La Femme de mauvaise vie était devenue, dans son imagination, une châtelaine de 15 à 16 ans, vermeille, ` jeune, de haute taille. […] Rien n’y est donné à l’imagination et au cœur. […] Dans ce même pays sur lequel Calvin avait comme imprimé le sombre cachet de son génie, un homme supérieur, saint François de Sales, moins de quarante ans après lui, devait, dans des écrits pleins d’onction, attirer aux enseignements de la foi l’imagination et le cœur, et rendre Dieu aimable où Calvin l’avait rendu si terrible.
Clermont-Tonnerre, où avait lieu une fête d’enfants, une représentation de la Barbe-Bleue ; sur un théâtre admirablement machiné par un répétiteur de l’École centrale, et dont il avait peint la toile : fête, où il avait tous les succès pour sa gaieté, pour sa camaraderie avec les moutards, pour ses imaginations drolatiques ; fête, où il s’était trouvé heureux, heureux comme tout, jusqu’au moment où M. […] Jamais les travaux de l’imagination n’ont eu pour nous cet empoignement, qui fait absolument oublier non seulement les heures, mais encore les ennuis de la vie, et tout au monde. […] * * * — Dans les troubles de l’art, à la fin des vieux siècles, quand les nobles doctrines sont mourantes, et que l’art se trouve entre une tradition perdue et quelque chose qui va naître, il apparaît des décadents libres, charmants, prodigieux, des aventuriers de la ligne et de la couleur qui risquent tout, et apportent en leurs imaginations, avec une corruption suave, une délicieuse témérité.
Toute l’imagination du théâtre de ces jours-ci, consiste à convertir la lettre en télégramme, et à remplacer le rideau par quelque chose comme la porte d’un cabinet d’aisance. […] l’imagination de la peur… celle-là, je l’ai, oui, je l’ai… C’est malheureux, ajoute-t-il sur un ton léger, que cela ne puisse servir dans les romans. […] Les voleurs de la cour d’assises ne ressemblent pas du tout aux voleurs de notre imagination.
Il se produisit, à ce moment, un phénomène assez singulier : sur la fin et comme à l’arrière-saison d’un siècle si riche par l’ensemble et la réunion des plus belles facultés de l’esprit et de l’imagination, on vit paraître plusieurs hommes distingués, et quelques-uns même éminents par certaines parties de l’intelligence, mais notablement privés et dénués d’autres facultés qui se groupent d’ordinaire pour composer le faisceau de l’âme humaine : — Fontenelle en tête, le premier de tous, une intelligence du premier ordre, mais absolument dénué de sensibilité ; La Motte, l’abbé Terrasson, qui l’un et l’autre, avec l’esprit très perspicace sur bien des points, raisonnaient tout à côté comme s’ils étaient privés de la vue ou du goût, de l’un des sens qui avertissent. […] Ces camarades, qu’il ne nomme pas, outre Varignon, l’ardent géomètre, c’était quelquefois l’abbé de Vertot, Normand aussi et d’une imagination vive, qui venait les visiter et loger sous leur toit ; c’était ce penseur fin et neuf, et alors très hardi, Fontenelle : J’étais leur compatriote, nous dit celui-ci, et j’allais les voir assez souvent, et quelquefois passer deux ou trois jours avec eux : il y avait encore de la place pour un survenant… Nous nous rassemblions avec un extrême plaisir, jeunes, pleins de la première ardeur du savoir, fort unis et, ce que nous ne comptions peut-être pas alors pour un assez grand bien, peu connus.
Il est curieux de voir comme à chaque trêve, à chaque intervalle de paix, après la paix d’Amiens, puis en 1807, puis en 1810, cette imagination grandiose et civilisatrice se reprend avec ardeur et précision à ses plans conçus ou ébauchés, comme elle s’y applique en toute hâte et se remet à pousser tous les grands travaux, les projets d’embellissement, toutes les branches de services pacifiques, que la guerre vient toujours trop tôt ralentir et interrompre. […] Il ne considérait plus sa bonne et sa mauvaise fortune d’autrefois que comme des rêves dont il défendait le mieux qu’il pouvait son imagination, moins attristée encore qu’attendrie.
L’imagination s’éveillait déjà en elle, une espèce d’imagination qui s’isole en le voulant, pleine de suite en son rêve, compatible avec les qualités de la vie positive, et qui ne fait jamais confusion avec la réalité ; elle-même l’a décrite à merveille dans son conte en prose du Bracelet maure.
Ces Prevost avaient la parole vive comme l’imagination, mais avec eux beaucoup de choses se passaient en paroles262. […] Lui-même il a dit avec un mélange de satisfaction et d’humilité qui n’est pas sans grâce : « On se peint, dit-on, dans ses écrits ; cette réflexion serait peut-être trop flatteuse pour moi. » Il a raison ; et pourtant cette règle de juger de l’auteur par ses écrits n’est point injuste, surtout par rapport à lui et à ceux qui, comme lui, joignent une âme tendre et une imagination vive à un caractère faible ; car si notre vie bien souvent laisse trop voir ce que nous sommes devenus, nos écrits nous montrent tels du moins que nous aurions voulu être.
Mais si la méthode et la précision du raisonnement, le style, les idées accessoires sont susceptibles de perfectionnement, les discours des modernes peuvent acquérir, par leur ensemble, une grande supériorité sur les modèles de l’antiquité ; et ce qui appartient à l’imagination même produirait nécessairement plus d’effet, si rien n’affaiblissait cet effet, si tout servait au contraire à l’accroître. […] Cette manière de voir étant adoptée par les hommes éclairés, influe sur la teinte générale des idées, mais ne triomphe pas des affections ; elle ne parvient à détruire ni l’amour, ni l’ambition, ni aucun de ces intérêts instantanés dont l’imagination des hommes ne cesse point de s’occuper, alors même que leur raison en est détrompée : mais cette philosophie purement méditative jette dans la peinture des passions un caractère de mélancolie qui donne à leur langage un nouveau degré de profondeur et d’éloquence.
