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2146. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque (2e partie) » pp. 81-155

» On se souvient qu’Innocent VI le croyait un peu en commerce avec les esprits suspects. […] Insensé qui avait cru qu’on rallumait deux fois le feu éteint d’une popularité morte ! […] Je ne sais trop que vous en dire : son caractère est doux, et les fleurs de son adolescence promettent beaucoup ; j’ignore quel en sera le fruit, mais je crois qu’il sera un honnête homme. […] Je crus voir d’abord ma petite fille que j’ai perdue ; elle lui ressemble beaucoup : si vous ne me croyez pas, demandez à Guillaume, le médecin de Ravenne, et à notre Donat, qui l’ont vue ; ils vous diront que c’est le même visage, le même rire, la même gaieté dans les yeux ; que, pour le geste, la démarche, et même la forme du corps, on ne peut rien voir qui se ressemble davantage, si ce n’est que ma fille était un peu plus grande que la vôtre et un peu plus âgée. […] Je ne me croirais pas chrétien si je n’aimais pas, que dis-je ?

2147. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIVe entretien. Cicéron (3e partie) » pp. 257-336

Que croyez-vous qu’était Ésope, dans les endroits où il déclame avec le plus de feu ? […] D’autres eussent voulu savoir ce que je crois précisément sur chaque matière. […] « Aussi ne croirait-on pas, à moins que d’y prendre bien garde, tout ce qu’il en a coûté à la nature pour nous donner la parole. […] « Par tout ce que je viens d’exposer, je crois avoir suffisamment prouvé la supériorité de l’homme sur le reste des animaux. […] On croit lire Fénelon, moins les utopies chimériques du Télémaque.

2148. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (1re partie) » pp. 81-159

Nous crûmes soutenir des républicains honnêtes. […] Telle était l’intensité de cette passion puérile qui n’a pas diminué avec l’âge, que, si l’on m’eût enlevé mes dessins, je crois que l’on m’eût donné la mort. […] « Mon père crut découvrir dans ce penchant si vif une aptitude naturelle pour les arts du dessin. […] Le fleuve serpente doucement autour de ces îles, dont les sinuosités et les courbes sont si bizarrement onduleuses que souvent vous croiriez voguer sur un grand lac et non sur une rivière. […] Tout-à-coup l’Indien se lève, passe devant moi, se promène dans la hutte : je crois que sa douleur devenue insupportable cause cette agitation qu’il laisse paraître.

2149. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVI. La littérature et l’éducation publique. Les académies, les cénacles. » pp. 407-442

La Somme de Saint-Thomas d’Aquin (je crois utile de rappeler que Somme signifie ici Abrégé) ne comprenait pas moins de dix-huit volumes in-folio ! […] Et, en effet, ceux qui croyaient devenir savants demeuraient englués dans les minuties du raisonnement déductif. […] Fontenelle, quand il écrit ses Eloges des savants, ne croit plus nécessaire de contraindre la langue de Cicéron à exprimer les mystères de l’algèbre ou de la physique. […] Croit-on que cette lente invasion des modernes dans un domaine qui, leur fut si longtemps interdit soit à négliger pour l’historien de la langue et de la littérature ? […] Je ne crois pas devoir insister plus longuement sur l’importance littéraire de ces institutions permanentes ; je passe à ces réunions éphémères qui sous des noms divers, pléiade, cénacle, école, ne sont pas moins dignes d’être regardées de près.

2150. (1857) Cours familier de littérature. III « XIVe entretien. Racine. — Athalie (suite) » pp. 81-159

Le lendemain je croyais livrer la bataille de ma vie. […] Ici Talma se transfigura véritablement en prophète ; on crut voir la lueur divine se répandre comme une losange de foudre sur les traits de son visage et jusque sur les plis de ses draperies. […] Il s’était cependant persuadé que tout était changé pour lui, et n’eut, pour le croire, d’autre sujet que ce qu’on va lire. […] Il ajouta même, non sans quelque air de mécontentement : “Parce qu’il sait faire parfaitement des vers, croit-il tout savoir ? […] Ayez la bonté de vous souvenir combien de fois vous m’avez dit que, la meilleure qualité que vous trouviez en moi, c’était ma fidélité d’enfant pour tout ce que l’Église croit et ordonne, même dans les plus petites choses !

2151. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

Il se dit : je suis jeune, je suis nonchalant, je suis enjoué, je ne crois qu’à mon plaisir, je serai le poète de la jeunesse. […] En conscience nous ne croyons pas que la nature humaine ait jamais réuni dans un seul homme, tant de talent, tant de légèreté, tant de poésie, tant de grâce à tant d’innocente perversité. […] Ce feu de l’enthousiasme était si ardent et si pur en elle, qu’à chaque instant on croyait voir cette enveloppe consumée tomber en une pincée de cendre et tenir dans une urne ou dans la main. […] Musset a fait une école, l’école de ceux qui ne croient à rien qu’aux beaux vers et aux belles ivresses. […] Crois-tu fonder ainsi une civilisation pensante sur le chiffre qui ne pense pas ?

2152. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — I. Faculté des arts. Premier cours d’études. » pp. 453-488

Je crois qu’il s’est chargé de l’éducation de cet enfant qui ne s’est montré dans le reste qu’un sujet ordinaire. […] Si l’on croit que l’étude des mathématiques dessèche le cœur et l’esprit, cela ne peut être vrai que d’une étude habituelle  ; encore cela est-il vrai ? Si l’on croit que la méthode des géomètres n’est pas applicable à tout, on se trompe ; si l’on prétend qu’il ne faut pas l’appliquer à tout, on a raison. […] — Vous croyez ? — Je crois, et je parie qu’en moins de trois ans je possède mieux le grec que Le Beau qui l’a étudié toute sa vie.

2153. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIe entretien. Suite de la littérature diplomatique » pp. 5-79

Croyez-moi, voilà l’alliance du destin de l’Europe ; sachez la voir, sachez la saisir, et, au besoin, sachez la venger ! […] Nous croyons que la forme fédérative, cette république de nations, est la seule forme qui assurera dignement la durée de l’indépendance italienne, et la seule aussi qui ne livre pas à l’Angleterre une position continentale neuve et menaçante contre nous au midi de l’Europe. Nous croyons qu’une fois la monarchie militaire et unitaire du Piémont écartée, le système fédéral n’éprouvera aucune opposition sérieuse de l’Europe, excepté de la part de l’Angleterre. Nous croyons que la question de la Vénétie se dénouera plus aisément par la négociation qu’elle ne se tranchera par la guerre. Nous croyons qu’une fois cette question de la Vénétie partagée ou résolue, comme le fut la question belge et hollandaise en 1830, l’alliance de la France et de l’Autriche sera l’alliance de la paix et de la grandeur des deux peuples.

2154. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIIe entretien. Revue littéraire de l’année 1861 en France. M. de Marcellus (1re partie) » pp. 333-411

Mais, je ne sais pourquoi, j’ai plus envie de croire à l’avarice du gouverneur qu’au dénuement de la citadelle. […] Monsieur, reprit lady Stanhope, je crois que Dieu vous envoie pour me délivrer d’une véritable peine, et je me confie entièrement à vous. […] J’ai aussi un paquet de la rhubarbe empoisonnée à laquelle il croit devoir sa mort. […] Ma première pensée fut de croire à quelque vengeance des musulmans. […] C’est ce que je ne comprenais pas encore en 1830, quand je fus reçu par lady Stanhope, et que je la crus une sublime insensée.

2155. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxviie entretien. Un intérieur ou les pèlerines de Renève »

Ce n’est pas tout encore, au moment où je me croyais prêt à me libérer et à payer à mes créanciers ma dernière goutte de sueur, une dernière adversité me rejeta dans l’impossible. […] On croit contempler une belle vallée de la Lombardie italienne ; au pied de la fenêtre de la chambre, le pays que l’on voit tout entier, se creuse en larges vallons pleins de hameaux et de fumées de cheminées de paysans, qui traînent sur les prés et sur les vignes, on voit que les paysannes préparent à leur famille le souper du soir. […] nous croyions voir un château ? […] Ce trait de générosité touchait vivement le peuple peu réfléchi de ces campagnes, qui croyait que la force était le droit, et que c’était un crime que d’avoir un autre roi que le vainqueur. […] Nous crûmes respirer les images que vous y aviez vous-même respirées en écrivant Jocelyn.

2156. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIe entretien. Biographie de Voltaire »

La France crut que son poëte avait enfin répondu pour elle à ce défi de produire un poëme épique dont on l’humiliait tous les jours. […] Ce n’était qu’une belle imitation de Sophocle, on crut avoir retrouvé Racine ; il en avait bien l’imagination, il était loin d’en avoir le style. […] Son coup d’œil d’ensemble généralisait bien les détails, et sa critique, plus sûre qu’on ne le croyait, popularisait bien l’érudition. […] Lorsqu’on croyait avec Épicure que le hasard fait tout, ou avec Aristote, et même avec plusieurs anciens théologiens, que rien ne naît que de la corruption, et qu’avec de la matière et du mouvement le monde va tout seul, alors on pouvait ne pas croire à la Providence. […] Il ne s’occupait que de ce qu’il appelait les honnêtes gens, l’élite pensant de la société ; sa philosophie, qu’il ne croyait jamais destinée à devenir populaire, était une sorte de maçonnerie du sens commun propre à relier seulement les hautes classes de la société.

