L’érudition de l’auteur est immense ; mais son style est dur, amer, & ses phrases épuisent la poitrine.
III Cette petite phrase est l’abrégé de tout le système ; pénétrons-nous-en. […] La première partie de votre phrase m’exprime par un mot abréviatif ce que la seconde partie m’exprime par une locution développée. […] Nulle phrase ne me dira, ce que c’est qu’un cheval, mais il y a des phrases qui me diront ce qu’on entend par ces six lettres. Nulle phrase n’épuisera la totalité inépuisable des qualités qui font un être, mais plusieurs phrases pourront désigner les faits qui correspondent à un mot.
Pour la mettre en valeur, on en reproduit plusieurs phrases. […] Aussi les protestations des écrivains restent vaines lorsque les marchands d’autographes citent dans un catalogue, rédigé en vue d’une vente publique, quelques phrases d’une lettre privée. […] Une dernière phrase cependant, à la fin, sur la pauvreté de l’enseignement donné aux élèves, transformait le ton de tout le début et lui donnait plutôt une signification ironique. Mais cette dernière phrase fut jugée agressive par le censeur bénévole, et supprimée. […] Valery Larbaud, à propos d’un catalogue de marchand, où des phrases, des pages entières, sont imprimées à titre d’échantillons.
Il faudra donc qu’elle s’adresse à des arts définis, qu’elle explique ses paysages par des décors, les sentiments qu’elle développe par le développement d’une action, les nuances qu’elle note dans son langage particulier par les mots et les phrases du langage habituel. […] D’abord, elle lui sert à donner à ses phrases un singulier relief : il se plaît à accoupler des mots qui peuvent à bon droit s’étonner d’être ensemble, et ses comparaisons favorites reposent toujours sur des contraires, en sorte qu’on dirait que dans son esprit ce sont des idées opposées, non des idées similaires, qui s’appellent. […] La puissance des figures et la puissance de la phrase dépendent essentiellement de la qualité des mots qui servent aux figures et à la phrase. […] On ne sait ; un jour elle lui écrit cette phrase ambiguë qui laisse le champ ouvert à toutes les supposions : « Je ne vous engage pas à m’écrire, mais je vous remercie de l’avoir fait. […] Les phrases les plus caractéristiques ont été déjà reproduites dans le catalogue de la collection d’autographes de M.
Pour moi, je ne sais guère de plus harmonieuses phrases que celles de ce premier acte royal où s’expose l’action ; mais je défie qu’on m’en montre une qui résonne « gratuitement ». […] Paul Claudel prête son langage à des êtres, et ils existent davantage à mesure qu’ils s’expriment mieux ; leur drame intérieur porte la beauté de la phrase ; jamais la phrase ne les détourne du conflit. […] Debussy a créé pour eux une sorte de chant naturel qui suit le texte phrase par phrase, donne à chaque mot, à chaque syllabe la valeur rythmique, le timbre sonore, le plus justement expressif, ralentit là, là précipite, en presque insensibles transitions, communiquant au dialogue le mouvement changeant de la pensée, imposant à toute réplique son véritable accent humain, le seul légitimement dramatique. […] Les à peu près, les hachis de phrases n’y sont plus du tout de mise, et rien ne les saurait sauver, même l’élan. […] Il portait une âme rêveuse, capable de délicatesse, et de propager son émotion en ondes sonores autour d’elle, par le moyen d’images rares et de phrases un peu contournées.
En sa présence la phrase de Shakespeare sur César vous revenait à la mémoire : Devant lui la nature pouvait se lever hardiment et dire à l’univers : « C’est là un homme ! […] Souvent même un mot dans la phrase suffisait pour lui en faire saisir le suc. […] » Cette phrase contient comme une vague aperception prophétique que l’avenir réalisa, hélas ! […] C’étaient des esprits curieux, raffinés, ayant l’horreur des banalités et des phrases toutes faites. […] Joubert les estime à leur vraie valeur, et les compare à des pierres précieuses qui s’enchâssent dans la phrase comme la diamant dans l’or.
Le livre, l’objet d’art, la phrase musicale, la pure pensée elle-même — je dis avant même son expression formelle — sont des éternisations du Moi. […] Il a tout à la fois le sens du rhythme et le sens de la phrase. […] Il osera dans une même phrase associer ce nom à celui de Jésus ! […] Il voudrait mettre « tout un livre dans une page, toute une page dans une phrase et cette phrase dans un mot ». […] Il y a une petite phrase très caractéristique : « Fortunio promenait sa main sur le dos de la Cinthia, mais avec le même sang-froid que s’il eût touché un marbre. » Il y a tout le Romantisme dans cette petite phrase.
J’ai toujours eu envie de mettre pour épigraphe à ce divin petit livre la phrase de Quincey : « Ô juste, subtil et puissant opium ! […] Camille Mauclair, n’ayant entendu que les dernières phrases de son oraison. […] Au fond du cabaret, un ouvrier juif se lève avec des yeux de fou ou d’illuminé, et jette une citation de la Bible, une phrase où Jéhovah maudit les riches. […] Les malheureux ne tenaient compte que du sens des phrases, ou plutôt de leur construction grammaticale ; de la rime, jamais. […] Pour les autres, du moins pour presque tous, une pièce est finie quand ils en ont écrit la dernière phrase.