Une puissance de création médiocre ; un peu de jalousie, de malignité à l’égard des grands contemporains, où l’on sent un dépit de n’avoir pas percé soi-même au premier rang ; un excès de sévérité pour les vaincus du combat politique qui ne sont pas satisfaits de leur défaite, une insistance à les convertir, où le journaliste officiel, payé, protégé, se découvre trop, et qui fait que des Lundis, à les lire tout d’une suite, émane un déplaisant parfum de servilité ; certain goût de commérages et d’investigations scabreuses, où l’on devine que, sous prétexte d’exactitude historique, se satisfait une imagination inapaisée de vieux libertin : voilà le mal qu’on peut dire de Sainte-Beuve857 . […] Étalant à nos yeux son ample collection de petits faits significatifs, il a encore ici fait jouer ses trois forces, race, milieu, moment, avec une étonnante vigueur d’imagination philosophique : quelques erreurs dans l’estimation des sources, de violents partis pris dans l’interprétation de l’enchaînement des faits, ne diminuent pas la solidité de l’œuvre, ni surtout sa richesse suggestive867 Taine est un des grands esprits de ce siècle : il a eu au suprême degré l’intelligence et la volonté.
Je ne répondrais pas qu’en flétrissant ces perversions il défende à son imagination de s’y attarder quelque peu, ni qu’il n’éprouve point une sorte de plaisir obscur à prolonger, sur ces objets, sa colère ou sa raillerie (nous sommes faibles) ; mais il a trop souvent commenté le Naturam sequere, et cette antique devise est trop évidemment la sienne, pour qu’on puisse douter de la sincérité de ses vertueuses indignations. […] Sous leur bienfaisante influence, les hommes mettraient un peu de sentiment, d’imagination, de douceur et de pitié dans l’organisation de la société et dans le gouvernement des affaires publiques.
Un homme dépourvu d’idées, de sensibilité, d’imagination, et qui n’aime pas le lieu commun, se mêle d’écrire, et écrit toute sa vie : cela n’est pas très rare ; mais il y réussit : cela est extraordinaire, ne s’est produit peut-être qu’une fois dans l’histoire de l’art, est infiniment curieux à étudier. […] grâce à lui, la raison reprend peu à peu sa place légitime, celle de frein dans les impulsions de l’imagination et de la sensibilité, et c’est là le vrai sens de la boutade : « Mes métaphores se tiennent, tout est là » ; c’est beaucoup du moins ; et comme on l’avait oublié autour de lui, Vigny et Sainte-Beuve exceptés !
Il faut se rappeler que, dans les idées juives, antipathiques à l’art et à la mythologie, la simple forme de l’homme avait une supériorité sur celle des chérubs et des animaux fantastiques que l’imagination du peuple, depuis qu’elle avait subi l’influence de l’Assyrie, supposait rangés autour de la divine majesté. […] Ces bons Galiléens n’avaient jamais entendu une parole aussi accommodée à leur imagination riante 397.
Son imagination, son goût de la nature se trouvaient à l’étroit dans ces murailles. […] Ses belles prédications, dont l’effet était toujours calculé sur la jeunesse de l’imagination et la pureté de la conscience morale des auditeurs, tombaient ici sur la pierre.
alors, la raison est double pour qu’il n’ait plus de prise du tout sur l’imagination humaine, cette grossière. […] » Et vraiment pour nous qui les admirons aujourd’hui comme l’originalité la plus extraordinaire et la plus puissante, le plus incroyable à nos yeux n’est pas d’avoir créé dans l’histoire ou vu ce qui, de fait, n’y est pas (car c’est la même chose), mais c’est de n’avoir pas brouillé les lignes en écrivant dans l’entre-deux ; c’est de n’avoir pas faussé l’histoire connue, en y ajoutant ; c’est d’avoir pu, par exemple, l’Évangile étant donné, l’Évangile qu’on peut, même sans être chrétien, sans avoir l’âme bien haute, sans être Jean-Jacques, trouver le plus beau livre qui ait jamais paru parmi les hommes, ajouter aux faits qu’il renferme ; à son esprit, à son langage, et cela sans que l’imagination se soulève avertie et dise précisément comme on dit du Père Lacordaire sur la Madeleine : « Prenons garde !
De pareils noms doivent agir sur l’imagination d’un éditeur… et qui sait ? peut-être aussi sur l’imagination des critiques ; car il y aura des critiques qui n’oseront jamais dire que ce livre n’est pas d’un intérêt dévorant et qu’il n’ajoute rien à la gloire de personne, pas même à celle de la femme pour laquelle il a été écrit, et qui pouvait très bien, sans que pour cela on l’oubliât, se passer d’un si vide hommage !
Il a fallu la vue intérieure des caractères, la précision, l’énergie, la tristesse anglaise, la fougue, l’imagination, le paganisme de la Renaissance pour produire un Shakspeare.
Quant à la hauteur de son imagination, elle paraît suffisamment prouvée par les Fossiles, cette œuvre que Théophile Gautier appelait « la plus difficile, peut-être, qu’ait tentée un poète !
Ses types militaires sont destinés à devenir populaires : Potiron et Lidoire se substitueront dans l’imagination faubourienne au fusillier Pitou et à l’archaïque Dumanet.
Tout en fréquentant les sombres bureaux de rédaction et en vivant de la vie enfumée, poussiéreuse et énervante de Paris, il laissait son imagination s’envoler vers les pays lointains : amour boréal, amour africain, idylles chinoises et coloniales, tout le captivait, et son Harem n’est autre chose qu’un Tour du Monde en vingt-cinq parties.