2157. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hugo, Victor (1802-1885) »

Mais il a l’air de croire qu’elle s’est méprise dans son enthousiasme et que le véritable régénérateur de l’art n’est pas venu. […] Nous ne croyons pas qu’il soit nécessaire de haïr quelqu’un pour lui rendre justice. […] En politique, on croirait entendre M.  […] L’honorer aujourd’hui d’un culte, c’est protester contre ceux qui l’ont hué autrefois ; c’est croire à la force éternelle et triomphante du génie. […] Voltaire, au nom d’un admirable bon sens, proclame que l’on blasphème Dieu quand on croit servir sa cause en prêchant la haine.

2158. (1914) Note sur M. Bergson et la philosophie bergsonienne pp. 13-101

On croit généralement qu’il suffit qu’une idée soit neuve pour qu’elle soit nouvelle. On croit qu’il suffit qu’une idée soit neuve pour qu’elle n’ait jamais servi. […] Il croit qu’il a déduit les cieux, les astres, une terre. Il croit qu’il a déduit de l’eau, de l’air, du feu, des minéraux et quelques autres telles choses. […] Contrairement à tout ce que l’on croit, à tout ce que l’on enseigne communément, c’est la raideur qui triche, c’est la raideur qui ment.

2159. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre premier. Sensation et pensée »

Nous croyons, pour notre part, que cette unité existe. […] Le tort commun des idéalistes et des sensualistes, beaucoup plus voisins les uns des autres qu’ils ne le croient, est d’avoir méconnu le rôle de l’appétition, de la volonté et de l’activité motrice ; rétablir ce rôle, c’est marquer où réside la vraie force des idées et préparer la conciliation des doctrines à ce point de vue supérieur. […] C’est par une assertion arbitraire que les platoniciens et les kantiens limitent à la sensation informe l’effet des objets extérieurs sur nous ; tout porte à croire, au contraire, que les relations qui existent entre les objets mêmes ont un effet dans la conscience ; elles doivent s’y refléter, y produire enfin les relations qui existent entre nos sensations mêmes. […] Veut-on dire que nous recevions passivement de l’extérieur nos sensations toutes faites, comme Démocrite croyait que les images subtiles des choses pénètrent à travers nos sens ? […] Nous croyons que la nouvelle psychologie devra insister de plus en plus sur cet aspect des faits intérieurs, dont nous avons montré plus haut l’importance.

2160. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1876 » pp. 252-303

Il se rend chez le pope, le grise, s’empare de son registre, gratte le nom de l’homme, puis… vous croyez qu’il substitue un autre nom — non, sur le nom gratté, il remet le même nom. […] Je ne partage pas cette opinion et je crois que le même morceau, écrit à quatre époques différentes, dans des dispositions d’esprit dissemblables, aura dans chacune de ses élaborations, s’il est écrit par un homme de talent, une excellence, une perfection autre, mais adéquate. […] À quelques années de là, en 1869, je crois me rappeler, Lachaud se présente dans l’arrondissement de Saint-Denis. […] Jamais, je crois, il n’est arrivé de décrire par avance, d’une manière si épouvantablement vraie, le désespoir d’un homme de lettres sentant tout à coup l’impuissance et le vide de sa cervelle. […] * * * — Ne croyez pas aux gens qui disent aimer l’art, et qui, pendant toute la durée de leur chienne de vie, n’ont pas donné dix francs pour une esquisse, pour un dessin, pour n’importe quoi de peint ou de crayonné !

2161. (1920) Action, n° 3, avril 1920, Extraits

S’ils agissent ainsi pour des raisons de stratégie, c’est admissible mais autrement, s’ils sont assez naïfs pour le croire c’est tant pis pour eux. […] Ils recherchent la foule dans laquelle ils croient. […] L’homme qui se croit un coq est pour son propre sentiment aussi simple que le coq. Tel autre qui se croit être du verre est pour son propre sentiment un objet aussi fragile que le verre. […] On serait parfois tenté de croire que ce fut son esprit libre et joyeux.

2162. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 février 1885. »

À l’Opéra, néanmoins, les auteurs se croient forcés de suivre ces monstrueux errements. […] Si je n’avais pas entendu trois fois ce monstrueux entassement de sons discordants, je ne le croirais pas possible. […] Quelle outrecuidance que celle de cet homme qui « croit à sa mission » à « son art !  […] Ils allèrent trouver le roi Marc’h et lui racontèrent ce qu’ils avaient vu ; le roi ne voulut pas les croire. […] dit le roi en voyant cela, que croire désormais, puisque Tristan, la loyauté même, est déloyal ?

2163. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 février 1886. »

Nous croyons sincèrement que, pour rencontrer dans une tragédie une telle hauteur de pensée, une telle simplicité de moyens, une telle intensité d’épouvante, il faudrait remonter aux plus nobles chefs-d’œuvre des grands tragiques grecs. […] Je crois bien que les noms des compositeurs de cette école, fort connus chez nous, ne sont plus étrangers au public français ; je pense même que dans les théâtres ou les concerts parisiens vous entendrez bientôt, au moins en partie, les œuvres principales de MM.  […] Or, je crois bien que les Français, les Anglais et toutes les nations occidentales n’ont pas une musique populaire assez bien conservée pour leur donner d’avance, très vivement, cette habitude musicale. […] Ainsi nos compositeurs auraient-ils, je crois, tout intérêt à composer eux-mêmes tout leur drame ; alors seulement ils auraient la vision complète de leur personnage, dans toute l’expression de sa vie. […] Les compositeurs de l’école Nationale Russe ont cru que la première alternative était plus logique.

2164. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juillet 1886. »

Parce que le jour est en eux, ils croient que la nuit complaisante les couvrira toujours. […] On croirait voir l’immortelle espérance sourdre de tant de désespoir. […] « Je tiens décidément à l’avant-fête du 22 mai ; de son indubitable et heureux succès résultera, je crois, un vif progrès dans notre grande entreprise. […] « On croit devoir me dissuader de vouloir réaliser mon œuvre par une entreprise d’actions. […] « Je ne donne plus de concerts : cela ne fait que nuire ; chacun croit avoir fait assez en donnant sa cotisation et l’affaire reste là.

2165. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 septembre 1886. »

Elle croit, elle veut croire. Il y a là des paroles expliquant les vérités à croire ; la musique qui recrée le fond de l’âme, répète toujours l’affirmation furieuse : l’âme croit, veut croire. […] Et je crois bien que j’admirerais Offenbach si ce maître n’avait, après lui, donné le droit d’exister à d’extravagants compositeurs d’opérettes, incapables d’être expressifs comme d’être spirituels. […] Il existe une symphonie, inédits je crois, de Georges Bizet, exécutée il y a bon nombre d’années chez Pasdeloup, où le compositeur a introduit un thème fixe à la Berlioz.

2166. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre X »

M. de Nanjac aime la femme qu’il vient de surprendre en tête à tête avec lui ; il s’est cru devant un rival ; de là cette mauvaise humeur qu’il n’a pas su contenir. […] Bref, Raymond commence à croire qu’une si rude grêle d’insolence ne peut guère tomber sur la fleur des pois. […] une de ces femmes d’une moralité si frivole, qu’elles vous font croire aux influences de la lune sur leur destinée ? […] Vous ne m’aimez pas, soit ; mais on en veut toujours un peu à une femme dont on se croyait aimé, quand elle vous dit qu’elle ne vous aime plus. […] parce qu’il vous a plu de me faire la cour, parce que j’ai été assez confiante pour croire en vous, parce que je vous ai jugé un galant homme, vous deviendriez un obstacle au bonheur de toute ma vie ?

2167. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Division dramatique. » pp. 64-109

Il est difficile, en effet, de croire que les discours de deux personnages passionnés aient d’autre objet que de développer leurs sentiments ; et, à la faveur de cette émotion, le poète instruit adroitement les spectateurs de tout ce qu’il a intérêt qu’on sache. […] 2º Quand celui qui croit parler seul est entendu par hasard de quelque autre, pour lors il doit être réputé parler tout bas ; d’autant qu’il n’est point vraisemblable qu’un homme seul crie à haute voix, comme il faut que les histrions fassent pour être entendus. […] Andromaque est forcée d’épouser Pyrrhus pour sauver son fils Astyanax ; après des combats du cœur, elle se croit résolue à tout : Allons trouver Pyrrhus… Mais non, chère Céphise, Va le trouver pour moi. […] Dis-lui que de mon fils l’amour est assez fort… Mais crois-tu qu’en son âme il ait juré sa mort ? […] Pallas, pour les amans, se déclare en ce jour ; Qui l’aurait jamais osé croire ?

2168. (1870) La science et la conscience « Chapitre II : La psychologie expérimentale »

Déjà Hume avait cru mettre ce point hors de doute, et en avait fait comme le pivot de tout son système. […] Taine, a singulièrement réduit, s’il ne l’a pas tout à fait supprimée, la catégorie de ces jugements dits synthétiques a priori, pour lesquels toutes les écoles rationalistes, depuis Kant jusqu’à Victor Cousin, avaient cru devoir reconnaître certaines facultés et certains procédés irréductibles à l’expérience. […] Voilà une loi dont l’école expérimentale se fait une arme qu’elle croit invincible contre le libre arbitre. […] La conscience du genre humain a toujours cru le contraire. […] A voir comment elle règne, on croirait que son autorité est naturelle, et l’on dirait d’un ange qui n’a jamais connu les fatigues de la pensée, les orages des passions, et les révoltes d’une sensibilité capricieuse.