» Ces deux phrases implicites reviennent dans mon esprit, chaque fois que j’ouvre un livre de Chateaubriand ou de Hugo, et elles se superposent à ma lecture. […] Car il essayait sa phrase, non en la méditant, comme il se doit, mais en la parlant. Prenez la phrase de Chateaubriand, enfermez-la dans un cachot, laissez-la durcir et sécher à l’abri de l’air et de la lumière, ajoutez-y quelques épithètes, donnez-lui, ici et là, un coup de pouce blagueur, et vous avez la phrase de Flaubert, la phrase pensum. […] Que de fois, au cours de mes études médicales, puis, plus tard, dans l’usage du monde et les fréquentations, n’ai-je pas entendu cette phrase désolée : « Je n’ai plus la force de réagir ! […] J’ai entendu la phrase, je ne l’invente pas : « Seuls les calotins pourraient nier, aujourd’hui, la circonvolution du langage !
Il y paraît, commue le lecteur ne tardera pas à le reconnaître ; il trouvera plus loin des expressions dix fois répétées, des tours de phrase d’une correction douteuse, et un pitoyable désordre. […] Oui, c’est à force d’épeler les mornes phrases de M. […] La phrase sinistre du forçat qui disait à Ranc : « Ça, jeune homme, ça n’est rien ; c’est les puces qui montent », me revint en mémoire. […] Chaque fois que Cladel allait publier un conte ou un article, chaque fois qu’il recevait des épreuves de son premier volume, les Martyrs ridicule, Baudelaire survenait, sévère et implacable, relisait l’œuvre phrase à phrase, se montrait sans pitié pour tout ce qui n’était pas voulu, exigeait la propriété des termes, l’impeccable correction du style. […] Par bonheur, un mot se trouve toujours au détour d’une page pour racheter la phrase mauvaise, et l’on découvre aisément, quand on a des yeux, le fonds de grande et sincère pitié qui est au cœur du poète.
Mais la dernière phrase ne pourrait absolument pas être de Flaubert, qui termine toujours un paragraphe descriptif par un trait net et pittoresque, une saillie, au lieu que Fromentin l’achève par cette ligne égale ou déclinante où se plaisait le dix-septième siècle. […] La dernière phrase est d’une poésie retenue et parfaite. Cette phrase, si le dix-septième siècle avait eu un grand descriptif, un La Fontaine de la prose, il l’eût trouvée. […] Les phrases chez les Goncourt papillonnent sans instruire. […] « Que ta pensée aille à sa conclusion, que ta parole exprime ta pensée ; achève tes phrases, tes gestes, tes lectures.
Rousseau : c’était un grand homme ; mais il y avait en lui des parties de cuistre, faisant des phrases pompeuses sur la vertu, et c’étaient ces parties-là que choquait Molière en lui. […] Ou bien c’est encore une phrase comme celle-ci. […] Je vous ai dit que sa phrase était périodique, enveloppée, pénible ! […] Quant à l’abus du couvent, voici une simple phrase qui montre, et de la façon la plus péremptoire, combien c’était un abus réel ; cette phrase n’est pas de notre siècle, elle n’est pas d’un auteur contemporain, elle est d’un auteur de l’ancien régime. […] Elle s’est pliée à la phrase périodique et au style soutenu du xviie siècle avec autant d’aisance qu’à la phrase hachée menu, au style vif et sautillant xviiie ; l’alexandrin lui a servi comme le vers leste et varié du vaudeville.
interea patitar justus : la pauvre nation, victime innocente, est livrée, comme Prométhée, au bec éternel des vautours. » Ces phrases contrarient en un point ce qu’a dit M.
Un souffle égal, soutenu, harmonieux, anime chaque phrase, chaque couplet de cette confession mélancolique.
L’émotion s’exprime spontanément par le cri inarticulé, la physionomie, le geste, l’action réflexe : pour la traduire en mots, en phrases intelligibles à tous, pour la développer visiblement par le langage, il faut un esprit qui l’analyse ; et plus l’esprit aura d’étendue naturelle, plus il aura acquis de pénétration et de finesse par l’activité habituelle, plus les sentiments se manifesteront avec clarté, avec intensité, avec nuances.
Mais la chose est délicate, et il faut être bien maître de la langue pour réduire chaque mot à l’emploi qu’on lui assigne : autrement l’expression rebelle lâche au travers de la phrase et de l’idée des sens inattendus, des images déplacées, et, manquant le sublime, on tombe dans le grotesque : au lieu d’étonner, on dégoûte.
Il faut qu’il se reprenne ; mais, pendant ce temps-là, la phrase en fusion se lige et perd sa ductilité ; ce qui explique la quantité d’incidences, de juxtapositions et de soudures que l’on remarque dans la versification de M.
Comme chez Gustave Kahn, la phrase chatoie, multicolore et changeante.
