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881. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (2e partie) » pp. 305-367

Il s’agit de la rénovation presque complète du monde religieux, moral et politique. […] La seconde de ces tendances, c’est la liberté religieuse, longtemps effacée des constitutions civiles de l’Europe, et devant, selon moi, reprendre sa place naturelle, c’est-à-dire la première place, dans les indépendances de l’âme et par l’indépendance des cultes desservis par eux-mêmes, avec indemnité préalable des établissements et des individus consacrés antérieurement au culte de l’État. C’est la plus difficile des libertés à établir consciencieusement, mais c’est la plus sainte et la plus favorable à l’action religieuse sur les sociétés dont l’âme est toujours une foi libre.

882. (1863) Cours familier de littérature. XV « XCe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (3e partie) » pp. 385-448

j’ai cette confiance, que tes sentiments religieux me donnent, que la miséricorde de Dieu m’inspire. […] oui, cette foi lui était revenue vive et profonde ; cela s’est vu dans des actes religieux, des prières, des lectures, et dans ce baiser à la croix fait avec tant d’âme et d’amour un peu avant de mourir ! […] Figurez-vous tout ce qu’il y a de naïf dans l’enfant, d’aimant dans la jeune vierge, de tendre dans la fille, de dévoué dans la sœur, d’affectueux dans l’amie, de religieux dans le sentiment, de pittoresque dans le coup d’œil, de délicat dans la perception, de nouveau dans le sens des choses morales et des paysages, sortant sans prétention, sans étude et sans effort, pendant vingt ans, d’une âme qui s’oublie elle-même pour se révéler à son Dieu, et qui trouve des accents, des images, des soupirs, des hymnes, comme l’éclair trouve son chemin dans les nuages, et comme l’abeille trouve son parfum dans les bouquets du printemps sur l’océan de fleurs de la prairie : voilà ce style !

883. (1902) Le culte des idoles pp. 9-94

Notre art de penser, notre manière de sentir, de goûter la vie, d’imaginer l’amour, voilà nos trésors les plus chers. » C’est la singularité d’Hugues Rebell, que ce contempteur de la morale religieuse et sociale fut un moraliste à rebours, réclamant la liberté des instincts et rêvant d’hommes capables de produire des œuvres viriles. […] C’est l’avocat de tous les partis ; ou plutôt c’est l’adversaire de toutes les causes ; et si les bibliothèques municipales ont son Ancien régime, en revanche les bibliothèques religieuses possèdent sa Révolution. […] Sophie Arnould, cette charmante femme, qui était la joie, l’esprit, la gaieté de son siècle, est devenue, en passant par le cabinet de travail de M. de Goncourt, plus agaçante qu’une religieuse janséniste.

884. (1902) La métaphysique positiviste. Revue des Deux Mondes

Renouvier ajoute que « la phase religieuse du positivisme est la plus violente et la plus extraordinaire négation de sa phase première », c’est sa logique, à lui, qu’il ne craint pas, comme autrefois Littré, de substituer à la réalité des faits. […] Après quoi, s’ils ont démontré, par leur exemple, qu’en dépit des logiciens et des ethnographes, l’homme est un animal naturellement « métaphysique » et « religieux », on ne s’étonnera pas que j’insiste sur l’importance de la démonstration. […] De menus détails, capables de piquer la curiosité des esprits actifs et de servir de passe-temps à ceux qui n’ont rien de mieux à faire, fort indifférens pour celui qui voit dans la vie une chose sérieuse, et se préoccupe avant tout des besoins religieux et moraux de l’homme.La science ne vaut qu’autant qu’elle peut rechercher ce que la révélation prétend enseigner5. » Ai-je besoin de citer encore ?

885. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre II : Règles relatives à l’observation des faits sociaux »

Nous nous passionnons, en effet, pour nos croyances politiques et religieuses, pour nos pratiques morales bien autrement que pour les choses du monde physique ; par suite, ce caractère passionnel se communique à la manière dont nous concevons et dont nous nous expliquons les premières. […] Il fut un temps où les sentiments relatifs aux choses du monde physique, ayant eux-mêmes un caractère religieux ou moral, s’opposaient avec non moins de force à l’établissement des sciences physiques. […] Les faits auxquels s’applique sa formule de la criminalité ne représentent qu’une infime minorité parmi ceux qu’elle devrait comprendre ; car elle ne convient ni aux crimes religieux, ni aux crimes contre l’étiquette, le cérémonial, la tradition, etc., qui, s’ils ont disparu de nos Codes modernes, remplissent, au contraire, presque tout le droit pénal des sociétés antérieures.

886. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vii »

Je note cet état d’esprit profondément religieux pour donner toute sa vérité à cette jeune figure et montrer les sources de sa vertu. […] Combien de siècles de civilisation courtoise et religieuse il a fallu pour mûrir un si noble enfant. […] Jules Véran me raconte qu’un soir, au Mort-Homme, quand l’heure de l’attaque approchait pour un régiment provençal et que les chefs inquiets d’un bombardement effroyable se demandaient si leur signal serait entendu, une voix entonna la Coupo santo de Mistral… C’est un hymne religieux, vous savez de quelle beauté, à la gloire de la terre et des traditions, et qui réunit dans l’enthousiasme tous les fils du génie provençal… Une voix entonna, tous s’y joignirent et, la minute sonnée, c’est aux accents de cette Marseillaise de Maillane que les soldais du 15e corps conquirent la citation dont ils sont aujourd’hui si fiers…

887. (1925) Feux tournants. Nouveaux portraits contemporains

Sa flamme enfin, qu’on ne peut discuter, me paraît être une active reconnaissance du principe religieux essentiel. […] Au premier tome de l’Inquiétude religieuse 13, ce sont les précurseurs de Newman, Sydney Smith, publiciste et clergyman, orateur populaire ; Pusey, le vulgarisateur de la politique libérale, et le cardinal lui-même, dont Bremond raconte les aventures spirituelles ; c’est son premier livre de psychologie religieuse. […] L’Histoire littéraire du sentiment religieux 16 devait être primitivement l’Histoire du sentiment religieux en Angleterre. « Il y a tant de maudits en Angleterre », disait-il. […] Barrès y trouva un aliment à sa curiosité religieuse, une nourriture magnifique. […] Histoire littéraire du sentiment religieux en France depuis la fin des guerres de religion jusqu’à nos jours (11 vol.), Bloud & Gay, 1916-1933.

888. (1904) Propos littéraires. Deuxième série

Religion est pour eux commandement extérieur ; esprit religieux est pour eux abdication de la volonté. […] Le rationalisme est venu plus tard, comme un idéalisme mitigé, apaisé et tranquille, très contempteur encore du naturalisme et allié très naturel de l’idéalisme religieux. […] Rien ne montre mieux la nécessité de l’idéalisme, sous forme religieuse ou sous autre forme, que l’inanité pitoyable d’une morale qui prétend se passer de lui. […] Ceux qui ont perdu toute trace même d’instinct religieux, n’ont point de morale du tout, ou en fabriquent une qui n’a aucune vertu. […] Au lieu de dire : « En tel pays, les âmes tendres et mélancoliques passèrent peu à peu de la simple tristesse à une sorte d’exaltation religieuse », celui qui parle genres littéraires dira : « L’élégie, en ce pays-là, se transforma peu à peu en méditation religieuse. » Et voilà un exemple d’évolution d’un genre.

889. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1864 » pp. 173-235

— Le latin est d’essence amoureux et religieux. […] La pension, vendue à une ancienne religieuse et devenue un pensionnat de demoiselles, il était placé avec son jeune frère, rue Popincourt, chez Planche. […] Ainsi, je viens de lire dans un roman, la description d’un salon religieux : tout s’y tient, tout s’y suit, depuis le portrait gravé du comte de Chambord jusqu’à la photographie du pape. […] je me rappelle avoir vu, dans le décor sacro-saint du salon du comte de Montalembert, un portrait de religieuse, qui était le costume de comédie d’une de ses parentes, jouant dans une pièce du xviiie  siècle.

890. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Le Comte Léon Tolstoï »

L’écrivain en qui était déposée la vertu suprême de donner la vie, d’en reproduire les innombrables formes, de la comprendre totalement dans un immense embrassement d’intelligence, s’est détourné de soi, s’est repris au monde avec lequel il était entré en une plus intime communion qu’il n’appartient d’habitude à un homme, et s’est réduit aux pensées étroites d’un religieux qu’inquiètent seulement la pratique et la prédication d’une doctrine selon les pauvres d’esprit. […] Dans La Guerre et la Paix, le prince André Bolkonsky, ardent, aigu, tenace avec la sentimentalité secrète des penseurs amers, est mené du tumulte des champs de bataille à l’activité verbeuse des salons politiques, séquestré dans son bien, enlacé dans un délicat amour, perdu par le dédale de croyances abandonnées et reprises, mêlé à mille événements historiques et intimes, agité de pensées et d’émotions innombrables jusqu’à ce que, blessé mortellement, il paraisse, en sa longue agonie, dans le déchirement de tous les voiles, entrevoir la solution de toutes les détresses, pour s’éteindre comme distrait de cette terre par de formidables intuitions ; le prince Pierre, lourd, énorme, charnu et charnel comme un animal, mais sourdement miné des mêmes inquiétudes, épris et déçu des hommes, jeté hors de lui-même par les systèmes théosophiques et religieux qui l’attirent tour à tour, s’abandonne à ses poussées de foi et d’appétits, s’appesantit de la grosse sensualité de ses compagnons de club, jusqu’à ce que, dans le trouble de Moscou pris, s’affolant confondu dans la foule et frôlant la mort, il rencontre, parmi les prisonniers auxquels il s’appareille, un pauvre hère de doux soldat paysan qui le console et le met pour toujours en paix par quelques simples mots de bonté, crise dont il émerge presque guéri, heureusement marié, mais avec on ne sait quel désarroi brouillon encore dans un esprit mal dégrossi et aventureux aux hasards politiques. […] Que l’on rapproche ces actes d’un sérieux humain singulièrement profond et simple, de la bonté sénile du vieux Rostow, de l’infinie faiblesse de géant du prince Pierre, que l’on note que la scène la plus grave de La Guerre et la Paix est celle où le soldat Karalaïef raconte, dans l’obscurité puante d’une chambrée de prisonniers, l’histoire comme évangélique d’un marchand injustement condamné pour un assassinat, heureux de souffrir et pardonnant au scélérat qui le fait mourir au bagne, et l’on reconnaîtra que l’impression dernière de ce livre de batailles est religieuse, morale, pénétrée de bon vouloir et d’amour. […] Il fallait qu’en cette vie, dès ce moment, les hommes devinssent meilleurs et plus heureux, que cela fût facile, simple, instantané ; et le psychologue le plus génial de ce temps, celui dont la large âme a pénétré et recréé toute la multitude des types divers, qui a compris et fixé le plus véridiquement le plus large fragment du spectacle du monde, en est venu ces dernières années à élaborer un pauvre manuel de morale pratique ne contenant que quelques règles, mais telles que le plus religieux des hommes passerait pour fou à tenter de les accomplir, prônées cependant comme tout aisées, praticables sur l’heure, de nature à donner immédiatement le plein bonheur, et se résumant en ce précepte, de ne faire en aucune occasion de mal à qui que ce soit, même pour se défendre des méchants.

891. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIe entretien » pp. 5-85

Nous avons vu cela dans le moyen âge, quand l’esprit humain, désorienté par la disparition du vieil univers religieux, intellectuel et politique, se sauva dans les thébaïdes d’Orient et dans les monastères d’Europe, pour s’y suicider mystiquement dans le mépris de la vie et dans les frissons de l’éternité. […] Cette langue russe, combinée d’énergie tartare, de mélodie grecque, de mollesse slave, de rêverie allemande, de clarté française, instrument à mille voix, comme l’orgue des basiliques, est éminemment propre au lyrisme, au gémissement de la mélancolie du Nord, comme à l’enthousiasme religieux du Midi. […] Nous ne parlons point ici de l’Orient, parce qu’il dort ; il dort après des siècles de fécondité littéraire, religieuse et philosophique. […] — Elle était double dans mon esprit : premièrement, être prête à descendre en Piémont, au premier signal de péril de cette puissance ; secondement, être prête à réprimer les agitations religieuses, civiles, socialistes et démagogiques qui pouvaient éclater à chaque instant dans le midi de la France, plus passionné que le nord, à Lyon, à Avignon, à Marseille, à Toulon, dans tout le bassin de la Saône et du Rhône.

892. (1856) Cours familier de littérature. II « XIIe entretien » pp. 429-507

Nous sommes convaincu qu’il y a eu avant nous une humanité primitive tout aussi bien douée, et, disons franchement notre pensée, qui est en cela la pensée des livres sacrés, de toutes les grandes races religieuses ou historiques du globe, qu’il y a eu une humanité mieux douée de lumière, de vérités divines, de facultés et de bonheur que nous. […] En contradiction avec le système des philosophes du progrès continu et indéfini, il est certain que, plus on remonte de civilisation en civilisation, de livres en livres, de traditions religieuses en traditions religieuses, vers cette profondeur inconnue des temps qu’on appelle les temps antédiluviens, plus on entrevoit de lueurs divines ou de crépuscules d’aurore lumineuse dans l’esprit humain. […] Il raconte, il discute, il écoute, il répond, il s’irrite, il interpelle, il apostrophe, il invective, il gronde, il éclate, il chante, il pleure, il se moque, il implore, il réfléchit, il se juge, il se repent, il s’apaise, il adore, il plane sur les ailes de son religieux enthousiasme au-dessus de ses propres déchirements ; du fond de son désespoir il justifie Dieu contre lui-même ; il dit : « C’est bien ! 

893. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIe entretien. Littérature italienne. Dante. » pp. 329-408

Le matin, c’était un diplomate habile et consommé, traitant avec une autorité polie les intérêts de la France à Rome ; le soir, c’était un érudit presque monastique, élucidant avec des religieux et des bibliothécaires le texte d’un vers du Dante ou le sens d’une allusion obscure de ce poète aux hommes et aux événements de son temps. […] C’est ce sens mystique et symbolique des amours et de la poésie de Dante qu’Ozanam s’efforce de découvrir, et c’est dans ce sens mystique et symbolique du poème qu’il s’efforce aussi de faire reconnaître et admirer la philosophie religieuse du moyen âge chrétien. […] Ses poésies lyriques, qui ont précédé la composition de son poème, ont gardé les traces de ses affections profanes et passagères, qu’il essaya en vain de voiler à demi sous des allusions symboliques. » « La poésie épique », dit plus loin le jeune commentateur, « apparaît, à son origine, revêtue d’un caractère sacerdotal, se mêlant à la prière et à l’enseignement religieux ; c’est pourquoi, dans les temps même de décadence, le merveilleux demeure un des préceptes de l’art poétique. […] Un esprit tel que le sien eût été bien nécessaire à ce temps de contention pénible où la philosophie, redevenue religieuse, et où l’orthodoxie, redevenue platonicienne, si elles ne peuvent pas se confondre, cherchent néanmoins à s’avancer dans une concorde divine sur la double voie que la raison et le cœur cherchent vers le même but : la science est le service de Dieu.

894. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

Si j’avais concentré toutes les forces de ma sensibilité, de mon imagination, de ma raison, dans la seule faculté poétique ; si j’avais conçu lentement, écrit paisiblement, retouché sévèrement mon épopée sur un de ces grands et éternels sujets qui touchent à la fois à la terre et au ciel ; si j’avais semé à travers les dogmes et les hymnes de la philosophie religieuse ces épisodes d’héroïsme, de martyres et d’amour qui font couler autant de larmes que de vers dans les épopées du Tasse, de Camoëns ou du Dante ; si j’avais encadré mes drames épiques dans ces grandioses descriptions du ciel astronomique ou dans ces descriptions de la nature pastorale et maritime, de la terre et de la mer ; si j’avais emprunté les pinceaux et les couleurs tour à tour des grands poètes épiques de l’Inde, d’Homère, de Virgile, de Théocrite, et si j’avais répandu à grandes effusions toute la tendresse et toute la mélancolie de l’âme moderne d’Ossian, de Byron ou de Chateaubriand, dans ces sujets ; je me flatte, sans doute, mais je crois, de bonne foi, que j’aurais pu accomplir quelque œuvre, non égale, mais parallèle aux beaux monuments poétiques de nos littératures. […] Et, à ce sujet, je ne puis m’empêcher de vous faire observer, en passant, que l’enfant, l’adolescent, le jeune homme, l’homme fait prendraient bien plus de goût à la littérature et à la poésie si les maîtres qui la leur enseignent proportionnaient davantage leurs leçons et leurs exemples aux différents âges de leurs disciples ; ainsi, aux enfants de dix ou douze ans, chez lesquels les passions ne sont pas encore nées, des descriptions champêtres, des images pastorales, des scènes à peine animées de la nature rurale, que les enfants de cet âge sont admirablement aptes à sentir et à retenir ; aux adolescents, des poésies pieuses ou sacrées, qui transportent leur âme dans la contemplation rêveuse de la Divinité, et qui ajournent leurs passions précoces en occupant leur intelligence à l’innocente et religieuse passion de l’infini ; aux jeunes gens, les scènes dramatiques, héroïques, épiques, tragiques des nobles passions de la guerre, de la patrie, de la vertu, qui bouillonnent déjà dans leur cœur ; aux hommes faits, l’éloquence, qui fait déjà partie de l’action, l’histoire, la philosophie, la comédie, la littérature froide, qui pense, qui raisonne, qui juge ; la satire, jamais ! […] L’éducation éminemment religieuse qu’on nous donnait chez les jésuites, les prières fréquentes, les méditations, les sacrements, les cérémonies pieuses répétées, prolongées, rendues plus attrayantes par la parure des autels, la magnificence des costumes, les chants, l’encens, les fleurs, la musique, exerçaient sur des imaginations d’enfants ou d’adolescents de vives séductions. […] J’ai peint dans Jocelyn, sous le nom d’un personnage imaginaire, ce que j’ai éprouvé moi-même de chaleur d’âme contenue, d’enthousiasme saint répandu en élancements de pensées, en épanchements et en larmes d’adoration devant Dieu, pendant ces brûlantes années d’adolescence, dans une maison religieuse.

895. (1884) Articles. Revue des deux mondes

Il serait bien superflu de discuter sérieusement une formule du progrès qui ne tient aucun compte de l’antique Orient, qui place le développement esthétique avant le développement religieux, — comme si le peuple hébreu, dont la religion fut toute la vie, n’avait pas précédé dans l’ordre des temps le peuple grec, — une formule qui semble méconnaître l’admirable génie scientifique de la Grèce, le génie industriel et commercial des Phéniciens. […] Il lui manque l’intelligence et l’énergie, l’amour de la vérité, le sentiment de la dignité personnelle, les convictions morales et religieuses qui constituent la véritable humanité, et voilà pourquoi la nature se conduit envers lui comme une ennemie ; mais donnez-lui toutes ces qualités, et la nature aussitôt se mettra de son côté. […] Elle se trahit dans de rares passages où elle donne à la sévérité du style d’Aristote l’accent imprévu d’une religieuse émotion : « Même dans ceux des détails qui peuvent ne pas flatter nos sens, la nature, qui a si bien organisé les êtres, nous procure à les contempler d’inexprimables jouissances pour peu qu’on sache remonter aux causes et qu’on soit réellement philosophe. […] De même dans l’étude des animaux, quels qu’ils soient, il n’y a jamais non plus à détourner nos regards dédaigneux, parce que, dans tous sans exception, il y a quelque chose de la puissance de la nature et de sa beauté. » III Il semblera peut-être que ces vues philosophiques et religieuses, pour grandes qu’elles soient, loin d’ajouter à la valeur scientifique de l’œuvre, ne peuvent que la compromettre aux yeux des hommes du métier.

896. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

L’innovation de Massillon, venant après Bourdaloue, fut d’introduire le pathétique et un sentiment plus vif et plus présent des passions humaines dans l’économie du discours religieux, et d’attendrir légèrement la parole sacrée sans l’amollir encore. […] On venait à lui ; on trouvait l’honnête homme, le religieux éclairé, affectueux, un peu faible pourtant.

897. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — II. (Fin.) » pp. 36-54

Les religieuses sont pourtant séparées, mais j’occupe une partie de leurs logements… » Interrogé sur un cas de conscience lorsqu’il venait de donner un conseil royal et de politique, Fénelon souffre évidemment ; il rassure en deux mots son élève : « Vous ne devez avoir aucune peine, lui dit-il, de loger dans la maison du Saulsoir : vous n’avez rien que de sage et de réglé auprès de votre personne ; c’est une nécessité à laquelle on est accoutumé pendant les campements des armées. » Mais il fait précéder sa réponse sur ce point-là de bien des avis plus généraux que le duc de Bourgogne devait être capable d’entendre : « On dit que vous êtes trop particulier, trop renfermé, trop borné à un petit nombre de gens qui vous obsèdent. […] Ces générations plus jeunes et pleines de nouveaux désirs, qui souffraient impatiemment le long règne et la sujétion muette imposée par Louis XIV, devraient, ce semble, se tourner avec faveur du côté d’un héritier plus ou moins prochain qui s’annonce avec des maximes contraires ; mais loin de là : au lieu de cette faveur, elles n’ont que rage à l’avance et fureur de calomnie contre ce futur roi, parce qu’on le sait vertueux et religieux.

898. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — II » pp. 435-454

Le second méfait que se reprochait Bonstetten avait pour objet de pauvres religieuses de Thonon qui, fuyant devant les premières colonnes de M. de Montesquiou, s’étaient décidées à traverser le lac et à chercher un asile sur l’autre rivage. […] Des deux papiers je pris l’un pour l’autre ; je donnai gravement au fondé de pouvoir des religieuses le laissez-passer préparé pour les veaux.

899. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

Pour Béranger, les passions en jeu étaient autrement vivaces ; toutes les anciennes rancunes ont profité de cette impatience du public (je ne dis pas du peuple, qui lui est resté fidèle) et se sont réveillées : rancunes légitimistes, rancunes religieuses, rancunes littéraires, et celles-ci très-vives, de la part des raffinés, qui méprisent sur toute chose le bourgeois et les succès qu’il consacre. […] On avait vu, à propos du Béranger des Familles, descendre des hauteurs où il se tient d’ordinaire, et se lancer dans l’arène, un esprit fin, délicat, élevé, un peu dédaigneux, une intelligence aristocratique, et qui a gardé des abords du sanctuaire et du commerce des Prophètes l’habitude du respect et une sorte de démarche religieuse jusque dans la suprême philosophie.

900. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Des prochaines élections de l’Académie. »

La majorité de l’Académie, en ce temps-là, était plutôt voltairienne et philosophique que religieuse ; on fit une élection littéraire quelconque, et M.  […] Puisqu’il s’agit non-seulement d’un prêtre, mais d’un religieux à remplacer au sein de l’Académie, il était tout simple que quelques personnes pensassent au Père Gratry, oratorien.

901. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Connaissait-on mieux la nature humaine au XVIIe siècle après la Fronde qu’au XVIIIe avant et après 89 ? »

Weiss nous le rappelle, il n’est pas jusqu’à l’honnête et sensée Mme de Motteville qui ne fasse là-dessus ses remarques très philosophiques ou du moins d’une morale très religieuse. […] Mais qu’on n’aille pas dire, à cause de cette inévitable imprévoyance mêlée à tant d’espérances légitimes et depuis justifiées, que le xviiie  siècle, dans son ensemble comme dans son élite, ne reste pas incomparablement supérieur à la seconde moitié du xviie  siècle par les lumières et la connaissance de l’homme vrai, de l’homme moderne en société, de l’homme civil, religieux, politique, tel qu’il sort et se prononce dans les cahiers des États-Généraux, et tel qu’il se retrouve, somme toute, après le naufrage même, au temps du Consulat : ce serait substituer un préjugé littéraire à un fait positif, à une vérité historique incontestable.

902. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

«  J’arrivai le premier à Roncevaux, où je trouvai les religieux de l’abbaye qui sortaient de l’église, où ils avaient été remercier Dieu de ce que les Français n’avaient pu passer à Roncevaux ; ils furent donc dans une grande surprise de nous voir. […] Les historiens de notre époque, qui voudront être complets et définitifs sur cette branche religieuse du règne de Louis XIV, auront ici souvent à consulter Foucault pour montrer par plusieurs faits qu’il constate, à quelles absurdités et à quelles, impossibilités, l’on est conduit, quand on veut tenir un royaume comme le curé d’une paroisse tient un catéchisme de persévérance.

903. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre V. De la littérature latine, pendant que la république romaine durait encore » pp. 135-163

Plus religieux que les Grecs, quoique moins fanatique ; plus obéissant aux autorités politiques, moins enthousiaste, et par conséquent moins jaloux des réputations individuelles, il n’était jamais privé de l’exercice de sa raison par aucun événement de la vie humaine. […] Un sentiment religieux consacrait tout ce qui leur était cher.

904. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre II. L’éloquence politique »

Il n’y a plus d’éloquence religieuse après Massillon, du moins dans l’église catholique : car lorsque Rousseau parle sur la Providence et la conscience, sur la religion et sur la morale, nous avons reconnu dans sa parole une inspiration protestante ; notre grand orateur philosophique est un prêcheur de Genève. […] Cependant, comme aux deux siècles précédents, les agitations parlementaires font parfois appel ou donnent issue aux facultés oratoires des magistrats : dans les querelles religieuses de la première moitié du siècle, on distingue l’âpre fermeté du janséniste abbé Pucelle, dans les luttes du Parlement contre la cour et les ministres qui précèdent la Révolution, les fougueux emportements de Duval d’Epréménil.

905. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre premier. La contradiction de l’homme » pp. 1-27

Chez le chien, on l’a souvent fait remarquer, vivent, au moins sous des formes rudimentaires, les sentiments religieux et les sentiments moraux. […] Parfois un homme renonce à la vie plutôt que de laisser périr d’autres hommes, ou plutôt que de ne pas obéir à des commandements moraux ou religieux que la société lui a inculqués, et qui représentent, en lui et pour lui, soit les désirs d’autrui, soit la société, soit la volonté de Dieu, ou quelque rêve d’idéal, quelque obscure loi d’un monde meilleur vaguement entrevu.

906. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre V. La littérature et le milieu terrestre et cosmique » pp. 139-154

Port-Royal des Champs, qui est en ce temps-là un foyer si actif de vie religieuse et morale, est situé dans la banlieue, et la famille Arnauld est parisienne. […] Bayle a pris prétexte d’un fait semblable pour émettre ses idées sur la tolérance religieuse.

907. (1886) De la littérature comparée

. — À mesure qu’il avance dans sa carrière d’écrivain, Sainte-Beuve tend à rapprocher davantage la critique de l’histoire : ses études, dont le recueil constitue un document si précieux pour l’histoire des lettres modernes, s’écartent de plus en plus du point de vue essentiellement esthétique de ses devanciers et de ses contemporains ; ses appréciations s’entourent de notes sur les ascendants de l’auteur, qu’il examine, sur sa famille, sa ville, sa province, sa race ; puis sur son enfance, sur l’éducation qu’il a reçue, sur les influences qu’il a subies ; puis il recherche quelles ont pu être ses opinions sur les matières les plus importantes : quelles étaient ses croyances religieuses ? […] La Grèce avait tiré sa littérature et ses arts de ce sens spécial que les Grecs désignaient par le mot mélodieux d’eurythmie ; Rome avait construit sur le civisme sa robuste civilisation, si pauvre d’ailleurs en œuvres originales ; l’Europe du Moyen-Âge, ces États hétérogènes formés comme par hasard par des mélanges et des heurts de nations, cette Europe informe et désordonnée comme une chanson de geste, que la diplomatie de plusieurs siècles n’a pas encore réussi à partager équitablement, cette Europe marchait et travaillait pourtant sous l’impulsion d’un sentiment tout aussi grand que l’eurythmie et le civisme : la foi religieuse.

908. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — I. » pp. 201-219

Le père de Beaumarchais, horloger de son état, et qui éleva son fils dans la même profession, paraît avoir été un homme bon, cordial, et qui avait conservé, des habitudes protestantes, un fonds de conviction et d’affection religieuse. […] Et il revient plus d’une fois sur ce caractère religieux de son père : « Mes amis se taisaient, mes sœurs pleuraient, mon père priait. » Ce père sensible, honnête, vertueux, qui a de la solennité et de la bonhomie dans l’effusion des sentiments, écrivait un jour à son fils qui était en Espagne, et qui y était allé pour venger l’une de ses sœurs (1764), une lettre qu’on a publiée25 et qui serait digne du père de Diderot, ou de Diderot lui-même faisant parler un père dans un de ses drames : Tu me recommandes modestement de t’aimer un peu.

