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2072. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XI. Gorini »

C’est un livre pour faire d’autres livres, mais en France on n’avance une idée qu’avec des livres qui sont faits. L’idée que M. l’abbé Gorini était si apte à établir dans la majorité des têtes par un livre autrement tricoté que le sien, l’idée que l’Histoire a été faussée tant de fois et sur tant de questions, par les mains révérées de ceux qui l’ont maniée avec le plus de puissance, parerait au mal actuel de son enseignement… Et je dis actuel, car plus tard, il n’y a point à en douter, la critique de M. l’abbé Gorini portera ses fruits contre ceux qui l’ont suscitée.

2073. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « A. Dumas. La Question du Divorce » pp. 377-390

C’est que, littérairement, quand on est un écrivain acéré, souple, vibrant, élégant, presque aristocratique, il ne fait pas bon de se jeter aux idées révolutionnaires ! […] Dumas, l’épicurien sentimental, qui croit, comme madame de Staël, que le but légitime de la vie est le bonheur individuel et non pas le perfectionnement moral, n’a pas mis à côté des idées de madame de Staël une idée qui prouvât à cette glorieuse jupe que l’homme, en matière d’État, est, comme en tout, au-dessus de la femme… Pour mon compte, j’accepte le tranchant de la hache qui a coupé une tête de plus dans nos institutions.

2074. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Gustave D’Alaux »

Aujourd’hui, avec leur Soulouque qui les égorge comme ils ont toujours été égorgés, ils ne sont ni plus opprimés ni plus libres qu’ils n’étaient sous ce collier de tyrans, Boyer, Christophe, Dessaline ; mais la domination du dernier venu n’aura pas plus de durée que la domination des autres… Gustave d’Alaux a-t-il tu sciemment ou n’a-t-il pas seulement entrevu ces idées ? […] Mais ces idées, même inexprimées, auraient influé sur son ouvrage et lui auraient communiqué des mérites de plus. […] C’est donc, à sa manière, une idée générale que Soulouque.

2075. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Charles Baudelaire. Les Fleurs du mal. »

Telle est la moralité, inattendue, involontaire peut-être, mais certaine, qui sortira de ce livre, cruel et osé, dont l’idée a saisi l’imagination d’un artiste ! […] L’artiste, vigilant et d’une persévérance inouïe dans la fixe contemplation de son idée, n’a pas été trop vaincu. III Cette idée, nous l’avons dit déjà par tout ce qui précède, c’est le pessimisme le plus achevé.

2076. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Catulle Mendès »

Dans ce roman, le meilleur de son œuvre, Victor Hugo mêle la critique d’art au drame, comme dans ses autres romans il mêle à son drame la critique sociale, avec cette brouillonnerie indifférente et ce mépris de l’unité qu’il a en tout, ce majestueux Monsieur Sans-Gêne, qui se croit souverain et qui, tout en proclamant l’art pour l’art, a toujours fait de la littérature la servante de ses idées et de ses ambitions. […] … Son roman donne une idée du vertigo de l’hippogriffe qu’il monte et qui l’emporte. […] Je puis bien admettre que cet homme, qui est, avant tout, un artiste, soit assez indifférent aux idées philosophiques et religieuses, mais il n’a point de parti-pris contre elles, et si même il pouvait croire que d’être religieux donnerait une beauté de plus à son œuvre, je suis parfaitement sûr qu’immédiatement il le serait !

2077. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Eugène Sue » pp. 16-26

Alexandre Dumas, le chef de cette École de producteurs, qui imposa un instant à l’Opinion étonnée et qui se donnait, avec une gasconnade presque splendide, pour un volcan d’idées et d’inventions à jet continu, a dû être terriblement humilié en voyant de petits jeunes gens littéraires et jusqu’à des femmes imiter sans effort son genre de génie et continuer cette plaisanterie de la grande production, qui est l’ébahissement des sots. […] Sceptique nui joua avec un certain brio, mais avec des doigts creux, sur tous les claviers d’idées de son temps, il n’eut point de ces convictions qui font les talents incontestables et impérissables. […] — Vous rappelez-vous ces deux cités de saint Augustin, — la Cité de Dieu et la Cité du Diable, — ces deux camps tranchés et retranchés dont l’idée, à part la vérité théologique, serait encore une simplification sublime de l’histoire de l’humanité ?

2078. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Mm. Jules et Edmond de Goncourt. » pp. 189-201

Mais c’est tout autre chose aujourd’hui qu’ils font un roman, lequel, — comme tout roman, — doit être d’abord une idée, — puis une action, — et enfin un développement de nature humaine sous ses trente-six faces, avec un dénoûment qui éclaire le tout d’une suprême clarté ! […] Comparez, en effet, Les Hommes de Lettres de MM. de Goncourt au Grand Homme de province à Paris, qui est le même sujet, avec des idées de plus et une distribution différente. […] Mais, sans italiques, ne me sera-t-il pas permis de signaler seulement deux métaphores de MM. de Goncourt qui donneront une idée suffisante de toutes les autres ?

2079. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Les Mémoires d’une femme de chambre » pp. 309-321

Seulement, le roman qui pouvait être, dans ces Mémoires, charmant ou puissant, selon le genre d’esprit de l’auteur, s’il avait pénétré tout ce qu’enferme l’idée de son titre, n’y est guère qu’abject et inepte, par une de ces combinaisons comme on en rencontre encore quelquefois… Oh ! […] une forme qu’on a crue heureuse et qui vraiment l’était, mais à laquelle il fallait, de rigueur, joindre beaucoup de talent seulement pour la remplir, — un titre très-séduisant parce qu’il cachait une idée, — et une idée hardie, — sur laquelle on a malheureusement spéculé.