2169. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

Messieurs, Si vous avez eu le désir amical, dont j’ai été plus d’une fois informé, de me voir commencer ce cours, croyez bien que, de mon côté, il ne me tardait pas moins de me trouver au milieu de vous pour remplir l’honorable et cher devoir qui m’est confié, et auquel j’appartiens désormais sans réserve. […] Quand on vit dans une perpétuelle instabilité publique, et qu’on voit la société changer plusieurs fois à vue, on est tenté de ne pas croire à l’immortalité littéraire et de se tout accorder en conséquence. […] À chaque renouvellement de siècle, il y a dans la tradition récente qu’on croyait fondée des portions qui s’écroulent, qui s’éboulent, en quelque sorte, et n’en font que mieux apparaître dans sa solidité le roc et le marbre indestructible. […] Croyez bien que si j’ai fait passer, pour cette première fois, devant vous tant de recommandations, tant de remarques critiques, et que si j’ai paru donner beaucoup de conseils que d’autres vous ont déjà donnés et bien mieux, ce n’a pas été sans m’en adresser une partie à moi-même tout le premier. […] Vous me ferez croire, avec le temps, que je puis pour ma part vous être bon en quelque chose, et, généreux comme on l’est à votre âge, vous me rendrez en ce seul sentiment moral bien plus que je ne saurais vous donner en directions de l’esprit ou en aperçus littéraires.

2170. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre X. La littérature et la vie de famille » pp. 251-271

Il dut faire soupirer amoureusement Jocaste, comme Racine, cinquante ans plus tôt, avait cru devoir transformer en amoureux Hippolyte, le héros virginal voué chez les anciens au culte de la déesse de la chasteté. […] Là elle souffre, vit misérable dans la solitude, parmi les bêtes, mais toujours résignée, parce qu’elle croit avoir déplu à son seigneur et maître et avoir subi ce traitement par son ordre. […] Que croyez-vous que fassent deux jeunes hommes loyaux et généreux pris entre ces deux furies ? […] On pourrait croire qu’ils ont dû se répéter de la façon du monde la plus fastidieuse. […] Je crois pourtant nécessaire de ne point passer outre sans ajouter qu’elle développe chez ceux qui s’y complaisent le goût d’une certaine simplicité de manières et de langage, la propension au ton moral et aux vertus bourgeoises, l’habitude d’exprimer ses sentiments intimes sans apprêt et sans crainte du détail terre à terre.

2171. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

C’est une dure épreuve pour la fermeté de Pauline que son entrevue avec Sévère, qu’elle a cru mort et qui revient pour l’épouser, alors qu’elle est d’un autre. […] Ce sont elles qui produisent les grandes actions, qui poussent l’homme à la recherche de la vérité, qui le font croire à un bonheur qu’il poursuit toujours sans l’atteindre jamais. […] Elle croyait que Zamore, son amant, son fiancé, avait péri, quand tout à coup elle se retrouve en sa présence. […] Le roman de Rabelais, si l’on en croit La Bruyère, n’est-il pas par endroits « le charme de la canaille » et par d’autres « le mets des plus délicats » ? […] Des livres, qui se croyaient irréprochables, ont été condamnés par des moralistes austères, parce qu’ils excitaient à la volupté en la décrivant pour en montrer les périls.

2172. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — Y. — article » pp. 529-575

En attendant que nous nous procurions les secours qui nous manquent pour l'achever, nous croyons ne pouvoir mieux terminer celui-ci, que par quelques réflexions contre les Détracteurs de la Religion, qui osent lui attribuer la plus grande partie des maux qui affligent le genre humain. […] Bayle, que nos Philosophes regardent comme l’honneur de la raison humaine ; Bayle, dont les Ouvrages ont alimenté les froids raisonnemens de nos Discoureurs irréligieux ; Bayle, cet exemple si frappant de l’inconséquence humaine, par les contradictions où il se précipite sans cesse : comment appeloit-il cette raison qu’on croit humiliée par sa soumission à la Foi religieuse ? […] N’est-il pas plus sage, plus digne de sa destination, d’apprendre de la Divinité même ce qu’elle doit croire, ce qu’elle doit respecter, que de se repaître de chimeres, & de voguer dans le doute ? […] C’est sur la foi de ceux qu’on suppose plus instruits, plus éclairés, qu’on se forme les différentes idées des choses ; celui qui croit savoir moins qu’un autre, quelque pénétrant qu’il soit d’ailleurs, s’en rapporte volontiers à des lumieres qu’il juge supérieures ; & c’est sur cette adhésion aux idées d’autrui, que se sont établies les différentes persuasions qui ont donné cours à tous les systêmes adoptés depuis le commencement du monde. […] Le plus raisonnable des hommes peut-il se croire plus humilié de plier sous l’autorité divine, que de ramper sous les idées de ses pareils, souvent prévenus, mais toujours foibles & faillibles ?

2173. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre Premier »

Ce n’est point là, comme ou pourrait le croire, un anachronisme moral. […] Clorinde lui faisait croire l’absurde et nier l’évidence ; il donnait, le nez en avant, dans tous ses panneaux. […] Ce qui semble difficile à croire, c’est que le grave Monteprade continue à se laisser mystifier par l’escogriffe altéré que la donzelle lui donne pour son frère. […] Le meilleur charme de l’Aventurière est encore son style ferme et franc, du meilleur cru de la langue, d’une éloquence pathétique et forte dans les grandes scènes et d’où le rire jaillit, aux endroits comiques, comme de source vive. […] Comment croire à l’épée de Damoclès, quand elle montre tout du long sa ficelle qui plie et ne rompt pas ?

2174. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre III. L’histoire réelle — Chacun remis à sa place »

On se tromperait si l’on croyait que nous rejetons purement et simplement ces hommes. […] Me croit-on mort ? […] Mourawieff se trompe s’il croit être quelqu’un. […] L’histoire croit avec douceur à ce cercueil trop petit. […] Cet homme croit au peuple, shame !

2175. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre II. Des poëtes étrangers. » pp. 94-141

Il étoit avec raison, charmé de la beauté des ouvrages du Poëte grec, & cependant sa grande faute est de l’avoir imité ; car l’imitation demande plus de gêne & plus d’art qu’on ne croit communément. […] Assez circonspect pour ne point s’éblouir par les fausses beautés répandues en quelques endroits de la Philis de Scire, il s’est cru en droit de mettre des correctifs aux pensées qui lui ont paru trop forcées. […] Pour l’unité de lieu, il n’a pas cru qu’il lui fût possible de la garder sans ôter le merveilleux, & sans tronquer les intrigues. L’auteur nous avoit promis de pousser ce travail beaucoup plus loin ; & en particulier, de nous faire connoître les Ecrivains dramatiques espagnols, & les obligations qu’il croit que nous leur avons ; il n’a pas tenu parole. […] Il n’y avoit pas lieu de croire que ces suppressions fussent du nombre de ces morceaux que les gens de goût pouvoient regretter ; on s’étoit pourtant trompé dans cette conjecture.

2176. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre VI. De la politique poétique » pp. 186-220

Ce passage nous en explique deux autres, où les politiques croient à tort qu’Homère désigne la monarchie : c’est lorsque Agamemnon veut abaisser la fierté d’Achille, et qu’Ulysse persuade aux Grecs, qui se soulèvent pour retourner dans leur patrie, de continuer le siège de Troie. […] Les plébéiens avaient encore à supporter les usures intolérables des nobles, et les usurpations fréquentes qu’ils faisaient de leurs champs ; au point que, si l’on en croit les plaintes de Philippe, tribun du peuple, deux mille nobles finirent par posséder toutes les terres qui auraient dû être divisées entre trois cent mille citoyens. […] Tous les auteurs ont cru que la royauté romaine était monarchique, que la liberté fondée par Junius Brutus était une liberté populaire. […] Partant de ces trois erreurs, ils ont cru que les rois et autres grands personnages des temps anciens s’étaient consacrés, eux, leurs familles, et tout ce qui leur appartenait, à adoucir le sort des malheureux qui forment la majorité dans toutes les sociétés du monde. […] Il est à croire qu’au temps de la guerre de Troie, le nom de αχαιοι, achivi, était restreint à une partie du peuple grec, qui fit cette guerre ; mais ce nom s’étant étendu à toute la nation, on dit au temps d’Homère que toute la Grèce s’était liguée contre Troie.