Pendant les années d’agitation et d’angoisses qui suivirent la Révolution de février, et où la fièvre démocratique, chauffée au feu des imaginations méridionales, propageait, dans nos campagnes, sous leurs formes les plus brutales, toutes les théories communistes, Roumanille, fils d’un jardinier et modeste employé dans une imprimerie d’Avignon, renonçant aux douces familiarités de sa muse bien-aimée, se mit à écrire, en provençal, de petits livres populaires qui firent plus, dans nos départements, pour la cause de l’ordre et du bon sens, que toutes les publications.
Ainsi je me féliciterais que la nature vous ait créé — non seulement narrateur, soit enclin à formuler, pour les sentir plus largement et mieux en détail, les légendes écloses en votre imagination — mais encore, et auparavant, et éminemment voyeur (pour ne pas dire sensuel ou sensible, mots dont la signification s’est trop épandue), oui, regardeur, écouteur, gourmet, nez fin, avec toutes ces particularités compliquées de mémoire (souvenir des paysages, gestes, odeurs, etc.), à seule fin que se manifestent en réalités immédiatement reconnaissables lesdites cérébrales éclosions.
Ses Poésies annoncent une imagination douce & brillante ; les expressions en sont naturelles & délicates, le style simple & plein de graces ingénues.
L’esprit d’anarchie s’est répandu sur tous les genres : en matiere de goût, comme en matiere de raison, tout se réduit à l’arbitraire ; le plus grand nombre des Ouvrages d’agrément annoncent l’oubli des regles, l’amour des systêmes, le renversement des principes reçus ; les Ouvrages de morale ne sont le plus souvent que le fruit d’une imagination indépendante, qui assujettit à ses caprices les sentimens, les devoirs, les bienséances ; dans les Ouvrages de raisonnement, le sophisme triomphe, la Philosophie attaque les vérités les plus certaines, mine avec activité les fondemens de la Religion, des Mœurs, des Loix, rompt les nœuds de la Société, & obscurcit jusqu’aux notions les plus claires de la Nature.
Il avoit cependant, dans ce dernier Ouvrage, un modèle bien capable de féconder son imagination, & d’adoucir son style.
Ronsard, pour le peindre en deux mots, avoit les principales qualités qui font les grands Poëtes, la force & le brillant de l'imagination, la fécondité de l'esprit, les agrémens de la fiction, cette invention heureuse, l'ame de la Poésie.
Quoique la force & l'élégance ne soient pas son caractere dominant, elle ne manque ni d'esprit, ni d'imagination ; elle est d'ailleurs quelquefois gaie, toujours honnête, & ne s'est attachée qu'à des sujets que tout Poëte peut traiter sans honte, & tout Lecteur lire sans remords.
Le plus grand défaut qu’on puisse reprocher à l’Abbé Trublet, c’est d’appuyer trop long-temps sur une même pensée, de la retourner en trop de façons différentes ; défaut qui prouve au moins l’injustice des traits lancés contre sa stérilité & son peu d’imagination.
Toutes les démarches, tous les libèles, toute les chansons de ses ennemis, tournoient contr’eux, & ne servaient qu’à fournir à sa causticité, à donner du ressort à son imagination.
Et vous ne songez pas que ces arbres doivent être touchés fortement, qu’il y a une certaine poésie à les imaginer selon la nature du sujet, sveltes et élégans, ou brisés, rompus, gercés, caducs, hideux ; qu’ici pressés et touffus, il faut que la masse en soit grande et belle ; que là rares et séparés, il faut que l’air et la lumière circulent entre leurs branches et leurs troncs ; que cette terrasse veut être chaudement peinte ; que ces eaux imitant la limpidité des eaux naturelles, doivent me montrer comme dans une glace l’image affaiblie de la scène environnante ; que la lumière doit trembler à leur surface ; qu’elles doivent écumer et blanchir à la rencontre des obstacles ; qu’il faut savoir rendre cette écume ; donner aux montagnes un aspect imposant ; les entr’ouvrir, en suspendre la cime ruineuse au-dessus de ma tête, y creuser des cavernes, les dépouiller dans cet endroit, dans cet autre les revêtir de mousse, hérisser leur sommet d’arbustes, y pratiquer des inégalités poétiques ; me rappeller par elles les ravages du temps, l’instabilité des choses, et la vétusté du monde ; que l’effet de vos lumières doit être piquant ; que les campagnes non bornées doivent, en se dégradant, s’étendre jusqu’où l’horizon confine avec le ciel, et l’horizon s’enfoncer à une distance infinie ; que les campagnes bornées ont aussi leur magie ; que les ruines doivent être solennelles, les fabriques déceler une imagination pittoresque et féconde ; les figures intéresser, les animaux être vrais ; et que chacune de ces choses n’est rien, si l’ensemble n’est enchanteur ; si composé de plusieurs sites épars et charmans dans la nature, il ne m’offre une vue romanesque telle qu’il y en a peut-être une possible sur la terre.
Paul Nibelle4 Paul Nibelle est un écrivain d’imagination et de sentiment.