2080. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — III » pp. 81-102

Sans nulle difficulté on se loge le premier jour sur la contrescarpe ; on occupe en arrivant Léopolstadt, et si nous n’y avions trouvé que ce régiment de la garde ordinaire que j’ai vu battre par les écoliers de Vienne, ce n’eût peut-être pas été un siège de huit jours. » Notez que Villars comptait bien alors se tenir, par le Tyrol, en communication avec l’Italie et avec l’armée de Vendôme, dont un détachement l’aurait appuyé : « Ces troupes, écrivait-il au roi, auraient traversé le Tyrol comme l’on va de Paris à Orléans, si elles s’étaient mises en marche dès les premiers jours de juillet. » Les grandes idées des campagnes de 1805 et de 1809, Villars les a donc entrevues ; il avait pour principe qu’il faut qu’un seul et même esprit gouverne toute la guerre : « Votre Majesté saura un jour que l’empereur était perdu si on avait marché à Passau, et il n’y a que des gens gagnés par l’empereur, ou des ignorants, qui aient pu s’opposer à ce dessein. » Le prince Eugène, revoyant Villars à Rastadt, le lui dit en présence de témoins : si on avait suivi ce parti alors, la paix qui se fit en 1714 eût pu être conquise par la France neuf ans plus tôt. […] Cependant l’éclat et le bruit de cette bataille d’Hochstett, livrée et gagnée en quelque sorte malgré l’électeur, ne faisaient, militairement, que procurer un répit ; il fallait en revenir toujours à l’idée d’un secours prochain et indispensable, ou tout au moins d’une diversion. […] « On envoie un empirique, disait-il gaiement, là où les médecins ordinaires ont échoué. » Il prit d’ailleurs sa mission très au sérieux, et eut dès l’abord des idées saines et justes sur l’esprit qu’il convenait d’y apporter : Je me mis dans la tête de tout tenter, d’employer toutes sortes de voies, hors celle de ruiner une des meilleures provinces du royaume ; et même que si je pouvais ramener les coupables sans les punir, je conserverais les meilleurs hommes de guerre qu’il y ait dans le royaume. […] Tout l’honneur de l’avoir conjuré revient à Villars, à sa fermeté, à son choix d’un bon poste, à sa sagesse à s’y maintenir, à l’esprit excellent dont il avait animé ses troupes, et qui fit perdre à l’adversaire l’idée qu’on les pût entamer. « Mes affaires, par le parti que vous avez obligé le duc de Marlborough de prendre, lui écrivait Louis XIV satisfait, sont au meilleur état que je les pouvais désirer ; il ne faut songer qu’à les maintenir jusqu’à la fin de la campagne ; si elle était heureuse, je pourrais disposer les choses de manière à la finir par quelque entreprise considérable. » Marlborough, en s’éloignant, crut devoir s’excuser auprès de Villars même (une bien haute marque d’estime) de n’avoir pas plus fait ; il lui fit dire, par un trompette français qui s’en revenait au camp, qu’il le priait de croire que ce n’était pas sa faute s’il ne l’avait pas attaqué ; qu’il se retirait plein de douleur de n’avoir pu se mesurer avec lui, et que c’était le prince de Bade qui lui avait manqué de parole. […] Il rêvait mieux, même dans son état de faiblesse ; il avait conçu cette fois l’idée du siège de Landau, qu’il savait, à un moment, dégarni d’artillerie et qu’il comptait prendre en dix jours, lorsque la nouvelle du désastre de Ramillies vint tout arrêter.

2081. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson » pp. 210-230

Une idée domine l’ouvrage de M.  […] Ce grand xvie  siècle, si fécond en idées et en hommes, était menacé à son issue d’être comme étranglé, de perdre tout honneur et toute grandeur, et de passer sous les fourches caudines de Philippe II. […] Les hommes qui ont été des instruments de salut en ces périodes critiques sont à bon droit proclamés providentiels ; et cette haute idée que l’on en conçoit est une couronne de leurs éminents services, en même temps qu’elle est faite pour rassurer les nations qui y voient le gage d’une protection divine au milieu des tempêtes. […] L’état extrême où Henri a trouvé et pris en main la France à la mort de son prédécesseur, la situation désespérée d’où il l’a tirée en luttant, et la situation florissante et forte où il l’a replacée, où il l’a élevée en elle-même et dans ses relations avec l’Europe, telle est l’idée du livre de M.  […] C’est une jolie estampe à sujet bucolique à mettre entre deux pages de Sully : L’idée qui me reste encore de ces choses-là, nous dit le naïf abbé au commencement de ses Mémoires, me donne de la joie : je revois en esprit, avec un plaisir non pareil, la beauté des campagnes d’alors ; il me semble qu’elles étaient plus fertiles qu’elles n’ont été depuis ; que les prairies étaient plus verdoyantes qu’elles ne sont à présent, et que nos arbres avaient plus de fruits.

2082. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. »

J’avais autrefois rencontré Gavarni, je ne l’ai connu que tard ; mais j’ai beaucoup causé avec ceux qui l’ont pratiqué de tout temps, je me suis beaucoup laissé dire à son sujet, et insensiblement l’idée m’est venue de rendre à ma manière cette physionomie d’un artiste qui en a tant exprimé dans sa vie et qui les comprend toutes ; j’ai voulu l’esquisser telle qu’à mon tour je la vois et la conçois et telle qu’on l’aime. […] C’est la filouterie féminine qu’il faut faire ; voilà le neuf. » Il transforma ainsi l’idée qu’on lui suggérait et commença la série des Fourberies de femmes en matière de sentiment (1837). […] Chaque série de Gavarni a une idée philosophique et se pourrait renfermer dans un mot ; mais ce mot, ce serait à lui de nous le dire, et il le lui faudrait arracher. […] Ainsi, pour la série des Coulisses, l’idée mère, c’est un contraste perpétuel entre ce qui se joue à haute voix devant le public et ce qui se dit de près au même moment entre acteurs, — comme quand Talma, par exemple, en pleine tragédie de Manlius, embrassé avec transport par son ami Servilius, lui disait à l’oreille : « Prenez garde de m’ôter mon rouge. » — Ainsi pour la série des Musiciens comiques ou des Physionomies de chanteurs, c’est le contraste et la disparate entre les paroles du chant ou la nature de l’instrument et la taille ou la mine du musicien, du chanteur ou de la cantatrice (une grosse femme chantant langoureusement : Si fêtais la brise du soir !). […] Il fait donc des personnes qui sont entre elles en parfait rapport de mouvements, de gestes ; mais comme son faire modifie quelque peu les figures qu’il veut reproduire, qu’il a vues en réalité ou plutôt qu’il a présentes dans l’esprit et en idée, comme de plus l’impression sur la pierre va les modifier quelque peu encore, il attend le retour de l’épreuve afin de faire dire à ses personnages ce qu’ils ont l’air réellement de dire ;’et c’est alors seulement qu’il se demande en regardant son épreuve : « Maintenant que se disent ces gens-là ? 