2177. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — I. » pp. 262-280

Il ne faut pas croire pourtant que Bourdaloue fût d’un naturel froid : tous ceux qui l’ont connu parlent, il est vrai, de sa douceur, mais c’est d’une douceur « qui devait lui coûter, du tempérament dont il était ». […] Il ne faut pas croire et répéter, d’après quelques auteurs, que l’éloquence de la chaire dans le sermon, était à naître quand Bourdaloue parut. […] Les gens du métier, les habiles ou les vertueux, qui l’ont étudiée et pratiquée à fond, ont gardé ou retrouvé, en l’appréciant, l’admiration qu’elle inspirait autrefois : le commun des lecteurs, je le crois, a besoin de refaire un peu son éducation à cet égard. […] Je ne crois pas qu’il y ait rien de plus parfait dans le genre pur du sermon que ce discours qui fut fait pour le mercredi des Cendres (1672), et qui a pour texte le Memento : « Souvenez-vous, homme, que vous êtes poussière, et que vous retournerez en poussière. » Tous les mérites de Bourdaloue y sont réunis. […] Ainsi il ne faut pas croire que l’affaiblissement de cet esprit, autrefois si ferme, allât jusqu’à l’imbécillité.

2178. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — II. (Fin.) » pp. 322-341

Le défaut de Beyle comme romancier est de n’être venu à ce genre de composition que par la critique, et d’après certaines idées antérieures et préconçues ; il n’a point reçu de la nature ce talent large et fécond d’un récit dans lequel entrent à l’aise et se meuvent ensuite, selon le cours des choses, les personnages tels qu’on les a créés ; il forme ses personnages avec deux ou trois idées qu’il croit justes et surtout piquantes, et qu’il est occupé à tout moment à rappeler. […] Dans une autre nouvelle de lui, San Francesco a Ripa, imprimée depuis sa mort (Revue des deux mondes, 1er juillet 1847), je trouve encore une historiette de passion romaine, dont la scène est, cette fois, au commencement du xviiie  siècle ; la jalousie d’une jeune princesse du pays s’y venge de la légèreté d’un Français infidèle et galant : le récit y est vif, cru et brusqué. […] S’il fallait discuter la vraisemblance de l’action dans le roman, on pourrait se demander comment il se fait que cet accident de grande route ait une si singulière influence sur la destinée future de Fabrice ; on demanderait pourquoi celui-ci, ami (ou qui peut se croire tel) du prince de Parme et de son Premier ministre, coadjuteur et très en crédit dans ce petit État, prend la fuite comme un malfaiteur, parce qu’il lui est arrivé de tuer devant témoins, en se défendant, un comédien de bas étage qui l’a menacé et attaqué le premier. […] Il a fort loué dans La Chartreuse le personnage du comte de Mosca, le ministre homme d’esprit d’un petit État despotique, et dans lequel il avait cru voir un portrait ressemblant du prince de Metternich : Beyle n’y avait jamais pensé. […] Sur ce point, M. de Balzac croyait n’en avoir jamais fait assez.

2179. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. »

On le croyait à la veille d’une disgrâce dans l’esprit du roi et sous la menace d’une chute profonde. […] Voilà le second ministre (l’autre était M. de Seignelai) que vous voyez mourir depuis que vous êtes à Rome ; rien n’est plus différent que leur mort, mais rien n’est plus égal que leur fortune et leurs attachements, et les cent mille millions déchaînés qui les attachaient tous deux à la terre. » Elle ne croyait donc pas, quand elle écrivait ceci et qu’elle le montrait si ancré et comme rivé au sommet de la fortune, que cette mort soudaine n’eût fait que le sauver d’une disgrâce. […] Cette histoire, telle qu’il a su l’établir et la bâtir, est tout à fait le contraire de ces histoires générales, systématiques, où l’auteur prête de ses intentions et de son parti pris aux personnages et aux événements eux-mêmes, tellement qu’en les lisant le vulgaire des esprits qui aime à être mené croit tout comprendre et se déclare charmé, tandis que tout esprit politique et qui a tâté des affaires humaines sent aussitôt que ce n’est pas ainsi que les choses ont dû se passer. […] Il y a pourtant des jours où Vauban craint d’avoir excédé en franchise ; il croit devoir s’en excuser. […] Je ne pense point vous avoir jamais témoigné désirer autre chose que de la savoir, et je vous répète présentement que, si j’ai à espérer quelque reconnaissance de vous avoir donné occasion de faire votre fortune, ce ne sera jamais d’autre chose que d’être informé, à point nommé, de ce qui se passe et de ce que vous croyez que l’on doit faire, quand même vous auriez connu par mes lettres que cela est contre mon sens. » On dira de Louvois bien des choses, on ne dira pas qu’il n’avait point la probité de son emploi.

2180. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Montaigne en voyage »

Il ne ressemblait pas à ceux qui portent partout avec eux les lunettes de leur village ; il prenait celles de chaque endroit où il passait, sauf à n’en croire en définitive que ses propres yeux. […] Il s’était prémuni pour l’Italie, non pour l’Allemagne ; et cette Allemagne lui plaisait fort, bien plus qu’il ne l’aurait cru. […] Voici, de tout le Journal, la page, selon moi, la plus caractéristique et la plus propre à nous faire juger de l’humeur excitée et charmante du voyageur excellent : « Je crois à la vérité, nous dit son secrétaire, que, s’il eût été seul avec les siens, il fût allé plutôt à Cracovie ou vers la Grèce par terre, que de prendre le tour vers l’Italie ; mais le plaisir qu’il prenait à visiter les pays inconnus, lequel il trouvait si doux que d’en oublier la faiblesse de son âge et de sa santé, il ne le pouvait imprimer à nul de la troupe, chacun ne demandant que la retraite, tandis que lui, il avait accoutumé de dire qu’après avoir passé une nuit inquiète, quand au matin il venait à se souvenir qu’il avait à voir ou une ville ou une nouvelle contrée, il se levait avec désir et allégresse. Je ne le vis jamais moins las ni moins se plaignant de ses douleurs, ayant l’esprit, et par chemin et en logis, si tendu à ce qu’il rencontrait, et recherchant toutes occasions d’entretenir les étrangers, que je crois que cela amusait son mal. […] Parce que ces hommes, comme Horace et Montaigne, sont aimables, on les croit, incapables de générosité et de sentir la grandeur.

2181. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Étienne-Jean Delécluze, (suite et fin) »

Les Académies croient posséder des recettes et des formules générales ; or il n’en existe pas de parfaitement applicables d’un temps, d’un lieu et d’un peuple à un autre. […] Delécluze a cru devoir un jour écrire deux articles contre les idées, selon lui dangereuses et trop envahissantes, de ce téméraire en architecture : c’est à faire sourire. […] Je crois voir le doyen de Killerine à la fois fier et inquiet de ses pupilles, jeunes frères et sœurs, si différents de lui. […] Je conclus, et plus gaiement qu’on ne le croirait peut-être : M. Delécluze ouÉtienne, qui a passé sa vie à se croire classique et à défendre plus ou moins l’orthodoxie en littérature ou en art, serait, à cette heure-ci, rejeté de tous les classiques, s’il y en avait encore, et au nom même de ce qu’il a professé : je ne lui vois d’asile et de refuge à espérer que in partibus infidelium, parmi ceux qu’il a tant conspués, et qui l’accueillent volontiers, qui lui font place, en faveur d’un joli roman naturel, de quelques dessins vrais et frappants, de quelques descriptions fidèles et qui ont le cachet de leur date : Mademoiselle de Liron, son chef-d’œuvre, l’Atelier de David, et quelques pages et portraits des Souvenirs.

2182. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire. »

« Je vous prie, Monsieur, de me continuer les sentiments dont vous m’honorez, et de me croire pour jamais avec la reconnaissance et l’attachement que je vous dois, etc. »   Le bonhomme sent bien ce qui lui manque, et il exprime cette lacune en lui avec tant de franchise, qu’il la couvre au même instant à nos yeux ; et pourtant elle existe et ne sera pas comblée. — Enfin, une troisième lettre de lui à Garrick mérite encore d’être donnée, au moins en partie : « A Paris, le 6 juillet 1774. […] On aura remarqué dans ces lettres de Ducis de beaux mots et une large touche ; il n’en est aucune des siennes qui n’offre ce caractère : et j’ai souvent pensé que si, par bonheur pour lui, et dans quelque naufrage pareil à celui de l’Antiquité, toutes ses tragédies étaient perdues et que s’il ne restait que ses lettres, on aurait d’éternels regrets ; on croirait avoir affaire en lui à un génie complet dont il faudrait déplorer les chefs-d’œuvre. […] Turgot est au pouvoir, la vertu respire ; « les gens de bien, cette graine timide qui n’ose se montrer, peuvent maintenant sortir de terre, prendre racine et porter des fruits. » Toute cette école vertueuse et cordiale, les Sedaine, les Thomas, les Ducis, les de Belloy, se croient presque sur leur terrain à Versailles : on les voit d’ici se réjouir et se féliciter. […] Je n’ai su qu’aimer et me donner sans réserve. » Et comme son ami lui avait écrit qu’il s’était mis à relire l’Ariane de Thomas Corneille, « cette pauvre Ariane abandonnée par un ingrat », Ducis achève, à ce propos, de caractériser la passion chez Racine : « Personne sans doute n’approche de cette pureté élégante et soutenue de Racine ; mais il y a dans ce rôle admirable d’Ariane, où toute la passion de l’amour est rassemblée, un fonds de tendresse, d’abandon d’âme, d’ivresse et de désespoir, qu’on ne trouve point dans Racine, parce que Racine n’est pas très naïf, et qu’il est très possible, je crois, d’être plus tendre encore que lui. […] » Ce maudit discours pourtant lui aura coûté bien des soins ; il faut écarter tout ce qui est scabreux, tout ce qui peut être matière à reproche, maintenir les bienséances, et ne laisser arriver que le respect : « Mon discours touche à sa fin, écrit-il à Deleyre (janvier 1779), mais vous ne sauriez croire, mon ami, combien ce travail me déplaît et me fatigue.