909. (1912) L’art de lire « Chapitre III. Les livres de sentiment »

Au XVIe siècle, un humaniste est un homme que le problème religieux, ou plus exactement ce qu’il y a de problèmes dans le sentiment religieux et dans la croyance, ne torture pas ; au XVIIe siècle, « le partisan des anciens » est un homme que la gloire de Louis le Grand, encore qu’elle le touche, n’éblouit point et n’hypnotise pas ; au XVIIIe siècle, l’homme de goût (très rare) est celui qui n’est pas très persuadé que l’univers vient pour la première fois d’ouvrir les yeux à la raison éternelle et que le monde date d’hier, d’aujourd’hui ou plutôt de demain ; au XIXe siècle, le classique, vraiment digne de ce nom, est celui qui n’est pas comme subjugué par les Hugo et les Lamartine et qui s’aperçoit, de tout ce qu’il y a, Dieu merci, de classique dans Hugo, Lamartine et Musset, et qui garde assez de liberté d’esprit pour lire Homère pour Homère lui-même et non pas en tant qu’homme qui annonce Hugo et qui semble quelquefois être son disciple.

910. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Philarète Chasles » pp. 111-136

L’humble religieuse lui aurait pour toujours engravé dans l’âme ce Christianisme fécondant sans lequel il n’y a dans la vie intellectuelle ni consistance, ni force réelle, ni grandeur, ni même gravité, et il aurait plus tard retrouvé, à coup sûr, toutes ces puissances-là, à l’heure où se déclara son ardente vocation littéraire. […] J’y trouve le protestantisme politique et philosophique, sans l’affreux cant, il est vrai, du protestantisme religieux.

911. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Michelet »

— des religieuses, franchirent les vaines barrières de convenance ou d’opinion, comme on fait quand on est malade… ». […] Dans l’histoire, parlant aux hommes, qui peuvent tout lire, il est athée hardi et sonore, comme il le fut, par exemple, dans son Histoire de la Révolution, quand il se rangea, contre le Dieu du trop religieux Robespierre, du côté de la Nature de Chaumette, Marat et Danton.

912. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Vigny »

Mais c’est d’une puissance humaine qui en fait quelque chose d’à part, — puisque ce n’est pas religieux comme nous entendons qu’on doive l’être, — quelque chose d’inouï, qui pourrait s’appeler, pour donner une idée des trésors de fortitude et de consolation déposés en ces pages : Imitation de Jésus-Christ, pour ceux qui ne croient plus, hélas ! […] Tous les deux, forme à part, spécialité de talent et de vocation à part, sont de la même race d’intelligences, idéales, religieuses, pensives… Il est des têtes glorieusement conformées pour aller se casser inutilement contre le ciel.

913. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Un symbole »

Je viens examiner l’utilité morale, l’utilité religieuse qu’il peut y avoir à établir une église à Montmartre… Lorsqu’il s’agit d’établir à Paris, dans ce grand foyer de la Révolution et de la libre pensée, sur le point culminant de la capitale, sur ce point qui se voit de tous côtés et de si loin, un monument qui le couronne et dans le quartier qui est, à vos yeux, l’un des centres les plus ardents de l’insurrection, l’effet que vous attendez est celui-ci : Mettre là un symbole du triomphe de l’Église sur la Révolution. […] La banalité et le mauvais goût triomphent ici comme dans l’art religieux du quartier Saint-Sulpice, nous prouvant que pour abriter un symbole de décadence, il ne pouvait être choisi qu’un style pareillement dégénéré.

914. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

Les croyances religieuses n’ont fait que glisser sur son âme. […] C’était au fort de la persécution religieuse. […] Il est « le religieux » dans toute la force du terme. […] Gagarin et Charles Daniel, et devenues les Études religieuses. […] Brucker dans les Études religieuses.

915. (1836) Portraits littéraires. Tome I pp. 1-388

À Bayruth, à Jérusalem, et parmi les ruines d’Athènes, il soutenait de son mieux son rôle de poète ; l’histoire, le sentiment religieux, suffisaient à défrayer la plupart de ses pages. […] Elle procède par la prédication, et veut inscrire dans la loi toutes les vérités religieuses et philosophiques. […] Les penseurs, aussi bien que la foule, admirent l’expansion et la spontanéité de cette poésie uniforme et variée qui déborde en élégies éplorées, en odes hardies, en hymnes religieux. […] c’est un dévouement sans réserve, mais chaste, mais religieux, mais contenu dans les limites austères du devoir : elle ne connaît pas l’entraînement des sens, et ne songe pas à le redouter. […] Il s’éloigne avec un effroi religieux de ces trois plantes flétries au souffle de son amour impuissant.

916. (1907) Propos littéraires. Quatrième série

Il existe, depuis quatre ou cinq ans, ce qu’on pourrait appeler une littérature religieuse laïque. […] Il me semble, tout simplement, qu’au contraire la religion nouvelle sera moins religieuse, et le scandale sera plus grand. […] Non, les grandes idées de Ferry ne me remplissent pas d’un respect religieux. […] Par ces motifs, l’un et l’autre système sont morts ou vont périr, et l’éloquence religieuse avec eux. […] Tant qu’il y aura des saints dans l’une et l’autre Église, il suffit que l’un d’eux ait du talent pour que la grande éloquence religieuse renaisse.

917. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LVIII » pp. 220-226

En des endroits, on voudra faire un peu de cour aux bénédictins, en d’autres aux jésuites, en d’autres aux religieux en général.

918. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre premier. De l’invention dans les sujets particuliers »

Il a revu avec l’émotion d’un bon Français les guerres religieuses et civiles, les désastres et les ruines du temps où le pouvoir royal était humilié, et le grand bienfait de la paix et de l’ordre suivant la restauration de l’autorité absolue : il a vu la souveraineté d’un seul procurant la sécurité de tous.

919. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Malaise moral. » pp. 176-183

Je vous assure que leur moralité est fort supérieure à celle des chrétiens. » Il n’en est pas moins fâcheux que ces honnêtes gens, mus par le plus respectable des sentiments religieux, deviennent, à certains moments, de si surprenants massacreurs.

920. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Casuistique. » pp. 184-190

Ce qu’avaient fait cette jeune femme qui est morte et cet homme qui s’est suicidé, est qualifié de crime et par la morale religieuse et par le Code.

921. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXIV » pp. 251-258

Jusque-là, les choses obscènes n’avaient été réprouvées que par la morale religieuse, qui les avait qualifiées d’impudiques.

922. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Dédicace, préface et poème liminaire de « La Légende des siècles » (1859) — Préface (1859) »

L’épanouissement du genre humain de siècle en siècle, l’homme montant des ténèbres à l’idéal, la transfiguration paradisiaque de l’enfer terrestre, l’éclosion lente et suprême de la liberté, droit pour cette vie, responsabilité pour l’autre ; une espèce d’hymne religieux à mille strophes, ayant dans ses entrailles une foi profonde et sur son sommet une haute prière ; le drame de la création éclairé par le visage du créateur, voilà ce que sera, terminé, ce poëme dans son ensemble ; si Dieu, maître des existences humaines, y consent.

923. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Lucrèce Borgia » (1833) »

À la chose la plus hideuse mêlez une idée religieuse, elle deviendra sainte et pure.

924. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 4, objection contre la proposition précedente, et réponse à l’objection » pp. 35-43

Quant à la campagne, dans la meilleure partie de l’Europe, elle est parsemée de couvents, dont les religieux ne manquent jamais de faire attention sur un jeune païsan, qui montre plus de curiosité et plus d’ouverture d’esprit que ses pareils.