2083. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier. »

Ce n’est pas ce que la plupart y cherchent qui me frappe surtout, quoique l’idée première cependant soit aussi juste que vive. […] Toujours, au milieu du festin, au sein de l’ivresse, et quand le poète enflammé exhalera l’ardeur de ses chants entre les bras de Théone ou de Cinthie, la Mort se lèvera tout à coup et apparaîtra devant ses yeux, non la Mort des anciens dont l’idée ne faisait qu’aiguiser plutôt et raviver le sentiment du plaisir, mais la Mort de la Danse macabre, avec son ricanement féroce, et qui vous met et vous laisse au cœur une certaine petite crainte a l’Hamlet que la nuit funèbre ne soit pas le long sommeil, mais le rêve, et que tout ne soit pas fini après la vie : La mort ne serait plus le remède suprême ; L’homme, contre le sort, dans la tombe elle-même   N’aurait pas de recours, Et l’on ne pourrait plus se consoler de vivre, Par l’espoir tant fêté du calme qui doit suivre   L’orage de nos jours ! […] Et à ce propos on remarquera combien l’idée du Diable revient souvent dans l’imagination du poète, comme pour piquer la somnolence heureuse et stimuler l’ennui. […] Le poète a fait ce qu’il a voulu ; il a réalisé son rêve d’art ; il ne se borne nullement à décrire, comme on l’a trop dit, pas plus que, lorsqu’il a une idée ou un sentiment, il ne se contente de l’exprimer sous forme directe. […] Comme un vase d’albâtre où l’on cache un flambeau, Mettez l’idée au fond de la forme sculptée, Et d’une lampe ardente éclairez le tombeau.

2084. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc (suite et fin.) »

Viollet-Le-Duc, est certes conforme à l’idée qu’on en doit prendre, et rentre bien aussi dans le programme qu’avait tracé Virgile lui-même dans le beau temps : « D’autres sauront demander à l’airain ou au marbre de mieux exprimer la vie ; d’autres seront plus éloquents aux harangues, ou excelleront à décrire les astres et à embrasser du compas les révolutions des cieux ; mais à toi, Romain, il appartient de régir le monde et de gouverner les peuples : ce sont là tes arts, à toi… » Tel était aussi le Romain en architecture, dans cet art qui faisait comme partie intégrante de son administration et de son établissement politique en tout lieu ; tel il se montra dans la construction de son Panthéon, de ses thermes, de ses aqueducs, de ses amphithéâtres et de son gigantesque Colisée, dans tout ce qu’il n’empruntait pas directement des Grecs, se souciant bien plus du grandiose et de l’imposant que du fin et du délicat ; mais aussi, en ce genre d’installation souveraine, de glorification conquérante et historique, quand il lui arriva d’y réussir, il eut son originalité sans pareille et il y mit la marque insigne de son génie. […] Les Athéniens étaient trop envieux pour rendre un honneur pareil à un homme, et ils n’avaient pas ces idées d’ordre en politique, qui se traduisent d’une manière si puissante dans la colonne du Forum de Trajan. […] pourquoi pense-t-il de la plupart des architectes modernes les mieux établis et les plus favorisés que ce sont gens qui, pleins des formes du passé, — d’un passé lointain, — et obéissant à une idée préconçue, procèdent dans leur œuvre du dehors au dedans, font d’abord une boîte pour les yeux, un couvercle de grande apparence selon les règles dites du beau, et qui ne songent qu’ensuite et secondairement à ce qui sera à l’intérieur, à ce qui doit s’y loger, y agir, s’y mouvoir et s’en accommoder ? […] Mais nous, préoccupés de je ne sais quelles idées traditionnelles que nous éternisons, nous ne raisonnons plus comme ces Anciens que nous invoquons toujours. […] Delécluze, fier au-delà de tout de ce jeune neveu, son élève, qui contrariait pourtant ses idées les plus chères, répondit : « Si Eugène a dit qu’il s’en chargeait, ne craignez rien, il réussira. » Depuis lors, M. 

2085. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Joséphine de Saxe dauphine de France. (Suite et fin.) »

Je dis on, car le maréchal de Saxe n’était pas de cet avis, et il est évident, et par ses aveux et par les sollicitations instantes qu’il essuya de la part du maréchal de Noailles et de la Cour, qu’il céda à la pression du dehors et à cette idée dominante qu’après une victoire, et pour prouver qu’on l’a bien remportée en effet, il faut faire quelque chose coûte que coûte, et pouvoir montrer à tous un gage signalé. […] Les esprits s’échauffent, on blâme le général de sa lenteur ; il ne saurait partir trop tôt pour se précipiter dans un labyrinthe qu’il prévoit ; l’on parle, l’on écrit des mémoires, l’on se communique ses idées, comme si celui qui est chargé de la conduite de cette campagne n’en était pas occupé ; enfin, on veut le faire marcher ; on brigue, on cabale à cet effet. » Je ne dis pas que Valfons y ait mis tant de malice. […] Il avait l’imagination grande : on a taxé de chimères bien des idées de lui, qui n’eussent point paru telles peut-être, s’il lui avait été donné de les amener à un commencement d’exécution. […] La vérité avant tout, et ce qui n’est qu’un autre nom de la vérité, la mesure. — Et pour en finir avec toutes ces prêcheries vertueuses sur Mme Favart et avec ceux qui seraient tentés de les renouveler, je mettrai ici la page de M. de Lauraguais, que peu de gens iraient chercher ailleurs et qui sent à pleine gorge son xviiie  siècle : il ne songe qu’à donner une preuve de la confusion d’idées de l’abbé de Voisenon, à la fois libertin indévot, scandaleux, et avec cela scrupuleux sur un seul point qui était de ne pas manquer à dire son bréviaire ; or voici ce dont M. de Lauraguais fut témoin comme bien d’autres et ce qu’il raconte : « Personne n’ignore que Favart, sa femme et l’abbé de Voisenon vivaient en famille, et furent pères de Gertrude, de l’Anglais à Bordeaux, sans compter d’autres enfants. Mais l’auteur de la Chercheuse d’esprit n’avait jamais cherché qu’à vivre ; il était cynique ; et, quoiqu’il eût du talent, il dédaignait toute espèce de réputation : c’était fort commode à l’abbé de Voisenon, qui précisément, enchanté par Mme Favart, était parvenu à l’ensorceler au point de lui faire adopter quelques-unes de ses idées et tous ses scrupules, de manière que, lorsqu’on était devenu familier dans la maison, voici le plaisir que Mme Favart vous procurait.

2086. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [II] »

Auprès d’un général plus tacticien (un Soult, un Davout) Jomini eût moins réussi ; il eût été en surcroît ; il eût trouvé la position prise et aurait eu à lutter d’idées et de vues ; d’autre part, auprès d’un guerrier moins intelligent, il aurait pu être moins compris et moins écouté : Ney, par son mélange de fougue militaire et souvent de témérité, mais de coup d’œil aussi et d’esprit, pouvait avoir plus d’une fois besoin d’un bon conseil, et il était homme à en sentir aussitôt la valeur, à en profiter. […] Jomini, qui était un politique aussi, eut l’idée de raisonner à ce moment, de confier son raisonnement au papier, et de faire une tentative auprès de l’Empereur. […] Un aide de camp dépêché par Berthier à Bernadotte se laissa prendre avec ses papiers par les Cosaques38, et le secret fut révélé ; car l’idée d’écrire les ordres en chiffres ne vint que plus tard. […] Eylau en donna l’idée. […] Mais cela n’empêchait pas que Napoléon pût s’étonner d’être deviné dans ses ordres confidentiels par Jomini, et les explications que celui-ci donna à l’appui d’un premier mot, échappé comme naturellement de ses lèvres, ne durent pas nuire dans l’esprit de l’Empereur à l’idée qu’il se fit dès lors de sa sagacité stratégique.