Il a l’imagination aussi minutieuse qu’énergique. […] Vous vous intéresserez aux passions par la sympathie de l’artiste ou par la compréhension du philosophe ; vous les trouverez naturelles en ressentant leur force, ou vous les trouverez nécessaires en calculant leur liaison ; vous cesserez de vous indigner contre des puissances qui produisent de beaux spectacles, ou vous cesserez de vous emporter contre des contre-coups que la géométrie des causes avait prédits ; vous admirerez le monde comme un drame grandiose ou comme un développement invincible, et vous serez préservé par l’imagination ou par la logique du dénigrement où du dégoût. […] Une fois l’imagination prise, il ira criant, se persuadant par ses propres cris, intraitable. « Votre paragraphe, dit Swift à ses adversaires, rapporte encore ceci, que sir Isaac Newton a rendu compte d’un essai fait à la Tour sur le métal de Wood, par quoi il paraissait que Wood a rempli à tous égards son traité. […] Il est exclu des grands ravissements de l’imagination comme des vives échappées de la conversation. […] … I shall not descend so minutely, as to insist upon the vast number of beaux, fiddlers, poets, and politicians, that the world might recover by such a reformation… Even I myself, the author of these momentous truths, am a person whose imaginations are hard-mouthed, and exceedingly disposed to run away with his reason, which I have observed from long experience to be a very light rider, and easily shaken off ; upon which account my friends will never trust me alone, without a solemn promise to vent my speculations in this or the like manner, for the universal benefit of mankind.
Il ne se distingue point par le goût, par le jugement, et il a de singulières saillies d’imagination.
On ne sait vraiment comment concilier ces folâtreries d’imagination avec tant de généreux accents, avec des cris de cœur si profonds et si sérieusement sympathiques.
., etc. » Et maintenant, quand on publiera les lettres d’amour de Benjamin Constant à Mme Récamier, quand on relira la biographie flatteuse qu’il a tracée d’elle pour lui plaire et la charmer, quand on le verra prodiguer les larmes, les soupirs, faire jouer les feux follets de l’imagination et même les légères vapeurs du mysticisme (car tout est bon pour s’insinuer), on aura le revers ; on saura ce qu’il était avant et après ; avant, tant qu’il eut le désir, et après, quand il eut cessé d’espérer.
Dans le midi, on vit au jour le jour ; la présence du soleil, des travaux peu pénible et jamais interrompus, des sensations toujours en éveil, ne permettent pas les longues espérances ni les longues inquiétudes : on y jouit précisément de cette liberté d’esprit si propice à l’essor de l’imagination ; c’est là que devaient et que seulement pouvaient naître ces poètes aimables, qui chantaient les douceurs du rien faire, la jouissance du présent et l’oubli du lendemain.
La finesse, les graces, l’abus de l’imagination, la subtilité de l’esprit dans le style : le même esprit doué de la plus grande pénétration, étincelant des plus vives lumieres, enrichi des plus vastes connoissances ; tels sont les défauts & les qualités qui fixeront le jugement qu’on doit porter de M. de Fontenelle, comme Littérateur & comme Philosophe.
Quelle comparaison entre un Ouvrage marqué au coin du génie, conduit avec un art qui enchante, enrichi de tableaux & de sentimens qui attachent & pénetrent l’ame, embelli par des peintures qui ravissent l’imagination & la captivent !
On chercheroit en vain, dans ses Epîtres & dans ses Discours philosophiques, ce ton d’aigreur & de cynisme, qu’un coloris séduisant n’est pas capable d’adoucir ; ces maximes hardies qui défigurent toutes notions ; cet appareil de sentiment qui n’échauffe que l’imagination & laisse le cœur froid.
Ce Journaliste ajoute encore, en parlant du même Poëme : « L’agrément des descriptions y fait disparoître la sécheresse des préceptes, & l’imagination du Poëte y sait délasser le Lecteur par des fables qui, quoique trop fréquentes, sont presque toujours riantes & bien choisies.
Son imagination, vive & judicieuse tout ensemble, répand la chaleur & la vie sur tous les objets ; le style en est clair, simple, méthodique, plein de grace & de dignité.
L’imagination de ce poëte l’entraînoit continuellement.
Le grand Corneille répond à ces objections, que cet usage a été établi pour donner du repos à l’esprit, dont l’attention ne pourrait se soutenir pendant cinq actes, et n’est point assez relâchée par les chants du chœur, dont le spectateur est obligé d’entendre les moralités ; que, de plus, il est bien plus facile à l’imagination de se figurer un long terme écoulé dans nos entr’actes, que dans les entr’actes des Grecs, dont la mesure était plus présente à l’esprit ; qu’enfin la constitution de la tragédie moderne est de ne point avoir de chœur sur le théâtre, au moins pendant toute la pièce.
Homère semble avoir été particulièrement doué de génie, Virgile de sentiment, le Tasse d’imagination.
Loin de flétrir l’imagination, en lui faisant tout toucher et tout connaître, il a répandu le doute et les ombres sur les choses inutiles à nos fins ; supérieur en cela à cette imprudente philosophie, qui cherche trop à pénétrer la nature de l’homme et à trouver le fond partout.
C’est une chose miraculeuse, sans doute, qu’en peignant la colère ou la tristesse du ciel chrétien, on ne puisse détruire dans l’imagination du lecteur le sentiment de la tranquillité et de la joie : tant il y a de sainteté et de justice dans le Dieu présenté par notre religion !
L’imagination du Dante, épuisée par neuf cercles de tortures, n’a fait de Satan enclavé au centre de la terre qu’un monstre odieux ; le Tasse, en lui donnant des cornes, l’a presque rendu ridicule.
Je laisse là tous ses petits tableaux, ses deux pastorales où il y a la fausseté de Boucher, sans son imagination, sa facilité et son esprit, la Femme qui amuse son enfant avec un moulin à vent, sa Sainte Famille que je n’ai point aperçue ni moi ni personne, la Femme qui dessine à l’encre de la Chine, et j’en viens à sa grande composition.
Comme un tableau ne répresente qu’un instant d’une action, un peintre né avec du genie, choisit l’instant que les autres n’ont pas encore saisi, ou s’il prend le même instant, il l’enrichit de circonstances tirées de son imagination, qui font paroître l’action un sujet neuf.
C’est une imagination vive et tendre, — plus tendre qu’elle ne le croit elle-même.
