles, par des axiomes qui semblent l’expérience de la Fortune, par une originalité sèche et antipathique qu’elle paraît tirer de sa religion, de sa race, des hauts et des bas prodigieux de son existence, des contrastes de son destin d’aventurière de l’amour.

1512. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Cromwell » (1827) »

Certes, ce dut être une joie, pour ces anatomistes de la pensée, que de pouvoir, dès leur coup d’essai, faire des expériences en grande que d’avoir, pour premier sujet, une société morte à disséquer.

1513. (1929) Critique et conférences (Œuvres posthumes III)

Manque d’expérience de coulisses, jeunesse trop littéraire des organisateurs, maladresses bien naturelles de personnes trop délicates, pour être habiles, etc. ! […] L’expérience des conférences ne me fait pas défaut.

1514. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 5482-9849

Ceux qui méprisent le génie d’Aristote au lieu de s’en tenir à condamner sa physique qui ne pouvoit être bonne, étant privée d’expériences, seroient bien étonnés de voir qu’Aristote a enseigné parfaitement dans sa rhétorique la maniere de dire les choses avec esprit. […] & de cette expérience ne composez-vous pas l’idée générale de vérité & de mensonge ?

1515. (1829) Tableau de la littérature du moyen âge pp. 1-332

C’était donc une expérience déjà faite, que toutes les fois que l’imagination asiatique venait toucher l’imagination méridionale de l’Europe, elle lui communiquait quelque chose de fastueux et de désordonné.

1516. (1874) Portraits contemporains : littérateurs, peintres, sculpteurs, artistes dramatiques

Pièces, livres, tableaux, musique, expériences, il fallait qu’elle vît, entendît et connût tout, ce qui ne l’empêchait pas encore d’aller dans le monde, toujours élégante, toujours mise avec le goût le plus soigneux, et d’y tenir le dé de la conversation. […] Le jugement fut que l’auteur devait faire « quoi que ce soit, excepté de la littérature. » Quelle perte pour les lettres, quelle lacune dans l’esprit humain, si le jeune homme se fût incliné devant l’expérience du vieillard et eût écouté son conseil, qui, certes, était des plus sages, car il n’y avait pas la moindre étincelle de génie ni même de talent dans cette tragédie de rhétorique ! […] Nous avons dit que Balzac travaillait péniblement, et, fondeur obstiné, rejetait dix ou douze fois au creuset le métal qui n’avait pas rempli exactement le moule ; comme Bernard Palissy, il eût brûlé les meubles, le plancher et jusqu’aux poutres de sa maison pour entretenir le feu de son fourneau et ne pas manquer l’expérience ; les nécessités les plus dures ne lui firent jamais livrer une œuvre sur laquelle il n’eût pas mis le dernier effort, et il donna d’admirables exemples de conscience littéraire. […] Il s’en souvient un peu tard, en voyant qu’il a dépassé déjà la dixième colonne du feuilleton et que tout à l’heure le portique sera complet, et en quelques mots nets, rapides et décisifs, il a indiqué le sujet du drame ou de la comédie ; il en a dit les défauts et les qualités, approuvé ou blâmé les tendances, avec ce bon sens qui ne se trompe guère et ce tact des choses du théâtre, transformé par les années en infaillible expérience ; il a même eu le temps de passer en revue les acteurs, de les flatter ou de les gourmander, ou tout au moins de les interpeller par leur nom comme un général passant devant un front de bataille. […] Théodore Chassériau est mort à trente-sept ans — comme Raphaël, dans la plénitude de la vie et du talent, possédant encore tout le feu de la jeunesse et déjà toute l’expérience de l’âge mûr.

1517. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Troisième série

Il est probable que, s’il opine ainsi, c’est qu’il a prévu ce que l’on tient d’expérience aujourd’hui, à savoir que toute élection est une élection à deux degrés. […] La multiplicité des expériences sentimentales ne dessèche pas le cœur seul. […] Or, tandis que l’historien, en quête des lois, s’occupe surtout à distinguer et introduit parfois la raison sous les erreurs, la partie folle se dissimule sous sa plume et diminue. » Les lois historiques sont la part de raison, sont l’élément rationnel que l’historien impose à l’histoire en l’y cherchant, et finit par y mettre à force de ne l’y point trouver. « Réflexions à garder tout bas », ajoute Sainte-Beuve ; mais en attendant il les imprime ; « observations peu fécondes » ; mais il ne se lasse pas de les faire ; « tristes résidus de l’expérience ironique » ; mais ce sont bien ceux de la sienne ; et il y tient. — L’histoire, par conséquent, pour lui, n’enseigne rien.