2183. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire de la Grèce, par M. Grote »

Ce savant Villoison, qui avait publié le manuscrit de Venise, croyait n’avoir fait qu’apporter un dernier trésor, et le plus riche de tous, dans le temple consacré au vieil Homère ; en réalité il avait apporté un arsenal, un brûlot, une machine de guerre : de cette édition comme du cheval de bois sortit toute une année d’assaillants. Lui, il ne voulut jamais en croire ses jeux, et il mourut dans son aveuglement classique, soutenant qu’une telle impiété, une absurdité aussi monstrueuse que celle des sceptiques ou des négateurs d’Homère ne méritait même pas d’être réfutée8. […] Ils avaient la religion d’Homère, ils croyaient à la tradition, ils n’examinaient point. […] J’étais accoutumé à considérer comme un ensemble chacun des poëmes d’Homère, et je les voyais là séparés et dispersés, et, tandis que mon esprit se prêtait à cette idée, un sentiment traditionnel ramenait tout sur-le-champ à un point unique ; une certaine complaisance que nous inspirent toutes les productions vraiment poétiques me faisait passer avec bienveillance sur les lacunes, les différences et les défauts qui m’étaient révélés. » Mais n’était-ce qu’une illusion et une complaisance de sentiment, comme Gœthe paraît le croire ? […] Grote le reconnaît ; il se refuse néanmoins à croire que ce n’ait été que du temps de Pisistrate, et grâce à une sorte de Commission déjà littéraire et grammaticale, que l’architecture de l’Iliade, telle que nous la possédons, ait été trouvée.

2184. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVe entretien. Littérature grecque. L’Iliade et l’Odyssée d’Homère » pp. 31-64

Quant à nous, nous n’en croyons rien, ou plutôt nous n’en croyons qu’une seule chose : c’est que le tyran lettré d’Athènes, Pisistrate, fit en effet rechercher et recueillir en corps d’ouvrage, par les érudits de son temps, les fragments disséminés des poésies homériques confiés à la seule mémoire des peuples de l’Hellénie et de l’Asie Mineure, après des siècles inconnus de barbarie et d’ignorance qui avaient submergé plus ou moins longtemps ces admirables monuments de l’esprit. Mais nous ne croyons point et nous ne croirons jamais qu’une langue aussi parfaite de construction, d’image, d’harmonie, de prosodie, que la langue de l’Iliade, n’eût pas été écrite avant l’époque où Homère dicta ou chanta ses poèmes aux pasteurs, aux guerriers, aux matelots de l’Ionie. […] III À peine daignerai-je réfuter ceux qui, comme Denys de Thrace, Cicéron et tant d’autres, ont cru que le poète appelé Homère n’avait jamais existé, mais que l’Iliade et l’Odyssée n’étaient que des rapsodies ou des fragments de poésies recousus ensemble par des rapsodes, chanteurs ambulants qui parcouraient la Grèce et l’Asie en improvisant des chants populaires.

2185. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre III. La poésie : V. Hugo et le Parnasse »

Surtout, lorsqu’il eut perdu en 1843 sa fille et son gendre, nouveau-mariés, qui se noyèrent à Villequier, il dit son désespoir, ses souvenirs douloureux, ses appels au Dieu juste, au Dieu bon en qui il crut toujours, dans un livre des Contemplations 871, où la perfection du travail artistique n’enlève rien à la sincérité poignante du sentiment. Il n’est que juste aussi, je crois, d’ajouter que l’amour collectif de l’humanité, des humbles, des misérables, fut très réel chez V. […] On croit entendre les clameurs d’un Isaïe ou d’un Ezéchiel : protestation du droit contre la force, affirmation de la justice contre la violence, espérance superbe de la conscience qui, blessée du présent, s’assure de l’éternité. […] En donnant des titres à ses sept livres, comme il les donne, le poète veut nous faire croire à un ordre intelligible, qui s’évanouit dès qu’on feuillette le recueil. […] N’était la valeur de la pensée philosophique, on croirait par endroits lire un discours de Voltaire.

2186. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre V »

En vérité, c’est à n’y pas croire ! […] On croit d’abord que le poète a voulu personnifier la tartuferie juvénile, et on se dit que ce dadais joue trop bien son rôle. […] Cette bonne dame, affligée d’une lubie chronique, se croit aimée de tous les secrétaires que prend son mari. […] La jeune fille croit qu’il exploite, comme ceux qui l’ont précédé, cette monomanie lucrative, et elle l’écrase de son froid mépris. […] Fernande a assisté, en silence, à ce pénible débat ; elle entend Maxime témoigner loyalement contre lui-même en confessant sa naissance ; elle apprécie le généreux sacrifice qu’il va faire de son amour à son père Au moment où Maxime, qui croit tout perdu, pleure et sanglote, la tête dans ses mains, la jeune fille s’approche de lui et pose sur son front un chaste baiser.

2187. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le Livre des rois, par le poète persan Firdousi, publié et traduit par M. Jules Mohl. (3 vol. in-folio.) » pp. 332-350

Il crut le trouver d’abord dans le gouverneur de sa province, Abou-Manzour, jeune prince rempli de générosité et de clémence, qui lui dit : « Que faut-il que je fasse pour que ton âme se tourne vers ce poème ?  […] Mais bientôt se ravisant, et averti par la voix publique, il prétendit avoir vu en songe Ferdousi au ciel, revêtu d’une robe verte et portant au front une couronne d’émeraudes, et il se crut autorisé à lui payer le tribut qu’on accorde aux fidèles. […] En voyant se succéder tant de dynasties et tant de siècles qui, de loin, semblent ramassés en un jour, le poète a conçu le sentiment profond de l’instabilité des choses humaines, de la fuite de la vie et des années brillantes, du néant de tout, excepté d’une bonne renommée ; car il croit à la poésie et à la gloire. […] Le prisonnier fait semblant de croire que Roustem n’est pas venu, car il craint que ce jeune orgueilleux, dans sa force indomptable, ne veuille se signaler en s’attaquant de préférence à ce chef illustre, et qu’il ne cause un grand malheur. […] … Je voyais les signes que ma mère m’avait indiqués, mais je n’en croyais pas mes yeux.

2188. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits de Fénelon. (1850.) » pp. 1-21

Saint-Simon, dans ses mémoires, a tellement rendu au vif cette entrée de Fénelon à la Cour, cette initiation dans le petit monde particulier de Mme de Maintenon, des ducs de Beauvilliers et de Chevreuse, cette rapide fortune de l’heureux prélat, sitôt suivie de tant de vicissitudes et de disgrâces, tout ce naufrage d’espérances qui est aujourd’hui une touchante partie de sa gloire, qu’on ne saurait que renvoyer à un tel peintre, et que ce serait profanation de venir toucher à de pareils tableaux, même lorsqu’on peut croire qu’il y a quelques traits hasardés. […] Sur ce point nous croyons que le tableau du grand peintre doit subir, pour rester vrai, un peu de réduction, et que sa verve s’est donné trop de saillie. […] Vous avez raison de dire et de croire que je demande peu de presque tous les hommes ; je tâche de leur rendre beaucoup, et de n’en attendre rien. […] Rien ne serait plus sot et plus déplacé ; mais j’ai appris à connaître les hommes en vieillissant, et je crois que le meilleur est de se passer d’eux sans faire l’entendu. — J’ai pitié des hommes, dit-il encore, quoiqu’ils ne soient guère bons. Cette rareté de bonnes gens, qui lui paraît être la honte du genre humain le ramenait d’autant plus à aimer les amis choisis qu’il s’était faits : « La comparaison ne fait que trop sentir le prix des personnes vraies, douces, sûres, raisonnables, sensibles à l’amitié, et au-dessus de tout intérêt. » Une seule fois, on lui surprend encore une curiosité d’esprit, c’est pour le prince Eugène, en qui il a cru apercevoir un vrai grand homme.

2189. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. Le Chateaubriand romanesque et amoureux. » pp. 143-162

On nous a assuré que, quand il voulait plaire, il avait pour cela, et jusqu’à la fin, des séductions, des grâces, une jeunesse d’imagination, une fleur de langage, un sourire qui étaient irrésistibles, et nous le croyons sans peine. […] René, qui se croit en péril de mourir, écrit à Céluta, sa jeune femme indienne, une lettre où il lui livre le secret de sa nature et le mystère de sa destinée. […] Les Mémoires nous feraient croire vraiment qu’il se convertit tout à fait dans ses vingt dernières années, et qu’il n’adora plus qu’une Béatrix unique. […] C’est toujours, on le voit, le René des Natchez qui parle, qui redit sa jeune chanson avec la mélodie dans la voix, et qui croit, même à soixante-quatre ans, pouvoir donner en un jour plus qu’un autre en toute sa vie. […] Je ne fais rien ; je ne crois plus ni à la gloire ni à l’avenir, ni au pouvoir ni à la liberté, ni aux rois ni aux peuples.