Nous disions ici même, il y a peu de temps, que la philosophie, accablée sous ses fautes et sous ses excès, n’en pouvait plus, et nous nous demandions si la littérature, qui se débat encore, aurait le destin de la philosophie ; car, chez les peuples intellectuellement en décadence, l’imagination a la vie plus dure que les autres facultés, et elle est la dernière à mourir.
C’est la grandeur du cœur ici qui fournit à l’imagination sa matière. […] Une couleur en attire une autre, d’un son il passe à un autre son ; son imagination est une enfilade de tableaux qui se suivent sans s’expliquer. […] La société, en se formant, amenait avec soi l’idée de la paix et le besoin de la justice, et les dieux guerriers languissaient dans l’imagination des hommes, en même temps que les passions qui les avaient faits. […] La puissante imagination germanique, où les visions éclatantes et obscures affluent subitement et débordent par saccades, faisait contraste avec l’esprit raisonneur dont les idées ne se rangent et ne se développent qu’en files régulières, en sorte que si le barbare, dans ses essais classiques, gardait quelque portion de ses instincts primitifs, il ne parvenait qu’à produire une sorte de monstre grotesque et affreux. […] Maintes fois chez les autres, chez les légendaires, on retrouvera cette déformation du latin violenté par l’afflux de l’imagination trop forte.
Chaucer est comme un joaillier, les mains pleines ; perles et verroteries, diamants étincelants, agates vulgaires, jais sombres, roses de rubis, tout ce que l’histoire et l’imagination ont pu ramasser et tailler depuis trois siècles en Orient, en France, dans le pays de Galles, en Provence, en Italie, tout ce qui a roulé jusqu’à lui entrechoqué, rompu, ou poli par le courant des siècles et par le grand pêle-mêle de la mémoire humaine, il l’a sous la main, il le dispose, il en compose une longue parure nuancée, à vingt pendants, à mille facettes, et qui par son éclat, ses variétés, ses contrastes, peut attirer et contenter les yeux les plus avides d’amusement et de nouveauté. […] À travers ces dévergondages d’esprit, parmi ces exigences raffinées et cette exaltation inassouvie de l’imagination et des sens, il y avait une passion, l’amour, qui, les réunissant toutes, s’était développée à l’extrême, et montrait en abrégé le charme maladif, l’exagération foncière et fatale, qui sont les traits propres de cet âge, et que la civilisation espagnole reproduisit plus tard en florissant et en périssant. […] Sur quoi Satan baissa sa queue et se tint tranquille… » Ce bel endroit, ajoute le conteur, « est le vrai héritage des moines. » Voilà les rudes bouffonneries de l’imagination populaire. […] Son imagination est libre et son raisonnement est esclave. […] Amours et moralités, c’est-à-dire mignardise et abstractions, tel est le goût du temps228 ; pareillement, au temps de Lebrun, d’Esménard, à l’extrême fin de notre littérature, on composait les recueils avec des poëmes didactiques et des bouquets à Chloris. — Pour le moine Lydgate, il a quelque talent, quelque imagination, surtout dans les descriptions riches ; c’est le dernier éclat des littératures qui s’éteignent ; on entasse l’or, on incruste les pierres précieuses, on tourmente et on multiplie les ornements, dans les habits, comme dans les bâtiments, comme dans le style229.
L’imagination française était alors byronienne. […] Renan, mais l’imagination sera toujours du côté du cœur. […] En bonne police littéraire, ce devrait être interdit : Dieu et les hommes n’ont pas livré la vérité historique, héritage du genre humain, au caprice adultère de l’imagination des hommes. […] L’imagination le possède par-dessus tout. Puissamment construite, son âme retient et juge toute chose avec une large mémoire et un sens droit et pénétrant ; mais l’imagination emporte ses facultés vers le ciel aussi irrésistiblement que le ballon enlève la nacelle.
Mais Lehmann répond avec raison qu’autre chose est de voir un chien par l’imagination, autre chose de le dessiner. […] En calmant les symptômes, les remèdes calment l’esprit, et peut-être leur attribue-t-on parfois une efficacité qui est due « à l’imagination tranquillisée du malade. » Il y a donc du bon même dans la médecine des symptômes186. […] Keulemans, au milieu d’une occupation quelconque, aperçoit tout d’un coup en imagination un panier contenant cinq œufs, dont trois fort gros. […] Rien de plus naturel pour des imaginations exaltées. […] C’est ce qui nous arrive chaque jour ; seulement, nous ne nous donnons pas pour cela une hallucination en concentrant nos yeux et notre imagination sur un cristal magique.
Michelet, par son éclat d’imagination, avait de quoi le séduire, et, en maintes pages, il le loue. […] Cela, c’est de l’imagination. […] Autre chose lui manque : l’imagination, la couleur. […] Il y a les erreurs de son imagination, celles de sa passion. […] Il se demandait comment concilier ces folâtreries d’imagination avec tant de graves et hauts accents.