La phrase par laquelle il commence : « Liceat huic de lithontriplica dissertationi nonnulla subnectere », etc., donne lieu de croire qu’il faisait suite à quelque publication médicale de Hartley.
Sinon il faudra dire que les styles de Rousseau, Labruyère (sic), Montesquieu, Flaubert et tant d’autres, qui sentent la rhétorique et le travail, ne sont pas de l’art ; et il n’y aurait de vrais artistes que ceux qui n’ont pas médité leurs phrases, qui n’ont pas cherché leurs épithètes, qui n’ont pas combiné leurs mots, qui n’ont pas travaillé leurs expressions.
Chaque phrase est presque une énigme à deviner.
Je l’ouvre, et vous lis cette phrase : « Homme insensible et dur ! […] Marivaux disait : « Le style a un sexe, et l’on reconnaîtrait les femmes à une phrase. » Une phrase ! […] Dans toutes les œuvres de l’une, et dans la première manière de l’autre, on peut noter l’exubérance de la phrase. […] Il y a quelque chose de puéril dans un esprit qui, passé vingt-cinq ans, sacrifie encore à la phrase. […] Louis Blanc a pu dire de la phrase de Rousseau « qu’elle marie au relief de Montaigne la vigueur de Calvin », c’est de la phrase seule qu’il parle ; s’il s’agissait de la pensée, il y aurait beaucoup à redire, nous l’avons fait voir à propos du tempérament.
J’écarterai également le cas indéfendable de l’auteur dramatique qui polit des phrases et les livre au metteur en scène en lui disant : « Arrangez-vous. […] Qu’importe que le mot soit précis, la phrase normalement construite et l’enchaînement des raisons parfaitement logique et clair, si l’idée qu’on expose ou le sentiment qu’on exprime ne correspond à rien dans la pensée et le cœur du public et n’éveille pas même en lui l’écho atténué de ce sentiment et de cette idée ! […] Deux phrases denses, carrées, symétriques, chacune commandant un geste, chacune campant un personnage, et en pleine action. […] » Il écrit encore : « L’exclamation pure équivaut maintes fois à la phrase. […] Lorsque la phrase se dépouille, que les êtres, s’entrechoquant, échangent des répliques rapides, concises et profondes, n’est-ce pas malgré lui, sous la contrainte de l’action parvenue à son paroxysme ?
« Le dictionnaire de la musique n’est pas fait, note encore Stendhal, n’est pas même commencé ; ce n’est que par hasard que l’on trouve les phrases qui disent : je suis en colère, ou je vous aime, et leurs nuances. Le maestro ne trouve ces phrases que lorsqu’elles lui sont dictées par la présence de sa passion dans son cœur, ou par son souvenir. […] … Avec un geste vague Et la phrase ambiguë qui semble dire non… Dans les Accords, l’originalité de la forme s’accentue, se précise : les vers de Mlle Koeberlé, loin d’avoir cette fougue, cette frénésie qui caractérisent la poésie féminine contemporaine, sont au contraire d’une extrême sagesse, d’une ferveur refrénée. […] Cette tentative d’allonger de quelques syllabes la mesure des vers, afin de lui donner l’amplitude d’une phrase musicale, n’aura pas été tout à fait vaine, puisqu’elle nous aura prouvé que la rime, au bout de cette longue mesure, répond encore à sa sœur lointaine. […] Il devient son amant : elle le câline de jolies phrases et de tristesses ciselées.
A mesure qu’on avance dans le dix-huitième siècle, les règles se rétrécissent, la langue se raffine, le joli remplace le beau ; l’étiquette définit plus minutieusement toutes les démarches et toutes les paroles ; il y a un code établi qui enseigne la bonne façon de s’asseoir et de s’habiller, de faire une tragédie et un discours, de se battre et d’aimer, de mourir et de vivre : si bien que la littérature devient une machine à phrases, et l’homme une poupée à révérences. […] Un petit contour, une simple phrase musicale annoncent d’abord Raphaël ou Mozart. […] Encor quelques moments, c’en est fait de ma vie ; J’aime mieux expirer que de trembler pour toi. » Non seulement ces phrases sentent la rhétorique, mais elles font contre-sens dans un lapin.