2087. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo en 1831 »

Les idées religieuses tenaient très-peu de place dans cette forte et chaste discipline. […] Victor Hugo n’avait que douze ans ; une idée singulière, bizarre dans sa forme, le préoccupait au milieu de ce grand changement politique ; il se disait que c’était déchoir pour la France de tomber d’un Empereur à un Roi. […] Victor Hugo perdit sa mère en 1821 : ce fut pour lui une affreuse douleur, tempérée seulement par l’idée que son mariage n’était plus désormais si impossible. […] Ses opinions politiques et religieuses ont subi quelque transformation avec l’âge et la leçon des événements ; ses idées de poésie et d’art se sont de jour en jour étendues et affermies. […] L’hiver, on eut quelques réunions plus arrangées, qui rappelèrent peut-être par moments certains travers de l’ancienne Muse, et l’auteur de cet article doit lui-même se reprocher d’avoir trop poussé à l’idée du Cénacle, en le célébrant.

2088. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ULRIC GUTTINGUER. — Arthur, roman ; 1836. — » pp. 397-422

Au reste, homme du monde, et très-semblable à ce que les lecteurs pourront voir dans Arthur, le travail et l’idée de la gloire ne furent que des éclairs dans une vie donnée plutôt aux sentiments et aux émotions. […] C’est qu’en effet les idées religieuses, qui sont l’amour encore, l’amour rectifié et éternisé, vinrent à cette âme voluptueuse et sensible. […] Il y a évidemment réaction chez l’auteur ; il ne sait pas tenir en présence, en échec, une idée avec une autre idée qu’il s’agit, non d’anéantir, mais de modifier, de réconcilier. […] Toujours j’avais admiré la solitude du lieu, l’épaisseur du bois, et, plus d’un soir, descendant au pas le sentier couvert qui mène au vallon, respirant les parfums de seringat qui m’arrivaient par bouffées avec la brise, il m’était venu à l’idée sous ces ombrages un roman selon mon cœur.

2089. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Madame de Krüdner et ce qu’en aurait dit Saint-Évremond. Vie de madame de Krüdner, par M. Charles Eynard »

Eynard a sans doute ajouté à l’idée qu’on peut prendre d’elle sous sa dernière forme et à son importance comme prêcheuse, mais il a ôté à son premier charme. […] Un jour, une nuit de décembre, à Vienne, après quelques heures passées dans l’attente de je ne sais quel rendez-vous, il rentra chez lui avec la fièvre, et l’idée de la mort se présenta brusquement à lui. […] Oui, mon amie, le Ciel a voulu que ces idées, que cette morale plus pure se répandissent en France, où ces idées sont moins connues… » En écrivant ainsi, elle avait déjà oublié ses propres ressorts humains, et elle rendait grâce de tout à Dieu. […] Si humble qu’on soit, l’amour-propre est flatté de cette idée de connaissance singulière et de privilège. — Une séduction secrète nous fait voir de la charité pour le prochain là où il n’y a rien qu’un excès de complaisance pour notre opinion199.

2090. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IX. La littérature et le droit » pp. 231-249

Qu’une société est un organisme qui se développe comme un grand arbre ; qu’il est inutile et même dangereux d’intervenir dans cette croissance par des idées de réforme, capables de troubler cette évolution naturelle ; qu’il est sage de bannir tout principe abstrait et général de la conduite des affaires publiques ; qu’il suffit de régler au jour le jour les intérêts de la nation sans prétendre apporter dans les rapports des hommes entre eux une équité factice. […] Il a beau être, à son origine et dans son essence, un élan spontané de ceux qui souffrent vers le mieux-être, vers une répartition plus équitable des jouissances matérielles et spirituelles entre tous les membres de la société ; il a beau être, à ce titre, une aspiration vers une cité future qui n’existe qu’en idée dans le cerveau d’un petit nombre de penseurs ; sous l’inspiration de Marx et de ses disciples, il change de figure ; il se pique de renoncer aux chimères, de ne relever que de la science ; il raille les visées humanitaires ; il affiche la haine du sentiment ; il se moque de la fraternité et autres « fariboles » ; il met tout son espoir dans la force, cette accoucheuse des sociétés en travail ; il bannit l’idéalisme de l’histoire comme de la formation de l’avenir ; il déclare que l’intérêt est le point de départ réel de tous nos actes. […] Si l’on essayait de déterminer dans quel ordre s’est opéré l’affranchissement des diverses matières qui peuvent faire l’objet des livres, on verrait que la littérature pure, celle qui borne ses visées à plaire et à divertir, qui par conséquent ne heurte aucun intérêt grave et ne peut guère commettre d’autre méfait que d’ennuyer, a la première, comme il est naturel, obtenu sa place au soleil ; que la science, grande redresseuse de préjugés et par là suspecte, mais protégée contre les défiances du pouvoir par sa sereine impassibilité comme par les formules mystérieuses dont elle est d’abord enveloppée, a eu déjà plus de peine à se dérober au contrôle des gouvernants excités contre elle par l’Eglise ; que les écrits philosophiques et religieux ou antireligieux, malgré de nombreux retours offensifs de la même Eglise, ont su ensuite se libérer de la surveillance officielle ; enfin que l’histoire, les mémoires, et surtout les ouvrages traitant de questions politiques et sociales, exprimant de la sorte des idées pouvant du jour au lendemain se transformer en actes et troubler l’ordre établi, ont été les derniers à conquérir la faculté de paraître sans encombre. […] Que sont devenus ces énormes in-folio qui donnent une si haute idée de la patience de nos pères ? […] Est-ce parce que la pensée indépendante, volontiers novatrice et aventureuse, se heurte au passé cristallisé dans les formules rigides des codes, se sent en désaccord avec l’esprit d’un corps qui, par la langue qu’il parle, le costume qu’il porte, les usages qu’il pratique et maintient, est régulièrement en retard sur les idées et les mœurs de son temps ?