2190. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Balzac. » pp. 443-463

Une véritable étude sur le romancier célèbre qui vient d’être enlevé, et dont la perte soudaine a excité l’intérêt universel, serait tout un ouvrage à écrire, et le moment, je le crois, n’en est pas venu. […] Les femmes lui passèrent ensuite bien des choses et le crurent, en toute rencontre, sur parole, pour avoir, une première fois, si bien deviné. […] Il y croyait, et ce sentiment d’une ambition, du moins élevée, lui a fait tirer de son organisation forte et féconde tout ce qu’elle contenait de ressources et de productions en tout genre. […] Il appréciait peu la critique ; il avait fait sa trouée dans le monde presque malgré elle, et sa fougue n’était pas, je crois, de celles qui se peuvent modérer ni diriger. […] Sans prétendre le détourner en rien de sa voie féconde, j’aurais voulu qu’il eut présents à l’esprit quelques axiomes que je crois essentiels en tout art, en toute littérature : La netteté est le vernis des maîtres.

2191. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Confessions de J.-J. Rousseau. (Bibliothèque Charpentier.) » pp. 78-97

L’idée d’écrire des Confessions semble si naturelle à Rousseau, et si conforme à son humeur comme à son talent, qu’on ne croirait pas qu’il y ait eu besoin de la lui suggérer. […] L’erreur de Rousseau n’a pas été de croire qu’en se confessant ainsi tout haut devant tous, et dans un sentiment si différent de l’humilité chrétienne, il faisait une chose unique ou même une chose des plus curieuses pour l’étude du cœur humain : son erreur a été de croire qu’il faisait une chose utile. […] Je ne prévoyais pas que j’aurais des idées ; elles viennent quand il leur plaît, non quand il me plaît. » Ainsi, dans tout ce qu’il a raconté depuis, nous n’aurions, à l’en croire, que des ressouvenirs lointains et des restes affaiblis de lui-même, tel qu’il était en ces moments. […] On a depuis renchéri sur ce style, on a cru le faire pâlir et le surpasser ; on y a certainement réussi pour quelques effets de couleurs et de sons.

2192. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand. (Berlin, 1846-1850.) » pp. 144-164

Et en cela encore il ne fut aussi inconséquent qu’on le croirait. […] Avec des sentiments de justice relative et même d’humanité, Frédéric manquait absolument d’idéal, comme tout son siècle : il ne croyait pas à quelque chose qui valût mieux que lui. […] « Un homme qui ne se croit pas tombé du ciel, dit-il, qui ne date pas l’époque du monde du jour de sa naissance, doit être curieux d’apprendre ce qui s’est passé dans tous les temps et dans tous les pays. » Tout homme doit au moins se soucier de ce qui s’est passé avant lui dans le pays qu’il habite. […] Mais il ne croit devoir consigner en toute chose que ce qui est mémorable et utile. […] Henry, pasteur de l’Église française à Berlin, a écrit une dissertation où il traite de l’irréligion de Frédéric ; sans prétendre l’absoudre sur ce point, le digne écrivain croit qu’on a fort exagéré ce côté français de Frédéric, par lequel il regardait et flattait les philosophes du xviiie  siècle ; il cherche à démontrer que Frédéric, avec une sorte de fanfaronnade, s’est plu à l’exagérer lui-même.

2193. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une préface abandonnée » pp. 31-76

Cela vint, je crois, à propos de V.  […] Je crois inutile d’attendre le bon plaisir du Dictionnaire de l’Académie, qui se hâtera sans doute de définir le mot quand la chose n’existera plus. […] Malgré lui, vous croirez encore aux pommes appétissantes et aux romans savoureux. […] Du reste, Henry Murger semble l’avoir compris ; car, avant la fin même du volume, il est rentré dans son monde d’artistes par une petite nouvelle de vingt pages intitulée Biographie d’un inconnu qui… Je l’appellerais volontiers un chef-d’œuvre, si les camaraderies et les complaisances intéressées n’eussent fait de ce mot une ridicule banalité. — Croyez-moi, quand on prononce de tels actes de contrition, on mérite l’absolution la plus entière, eût-on sur la conscience les deux cents volumes de péchés littéraires de M.  […] ) Pauvre artiste, qui croyais avoir fait une belle toile !

2194. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre III. Personnages merveilleux des contes indigènes »

Ces génies ont ici un caractère si différent de celui des djinns de la légende arabe et des génies tels que nous les concevons que j’ai cru devoir leur conserver le nom générique indigène. […] Je sais cependant qu’au Bouré on croit à l’existence d’un guinné qu’on appelle Sanou (c’est-à-dire l’Or ou le semeur d’or). […] Les guinné d’ailleurs se nourrissent volontiers de végétaux et si, l’on en croit le conte kouranko de Nancy Mâra, ne les mangent qu’à condition qu’ils n’aient pas subi de cuisson. […] Le konkoma malinké est malfaisant gratuitement si l’on en croit le conte de ce nom, le seul que j’aie recueilli sur lui. […] A ce propos je crois bon de noter que le nom de Mâlobali, l’éhonté, l’impudent que portent nombre de Bambara se rapporte à une croyance de cette nature.

2195. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

L’intelligence dit au cœur : « Le monde n’a pas un bon père, « Vois, le mal est partout vainqueur. » Le cœur dit : « Je crois et j’espère ; « Espère, ô ma sœur ! crois un peu ; « Tu mords l’inconnu, je le couve ; « Je suis immortel, je sens Dieu. » L’intelligence lui dit : « Prouve. » C’est sincère. […] Sully Prudhomme soient fiers de lui, et que l’un d’eux nous écrive à son sujet : « Ou je me trompe fort et l’amitié m’égare, ou vous serez frappé de ce volume ; il révèle, si je ne m’abuse, un nouveau mouvement dans la poésie et comme le frémissement d’une aurore encore incertaine. » Je m’explique aussi que l’auteur, à la fin comme au début de son recueil, s’excuse de n’avoir su tout exprimer et tout rendre de ce qu’il voulait étreindre et de ce qu’il sentait : Je me croyais poëte, et j’ai pu me méprendre ; D’autres ont fait la lyre et je subis leur loi ; Mais si mon âme est juste, impétueuse et tendre,     Qui le sait mieux que moi ? […] Quand de bons forgerons dans une forge noire Fredonnent en lançant le marteau sur le fer, Le passant qui les voit s’étonne ; il ne peut croire Qu’on puisse vivre un jour dans ce cruel enfer.

2196. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Le Brun »

Pour moi, j’ai peine à croire qu’il ne fût pas au nombre de ceux dont l’infortuné poëte a dit avec un reproche mêlé de tendresse : Que pouvaient mes amis ? […] On alla jusqu’à dire qu’il l’avait vendue au prince, et, chose fâcheuse pour le caractère de Le Brun, plusieurs ont pu le croire. — Voir son élégie infamante à Némésis, où il trouve moyen de flétrir d’un seul coup sa mère, sa sœur et sa femme ! […] « Je ne crois pas, écrivait Ginguené au rédacteur du journal le Modérateur (22 janvier 1790), que nous ayons beaucoup de vers à mettre au-dessus de cette strophe. » Et Andrieux, l’Aristarque, n’en disconvenait pas ; il avouait que si tout avait été aussi beau, il aurait fallu rendre les armes. […] j’atteste les Cieux que j’ai voulu le croire, J’ai voulu démentir et mes yeux et l’histoire ; Mais non : il n’est pas vrai que les cœurs excellents Soient les seuls en effet où germent les talents.

2197. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre premier. De la première époque de la littérature des Grecs » pp. 71-94

Ils écrivaient sans autre modèle que les objets mêmes qu’ils retraçaient ; aucune littérature antécédente ne leur servait de guide ; l’exaltation poétique s’ignorant elle-même, a par cela seul un degré de force et de candeur que l’étude ne peut atteindre, c’est le charme du premier amour ; dès qu’il existe une autre littérature, les écrivains ne peuvent méconnaître en eux-mêmes les sentiments que d’autres ont exprimés ; ils ne sont plus étonnés par rien de ce qu’ils éprouvent ; ils se savent en délire ; ils se jugent enthousiastes ; ils ne peuvent plus croire à une inspiration surnaturelle. […] Le poète a vu, il vous fait voir ; il a été frappé, il vous transmet son impression, et tous ses auditeurs, à quelques égards, sont poètes aussi comme lui ; ils croient, ils admirent, ils ignorent, ils s’étonnent, et la curiosité de l’enfance s’unit en eux aux passions des hommes. […] Il était permis au génie de se nommer, à la vertu de s’offrir, et tous les hommes qui se croyaient dignes de quelque renommée, pouvaient s’annoncer sans crainte comme les candidats de la gloire. […] On croit que la poésie des Hébreux a précédé celle d’Homère ; mais il ne paraît pas que les Grecs en aient eu aucune connaissance.