Là-dessus une statue comme le Méléagre ou le Thésée du Parthénon, ou bien encore la vue de cette Méditerranée lustrée et bleue comme une tunique de soie et de laquelle sortent les îles comme des corps de marbre, avec cela vingt phrases choisies dans Platon et Aristophane vous instruiront beaucoup plus que la multitude des dissertations et des commentaires. — Pareillement encore, pour entendre un Pourana indien, commencez par vous figurer le père de famille qui, « ayant vu un fils sur les genoux de son fils », se retire selon la loi, dans la solitude, avec une hache et un vase, sous un bananier au bord d’un ruisseau, cesse de parler, multiplie ses jeûnes, se tient nu entre quatre feux, et sous le cinquième feu, c’est-à-dire le terrible soleil dévorateur et rénovateur incessant de toutes les choses vivantes ; qui, tour à tour, et pendant des semaines entières, maintient son imagination fixée sur le pied de Brahma, puis sur le genou, puis sur la cuisse, puis sur le nombril, et ainsi de suite jusqu’à ce que, sous l’effort de cette méditation intense, les hallucinations paraissent, jusqu’à ce que toutes les formes de l’être, brouillées et transformées l’une dans l’autre, oscillent à travers cette tête emportée par le vertige, jusqu’à ce que l’homme immobile, reprenant sa respiration, les yeux fixes, voie l’univers s’évanouir comme une fumée au-dessus de l’Être universel et vide, dans lequel il aspire à s’abîmer. […] Quand son éducation critique est suffisante, il est capable de démêler sous chaque ornement d’une architecture, sous chaque trait d’un tableau, sous chaque phrase d’un écrit, le sentiment particulier d’où l’ornement, le trait, la phrase sont sortis ; il assiste au drame intérieur qui s’est accompli dans l’artiste ou dans l’écrivain ; le choix des mots, la brièveté ou la longueur des périodes, l’espèce des métaphores, l’accent du vers, l’ordre du raisonnement, tout lui est un indice ; tandis que ses yeux lisent un texte, son âme et son esprit suivent le déroulement continu et la série changeante des émotions et des conceptions dont ce texte est issu ; il en fait la psychologie.
Une seule phrase m’y blesse : c’est la dernière, concession menteuse à cette école historique de la Révolution qui attribue un bon effet à une détestable cause, et qui prétend que la Terreur a sauvé la patrie. […] Voilà ce qu’il fallait dire, au lieu de laisser par cette phrase équivoque une pusillanime excuse de patriotisme aux hommes du 21 janvier. Périsse cette phrase !
Cette Italienne qui sait le latin a quelque souci de la phrase, et quelque sentiment des beaux développements largement étoffés. […] Mais sa prose française est d’un homme qui a vécu avec les anciens : dans ces cadres118 qu’il emprunte encore un peu trop volontiers au goût du moyen âge, dans ces visions pédantesquement allégoriques où ratiocinent interminablement de sèches abstractions, le détail du style, le moule de la phrase viennent de Cicéron et de Suétone : surtout Chartier imite Sénèque, et s’essaie, parfois avec bonheur, à en retrouver la brièveté nerveuse et le trait119. […] Toute sa valeur est là : il sait mesurer la phrase à l’idée, le poème au sujet.
Il déroulait tous les systèmes, et l’infini, en belles phrases harmonieuses et nobles, parfois élégamment nuageuses ; il inventait l’éclectisme, et coulait doucement dans le panthéisme. […] Expurgeant bravement ses cours et sa doctrine, il organisa le spiritualisme en Église philosophique ou philosophie d’Etat : têtu, jaloux, despotique, enveloppé de phrases magnifiques, dressant, à son profit, ses disciples au travail et à l’abstinence, il mena les philosophes de l’Université comme des moines, ou, selon son mot, comme un régiment ; il les rangea durement à leur office de conservation sociale, et fit d’eux les gendarmes chargés d’arrêter les idées subversives. […] Et ce fut lui peut-être qui réalisa pour les contemporains l’idéal de l’orateur universitaire : il avait la parole vivante et brillante, la phrase ample et facile, relevée de traits fins ou spirituels.
Et, d’autre part, nous avions assurément éprouvé cet obscur frisson avant d’avoir ouvert un livre russe ou norvégien. « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie », est une phrase qui ne date pas d’hier Un des passages de Tolstoï où l’inquiétude du mystère est le mieux traduite, c’est apparemment quand le prince André Volkonsky, blessé à Austerlitz, est étendu sur le champ de bataille et regarde le ciel, « ce ciel lointain, élevé, éternel ». […] « L’inquiétude du mystère », mais elle est jusque dans la petite âme sensuelle et triste d’Emma Bovary. « L’inquiétude du mystère », elle est dans l’âme simple et lourde de Charles Bovary quand il dit : « C’est la faute de la fatalité ». — Et, si ce n’est l’inquiétude du mystère, c’est donc la résignation à ne pas le comprendre en somme, un sentiment consécutif à cette inquiétude, et non moins humain, et non moins navrant qui pénètre la dernière conversation, à petites phrases brèves et mornes, de Frédéric et de Deslauriers, quand ils se rappellent leur vie, et comment ils l’ont manquée, et que cela leur est presque indifférent parce qu’ils la mesurent, sans le dire, à quelque chose qu’ils ne sauraient nommer ; et quand, s’étant remémoré une anecdote honteuse et naïve de leur enfance, ils disent tranquillement et désespérément : « C’est peut-être ce que nous avons eu de meilleur » ; de meilleur, puisqu’ils n’ont eu que le rêve, et que ce rêve était le premier. […] Je vois que les plus savants hommes, les plus accomplis polyglottes étrangers, ne parviennent jamais à sentir comme nous la phrase d’un Flaubert ou d’un Renan.