1518. (1902) Propos littéraires. Première série

On voit Clarisse peu à peu dégoûtée, non point jamais par instinct de moralité, mais par souci intellectuel, de ses éternelles expériences amoureuses. […] C’est le monsieur qui s’analyse, le moraliste expert, qui traite son cœur comme un insecte (je crois que le mot est de Goethe), et qui passe son temps à faire sur son cœur des expériences d’entomologie.

1519. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre II. Le Roman (suite). Thackeray. »

Esmond est un vieillard qui écrit pour ses enfants et leur commente son expérience.

1520. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CLe entretien. Molière »

Pour vous répondre donc sur la connaissance parfaite que vous dites que j’ai du cœur de l’homme par les portraits que j’en expose tous les jours, je demeurerai d’accord que je me suis étudié autant que j’ai pu à connaître leur faible ; mais si ma science m’a appris qu’on pouvait fuir le péril, mon expérience ne m’a que trop fait voir qu’il est impossible de l’éviter: j’en juge tous les jours par moi-même.

1521. (1896) Essai sur le naturisme pp. 13-150

Certes, ces novateurs eurent tort de faire de l’art une occasion d’expérience, c’était en restreindre l’éclat et aussi la portée.

1522. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1888 » pp. 231-328

L’Immortel ne l’a pas amusé à faire, ne le satisfaisait pas complètement ; il n’y trouve qu’une seule grande qualité : l’expérience de la vie.

1523. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

En effet, l’expérience ne nous sert à rien, et les trahisons trouvent en nous une proie toujours facile. […] Au comédien parfait, il faut une tête froide, un jugement sûr, un goût sans tache, l’étude et l’expérience.

1524. (1889) La bataille littéraire. Première série (1875-1878) pp. -312

Alexandre Dumas nous a livré dans leur état primitif les œuvres de sa jeunesse, alors qu’il lui eût été bien aise d’y apporter la plus-value de son expérience. […] Ne cédez-vous pas à l’envie de tenter une opération rare et de me prendre pour sujet d’une expérience ? […] On m’en a rapporté des effets merveilleux, et je compte pousser l’expérience jusqu’au bout.

1525. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre V. Swift. » pp. 2-82

. —  Moi-même, l’auteur de ces admirables vérités, j’en suis une preuve, étant une personne dont les imaginations prennent aisément le mors aux dents, et sont merveilleusement disposées à s’enfuir avec ma raison, laquelle, comme je l’ai observé par une longue expérience, est un cavalier mal assis et qu’on désarçonne aisément, d’où il arrive que mes amis ne me veulent jamais laisser seul que je ne leur aie promis solennellement de décharger mes idées de la façon qu’on vient de voir, ou d’une autre semblable, pour l’avantage universel de l’humanité1012. » Le malheureux qui se connaît et qui se raille !

1526. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VI. Les romanciers. » pp. 83-171

Une fille, une jeune fille sans expérience, sans importance, résister à des hommes, à des vieillards, à des gens établis, considérés, à toute sa famille, cela est monstrueux !

1527. (1841) Discours aux philosophes. De la situation actuelle de l’esprit humain pp. 6-57

Ainsi la France, après avoir détruit l’ordre théologique et féodal, a été livrée à trois séries d’expériences qui n’étaient toutes qu’une triste et impuissante rétrogradation, qu’une parodie misérable de l’Antiquité, du Moyen-Âge et de la Monarchie.

1528. (1853) Propos de ville et propos de théâtre

. — Les expériences se font sur un mannequin à ressort, — Ce qui rend les études quelquefois très-dures, — c’est que le mannequin qui représente toujours un gentleman— est armé d’une canne, et au moindre faux mouvement de l’opérateur— le gentleman lève sa canne et la laisse retomber. — Un professeur d’ivresse simulée est attaché à l’établissement. — Il enseigne aux élèves— l’art du zigzag ingénieux— que le pick-pocket emploie dans les rues pour heurter les passants et les dévaliser. — Des professeurs de boxe et de gymnastique perfectionnent les aptitudes des élèves en leur apprenant l’art de ne pas se laisser prendre— ou pendre. — Le Conservatoire des voleurs de Londres est un des établissements les mieux tenus de l’Europe. […] dit elle-même madame Huguet dans la scène où elle explique à son fils les raisons qui l’ont amenée à nourrir sa jeunesse du lait amer de l’expérience. — Mais aux joies de la lune de miel, à la lutte courageuse que les deux époux, soutenus par leur amour, ont entreprise contre la misère, a succédé un de ces découragements qui tôt ou tard finissent par affaiblir les plus robustes affections.

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