2091. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XI. La littérature et la vie mondaine » pp. 273-292

. — « Une cour sans dames, c’est un printemps sans roses », — disait galamment le roi François Ier ; et qui dit salon évoque aussitôt l’idée d’une femme présidant à la réunion. […] La conversation, qui semble une fête, et un délassement que se donnent les penseurs du temps, est pour eux une chasse aux idées. […] Cherchez maintenant combien de fois le roman et le théâtre ont reproduit ce type de l’honnête homme, transformé en galant homme ou en gentleman ; examinez quel parti littéraire ils ont tiré de l’honneur et du point d’honneur ; comptez, si vous pouvez, dans combien de pièces, depuis le Cid jusqu’à nos jours, le duel, cette survivance mondaine des usages chevaleresques, intervient comme moyen dramatique ; et vous aurez une idée à peu près suffisante, quoique incomplète, des innombrables répercussions que la vie du monde a eues et a encore sur les œuvres de nos littérateurs. […] Elle ne craint pas de remuer des idées ; d’aborder les grosses questions politiques et religieuses, si bien que la police croit utile de s’y glisser, invisible et présente, et que pour la dépister on invente un argot incompréhensible aux profanes. […] Le fait seul que des salles ouvertes à tous, ennuagées de fumée, retentissant du (cliquetis des chopes et du bruit des disputes, peuplées de bohèmes en goguette et de vierges folles, ont remplacé des appartements luxueux et douillets où les voix, les pas, les sentiments et les idées étaient discrètement amortis, cela seul suffirait à révéler une orientation nouvelle de la littérature et à l’expliquer en partie.

2092. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Goethe et de Bettina, traduites de l’allemand par Sébastien Albin. (2 vol. in-8º — 1843.) » pp. 330-352

Un matin qu’assise dans le jardin parfumé et silencieux, elle rêvait à son isolement, l’idée de Goethe se présenta à son esprit ; elle ne le connaissait que par sa renommée, par ses livres, par le mal même qu’elle entendait quelquefois dire autour d’elle de son caractère indifférent et froid. […] Aussi cet amour ne faisait nullement son tourment à elle, mais plutôt son bonheur : « Je sais un secret, disait-elle : quand deux êtres sont réunis et que le génie divin est avec eux, c’est là le plus grand bonheur possible. » Et il lui suffisait le plus souvent que cette réunion fût en idée et en esprit. […] Sortons un peu des habitudes françaises pour nous faire une idée juste de Goethe. […] Quand il voyait quelqu’un malade, triste et préoccupé, il rappelait de quelle manière il avait écrit Werther pour se défaire d’une importune idée de suicide : « Faites comme moi, ajoutait-il, mettez au monde cet enfant qui vous tourmente, et il ne vous fera plus mal aux entrailles. » Sa mère savait également la recette ; elle écrivait un jour à Bettina, qui avait perdu par un suicide une jeune amie, la chanoinesse Gunderode, et qui en était devenue toute mélancolique : Mon fils a dit : Il faut user par le travail ce qui nous oppresse. […] J’aurais voulu pouvoir donner une plus complète et plus juste idée d’un livre qui est si loin de nous, de notre manière de sentir et de sourire, si loin en tout de la race gauloise, d’un livre où il entre tant de fantaisie, de grâce, d’aperçus élevés, de folie, et où le bon sens ne sort que déguisé en espièglerie et en caprice.

2093. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Biographie de Camille Desmoulins, par M. Éd. Fleury. (1850.) » pp. 98-122

J’avais eu l’idée, après avoir montré le parfait langage du siècle de Louis XIV dans sa fleur et son élégance dernière chez la plus charmante élève de Mme de Maintenon, après avoir considéré le style du xviiie  siècle dans sa plénitude de vigueur et d’éclat chez Jean-Jacques Rousseau, d’aborder aussitôt la langue révolutionnaire chez l’homme qui passe pour l’avoir maniée avec le plus de verve et de talent, chez Camille Desmoulins. […] J’ai le regret d’avoir à risquer ici mes idées avant d’avoir pu profiter de l’ensemble des siennes. […] Il me semble que rien ne répand de la clarté dans les idées d’un auteur, comme les rapprochements, les images. […] Mirabeau, avec sa supériorité, comprit d’abord le parti qu’on pouvait tirer de ce jeune homme ardent, et la nécessité du moins de ne pas s’en faire un ennemi ; il le prit avec lui à Versailles, l’eut pendant une quinzaine pour secrétaire, Je soignai ensuite à distance, et lui imprima tellement l’idée de son génie, que, plus tard, tout à fait émancipé et en pleine révolte, Camille respecta toujours le grand tribun, alors même qu’il mêlait à l’admiration quelque insulte inévitable. […] Quand on ne connaît que de réputation ce pamphlet célèbre et qu’on se met à le lire, on a besoin de quelque réflexion pour s’apercevoir que c’est là un retour au bon sens, aux idées de modération et de justice.

2094. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame de La Vallière. » pp. 451-473

Vue de près et dans la réalité, sa vie répond bien à l’idée qu’on s’en fait de loin et à travers l’auréole ; la personne ressemble de tout point à la réputation charmante qu’elle a laissée. […] Les portraits gravés, les portraits peints eux-mêmes, ne donneraient pas aujourd’hui une juste idée de ce genre de charme qui lui était propre. […] Tout à côté on retrouve des pensées plus douces, plus conformes à l’idée qu’on se fait de cette âme délicate et timide : « Car, hélas ! […] Ce petit écrit, dans lequel deux ou trois traits au plus ne s’accorderaient pas entièrement avec l’idée classique qu’on se fait de Mme de La Vallière, lui a été attribué par la tradition la plus constante et lui a été compté dans l’estime de ses contemporains : « Il est certain, dit Mme de Caylus, que le style de la dévotion convenait mieux à son esprit que celui de la Cour, puisqu’elle a paru en avoir beaucoup de ce genre. » Mme de Montpellier dit également : « Elle est une fort bonne religieuse et passe présentement pour avoir beaucoup d’esprit : la grâce fait plus que la nature, et les effets de l’une lui ont été plus avantageux que ceux de l’autre. » Si Mme de La Vallière, à qui on avait refusé l’esprit du monde, passait pour en avoir beaucoup dans le genre de la dévotion, ce devait être en grande partie à cause de ce petit écrit qu’on avait lu et qu’on avait cru d’elle. […] Toutes les fois qu’on voudra se faire l’idée d’une amante parfaite, on pensera à La Vallière.