Que me font des phrases stéréotypées qui n’ont pas de sens pour moi, semblables aux formules de l’alchimiste et du magicien qui opèrent d’elles-mêmes, ex opere operato, comme disent les théologiens. […] C’est se suicider que d’écrire des phrases comme celle-ci : « L’homme est destiné à vivre sans religion : une foule de symptômes démontrent que la société, par un travail intérieur, tend incessamment à se dépouiller de cette enveloppe désormais inutile. » Que si vous pratiquez le culte du beau et du vrai, si la sainteté de la morale parle à votre cœur, si toute beauté, toute vérité, toute bonté vous reporte au foyer de la vie sainte, à l’esprit, que si, arrivé là, vous renoncez à la parole, vous enveloppez votre tête, vous confondez à dessein votre pensée et votre langage pour ne rien dire de limité en face de l’infini, comment osez-vous parler d’athéisme ? […] que signifie cette phrase : La matière est ?
Voici comment il s’exprime : « Quand la renommée des précieuses fut l’objet de tous les entretiens d’Athènes (de Paris), les nouvelles précieuses voyant que chacune d’elles inventait de jour en jour des mots nouveaux et des phrases extraordinaires, voulurent aussi faire quelque chose digne de les mettre en estime parmi leurs semblables ; enfin, s’étant trouvées ensemble avec Claristène (M. […] Toutefois, ne nous arrêtons pas à une phrase de l’exposition : quelles sont les provinciales que la pièce met sur la scène ? […] Il eut donc l’intention de laisser venir sous ses pinceaux toutes ses réminiscences et de les exprimer ; sauf à écarter les plaintes et les vengeances par des phrases de précaution, par des protestations dont personne ne serait dupe que ceux qui les auraient rendues nécessaires. » Tout cela aurait pu passer à la faveur du vague nés conjectures et surtout étant dit sur le ton modeste du doute.
Marguerite ne fait pas de phrase ; elle ne se pose pas en martyre, elle se donne pour ce qu’elle est : une femme vendue, nerveuse, malade, qui a besoin de cent mille francs par an pour vivre et qui les prend où elle les trouve. […] La maison est vide, le jardin désert ; une lettre équivoque, trouvée sur une table, lui apprend qu’il est trahi, en phrases mystérieuses et comme balbutiées à voix basse ; et le malheureux tombe dans les bras de son père, accouru aux cris de son désespoir. […] Rien de plus simple cependant : les phrases vagues et banales que deux indifférents échangent avant un départ ; mais elles distillent un froid sinistre qui transit le cœur et puis ce mari fait peur : sa politesse est rigide, sa parole stricte et coupante ; on sent la glace de l’acier sous le velours serré et piquant de sa courtoisie.
Dans notre langue, où le signe se rapproche beaucoup plus de la parole que dans d’autres langues, combien de signes qui ne sont que pour les yeux, et où nous sommes obligés de nous représenter la phrase écrite pour atteindre au sens de la phrase prononcée ! […] On s’en tirera par un choix de phrases prises dans des ouvrages consacrés, et où l’on retrouvera le mot employé dans tous les sens qui lui ont été imposés soit par l’usage, soit par le génie particulier des auteurs.
La phrase, le plus souvent très longue, roule avec une gravité monotone. […] L’expression étincelante y brille à nombre de places sur le fond étoffé de cette phrase pesante comme les plis du velours, mais ce velours qui traîne ne s’enlève jamais sous les souffles irrésistibles qui donnent tant de grâce aux grands écrivains. […] Il l’a étudié et décrit comme il eût étudié et décrit le système organique de quelque monstrueux cétacé, dans une histoire générale des poissons… Il l’a étudié et décrit, sur ses propres témoignages à lui-même, dans un livre construit avec des milliers de citations et où presque chaque phrase en est une, ce qui fait la plus puissante des nomenclatures, et il a montré, dans le principe de sa vie et dans toutes les manifestations de son action, ce genre de monstre qui a constitué le jacobin dans la bête humaine, à un certain moment de l’histoire de France et de l’humanité, Ce livre incompatible, plus haut que les partis, et qui n’a été écrit pour être agréable à personne, mais pour la vérité, est un peu lourd, on doit le reconnaître, et pour le lire il faut quelque chose de la volonté ferme qu’il a fallu pour l’écrire ; mais cette lourdeur tient à sa force même.
Sur Diderot, à propos de Langres sa patrie ; sur Riouffe, en passant à Dijon où il fut préfet ; sur les bords ravissants de la Saône en approchant de Lyon ; sur l’endroit où Rousseau y passa la nuit à la belle étoile en entendant le rossignol ; sur cet autre endroit où probablement, selon lui, Mme Roland, avant la Révolution, avait son petit domaine, Mme Roland que Beyle ne nomme pas et qu’il désigne simplement « la femme que je respecte le plus au monde » ; sur Montesquieu « dont le style est une fête pour l’esprit » ; sur une foule de sujets familiers ou curieux, il y a de ces riens qui ont du prix pour ceux qui préfèrent un mot vif et senti à une phrase ou même à une page à l’avance prévue. […] Villemain est assiégé par des formes de phrases ; et, ce qu’on appelle un poète, M.
et vous n’auriez pas pris dans tous ces beaux livres des phrases pour des idées ! […] je méprise la parole et les phrases.