2198. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre V. Subordination et proportion des parties. — Choix et succession des idées »

Ne croyez pas que tout ce que l’esprit dans sa première et rapide inspiration a saisi, soit bon. […] De là vient la surprise qu’on éprouve souvent, quand, tout échauffé encore d’une inspiration qu’on croit féconde, on veut faire l’examen rigoureux de ce qu’on a inventé : on sentait en soi un bouillonnement d’idées, prêtes à déborder, et voilà qu’on ne retrouve presque plus rien. […] Je le crois. […] On a saisi son plan, sans avoir songé un moment que c’était son plan qu’il faisait : ou bien on croit l’avoir deviné, lui avoir dérobé son secret, et ce petit et imaginaire triomphe de l’amour-propre enfonce les choses dans l’esprit.

2199. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre II. Diderot »

Pour moi, je suis de mon pays ; seulement le séjour de la capitale et l’application assidue m’ont un peu corrigé. » Denis Diderot540, Langrois devenu Parisien, s’était corrigé en effet, mais non pas de la façon qu’il croyait. […] Quand on s’en tient aux faciles raisonnements de Locke, quand nos gens qui ne s’effraient guère veulent devant Spinoza, non pas devant la hardiesse, mais devant la profondeur de sa doctrine, et craignent de s’y casser la tête, Diderot, sans façon, sans fracas, s’assimile le dur, le grand système de Leibniz : et il n’y a pas d’autre raison, je le crois bien, qui lui ait donné en France la réputation d’être une tête allemande. […] Il n’y aperçoit plus cette nature intérieure que le xviie  siècle étudiait surtout, dont Descartes croyait l’existence plus assurée et la connaissance plus facile que de la nature extérieure. […] « Le premier serment que se firent deux êtres de chair, ce fut au pied d’un rocher qui tombait en poussière ; ils attestèrent de leur constance un ciel qui n’est pas un instant le même ; tout passait en eux, autour d’eux, et ils croyaient leurs cœurs affranchis de vicissitudes.

2200. (1863) Molière et la comédie italienne « Textes et documents » pp. 353-376

Nous avons cité la troupe de Ganassa, qui fit, à ce que l’on croit, connaître à Paris le premier Tabarino et le premier Pagliaccio. […] Arlecchino creduto principe (Arlequin cru prince). […] L’Impegno d’un acaso (les Engagements du hasard), tiré de la pièce de Calderon, Croire ce qu’on ne voit pas et ne pas croire ce qu’on voit, où Douville a pris le sujet des Fausses Vérités.

2201. (1890) L’avenir de la science « XXI »

Les révolutions ne peuvent être que d’odieuses et absurdes perturbations aux yeux de ceux qui ne croient point au progrès. […] Le soufi et le corybante croyaient, en s’égarant la raison, toucher la divinité ; l’instinct des différents peuples a demandé des révélations à l’état sacré du sommeil. […] Il faudrait être bien naïf pour croire que, depuis qu’il y a une conférence du quai d’Orsay, il y aura de plus grands orateurs politiques. […] Mais, quoi que vous fassiez, je vous défie de croire ; je vous défie d’engourdir l’esprit humain sous un charme éternel, je vous défie de lui persuader de ne rien faire, de rester immobile pour ne rien risquer ; car cela c’est la mort.

2202. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VIII. Jésus à Capharnahum. »

Il est remarquable, du reste, que sa famille lui fit une assez vive opposition, et refusa nettement de croire a sa mission 380. […] L’autorité du jeune maître allait ainsi tous les jours grandissant, et, naturellement, plus on croyait en lui, plus il croyait en lui-même. […] La grande importance que prit le judaïsme dans la haute Galilée après la guerre des Romains permet de croire que plusieurs de ces édifices ne remontent qu’au IIIe siècle, époque où Tibériade devint une sorte de capitale du judaïsme.

2203. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXI. Dernier voyage de Jésus à Jérusalem. »

Au lieu de cette faculté illimitée de croire, heureux don des natures jeunes, qu’il trouvait en Galilée, au lieu de ces populations bonnes et douces chez lesquelles l’objection (qui est toujours le fruit d’un peu de malveillance et d’indocilité) n’avait point d’accès, il rencontrait ici à chaque pas une incrédulité obstinée, sur laquelle les moyens d’action qui lui avaient si bien réussi dans le nord avaient peu de prise. […] Un jour, les bas officiers du temple, qui avaient assisté à un des discours de Jésus et en avaient été enchantés, vinrent confier leurs doutes aux prêtres : « Est-ce que quelqu’un des princes ou des pharisiens a cru en lui ? […] Un jour on crut l’embarrasser en lui présentant une femme adultère et en lui demandant comment il fallait la traiter. […] Il déclarait qu’il était venu éclairer les aveugles et aveugler ceux qui croient voir 992.

2204. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XI »

Vingt ans plus tard, aux actes suivants, Jacques Vignot, qui se croit Jacques de Boisceny, fils légitime d’une veuve, et qui a vingt-cinq mille livres de rente, par suite d’un incident que nous rappellerons tout à l’heure, devient amoureux de mademoiselle Hermine Sternay, laquelle est la nièce de son père. […] La grand’mère d’Hermine, qui est aussi sa tutrice, et qui se croit noble comme la reine de Pique, s’est d’ailleurs rebiffée, de toute sa hauteur, lorsqu’on est venu lui demander sa petite-fille pour le fils de Clara Vignot. […] A l’en croire, ce fils, serait jaloux de son père. […] La mesure est légale, légitime même, si l’on veut : M. de la Rivonnière est ruiné, et le revenu qu’il croit à lui n’est que la moitié de la fortune de son fils.

2205. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — I. La Poësie en elle-même. » pp. 234-256

D’autres ont cru puérilement que la poësie avoit été le premier langage de l’homme, qu’il avoit rendu par elle les mouvemens rapides de son ame, ces transports de reconnoissance dont il dut être saisi à la vue du spectacle de l’univers. […] Dom Pernetti, bénédictin de la congrégation de saint Maur, croit avoir trouvé, en dernier lieu, quelque chose de mieux. […] Ils traitent de monstre la fable & tout ce qui y a rapport ; ils croient même le christianisme en danger avec elle. […] Mais Santeuil, le plus enthousiaste & le plus foible des hommes, faisant toujours le contraire de ce qu’il projettoit, changea d’idée : il crut avoir blasphêmé contre le ciel que d’avoir mis, dans une de ses pièces, le seul mot de Pomone.

2206. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VI. Les localisations cérébrales »

Il faisait venir des portefaix, les enivrait, afin que l’abandon du vin lui révélât leur vrai caractère ; puis il tâtait leurs bosses et cherchait des analogies et des rencontres entre le caractère qu’il avait cru découvrir et les protubérances de leurs crânes. […] Plus tard, les phrénologues ont fait usage de l’anatomie comparée ; mais, si l’on en croit l’un d’entre eux, ce serait avec une grande inexpérience. […] Il s’agit là d’un phénomène très-complexe, qui n’a peut-être pas toute la valeur que l’on pourrait croire. […] Or je ne puis me défendre de croire que des organes distincts ont des fonctions distinctes49. » Indépendamment de ces raisons à priori, il est déjà certain aujourd’hui que l’encéphale au moins, sinon le cerveau, est un organe complexe dont les diverses parties ont chacune son rôle, quoique rien ne soit plus difficile à déterminer par l’expérience.

2207. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « De la tragédie chez les Anciens. » pp. 2-20

Je me figure que Thespis, sur l’idée d’Homère, dont on récitait les livres dans la Grèce, crut que des traits de l’histoire ou de la fable, soit sérieux, soit comiques, pourraient amuser les Grecs : il barbouillait même ces acteurs de lie, dit Horace, pour les rendre plus semblables à des satyres ; et il les promenait dans des chariots, d’où il disait souvent des paroles piquantes aux passants : voilà l’origine des tragédies satiriques. […] Il y a lieu de croire que, bien qu’un seul acteur parût et récitât, il supposait une action réelle, et qu’il venait, dans les intervalles du chœur, en rendre compte aux spectateurs, soit par voie de narration, soit en jouant le rôle d’un héros, puis d’un autre, et ensuite d’un troisième. […] Mais il faut convenir qu’en ceci la poésie l’emporte infiniment sur la philosophie, dont les raisonnements trop crus sont un préservatif trop faible ou un remède peu sûr contre les mauvais effets de ces passions : au lieu que les images poétiques ont quelque chose de plus flatteur et de plus insinuant pour faire goûter la raison. […] Mais croira-t-on que ces grands hommes aient travaillé sans dessein ?

2208. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre VI : Règles relatives à l’administration de la preuve »

Sans doute, si l’on croit avec Mill que la cause et l’effet sont absolument hétérogènes, qu’il n’y a entre eux aucune relation logique, il n’y a rien de contradictoire à admettre qu’un effet puisse suivre tantôt une cause et tantôt une autre. […] Pour la peine, au contraire, si l’on a cru qu’elle s’expliquait également bien par des causes différentes, c’est que l’on n’a pas aperçu l’élément commun qui se retrouve dans tous ces antécédents et en vertu duquel ils produisent leur effet commun 84. […] Mais il ne faut pas croire que la sociologie soit dans un état de sensible infériorité vis-à-vis des autres sciences parce qu’elle ne peut guère se servir que d’un seul procédé expérimental. […] En procédant ainsi, on a cru pouvoir dire, par exemple, que l’affaiblissement des croyances religieuses et de tout traditionalisme ne pouvait jamais être qu’un phénomène passager de la vie des peuples, parce qu’il n’apparaît que pendant la dernière période de leur existence pour cesser dès qu’une évolution nouvelle recommence.