2095. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — II. (Suite.) Janvier 1830-mars 1831. » pp. 105-127

Je voudrais présenter d’une manière claire et incontestable pour tout le monde la vraie situation de Carrel au National, dès l’origine en janvier 1830, et les diverses gradations d’idées, de sentiments et de passions par lesquels il arriva à la polémique ardente et extrême qui a gravé son image dans les souvenirs. […] Ce fut longtemps son rêve et finalement son regret ; il y revenait en idée dans les derniers temps, à travers les courts et sombres intervalles de réflexion que lui laissaient ses luttes de presse de plus en plus désespérées ; c’était à une telle œuvre qu’il aurait aimé à attacher la gloire de son nom. […] Carrel dit quelque chose d’approchant de la seconde réalité, essentielle encore, selon lui, à toute constitution politique qui dérive de la Révolution bien comprise : ce second pouvoir, c’est une certaine aristocratie, qui tient de l’ancienne noblesse et qui se rapporte assez exactement à la classe des grands propriétaires : « Nous la transformerons en pairie, dit-il, et nous vivrons bien désormais avec elle. » Cet article, un peu enveloppé à cause du but, est d’ailleurs plein de sens et fait bon marché des doctrines abstraites ou mystiques en sens inverse, tant de celle du droit divin que de celle des disciples de Rousseau : Que si, croyant nous pousser à bout, vous nous demandez où réside enfin suivant nous la souveraineté, nous vous répondrons que ce mot n’a plus de sens ; que l’idée qu’il exprime a disparu par la Révolution comme tant de choses ; que nous ne voyons nulle utilité à la vouloir ressusciter ; que le peuple n’a plus besoin d’être souverain et se moque d’être ou non la source des pouvoirs politiques, pourvu qu’il soit représenté, qu’il vote l’impôt, qu’il ait la liberté individuelle, la presse, etc. ; enfin le pouvoir d’arrêter une administration dangereuse en lui refusant les subsides, c’est-à-dire l’existence même. […] Répondant (9 juillet 1830) au journal anglais le Times qui, aux approches du conflit, semblait s’effrayer pour nous et ne croyait pas à la compatibilité du principe monarchique et des idées libérales en France, Carrel nie que le pays ait une tendance républicaine, qu’on aille en France au système américain, ou même à une révolution un peu plus radicale que celle de 1688 en Angleterre. […] Un journal avancé d’alors, Le Globe, du 7 septembre, s’étant permis de critiquer cette idée qu’un ministère doit être un spectateur inactif de la refonte sociale, et ayant dit qu’il l’aimerait mieux ouvrier habile et intelligent, Carrel répliquait vertement à ce journal (8 septembre) et le raillait de son désir, de ce désir que lui-même devait reprendre plus tard pour l’exprimer à l’état de regret.

2096. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Voltaire et le président de Brosses, ou Une intrigue académique au XVIIIe siècle. » pp. 105-126

Sa maison des Délices est bien voisine de Genève, et il ne serait pas glorieux pour lui qu’après avoir été sous la griffe d’un roi à Berlin, il retombât sous celle d’une petite république et de ses bourgeois souverains : « J’ai une maison dans le voisinage, qui me coûte plus de cent mille francs aujourd’hui, écrit-il en janvier 1757 ; on n’a point démoli ma maison. » Cela prouve du moins que l’idée qu’on pût lui faire quelque mauvais parti lui était venue. […] Quand, après quelques débats, le marché fut conclu et que Voltaire eut acheté à vie le château et la terre de Tourney avec les droits seigneuriaux et les privilèges, il revient plus d’une fois sur cette idée que son indépendance est désormais complète et assurée. […] Une lettre qu’il écrivit dans ce train d’idées au président, lui valut une réponse qui restera mémorable dans l’histoire de sa vie, et qu’il faut mettre à côté de la noble lettre que le grand Haller lui adressa un jour pour faire cesser les manèges et les intrigues où il essayait de l’immiscer : Souvenez-vous, monsieur, lui disait de Brosses, des avis prudents que je vous ai ci-devant donnés en conversation, lorsqu’en me racontât les traverses de votre vie, vous ajoutâtes que vous étiez d’un caractère naturellement insolent. […] Le président de Brosses a l’idée bien naturelle de se présenter pour remplacer le président Hénault ; mais ici il retrouve Voltaire. […] Parlant des écrivains latins qui imitèrent le style de Salluste et forcèrent sa manière, il fait un retour sur les écrivains modernes qui se piquent aussi d’imiter les deux plus beaux esprits du siècle (Fontenelle et Voltaire), et qui veulent prendre notamment à ce dernier « le ton philosophique, la manière brillante, rapide, superficielle, le style tranchant, découpé, heurté ; les idées mises en antithèses et si souvent étonnées de se trouver ensemble.

2097. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — I. » pp. 389-410

Berger, vient m’en rappeler l’idée et m’en procurer l’occasion. […] Au lieu de nous raconter ses marches, l’emploi de ses journées, et de nous permettre de le suivre, il n’a donné que les résultats de ses observations durant trois ans : « J’ai rejeté comme trop longs, dit-il, l’ordre et les détails itinéraires ainsi que les aventures personnelles : je n’ai traité que par tableaux généraux, parce qu’ils rassemblent plus de faits et d’idées, et que, dans la foule des livres qui se succèdent, il me paraît important d’économiser le temps des lecteurs. » Il a donc composé un livre, un tableau, et n’a pas senti qu’il y avait plus de charme pour tout lecteur dans la simple manière d’un voyageur qui nous parle chemin faisant, et qu’on accompagne. […] Saussure, on l’a dit, tout savant qu’il est, a de la candeur ; il a, en présence de la nature et à travers ses études de tout genre, le sentiment calme et serein des primitives beautés ; il se laisse faire à ces grands spectacles ; pour les peindre ou du moins pour en donner idée, pour dire la limpidité de l’air dans les hautes cimes, le frais jaillissement des sources ou de la verdure au sortir des neiges, la pureté resplendissante des glaciers, il ne craindra point d’emprunter à la langue vulgaire les comparaisons qui se présentent naturellement à la pensée, et que Volney, dans son rigorisme d’expression, s’interdit toujours ; il aura, au besoin, des images de paradis terrestre, de fées ou d’Olympe ; après un danger dont il est échappé, lui et son guide, il remerciera la Providence. […] « Montrez-moi, lui dit Mirabeau qui y montait, ce que vous avez à dire. » Et jetant les yeux sur le discours, il y saisit une phrase dont il tira parti l’instant d’après, et qui est devenue le mouvement célèbre : « Je vois d’ici cette fenêtre d’où partit l’arquebuse fatale qui a donné le signal du massacre de la Saint-Barthélemy. » Il paraît que l’idée première était de Volney : Mirabeau, s’en emparant et la mettant en situation, en fit un foudre oratoire. […] Necker a dit de cette affaire quelques mots qui la montrent sans exagération et sous son vrai jour : parlant des diverses tentatives qui furent faites par ses collègues pour adoucir et désarmer quelques députés : On eut une fois l’idée, dit M. 