Tous les mérites en effet, tous les caractères distinctifs de ce beau talent, il les a reconnus, et on pourrait même lui emprunter des phrases pour les définir ; mais il ne se comporte pas avec lui comme avec les autres grands poètes qu’il a rencontrés jusque-là, il ne se complaît pas à le replacer dans son milieu ; il le déprime plutôt dans l’ensemble, il le réduit, et quand il est forcé de lui reconnaître une qualité, il ne la met pas dans son plus beau jour. […] La rime l’a conduit à des oppositions, à des redoublements d’antithèses dans des tours de phrases limités, ce qui est son fort à lui, mais ce qui est contraire à la large manière homérique et à ce plein fleuve naturel, courant à toutes ondes, continu, épandu et sonore.
On a la lettre ou le mémoire dans lequel il représente au roi l’inconvénient d’avoir pour ministre des Affaires étrangères un homme aussi mal embouché et aussi mal appris, qui avilit le poste le plus élevé par ses boutades, par ses travers et ses ridicules : « Il ne répond aux affaires les plus sérieuses que par de mauvais proverbes, vides de sens, et des phrases triviales, pleines d’indécence73. » Dans cette lutte sourde du maréchal de Noailles avec le marquis d’Argenson, je crois voir la politesse aux prises avec l’incongruité. […] Il faut voir au tome VII, page 338, des Mémoires du duc de Luynes, un Discours politique sur les affaires présentes, que les railleurs prêtaient au ministre des Affaires extérieures et qui est censé tout composé de phrases et de locutions familières à d’Argenson.
Il a la phrase tantôt plastique et nettement élégante, tantôt robustement sentencieuse et ramassée. […] Cette construction supprime le signe de comparaison, elle établit l’équivalence, l’identité des deux objets dont l’un va prendre la place de l’autre dans l’imagination et la phrase du poète.
Ils ne peuvent dire une phrase sans y mettre un « nom de D… ». […] À signaler l’emploi de plus en plus fréquent des deux adverbes justement et même commençant les phrases, et l’abus de certaines constructions que je définirais si cela en valait la peine.
« Il y a, dit-il, quelque chose de gonflé, d’élastique jusqu’à l’infini dans les idées des hommes du septentrion, qui disloque et fait craquer, si je puis m’exprimer ainsi, nos phrases latino-françaises. » Ailleurs il remarque que les écrits de Shakespeare5 procurent un agrément d’une nature toute contraire à celle du plaisir que l’on goûte en lisant les ouvrages des écrivains des siècles de Périclès, d’Auguste, de Léon X et de Louis XIV. […] Quant à Byron, sans parler de quelques beaux symboles de lui, tels que sa Grèce mourante, connus de tout le monde et presque populaires, on peut dire que son style présente continuellement ce mélange de langage positif et figuré dans la même phrase, qui est aussi, comme on l’a remarqué, l’artifice presque continuel du style de Shakespeare.
Mais quand la foudre eut grondé, quand il fallut se dévouer à l’erreur ou à la vérité, donner à l’une ou à l’autre sa parole, sa gloire et son sang, ce bonhomme eut le courage de demeurer académicien, et s’éteignit dans Rotterdam, au bout d’une phrase élégante encore, mais méprisée. […] Érasme, si élégant écrivain qu’il fût, n’était pas du tout un académicien dans le sens où l’entend l’orateur ; il était de ceux qui aiment les lettres, mais non la phrase.
Je me suis écrié, et j’ai compris alors seulement cette phrase d’une lettre qu’elle écrivait l’an dernier, du fond de son Berry, à une personne de ses amies qui la poussait sur la politique : « Vous pensiez donc que je buvais du sang dans des crânes d’aristocrates ; eh ! […] Elle adopte un genre mixte, comme si elle contait « ayant à sa droite un Parisien parlant la langue moderne, et à sa gauche un paysan devant lequel elle ne voudrait pas dire une phrase, un mot où il ne pourrait pas pénétrer.
Mes phrases ne sont pas le résultat d’un calcul, d’une froide combinaison d’esprit ; elles suivent les mouvements de mon âme ; c’est le sentiment que j’éprouve qui me donne le ton : j’écris comme je suis affecté, et voilà pourquoi on me lit. […] Il avait dans la manière de finir, dans le jet de la phrase, certain geste de tête que nous lui avons bien connu ; il avait de l’abbé Delille en prose.
Si je ne craignais de commettre un anachronisme de langage, je ne croirais pas en commettre un au moral, en disant qu’il y avait déjà en Mme Du Deffand de ce qui sera Lélia, mais Lélia sans aucune phrase. […] On me permettra de citer encore ce passage, parce qu’on a accusé Mme Du Deffand de ne point aimer Plutarque, et que je suis sûr que, si elle ne l’a point aimé, c’est qu’elle a découvert un tant soit peu de rhéteur en lui : J’aime les noms propres aussi, dit-elle ; je ne puis lire que des faits écrits par ceux à qui ils sont arrivés, ou qui en ont été témoins ; je veux encore qu’ils soient racontés sans phrases, sans recherche, sans réflexions ; que l’auteur ne soit point occupé de bien dire ; enfin je veux le ton de la conversation, de la vivacité, de la chaleur, et, par-dessus tout, de la facilité, de la simplicité.