Le chemin qu’il a fait mérite d’être apprécié dans les difficultés qu’il a surmontées, et ces difficultés né sont peut-être pas, quand on y réfléchit, là où l’imagination a coutume de les chercher. […] À côté d’Hamlet, de Richard III, d’Othello, de Macbeth, traduits en ces six volumes, auxquels l’imagination et la curiosité vont d’abord et qui sont le plus beau bleu du ciel de Shakespeare, il s’y trouve des pièces de théâtre moins radieuses, qui suffiraient cependant à la gloire d’un homme qui ne serait pas Shakespeare, et avec les difficultés desquelles François Hugo s’est noblement colleté… Le mérite du traducteur, qui est un mérite volontaire, continu, modeste, courageux, une vertu encore plus qu’un talent, a été le sien, et pourquoi ne pas le dire ? […] Écoutez-le plutôt : « Il n’y a pas en l’homme — dit-il — de ces choses (things) qui soient distinctes et séparées et qui s’appellent intellect, imagination, fantaisie, etc., etc., comme il y a des pieds, des mains et des bras… Quand nous entendons dire d’un homme qu’il a une nature intellectuelle et une nature morale, et que ces natures existent à part l’une de l’autre, ce sont des nécessités de langage, et nous devons parler de cette manière si nous n’aimons mieux n’avoir pas à parler du tout. Au fond, toutes ces divisions ne sont que des noms… Cette nature spirituelle de l’homme, cette force vitale qui habite en lui, est essentiellement une et indivisible, et ce que nous nommons imagination, compréhension, fantaisie, ne sont que les différentes figures de la puissance de Vision intérieure (Power of insight), qui est tout l’homme et qui donne rigoureusement sa mesure (a correct measure ofman). » Et Carlyle ne s’arrête pas là. […] Mais il ne s’agit pas de mes affreux goûts… Sur un mot très simple et très explicable, placé dans un des chœurs du Henri V, en l’honneur du comte d’Essex, François Hugo, qui a l’imagination fort alerte, nous enfile toute une histoire qui, je le crains pour lui, ne passera pas plus que le chameau à travers le trou de l’aiguille… Selon François Hugo, le comte d’Essex n’était pas seulement le miroir… de la vieille Reine Élisabeth ; il était par en dessous l’ennemi de l’intolérance religieuse de son gouvernement : c’était un philosophe anticipé et préludant ; et comme ce d’Essex était l’ami de Southampton, et Southampton l’ami de Shakespeare, et comme les amis de nos amis sont nos amis, Shakespeare se trouve donc être par ricochet un libéral et un opposant politique… Et j’ai vu l’heure, ma parole d’honneur !
Comment dans un état de civilisation aussi avancé que le nôtre, lorsque les esprits ont acquis par l’usage des langues, de l’écriture et du calcul, une habitude invincible d’abstraction, nous replacer dans l’imagination de ces premiers hommes plongés tout entiers dans les sens, et comme ensevelis dans la matière ? […] Plein de mémoire, imitateur au plus haut degré, son imagination est puissante en proportion de son incapacité d’abstraire. […] Dieu dans sa pure intelligence, crée les êtres par cela qu’il les connaît ; les premiers hommes, puissants de leur ignorance, créaient à leur manière par la force d’une imagination, si je puis le dire, toute matérielle. […] En effet la poésie était déjà pour les premiers âges une philosophie sans abstraction, toute d’imagination et de sentiment. […] Quelle force de jeunesse n’ont pas alors l’imagination, la mémoire, et les passions qui inspirent la poésie ?
Toute la dramaturgie sémitique m’est apparue comme une œuvre d’imagination. […] Mais on était las des imaginations excessives et des rêves grandioses ; on voulait vivre tranquille. […] Le Rêve et le Mystère hantent nos imaginations éprises de nuances vagues et de contours indécis. […] Bourget est éminemment doué d’imagination psychologique. […] Il n’a garde d’employer les mots d’insondable, d’inaccessible, de mystérieux, — une manière pour le dilettante de se griser l’imagination.
L’imagination grecque ne cessa de perfectionner les types de ces Divinités bienfaisantes. […] Contraste bizarre de l’imagination la plus délicate unie au caractère le plus intraitable ! […] L’imagination confond dans un même type ces sveltes images ; elle leur donne à toutes le nom de la maîtresse triomphante qui les inspira. […] Dès lors, la Mort rejette les voiles dont l’imagination antique avait drapé sa laide nudité. […] C’est la violence de l’idée fixe exaltée par l’imagination de la femme, et par l’instinct du talion spécial à la race.
Ces Espagnols avaient des imaginations de tortionnaires. […] Ayant l’imagination psychologique, il évoque puissamment les autres âmes, auxquelles il prête les mêmes tendresses passionnées. […] André du Fresnois l’observe judicieusement, il avait peu d’imagination. […] On a l’impression que l’auteur improvise et jette sans choix sur le papier tout ce que lui suggère son imagination débordante. […] Eh bien, je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs !
Les dates, en effet, contraignent fortement la liberté naturelle des imaginations, et, si nous les respectons, elles nous empêchent de nous tromper brillamment. […] Je ne sache rien de plus positif, de plus grossier souvent ; et jamais l’imagination n’a tenu moins de place dans les œuvres qui sont d’ailleurs censées relever d’elle. […] Une fois dégagés des illusions des sens et de l’imagination, nous sommes les maîtres de l’univers ; et, sortis de la région du doute, nous entrons pour toujours dans celle de la certitude et de l’immuable vérité. […] De même encore, s’il se défie de l’imagination, ce n’est point du tout dans la lecture des écrits de Descartes qu’il en a pu prendre la défiance — car, quelle imagination plus grande et, je l’ai dit, plus chimérique ou plus aventureuse que celle de Descartes ? […] ou quand encore, dans Critique de l’École des femmes, il imputait l’équivoque de la scène du ruban à l’imagination salissante de celles qui s’en montraient choquées ?
Le Mercure de France (8 janvier 1780) sait très-bien regretter, par exemple, que l’expression de la tendresse ne se mêle pas plus souvent chez le poëte à celle de la volupté, et que l’amour n’anime pas de couleurs plus riches son imagination et sa veine179. […] A la suite des chansons en prose, on lisait en un clin d’œil, dans le mince volume, les dix petites pièces intitulées Tableaux, simple jeu d’un crayon gracieux et encore léger, mais où déjà l’on pouvait voir une redite, la même image toujours reprise et caressée, une variante affaiblie d’une situation trop chère, dont l’imagination du poëte ne saura jamais se détacher. […] L’imagination n’était que voluptueuse dans la jeunesse ; elle court risque, en insistant, de devenir licencieuse, si de graves pensées nées à temps ne l’enchaînent pas. […] Parny arrivait sur les rangs et en première ligne ; mais le délire d’imagination auquel il venait de se livrer lui fit perdre des suffrages, et l’aimable Legouvé l’emporta sur lui.