925. (1891) Impressions de théâtre. Cinquième série

C’est à eux que nous devons la plus grande révolution religieuse des temps modernes. […] Roussakof, comme tous les personnages du théâtre russe, est un être profondément religieux. […] Ils ont en commun la sincérité de l’esprit et du cœur, la haine du faux, la haine de l’affectation et du pédantisme intellectuel, la haine de l’hypocrisie religieuse. […] Un ne renonce pas comme cela à l’honneur d’avoir vu un ange, et l’évidence ne peut rien sur une âme religieuse qui s’est crue spécialement favorisée de Dieu. […] La fidélité à l’empereur prend un caractère religieux, puisque c’est Dieu que l’empereur représente.

926. (1878) Nos gens de lettres : leur caractère et leurs œuvres pp. -316

Ils vous en veulent de ne conclure jamais, et déclarent, indignés, que vous n’avez ni convictions politiques ni convictions religieuses. […] portons fièrement notre tristesse, comme une noblesse spirituelle : elle est religieuse, elle contient la pitié. […] Moi-même, mon admiration pour le talent de l’écrivain et du romancier ne m’empêchera pas de dire mon antipathie pour les doctrines politiques et religieuses du penseur. […] Mais ses amis religieux et politiques, direz-vous, pourquoi ne parlent-ils pas ? […] Sa doctrine (politique comme religieuse) est, on le voit, très purement catholique.

927. (1887) Études littéraires : dix-neuvième siècle

Mais la réaction religieuse était dans les esprits, et le gouvernement y était favorable. […] Il a été religieux par goût d’artiste. […] Un poème épique chrétien n’est pas chose qui va d’elle-même avec du génie, comme une effusion religieuse ou une confidence sentimentale. […] Oui, le sentiment religieux est une force morale et par conséquent une matière aux mains de l’artiste. […] En 1830, il fut élu de l’Académie française et publia les Harmonies politiques et religieuses.

928. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « [Note de l’auteur] » pp. 422-425

Nous autres grands auteurs sommes trop riches pour craindre de rien perdre de nos productions… » Notons bien tout ceci : Mme de Sablé dévote, qui, depuis des années, a pris un logement au faubourg Saint-Jacques, rue de la Bourbe, dans les bâtiments de Port-Roval de Paris ; Mme de Sablé, tout occupée, en ce temps-là même, des persécutions qu’on fait subir à ses amis les religieuses et les solitaires, n’est pas moins très présente aux soins du monde, aux affaires du bel esprit ; ces Maximes, qu’elle a connues d’avance, qu’elle a fait copier, qu’elle a prêtées sous main à une quantité de personnes et avec toutes sortes de mystères, sur lesquelles elle a ramassé pour l’auteur les divers jugements de la société, elle va les aider dans un journal devant le public, et elle en travaille le succès.

929. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Fort, Paul (1872-1960) »

Je crois très réellement voir ressusciter en Paul Fort l’âme ancienne de la France, toute pure, sans mélange aucun : généreuse, ardente, étourdie, éperdue de beaux désirs, ignorante de la conception de beauté qui nous vint plus tard d’Italie, religieuse et maligne, hardie et libre jusqu’à la témérité, avec des frousses, des peurs nerveuses du diable ou de son ombre, enfin spirituelle, facétieuse et familière.

930. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VIII » pp. 70-76

Sans parler d’une multitude de vers répandus dans les odes d’Horace et dans les satires, comme celui-ci : Nam fuit ante Helenam cunnus teterrima belli Causa, le chant séculaire (carmen seculare), ouvrage solennel, hymne national, renferme des expressions dont la propriété et la spécialité, relevées pour les Romains par les sentiments d’un patriotisme religieux, seraient pour nous insupportables.

931. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1826 »

Il continue à comprendre sous le titre d’Odes toute inspiration purement religieuse, toute étude purement antique, toute traduction d’un événement contemporain ou d’une impression personnelle.

932. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome I pp. 1-402

L’espérance d’une éternelle réunion ennoblit l’amant et la maîtresse ; leur mutuelle passion nous inspire un religieux respect. […] Julie, orpheline de bonne heure, au lieu de garder comme un guide fidèle et sûr l’éducation religieuse de sa jeunesse, a exercé sa pensée sur toutes les questions scientifiques. […] Le sentiment religieux que les morts nous inspirent ne se concilie pas avec les paroles ardentes qui s’échappent de la bouche des amants. […] Le sentiment religieux trouve rarement parmi les poètes un interprète aussi éloquent. […] Quant à Manzoni, l’auteur avait lu sans enthousiasme ses tragédies et ses romans : les hymnes religieux du poète lombard ont éveillé dans son âme une pieuse admiration.

933. (1896) Les idées en marche pp. 1-385

Ce double geste se retrouve chez tous les écrivains religieux. […] Tantôt ils entrent dans les ordres ou superposent de chauds souvenirs à leurs exaltations religieuses qui ne servent qu’à détourner l’incendie. […] Cette déviation romantique, où il entre à parties égales de la peur religieuse et du besoin de pose, gâte un peu la bizarrerie sincère. […] À travers tous ces romans, il est question des idées nouvelles, politiques, philosophiques, scientifiques, religieuses et sociales. […] Ce dernier fut un grand esprit, tenu longtemps en suspicion pour ses opinions religieuses, car Homais, quoi qu’on en dise, n’est pas mort.

934. (1882) Autour de la table (nouv. éd.) pp. 1-376

Je regretterais bien aussi qu’il n’eût pas des élans religieux qui élèvent l’âme et la vivifient. […] Cette idée est, au contraire, très douce en moi, pleine de poésie, d’espérance religieuse et même d’enthousiasme. […] J’adopte donc l’idée de l’incinération, et je la trouve religieuse, morale et civilisatrice. […] Je m’imagine accomplir un devoir religieux envers Mickiewicz en suppliant la critique de bien peser ses arrêts quand de tels noms sont dans la balance. […] Il se souciait fort peu de passer pour un athée ou pour un sceptique, lui, le plus instinctivement religieux des poètes !

935. (1896) Écrivains étrangers. Première série

Son âme naturellement religieuse apprit de ce maître à chercher dans la beauté l’absolu dont elle avait soif. […] Qu’il s’agisse de faits particuliers, ou de lois morales, ou de mystères religieux, toute croyance est d’autant plus solide qu’elle échappe davantage à l’explication. […] Lui seul répond à nos sentiments esthétiques, religieux et moraux ; et lui seul, par surcroît, légitime notre science et notre raison, dans les limites où celles-ci peuvent avoir leur emploi. […] C’est une œuvre morale, religieuse si l’on veut ; et par là elle est si belle. […] Il avoue n’avoir plus de curiosité que pour les questions religieuses : « J’étais autrefois un athée, mais le suis devenu un croyant.

936. (1913) Le mouvement littéraire belge d’expression française depuis 1880 pp. 6-333

Véronèse se retrouve souvent dans Van Dyck, peintre religieux, encore plus dans Rubens. […] Examiner cette grosse querelle entre Wallons et Flamands dépasse notre sujet : les éléments religieux et politiques y jouent un rôle trop sérieux, trop essentiel, pour qu’elle trouve asile dans une étude littéraire. […] De sorte que les romans d’Eugène Demolder s’imprègnent toujours d’une émotion religieuse, ceux-là pénétrés de mysticisme, ceux-ci rayonnant d’un idéal, et voilà bien le secret de leur vivifiante joie. […] La vieille âme religieuse des Flandres se perpétue en lui. […] Trois ans plus tard, Les Moines exaltaient l’autre caractère de la nature flamande, le caractère religieux.

937. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « L’abbé Fléchier » pp. 383-416

Il s’est bien peint à nous dans sa première forme littéraire lorsque, dès les premiers jours de son arrivée à Clermont, étant allé faire une visite à Vichy, il y rencontre des religieuses, des dames, un capucin à demi mondain, et des précieuses de province. « Faire des vers et venir de Paris, ce sont deux choses qui donnent bien de la réputation dans ces lieux éloignés. » Or Fléchier réunissait ces flatteuses conditions, ayant déjà publié des vers qu’on avait distingués dans les recueils du temps, et de plus étant prédicateur déjà fort goûté. […] On était alors au plus fort de la querelle religieuse ; il n’y avait pas dix ans que Les Provinciales avaient paru : Fléchier, on le sent, les a beaucoup lues, et son ironie en profite ; mais il garde son jugement libre, et il se moque doucement des deux partis. […] Il assista celui-ci à ses derniers moments, et l’exhorta à la mort, de même qu’il l’avait consolé et soutenu de ses entretiens affectueux, il y avait dix-huit ans, dans la première solitude de son veuvage : c’était dans les deux cas la même religieuse amitié, mais empreinte à la fin d’un caractère de plus et de l’imposante gravité du ministère.

938. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. » pp. 124-157

La maison touchait au cimetière de la paroisse de Notre-Dame, et prenait de ce voisinage un caractère religieux, austère ; un grand calvaire à côté dominait les humbles croix et les gazons. […] La Religieuse portugaise, si elle avait chanté, aurait de ces accents-là. […] Je ne doute pas un moment, dans ma croyance profonde, que ce bon père ne soit le témoin le plus intime de tes actions et qu’il n’ait réveillé en toi le germe de la foi religieuse à laquelle il a sacrifié l’immense héritage de nos oncles protestants. — Je l’ai toujours béni de ce courage, comme de la misère qu’il nous a léguée pour avoir donné tout son bien aux pauvres.

939. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE RÉMUSAT » pp. 458-491

Son état de souffrance la reporta vers les idées religieuses dont son enfance n’avait jamais manqué, et qui depuis n’avaient été que distraites ; elle rêva, elle pria, surtout elle médita : « La méditation, a-t-elle dit, diffère de la rêverie en ce qu’elle est l’opération volontaire d’un esprit ordonné. » Des réflexions qu’elle écrivit vers le même temps, après avoir lu celles de Mme Du Châtelet sur le Bonheur, nous la montrent bien contraire à cette morale égoïste et sèchement calculée de l’amie de Voltaire, comme d’ailleurs elle eût été peu encline à la morale purement sentimentale que de plus tendres avaient puisée dans Rousseau. […] Pourtant, des idées et même des pratiques religieuses positives (nous en avons la preuve et nous y reviendrons) s’y mêlèrent en avançant, et agirent beaucoup plus que le monde et peut-être les amis ne l’auraient cru, mais peut-être aussi un peu moins que Mme de Rémusat ne se le disait à elle-même. […] Dans un petit cahier de Pensées, je lis de précieuses confidences qu’elle se traçait à. elle-même sur la suite de ses sentiments religieux en tout temps, sur ses distractions aux années légères, sur son retour à une certaine heure.

940. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIIe entretien. Poésie lyrique. David (2e partie) » pp. 157-220

Il y a peu de chants de guerre, s’il y en a, plus superbes et plus religieux en même temps que cette ode ; elle dut retentir de la tente de Saül dans toute l’armée et jusque dans le camp de la rive opposée, parmi les ennemis de Jéhovah. […] Ce caractère religieux manque aux chants guerriers de Tyrtée. […] On dirait qu’il a mis une corde de sa pauvre harpe dans tous les chœurs religieux ou seulement sensibles, pour l’y faire résonner partout et éternellement à l’unisson des échos de Bethléem, d’Horeb ou d’Engaddi !

941. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIe entretien. Vie du Tasse (1re partie) » pp. 5-63

Quelques semaines avant la naissance de cet enfant ardemment désiré par sa mère, Bernardo Tasso écrivait de Sorrente à sa sœur Afra, religieuse cloîtrée dans un couvent à Bergame : « Ma petite fille est très belle et me donne l’espérance qu’elle aura une vie aussi heureuse et aussi honorable que nous pouvons le désirer ; mon premier fils nous a été enlevé par la mort, il est maintenant devant Dieu notre Créateur, où il prie pour notre salut. […] Torquato, de plus, était sincèrement et tendrement religieux ; il se sentait poussé vers son poème non-seulement par la poésie, mais par la piété ; c’était le croisé du génie poétique, aspirant à égaler, par la gloire et par la sainteté de ses chants, les croisés de la lance qu’il allait célébrer. […] Alphonse était, selon l’historien le mieux informé, Muratori, brave, juste, magnifique, religieux, passionné pour la gloire des lettres et des arts ; ces qualités, dit-il, étaient obscurcies dans ce noble caractère par un mélange d’orgueil, de caprice, de susceptibilité, de ressentiment implacable contre ceux dont il croyait avoir reçu quelques offenses.

942. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « M. Deschanel et le romantisme de Racine »

Les contrastes se réduisent, ce me semble, à celui de la forme et du fond, à celui que fait « la férocité singulière » du sujet avec « les draperies éclatantes d’un style prestigieux et les couleurs de la poésie religieuse la plus sublime »  Athalie est encore romantique parce que la pièce est tirée de la Bible et que la Bible est éminemment romantique61. […] Deschanel a besoin d’un effort pour goûter Athalie, à cause du fanatisme monarchique et religieux qui est l’âme de cette tragédie. […] Elle a dans les veines le sang de Pasiphaé : écrasée de honte et de remords, malade, n’ayant mangé ni dormi depuis trois jours, pudique même au plus fort de ses emportements, elle fait songer, dans ses longs voiles blancs, à quelque religieuse dévorée au fond de son cloître par une mystérieuse passion et se desséchant dans une pénitence désespérée et stérile… Oh !

943. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre V : Règles relatives à l’explication des faits sociaux »

Les dogmes religieux du christianisme n’ont pas changé depuis des siècles ; mais le rôle qu’ils jouent dans nos sociétés modernes n’est plus le même qu’au moyen âge. […] Quel abîme, par exemple, entre les sentiments que l’homme éprouve en face de forces supérieures à la sienne et l’institution religieuse avec ses croyances, ses pratiques si multipliées et si compliquées, son organisation matérielle et morale ; entre les conditions psychiques de la sympathie que deux êtres de même sang éprouvent l’un pour l’autre75, et cet ensemble touffu de règles juridiques et morales qui déterminent la structure de la famille, les rapports des personnes entre elles, des choses avec les personnes, etc. ! […] L’homme est naturellement enclin à la vie politique, domestique, religieuse, aux échanges, etc., et c’est de ces penchants naturels que dérive l’organisation sociale.

944. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — II. (Fin.) » pp. 213-233

C’est alors que commença d’éclater cette furieuse et vaste épidémie de guerres civiles et religieuses, qui ne cessa de sévir jusqu’au règne de Henri IV. […] Mézeray, en favorisant cette demi-réforme, ne croit pas innover ; en religion comme en politique, il paraît croire qu’il suffit de revenir à une époque antérieure où régnait une sorte de constitution religieuse, monarchique et suffisamment populaire ; on l’eût embarrassé sans doute en le pressant de définir cette période idéale de notre histoire ou les abus avaient cessé moyennant la Pragmatique et la tenue régulière des États généraux.

945. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — I. » pp. 262-280

Peu de jours avant de mourir, il prêchait encore à une solennité de vêture d’une religieuse ; ce fut là qu’il prit le mal qui l’emporta. […] Après sa mort, une lettre du supérieur de la maison professe, le père Martineauk ; un éloge mis en tête de ses Sermons par le religieux qui en fut l’éditeur, le père Bretonneau ; une lettre de M. de Lamoignon, son ami de tous les temps ; un autre hommage plus développé mais du même genre, par une personne de condition, Mme de Pringy, c’est tout ce qu’on a sur Bourdaloue ; et, je le dirai, quand on l’a lu lui-même et considéré quelque temps dans l’esprit qui convient, on ne cherche point sur son compte d’autres particularités, on n’en désire pas : on entre avec lui dans le sens de cette conduite égale, uniforme, qui est le caractère de la prudence chrétienne et le plus beau support de cette saine éloquence ; et l’on répète avec une des personnes qui l’ont le mieux connu : « Ce qui m’a le plus touché dans sa conduite, c’est l’uniformité de ses œuvres. » On ne sait rien ou à peu près rien non plus de la vie de La Bruyère ; mais, à l’égard de ce dernier, le sentiment qu’on apporte est, ce me semble, tout différent.

946. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Maurice et Eugénie de Guérin. Frère et sœur »

Issu d’une ancienne famille noble, assez peu aisée, qui vivait dans le Midi au château du Cayla, du côté d’Alby ; élevé dans une maison religieuse à Toulouse, puis au collège Stanislas, abrité quelque temps à La Chesnarye en Bretagne, dans le petit monde de M. de Lamennais au moment critique et alors que ce grand et violent esprit couvait déjà « sa séparation » d’avec l’Église, revenu bientôt à Paris et se livrant à la littérature, il mourut avant d’avoir rien publié de remarqué ni d’important. […] » Il meurt, et dès lors sa vie, à elle, n’est plus qu’un deuil, une consécration de toutes ses pensées et de toutes ses heures au cher et unique absent, un soin religieux de sa mémoire, un dialogue avec lui d’un monde à l’autre.

947. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Charles-Quint après son abdication, au monastère de Saint-Just »

Lorsqu’il arriva en Espagne au mois de septembre 1556, il ne trouva pas les choses prêtes comme il les avait recommandées : il avait choisi pour son dernier abri ici-bas le monastère de Saint-Just de l’Ordre de saint Jérôme, situé dans un site pittoresque de l’Estramadure ; il avait prescrit qu’on eût à y bâtir un édifice contigu où il pût vivre avec un petit nombre de serviteurs, à part bien qu’à portée de la compagnie des moines et à même, pour ainsi dire, de tous les exercices religieux. […] Il mourut occupé jusqu’à la fin et des intérêts de la monarchie et du soin de son propre salut, entouré de prélats et de religieux qui l’exhortaient, de moines qui priaient, d’amis qui pleuraient, mettant sa confiance dans le Crucifix, — ce même Crucifix que l’impératrice avait tenu en mourant, qu’il avait réservé à son tour pour l’heure suprême, et qu’il porta à sa bouche, puis serra deux fois sur sa poitrine (21 septembre 1558).

948. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

Quiconque a reçu la faculté de sentir et de penser ne peut nier cette mystérieuse assertion ; mais quiconque aussi voudra prouver l’existence de Dieu ne pourra l’expliquer qu’à l’aide d’arguments que je m’abstiens de qualifier, parce que toutes les croyances doivent être inviolables, et qu’elles sont toutes sacrées pour moi tant qu’elles ne me sont point imposées. » Les religions, on le voit, y sont respectées dans leur formes et honorées dans leur principe : « Je crois que toutes les religions sont bonnes, je crois que, hors le fanatisme, toutes les erreurs des cultes obtiendront grâce devant Dieu, car notre ignorance est aussi son ouvrage… J’adopte toutes les idées religieuses qui peuvent élever l’esprit, je rejette celles qui le rétrécissent ; et s’il fallait décider entre toutes les religions établies celle qui me paraîtrait la meilleure, je répondrais : — La plus tolérante. » À un endroit où le fils abandonné se suppose forçant enfin la destinée par sa vertu, parvenant à percer par ses œuvres, et méritant que sa mère revienne s’offrir à lui comme fit un jour la mère de D’Alembert au savant déjà illustre, il y a une apostrophe pieuse, un mouvement dans le goût de Jean-Jacques : « Dieu ! […] Ces deux hommes d’ailleurs, également courageux et sans peur, marchant également tête haute et la poitrine en dehors, aimaient la liberté, mais différemment : l’un, qui n’a pas donné son dernier mot et dont on ne peut que deviner l’entière pensée tranchée avant l’heure, aimait la liberté, mais armée, glorieuse, imposante, et, pour tout dire, la liberté digne d’un consul : — il faut convenir aussi que cette forme a bien de l’éclat et de l’attrait ; — il aimait la liberté réglée par les mœurs, par les lois mêmes, la liberté organisée et peut-être restreinte ; l’autre aimait et voulait la liberté complète, cosmopolite, individuelle au suprême degré dans tous les genres, civile, religieuse, intellectuelle, industrielle, commerciale, à la manière d’un Hollandais, d’un Belge ou d’un citoyen de New-York : le plus Américain des deux n’était pas celui qui croyait l’être.

949. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite) »

Il ne considérait point les objets face à face, et de plain-pied, en mortel, mais de haut comme les archanges… Ce n’était point la vie qu’il sentait, comme les maîtres de la Renaissance, mais la grandeur, à la façon d’Eschyle et des prophètes hébreux, esprits virils et lyriques comme le sien, qui, nourris comme lui dans les émotions religieuses et dans l’enthousiasme continu, ont étalé comme lui la pompe et la majesté sacerdotales. […] Cromwell fut longtemps le rempart de tout ce qu’il y avait d’énergique, de vertueux, de religieux, d’intègre, de radicalement anglais dans la nation.

950. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE DURAS » pp. 62-80

L’usage qu’elle fait des couvents et du prêtre la différencie surtout d’une manière bien tranchée d’avec Mme de Souza ; il y a entre elles deux, comme séparation sur ce point, tout le mouvement religieux qui a produit le Génie du Christianisme et les Méditations. […] Mais, vers le même temps, il se faisait en elle, tout au dedans, un grand travail de soumission religieuse et de piété ; elle n’avait jamais été ce qu’on appelle dévote dans le courant de la vie ; elle arrivait aux sources élevées par réflexion, par refoulement solitaire, en vertu de toutes les puissances douloureuses qui l’oppressaient.

951. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVe entretien. Littérature grecque. L’Iliade et l’Odyssée d’Homère » pp. 31-64

L’Égypte avait été le pont d’une seule arche qui avait uni intellectuellement la Chine et les Indes littéraires et religieuses à la Grèce ; mais ce pont s’est écroulé dans le Nil, et nous ne connaissons de cette intelligence disparue que ce qui en avait passé en Grèce ou à Rome. […] À peine la mort eut-elle interrompu ses chants divins que les rapsodes ou les homérides, chantres ambulants, l’oreille et la mémoire encore pleines de ses vers, se répandirent dans toutes les îles et dans toutes les villes de la Grèce, emportant à l’envi chacun un des fragments mutilés de ses poèmes, et les récitant de génération en génération aux fêtes publiques, aux cérémonies religieuses, aux foyers des palais ou des cabanes, aux écoles des petits enfants ; en sorte qu’une race entière devint l’édition vivante et impérissable de ce livre universel de la primitive antiquité.

/ 2008