Quand M. de Chateaubriand essaie de nous peindre la douleur qu’il éprouva dans le temps, après avoir brisé le cœur de Charlotte, il parvient peu à nous en convaincre ; des tons faux décèlent le romancier qui arrange son tableau, et l’écrivain qui pousse sa phrase : « Attachée à mes pas par la pensée, Charlotte, gracieuse, attendrie, me suivait, en les purifiant, par les sentiers de la Sylphide… » et tout ce qui suit. Ne sentez-vous pas, en effet, la phrase littéraire et poétique qui essaie de feindre un accent ému ?
Quant au texte, j’ai dit qu’il est pour la première fois exact et fidèle ; on a rétabli bien des traits fermes, bien des phrases énergiques et vives que la prudence ou la pruderie littéraire des premiers éditeurs avait effacées ou adoucies. […] Charles de La Harpe, m’écrit au sujet de cette phrase : « Il est deux autres choses encore dont il ne plaisantait jamais : l’amour de la patrie et l’amitié.
» Combien une telle question, si on se la posait, retrancherait, ce semble, de phrases inutiles et raccourcirait de discussions oiseuses ! […] Montaigne n’était pas prodigue de protestations et de phrases, et ce qui, chez d’autres, serait formule, est ici engagement réel et vérité.
Mais je vous trouve trop circonspect ; fiez-vous à votre propre sens ; ne feignez point de dire en un besoin que tel bon écrivain a dit une sottise : surtout gardez-vous bien de croire que quelqu’un ait écrit en français depuis le règne de Louis XIV : la moindre femmelette de ce temps-là vaut mieux pour le langage que les Jean-Jacques, Diderot, d’Alembert, contemporains et postérieurs ; ceux-ci sont tous ânes bâtés sous le rapport de la langue, pour user d’une de leurs phrases ; vous ne devez pas seulement savoir qu’ils aient existé. […] Il ferait gagner à Pompée la bataille de Pharsale, si cela pouvait arrondir tant soit peu sa phrase.
Artiste dans la plus forte acception du terme, il exprime sa pensée en phrases irréductibles et ne voit dans l’art que la science du nombre, le secret de la grande harmonie. […] Maurice du Plessys Maurice du Plessys fut autrefois surnommé le « Bidel du Verbe » pour sa dextérité à ordonner dans une phrase les mots les plus rebelles et à les assouplir au rythme.
Au lieu de peindre tout comme il savait peindre (car avec sa phrase décharnée, qui n’est plus qu’une fibre, il dessinait plus qu’il ne peignait), au lieu de peindre tout il se plaint de tout : de sa santé qui se détraque, du soleil qui lui mange le nez dans les promenades officielles de Fontainebleau, de la chaleur des salons, du froid des corridors, et surtout (son plus grand supplice !) […] Cynique dans l’intimité, lui, le Mérimée des Tuileries, qui affectait de la tenue dans le monde, — une tenue de correction presque anglaise, — se déboutonne, dans ces Lettres, jusqu’à une ignoble phrase dans laquelle il appelle coglioni (traduisez !)
Figurez-vous cette langue, plus plastique encore que poétique, maniée et taillée comme le bronze et la pierre, et où la phrase a des enroulements et des cannelures, figurez-vous quelque chose du gothique fleuri ou de l’architecture moresque appliqué à cette simple construction qui a un sujet, un régime et un verbe ; puis, dans ces enroulements et ces cannelures d’une phrase, qui prend les formes les plus variées comme les prendrait un cristal, supposez tous les piments, tous les alcools, tous les poisons, minéraux, végétaux, animaux ; et ceux-là, les plus riches et les plus abondants, si on pouvait les voir, qui se tirent du cœur de l’homme : et vous avez la poésie de Baudelaire, cette poésie sinistre et violente, déchirante et meurtrière, dont rien n’approche dans les plus noirs ouvrages de ce temps qui se sent mourir.
Sa plume est aussi des plus vives : on ne lui reprochera pas la lenteur ni le traînant des phrases.
Rousseau tué par les chagrins et par la misère… » Après avoir quelque temps continue sur ce ton, l’auteur s’attache à une phrase échappée à M. de Custine dans son livre sur l’Espagne : « En France, dit le spirituel touriste, Rousseau est le seul qui ait rendu témoignage par ses actes autant que par ses paroles à la grandeur du sacerdoce littéraire ; au lieu de vivre de ses écrits, de vendre ses pensées, il copiait de la musique, et ce trafic fournissait à ses besoins.
Ceux qui vous traiteront ainsi seront tous des philosophes, auront à tout moment à la bouche les phrases que vous débitez depuis une heure, répéteront toutes vos maximes, citeront comme vous les vers de Diderot et de la Pucelle Et quand tout cela n’arrivera-t-il Six ans ne se passeront pas que tout ce que je vous dis ne soit accompli Voilà bien des miracles, dit Laharpe, et vous ne m’y mettez pour rien Vous y serez pour un miracle tout au moins aussi extraordinaire ; vous serez alors chrétien Ah !