2098. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre I. Après la mort — Shakespeare — L’Angleterre »

Pour le héros, pour le soldat, pour l’homme du fait et de la matière, tout finit sous six pieds de terre ; pour l’homme de l’idée, tout commence là. […] Vers le même temps, un autre, anglais aussi, mais de l’école écossaise, puritain de cette variété mécontente dont Knox est le chef, déclarait la poésie enfantillage, répudiait la beauté du style comme un obstacle interposé entre l’idée et le lecteur, ne voyait dans le monologue d’Hamlet qu’« un froid lyrisme », et dans l’adieu d’Othello aux drapeaux et aux camps qu’« une déclamation », assimilait les métaphores des poètes aux enluminures des livres, bonnes à amuser les bébés, et dédaignait particulièrement Shakespeare, comme « barbouillé d’un bout à l’autre de ces enluminures ». […] Une tête où il y a une idée, voilà le sommet ; les entassements de pierre et de brique font des efforts inutiles. […] Accouplez ces deux idées, l’Angleterre et Shakespeare, et faites-en jaillir un édifice. […] Nous écartons, quant à nous, et le comité écartera, nous le pensons, toute idée d’une manifestation par souscription.

2099. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Introduction »

La lumière luit pour tout le monde, et elle éclaire tout homme venant en ce monde ; de là vient que chacun a le droit d’atteindre à cette vérité par ses forces individuelles, par ses propres lumières, à la condition en même temps de ne point négliger les lumières des autres, ce qui est implicitement contenu dans l’idée que tous les hommes ont une seule et même raison. […] D’ailleurs n’est-ce pas se faire une idée bien singulière de la vérité que de se la représenter comme une chose qui passe de main en main et que l’on met sous clef pour que personne n’y touche ? […] Sans doute si l’on considère combien peu d’hommes dans une société, quelque civilisée qu’elle soit, méritent le nom d’hommes éclairés, combien peu même ont les connaissances strictement nécessaires, combien enfin les idées dans l’homme sont voisines des passions, on peut craindre que cette émancipation des esprits, cette rupture avec toute tradition, cet appel à la raison individuelle, cette liberté de penser en tous sens ne soit la source de bien des maux, et je reconnais qu’il faut avoir l’esprit ferme pour envisager sans terreur l’avenir inconnu vers lequel marche la société contemporaine. […] Nous devons y travailler chacun pour notre part, non pas en imposant aux autres nos propres idées, mais en leur apprenant à se rendre compte des leurs. […] Quand ils seront une minorité, ils réclameront le droit de penser autrement que la foule ; quand la société nouvelle se sera fait sa foi, ses préjugés, ses traditions, ses lieux communs, tout ce qui ne manque jamais de s’établir dans une société bien assise, les partisans des anciennes idées et des anciennes mœurs demanderont à ne pas obéir aveuglément à ce nouveau genre d’autorité.

2100. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Le Prince » pp. 206-220

Pour moi qui ne retiens d’une composition musicale qu’un beau passage, qu’un trait de chant ou d’harmonie qui m’a fait frissoner ; d’un ouvrage de littérature qu’une belle idée, grande, noble, profonde, tendre, fine, délicate ou forte et sublime, selon le genre et le sujet ; d’un orateur qu’un beau mouvement ; d’un historien qu’un fait que je ne réciterai pas sans que mes yeux s’humectent et que ma voix s’entrecoupe ; et qui oublie tout le reste, parce que je cherche moins des exemples à éviter que des modèles à suivre, parce que je jouis plus d’une belle ligne que je ne suis dégoûté par deux mauvaises pages ; que je ne lis que pour m’amuser ou m’instruire ; que je rapporte tout à la perfection de mon cœur et de mon esprit, et que soit que je parle, réfléchisse, lise, écrive ou agisse, mon but unique est de devenir meilleur ; je pardonne à Le Prince tout son barbouillage jaune dont je n’ai plus d’idée, en faveur de la belle tête de ce musicien champêtre. […] Où en est l’idée ? […] Monsieur Le Prince, vous êtes sans idées, sans finesse et sans âme ; vous pouvez, M.  […] Mais d’autres ont d’autres idées ; tous ces plis, l’endroit où ils se pressent… eh bien, ces plis, cet endroit, cette main ?

2101. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre IV. Le rêve »

Une bougie qu’on allume brusquement fera surgir chez le dormeur, si son sommeil n’est pas trop profond, un ensemble de visions que dominera l’idée d’incendie. […] D’autre part, les âmes habitent dans le monde des Idées. […] L’idée qui nous absorbait avait donc dû donner l’éveil, dans l’inconscient, à toutes les images de la même famille, à tous les souvenirs de mots correspondants, et leur faire espérer, en quelque sorte, un retour à la conscience. […] Je suis dans la rue ; j’attends le tramway ; il ne saurait me toucher puisque je me tiens sur le trottoir : si, au moment où il me frôle, l’idée d’un danger possible me traverse l’esprit — que dis-je ? […] L’idée que nous présentons Ici a fait du chemin depuis que nous la proposions dans cette conférence.

2102. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIV. »

Lorsque le talent devance ainsi la réflexion et se confond avec l’éveil même de la pensée par les sens, il aura plus d’images que d’idées ; et ces idées, soudains éclairs du dehors, pourront quelquefois passer vite pour lui-même, tout en éblouissant au loin. […] Maintenant l’Amérique méridionale recevait elle-même, avec les idées de l’Europe, le contrecoup des tyrannies contradictoires qui se succédaient dans sa métropole. […] C’est là que grandit un poëte né à Cuba, au commencement du siècle, d’un père jurisconsulte et partisan des idées modernes. […] Ainsi, à l’époque où fut délibéré en France le rappel, par transaction amiable, des restes glorieux de Napoléon, lorsque cette idée, aussi peu politique qu’elle était peu poétique, occupa le gouvernement et les assemblées législatives de notre patrie, dans le torrent de louanges et d’apothéoses qui par des modes différents ramenaient le culte toujours dangereux de la force, dona Gomez fit entendre ce noble avis d’une bouche étrangère : À la France, sur la translation des restes de Napoléon à Paris.

2103. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — Post-scriptum » pp. 154-156

Ainsi (Mlle de) Scudéry, dans Cyrus, peint les mœurs et les idées des hôtels de Longueville et de Rambouillet. […] Or je maintiens que le marquis d’Argenson, philosophe et citoyen, philanthrope en son temps, s’occupant des intérêts du genre humain, et qui écrivait tous les matins ses idées pour qu’elles ne fussent point perdues, appartient à quiconque sait le lire, le comprendre et le peindre ; et si un éditeur de sa famille vient après un siècle nous l’arranger, nous l’affaiblir, lui ôter son originalité et l’éteindre, je lui dirai hardiment : « Laissez-nous notre d’Argenson. »

2104. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXXVI » pp. 147-152

Il l’a été de Lamennais d’abord en politique, de Victor Hugo en architecture et en art moyen âge : il développe avec un zèle tranchant et avec une logique assez éclatante les idées et les thèses des autres ; mais il a peu d’idées à lui, aucune pensée intermédiaire.