2209. (1854) Préface à Antoine Furetière, Le Roman bourgeois pp. 5-22

Le procès du Dictionnaire, une des causes célèbres de la littérature, est trop connu pour que je croie devoir m’en faire en cette occasion le rapporteur après tant d’autres1. […] Furetière, d’ailleurs, ne s’est pas toujours borné, ainsi qu’on a voulu le faire croire, à critiquer les vices et les ridicules particuliers à son temps : le Tarif des partis sortables en mariage, l’Inventaire de Mytophilacte et la Somme dédicatoire, où se trouve formulée l’idée de l’association des gens de lettres telle que nous l’avons aujourd’hui, sont de la satire générale et éternelle. […] Le Carpenteriana corrobore sur ce point le témoignage de Ménage : « Je ne crois pas faire grand tort au corps entier de l’Académie en m’attribuant l’épître et la préface de son Dictionnaire, puisque j’en suis l’auteur. […] Voilà comme je parle toujours, amy de la vérité préférablement à tout le monde, et vous me devez croire aussy quand je vous asseure que je suis sincèrement votre très humble et très obéissant serviteur.

2210. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Nièces de Mazarin » pp. 137-156

Quand un grand homme a cessé de vivre, quand il est sorti de la phase historique qu’il a marquée de la double empreinte de son esprit et de son caractère, il laisse souvent après lui, et dans l’histoire même, quelques gouttes de son sang : — une famille, que la curiosité aime à étudier pour y retrouver les influences de sa gloire et de son génie ; car ceux qui croient le plus à la personnalité du mérite posent, malgré eux, la question de race à propos de tout, comme si c’était une fatalité ! […] Amédée Renée ne croit guères au mariage clandestin d’Anne d’Autriche, et le dément par des lettres fort curieuses qu’il cite. […] Je les crois tous mal acquis ; et, du moins, quand j’ai un arrêt en ma faveur, c’est un titre, et ma conscience est en repos (toujours Alceste).” […] Nous aussi, nous croyons à l’influence bienfaisante de Marie Mancini sur Louis XIV, cet heureux Sardanapale que les femmes auraient amolli, si, au début de sa vie, il n’avait pas trouvé cette Marie qui a inspiré à Amédée Renée un si beau passage, et, au déclin, cette madame de Maintenon, qui n’est pas la plus idéale, la plus héroïque, mais qui est indubitablement la plus respectable des femmes de l’Histoire !

2211. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « De Stendhal »

Quoique homme d’action, il avait, de tout temps, beaucoup regardé dans son âme, — dans cette âme à laquelle il ne croyait pas ! […] Esprit de demi-jour et même quelquefois de ténèbres, cet Excentrique prémédité passa dans la littérature, ou plutôt à côté de la littérature de son temps, « embossé » dans une cape hypocrite, ne montrant qu’un œil, à la façon des Péruviennes sous leur mantille, un seul œil noir, pénétrant, affilé, d’un rayon visuel qui, pour aller à fond, valait bien tous les stylets de l’Italie, mais qui avait, croyez-le bien ! […] Nous avons voulu nous expliquer cette puissance d’un esprit si particulier, souillé par une détestable philosophie au plus profond de sa source, qui n’a ni la naïveté dans le sentiment, ni l’élévation souveraine, car pour être élevé il faut croire à Dieu et au Ciel, ni aucune de ces qualités qui rendent les grands esprits irrésistibles. […] Diderot, qui croit qu’on peut faire de l’âme comme on fait de la chair, est amoureux de l’abstraction.

2212. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Stendhal » pp. 43-59

Quoique homme d’action, il avait, en tout temps, beaucoup regardé dans son âme, — dans cette âme à laquelle il ne croyait pas ! […] Esprit de demi-jour et même quelquefois de ténèbres, cet Excentrique prémédité passa dans la littérature, ou plutôt à côté de la littérature de son temps, « embossé » dans une cape hypocrite, ne montrant qu’un œil, à la façon des Péruviennes sous leur mantille, un seul œil noir, pénétrant, affilé, d’un rayon visuel qui, pour aller à fond, valait bien tous les stylets de l’Italie, mais qui avait, croyez-le bien, la prétention d’être vu et même d’être trouvé beau. […] Nous avons voulu nous expliquer cette puissance d’un esprit si particulier, souillé par une détestable philosophie au plus profond de sa source, qui n’a ni la naïveté dans le sentiment, ni l’élévation souveraine (car, pour être élevé, il faut croire à Dieu et au ciel), ni aucune de ces qualités qui rendent les grands esprits irrésistibles. […] Diderot, qui croit qu’on peut faire de l’âme comme on fait de la chair, est amoureux de l’abstraction.

2213. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre II. La relativité complète »

Nous n’avons donc pas besoin de nous appesantir sur le sens qu’il faut donner à la « déformation des corps », au « ralentissement du temps » et à la « rupture de la simultanéité » quand on croit à l’éther immobile et au système privilégié. […] Il n’en pouvait être ainsi, même dans le cas du mouvement uniforme, quand on croyait à un éther immobile. Il n’en pouvait être ainsi, de toute manière, quand on croyait au caractère absolu du mouvement accéléré. […] Toute apparence doit être réputée réalité tant qu’elle n’a pas été démontrée illusoire, et cette démonstration n’a jamais été faite pour le cas actuel : on a cru la faire, mais c’était une illusion ; nous pensons l’avoir prouvé 15.

2214. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVII. Des éloges en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, en Russie. »

Ce philosophe, né avec plus d’imagination que de profondeur, et qui peut-être avait plus d’esprit que de lumières ; qui s’agita toute sa vie pour être en spectacle, mais à qui il fut plus facile d’être singulier que d’être grand ; qui courut après la renommée avec l’inquiétude d’un homme qui n’est pas sûr de la trouver ; qui quitta sa patrie, parce qu’il n’était pas le premier dans sa patrie, qui s’ennuya loin d’elle, parce qu’il n’avait trouvé que le repos, et qu’il avait perdu le mouvement et des spectateurs ; qui, trop jaloux peut-être des succès des sociétés, perdit la gloire en cherchant la considération ; frappé de bonne heure de la grande célébrité de Fontenelle, avait cru devenir aussi célèbre que lui en l’imitant. […] Ce qui nous le ferait croire, c’est qu’il loua encore le tyran après sa mort. […] Ne croirait-il pas ou que son absence a duré des siècles, ou que le genre humain s’est réuni pour créer en si peu d’années tant de merveilles, ou que ce spectacle étonnant n’est que l’effet et l’illusion d’un songe ?  […] Cette idée digne des anciens Grecs, qui croyaient que le génie des grands hommes veillait toujours au milieu d’eux, et que leur âme était présente parmi leurs concitoyens pour animer et soutenir leurs travaux, est peut-être le plus bel hommage qui ait été rendu au législateur de la Russie.

2215. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française — II. La Convention après le 1er prairal. — Le commencement du Directoire. »

Plusieurs témoins respectables y ont cru et y croient encore ; ils n’ont vu dans le sans-culottisme que le travestissement d’une faction ennemie de la liberté, et dans la Terreur que l’égarement du peuple par quelques meneurs à intentions perfides. […] Nous ne le mentionnons ici, que parce que, sur la foi des louanges qu’il a obtenues et qu’il mérite en partie, on pourrait croire qu’il ressemble au livre de M. 

2216. (1874) Premiers lundis. Tome II « Quinze ans de haute police sous Napoléon. Témoignages historiques, par M. Desmarest, chef de cette partie pendant tout le Consulat et l’Empire »

Il n’est pas juste que la France souffre, tiraillée entre deux hommes… Moi dans sa position et lui dans la mienne, je serais son premier aide de camp… s’il se croit en état de gouverner… (Pauvre France !) […] Desmarest s’étend peu sur les conspirations militaires du Consulat qu’on a rattachées aux Philadelphes et au nom mystérieux d’Oudet ; il a l’air d’y croire médiocrement, et, dans l’exposé qu’il donne de l’équipée audacieuse de Mallet, il atténue, ce nous semble, l’importance qu’elle aurait pu acquérir. […] Est-ce méconnaître l’homme, que de lui croire un petit reste de rancune pour la prison de quelques heures qu’il a partagée avec MM. 

2217. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. De l’influence de la philosophie du xviiie  siècle sur la législation et la sociabilité du xixe . »

Lerminier ait traité si durement ce qu’il appelle l’ éclat futile de la gloriole des lettres  ; pour nous, qui croyons, en le lisant, que l’éclat des lettres sert de beaucoup à propager et à illustrer les vérités, nous le trouvons ingrat en ceci, comme Malebranche dans sa colère contre l’imagination. […] Lerminier contre cet auteur profond, il aurait mentionné avec quelque détail le mystique précurseur et, je crois même, inspirateur de De Maistre. […] Lerminier, c’est que ce livre nous ayant paru le meilleur, le plus ferme et le mieux exprimé de ceux qu’il a produits jusqu’ici, nous avons cru le moment propice à quelques conseils que notre admiration pour la rare faculté de l’auteur et notre confiance en son avenir feront peut-être agréer de lui, mais que du moins il nous pardonnera.

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