Il piochait des parallèles entre Virgile et Homère, entre Corneille et Racine, et il s’appliquait à rédiger en phrases « brillantes » son jugement sur Lemierre, Thomas et Jean-Baptiste Rousseau.
Cathos et Madelon sont proprement des snobinettes et les aïeules authentiques des dames bizarres qu’on voit dans les couloirs du théâtre de l’Œuvre. « C’est là savoir le fin des choses, le grand fin, le fin du fin », est une phrase de snob et même d’esthète.
Je ne dis rien de plus et ne vous répéterai pas la phrase de Bourdaloue sur les commencements des grandes fortunes.
La plus belle phrase peut-être, et la plus profonde, de On ne badine pas avec l’amour a été empruntée textuellement par Alfred à une lettre de George.
Brusquement elle éclate en une magnificence de phrases, en un triomphe de rimes ; elle scintille, elle éblouit, elle émerveille.
Presque toujours la construction de la phrase parallèlement à l’ordre des sensations, le rythme, les sonorités de voyelles et de consonnes, tout cela s’unit harmonieusement pour suggérer une image… Le Jeu des épées qui termine la première série des poèmes de M.
On jugera mieux ce poème, écrit en une prose comme déshabillée de tout l’inutile, lorsque les rêvasseries des Sébastien Faure n’intéresseront plus que la pathologie mentale ; de toutes les déclamations de plusieurs déments ou faibles d’esprit, il demeurera, avec le souvenir d’une période d’aberration, renouveau des fraticelles, des camisards, des flagellants ou des hurleurs, — qu’un poète aura bien voulu se joindre à ces jeux et mener ces danses au son de belles phrases, agitées lentement comme des saules par le vent du matin ; et croyant détruire, M.
Quand l’adolescent a fini un nombre suffisant de phrases commencées par son maître, quand il les a ornées d’adjectifs modérés, quand il a, en temps convenable, emmailloté des idées qu’il n’avait point conçues, le grade de bachelier ès lettres vient témoigner qu’il a appris par là à se rendre maître de ses propres pensées.
Palissot de pouvoir citer une seule phrase des Trois Siecles pillée dans ses Mémoires.
« Dans ce siècle même, dit Buffon, où les sciences paraissent être cultivées avec soin, je crois qu’il est aisé de s’apercevoir que la philosophie est négligée, et peut-être plus que dans aucun siècle ; les arts, qu’on veut appeler scientifiques, ont pris sa place ; les méthodes de calcul et de géométrie, celles de botanique et d’histoire naturelle, les formules, en un mot, et les dictionnaires, occupent presque tout le monde : on s’imagine savoir davantage, parce qu’on a augmenté le nombre des expressions symboliques et des phrases savantes, et on ne fait point attention que tous ces arts ne sont que des échafaudages pour arriver à la science, et non pas la science elle-même ; qu’il ne faut s’en servir que lorsqu’on ne peut s’en passer, et qu’on doit toujours se défier qu’ils ne viennent à nous manquer, lorsque nous voudrons les appliquer à l’édifice161. » Ces remarques sont judicieuses, mais il nous semble qu’il y a dans les classifications un danger encore plus pressant.
Il affecte de la peindre comme une fille vertueuse en jeune personne : et plus d’une fois il lui fait dire, en phrases poëtiques, qu’elle n’a point vû le monde, et qu’elle ne le connoît pas encore.
Voilà pourquoi leur esprit semble les abandonner quelquefois, et quelquefois les tirer par l’oreille, suivant la phrase d’Horace, pour les obliger d’écrire ou de peindre.
Lebesgue exige des conditions compliquées : « Cela, d’ailleurs, ne suffit pas absolument à former l’écrivain ; il faut également savoir écouter, car c’est par l’harmonie, qualité rare, que les images s’évoquent, intégrales, dans le trame des phrases.
Une note n’est pas belle ; c’est une phrase musicale qui est belle. Une tâche n’est pas belle, c’est une combinaison de couleurs, une phrase de couleurs, qui est belle. […] Dans quel discours de centre gauche voulez-vous faire entrer une phrase comme celle-ci ? […] C’est trop simple de ne voir dans Gambetta que l’homme des balcons, qui brandit sur les foules des phrases creuses. […] Michelet désosse ses phrases, les Goncourt parfois aussi. » Quelquefois un peu de critique.
Peu à peu les mots viendront, puis les phrases, puis les idées ; à partir de ce moment les rouages de la machine sont échauffés, elle tourne à toute vitesse, et Dieu sait où elle peut vous mener ! […] Je fus le premier à rompre le silence ; je lui dis, répondant à sa phrase gracieuse sur un ton de rudesse et le regardant, moi aussi, bien en face : — Le temps des mensonges est passé.. […] Les phrases restent masquées comme les visages, et c’est heureux, car si chacun se découvrait à cette minute, laissait voir sa pensée du fond, quel désarroi dans l’illustre société ! […] … » Et si le mondain se récrie sur son indignité, le peu de sa personne et de son bagage, le racoleur lui sort la phrase consacrée : « L’Académie est un salon… Bon sang de Dieu ! […] Malot, toute son étude psychologique, tiennent dans ces trois phrases.