« Madame Récamier a souvent répété depuis qu’elle n’avait cessé, pendant toute cette soirée, de se croire la proie d’un horrible rêve, et que la souffrance morale qu’elle endura était telle que les objets matériels eux-mêmes prenaient, aux yeux de son imagination ébranlée, un aspect étrange et fantastique. […] Sa raison était aussi légère que son imagination était inflammable ; il conçut pour la belle étrangère une passion qui lui enleva toutes les angoisses de la captivité, tous les souvenirs de sa patrie. […] Pendant des heures entières je regarde ce portrait enchanteur, et je rêve un bonheur qui doit surpasser tout ce que l’imagination peut offrir de plus délicieux. […] Ampère, qui voyage en ce moment dans je ne sais quel coin du monde, était un esprit et un caractère qui échappent, par leur perfection, au portrait ; il y avait en lui du saint Jean par la candeur et l’attachement, du jeune homme par la chaleur d’amitié, du vieillard par la sûreté, du savant par la science héritée de son père, du poète par l’imagination, du voyageur par la curiosité désintéressée de son esprit, du politique par la sévérité antique des opinions, de l’amant par l’enthousiasme, de l’ami par la constance, de l’enfant par le dévouement volontaire.
Il avait les trois qualités nécessaires à l’historien de la féodalité la curiosité qui le fit voyager en tous lieux pour savoir, les matériaux historiques n’étant pas alors des actes écrits, mais des hommes dispersés, et des témoignages qu’il fallait aller chercher par les grands chemins ; la mémoire qui retenait tous ces témoignages ; enfin une imagination à la fois exacte et vive, qui les éclaircissait et les animait. […] Sur la fin de sa vie, son imagination ayant perdu de sa vivacité et sa raison s’étant fortifiée, il laisse voir quelque intention de juger les choses qu’il raconte. […] Cette curiosité sans confusion cette imagination facile et heureuse, cet arrangement naturel et sans effort, sont les seules qualités du genre, et Froissart les possède en perfection. […] Si ce style manque de nerf, s’il n’est pas marqué de ces expressions de génie qui sont comme des pas que fait la langue vers sa perfection, c’est que la source unique de ces expressions est la raison découvrant les vérités générales, et se servant de l’imagination et de la sensibilité pour en donner des images qui demeurent.
L’imagination populaire d’ailleurs confond volontiers le philosophe avec l’alchimiste ; elle le plaçait au milieu des livres, des fourneaux et des cornues dans un de ces réduits obscurs qu’a peints Rembrandt. […] Dans cette espèce de phraséologie, l’esprit apparaît souvent comme une sorte de champ dans lequel la perception, la mémoire, l’imagination, la raison, la volonté, la conscience, les passions produisent leurs opérations, comme autant de puissances alliées entre elles ou en hostilité. […] Les progrès des sciences physiques et naturelles, de la linguistique et de l’histoire ont révélé des faits inattendus, suggéré des aperçus tout nouveaux, à ceux du moins qui n’ont point de goût pour une psychologie immobile et scolastique : études sur le mécanisme des sensations, sur les conditions de la mémoire, sur les effets de l’imagination et de l’association des idées, sur les rêves, le somnambulisme, l’extase, l’hallucination, la folie et l’idiotie, recherches jusqu’ici inconnues sur les rapports du physique et du moral, conception nouvelle de la nature morale (psychologique), de l’humanité résultant de l’étude approfondie de l’histoire et des races, les langues nous offrant comme une psychologie pétrifiée. […] Supposons que par une accumulation d’expériences sûres et variées on en soit venu à constater, par exemple, que telle manière de sentir suppose elle-même telle variété d’imagination, qui suppose elle-même telle façon de juger et de raisonner, qui suppose telle manière de vouloir et d’agir, etc., etc, que cette détermination soit aussi précise que possible, on pourrait à l’aide d’un seul fait reconstituer un caractère, puisque le problème se réduirait à ceci : Etant donné un membre de la série, retrouver la série tout entière.
Notre observation du moi-objet s’étend juste aussi loin que l’imagination. Or, l’imagination est liée d’abord à la perception extérieure ; imaginer, c’est encore percevoir, observer des images venues du dehors, se représenter des objets. […] Le psychologue a devant lui un monde, celui que l’imagination peut concevoir par le rappel et la combinaison des souvenirs. Quand il s’agit de trouver les lois des choses extérieures, indépendantes de nous, l’imagination joue encore un rôle, mais beaucoup moindre, et elle a infiniment moins de valeur.
Eh bien oui, cette agonie sardonique est une invention, une imagination… mais possible, vraisemblable. […] Un dîner de gourmet, assaisonné d’une originale conversation sur les choses de la gueule et l’imagination de l’estomac, au bout de laquelle Tourguéneff prend l’engagement de nous faire manger des doubles bécassines de Russie : le premier gibier du monde. […] Le médecin avait la conviction, que toute la rêvasserie de ces longs dimanches, était un travail d’imagination érotique, à la recherche de tout le possible et l’impossible dans la caresse, que peut rêver une ignorante des choses d’amour. […] Et il était dans la joie de son imagination, quand la tortue mourait de son incrustation.
Les brahmanes, prêtres de la religion et gardiens des mœurs, n’auraient pas permis sans doute qu’on donnât en spectacle à la multitude, comme on l’a fait malheureusement en Grèce, à Rome et chez nous, des passions féroces et des attentats odieux reproduits en langage et en action sur la scène, et propres à dépraver les imaginations d’un peuple religieux. […] Une réflexion puissante vient-elle à jaillir de la profondeur de la contemplation ou de la force de la situation ; le poète a-t-il à réduire en sentences énergiques une morale élevée ; se livre-t-il à une imagination aussi exubérante que le ciel, le sol et le climat de l’Inde ; s’élance-t-il jusqu’à la plus grande hauteur de l’expression poétique pour rendre la délicatesse de la passion, le charme de la sensibilité, le pathétique de la pensée, la fureur de la colère, l’extase de l’amour ; en un mot, tout ce que l’âme humaine a d’émotions terribles et profondes : alors la prose de l’écrivain devient de plus en plus cadencée, et, par des modulations qui suivent les ondulations et les transports de la passion, elle s’élève peu à peu jusqu’à une diversité infinie de rythmes, tantôt simples, tantôt compliqués, brefs ou majestueux, lents ou rapides, harmonieux ou véhéments ; et cette diversité même rend souvent le théâtre indien tout aussi difficile à étudier que celui d’Eschyle et de Sophocle, également riche, également fécond en jouissances et en difficultés que les langues modernes ne connaissent pas. […] « Simplicité de cœur, sobriété de paroles, modestie de maintien, innocence même de pensées, pureté d’imagination, affections pieuses, voilà la vertu », dit l’anachorète en recevant le tribut de la nymphe. […] Puissent l’imagination dramatique et le goût délicat du poète lui assurer la gloire due au grand maître de son art poétique, et puisse-t-il nous initier toujours davantage dans cette science mille fois plus sublime et plus sainte, qui nous donne la connaissance des perfections de l’Être unique en qui se résument tous les êtres : Dieu !
A voir alors comment tout s’enchaîne dans toute histoire particulière et dans l’histoire universelle, combien peu pèsent les forces morales des individus et des peuples eux-mêmes dans la balance des destinées humaines, combien l’influence des idées, des volontés, des vertus individuelles est faible sur la direction des masses et des foules livrées à leurs instincts, à leurs imaginations, à leurs passions aveugles ; comment ces passions elles-mêmes tiennent au sang, au sol, à la température, on se demande où est le rôle de la volonté, de l’intelligence, dans ce mouvement qui entraîne tout vers un dénouement le plus souvent contraire aux desseins des sages ou aux efforts des héros ; et l’on conclut, au nom de la science, à une philosophie de l’histoire qui ne compte plus ni avec la liberté ni avec la conscience des hommes. […] Pourtant ici encore la personnalité humaine, individuelle ou collective, est seule en scène ; elle y paraît avec la gravité que l’impassible génie de l’historien sait communiquer à tout ce qu’il touche, tandis que la naïve sensibilité et la vive imagination d’Hérodote répandent leurs charmes sur les choses et les hommes dont il parle. […] Ici plus de récits pour l’imagination et la curiosité, comme chez Hérodote ; plus de tableaux et de harangues ayant pour but l’explication toute politique des événements, comme chez Thucydide. […] Pour le rôle d’un Alexandre, d’un César, d’un Charlemagne, d’un Cromwell, d’un Pierre le Grand, d’un Napoléon, il faut des peuples chez lesquels l’imagination domine l’intelligence, et qui aient plus d’instincts, de besoins, de préjugés que de sentiments et de principes.
Thiers me l’a traduit, expliqué point par point ; il me fait assister à tout, non seulement aux actions, mais aux conseils, aux idées rapides qui illuminent, à chaque incident imprévu, cette imagination de feu, si ardente à la fois et si positive ; il me donne l’intelligence et le secret de chaque solution. […] Et s’il est arrivé que, lui sorti de la scène politique, la France n’ait point dépéri ; que cet être collectif, cet être idéal et redoutable qu’on appelait la coalition, et qui est demeuré pendant tant d’années un grand spectre dans l’imagination des gouvernants, ait été conjuré enfin par un enchanteur habile et puissant ; que la France soit redevenue elle-même tout entière sur les champs de bataille anciens et nouveaux et dans les conseils de l’Europe ; si, à cette heure même où nous écrivons, une province, une de ses pertes, est recouvrée par elle et lui est acquise, moins à titre d’accroissement que de compensation bien due, et aussi comme un gage manifeste de sa pleine et haute liberté d’action, on est sûr qu’en cela du moins le cœur de l’historien du Consulat et de l’Empire se réjouit ; que si une tristesse passe sur son front, c’est celle d’une noble envie et de n’avoir pu, à son heure, contribuer pour sa part à quelque résultat de cet ordre, selon son vœu de tous les temps ; mais la joie généreuse du citoyen et du bon Français l’emporte.
Mais qu’on veuille y réfléchir : je le demande, Gœthe étant ce qu’il était par sa nature, par ses tendances, par la région élevée où habitait sa pensée, pouvait-il avoir une autre opinion sur le jeune et brillant poëte, dont il reconnaît d’ailleurs en maint endroit le grand talent d’imagination et la puissance ? […] Ce sont, hommes et femmes, des marionnettes incapables de vivre ; elles ont des proportions habilement conçues, mais, sur leur charpente de bois ou d’acier, ces poupées n’ont absolument que du rembourrage ; l’auteur les fait manœuvrer sans pitié, les tourne et les disloque dans les positions les plus bizarres, les torture, les fustige, déchire leur âme et leur corps, et met sans pitié en pièces et en morceaux ce qui, il est vrai, n’a aucune chair véritable : — et tout cela est l’œuvre d’un homme qui montre de grandes qualités d’historien éloquent, et auquel on ne peut refuser une vive puissance d’imagination, sans laquelle il lui serait impossible de produire de pareilles abominations. » — Vous qui parlez sans cesse de liberté, qui la voulez dans l’art et en tout, soyez conséquents ; sachez admettre et supporter les manières de sentir, même les plus opposées à la vôtre, quand elles sont sincères.