2105. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Stéphane Mallarmé »

Stéphane Mallarmé a mis en tête de sa traduction des poèmes d’Edgar Poe8 ce sonnet préliminaire : LE TOMBEAU D’EDGAR POE Tel qu’en Lui-même enfin l’éternité le change Le Poète suscite avec un glaive nu Son siècle épouvanté de n’avoir pas connu Que la Mort triomphait dans cette voix étrange Eux comme un vil sursaut d’hydre oyant jadis l’ange Donner un sens plus pur aux mots de la tribu Proclamèrent très haut le sortilège bu Dans le flot sans honneur de quelque noir mélange Du sol et de la nue hostiles ô grief Si notre idée avec ne sculpte un bas-relief Dont la tombe de Poe éblouissante s’orne Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur Que ce granit du moins montre à jamais sa borne Aux noirs vols du Blasphème épars dans le futur Qu’est-ce que cela veut dire ? […] Apparemment il croit à une sorte d’universelle harmonie préétablie en vertu de laquelle les mêmes idées abstraites doivent susciter, dans les cerveaux bien faits, les mêmes symboles.

2106. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Giraud, Albert (1848-1910) »

La poésie, qui évoque si puissamment des idées de flânerie et de vagabondage, s’est présentée devant lui comme ces chemins d’or que font, entre la terre et le ciel, les rayons du soleil couchant. […] Ses livres n’existent pas l’un à côté de l’autre, mais ils s’engendrent mutuellement et se soutiennent par une même idée.

2107. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Laprade, Victor de (1812-1883) »

La muse de Laprade était la plus divine des statues, mais une statue ; le poète était le grand statuaire de notre siècle, un Canova en vers taillant la pensée en strophes, un sculpteur d’idées. […] Caro C’est le désir de l’infini qui inspire Psyché ; c’est l’idée du sacrifice qui inspire les Poèmes évangéliques.

2108. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rodenbach, Georges (1855-1898) »

C’est quand il parle des eaux calmes, des eaux presque mortes, et qu’il assimile les silencieux aquariums aux cerveaux humains, où les idées glissent ou rampent, où les actinies s’entr’ouvrent un instant, c’est par le détail heureux qu’il est poète. Maintenant, il faut dire que cette technique de l’alexandrin, il est vrai, admettant des coupes diverses, a dû contribuer à fausser l’expression de quelques aspects de ses idées ; ses rimes, et comment pourrait-il en être autrement ?

2109. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 92-99

Les instructions, les idées, les sentimens naissent en foule avec la variété des tours & le choix des termes propres à les embellir. […] Dans ses Mercuriales sur-tout, il est aisé de reconnoître une suite de tableaux où l’Homme de Loix est forcé de puiser la plus haute idée de sa profession & l’amour de ses devoirs, l’Homme d’Etat, les leçons de la saine politique & les moyens de la rendre utile & respectable ; le Philosophe, le modele de l’usage qu’il doit faire de ses lumieres & de la sagesse qui sait les contenir ; le Littérateur, les finesses de son art & les solides beautés qui peuvent l’embellir ; tous les hommes, le respect des Loix, les regles de la vertu & les charmes qui la font aimer.

2110. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Marie Tudor » (1833) »

Le but du poète dramatique, quel que soit d’ailleurs l’ensemble de ses idées sur l’art, doit donc toujours être, avant tout, de chercher le grand, comme Corneille, ou le vrai, comme Molière ; ou, mieux encore, et c’est ici le plus haut sommet où puisse monter le génie, d’atteindre tout à la fois le grand et le vrai, le grand dans le vrai, le vrai dans le grand, comme Shakspeare. […] Dégager perpétuellement le grand à travers le vrai, le vrai à travers le grand, tel est donc, selon l’auteur de ce drame, et en maintenant, du reste, toutes les autres idées qu’il a pu développer ailleurs sur ces matières, tel est le but du poète au théâtre.

2111. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Carle Vanloo » pp. 183-186

Je voudrais bien savoir quel sens, quel esprit il y a dans cette idée ? […] La couleur de ce morceau est aussi dure que l’idée en est maussade.

2112. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Restout » pp. 187-190

Et cette Parque se refusant à la tâche inusitée de renouer son fil, est-ce une idée indigne de Virgile ? […] Il est entouré de quelques-uns de ses ministres qui ont à la vérité l’air rustique : ce caractère déplaît fort à nos artistes modernes dont l’imagination captivée par des idées de dignité du dix-huitième siècle, ne remonta jamais dans l’Antiquité ; mais cela me plaît à moi.

2113. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 1, de la necessité d’être occupé pour fuir l’ennui, et de l’attrait que les mouvemens des passions ont pour les hommes » pp. 6-11

Ou l’imagination trop allumée ne présente plus distinctement aucun objet, et une infinité d’idées sans liaison et sans rapport s’y succedent tumultueusement l’une à l’autre ; ou l’esprit las d’être tendu se relâche ; et une rêverie morne et languissante, durant laquelle il ne joüit précisement d’aucun objet, est l’unique fruit des efforts qu’il a faits pour s’occuper lui-même. […] Il faut que l’esprit ait contracté l’habitude de mettre en ordre ses idées et de penser sur ce qu’il lit ; car la lecture où l’esprit n’agit point et qu’il ne soutient pas en faisant des reflexions sur ce qu’il lit, devient bientôt sujette à l’ennui.

2114. (1912) L’art de lire « Chapitre XI. Épilogue »

Il avait commencé par lire les auteurs d’aujourd’hui, ceux qui écrivent la langue contemporaine, puis, remontant peu à peu, il avait passé aux auteurs du XIXe siècle, puis à ceux du XVIIIe siècle et ainsi de suite, s’habituant à la langue archaïque par transitions lentes et se faisant, du reste, quoique marchant à reculons, une idée fort nette de la suite de notre civilisation. […] Au lieu de cueillir des fleurs, il cueillait avec délicatesse les plus belles idées, les plus beaux récits, les plus beaux dialogues qui aient germé dans l’esprit humain.

2115. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XVII »

Mais ce dernier cliché s’est formé à un moment où le mot comble était très vivant et tout à fait concret ; c’est parce qu’il contient encore un résidu d’image sensible que son alliance avec vœux nous contrarie » Dans le précédent, le mot colorer est devenu abstrait, puisque le verbe concret de cette idée est colorier, et il s’allie très mal avec rougeur et avec joues.  […] Culture des idées, p. 31 (NdA)

2116. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre I. De la sagesse philosophique que l’on a attribuée à Homère » pp. 252-257

Ses caractères les plus sublimes choquent en tout les idées d’un âge civilisé, mais ils sont pleins de convenance, si on les rapporte à la nature héroïque des hommes passionnés et irritables qu’il a voulu peindre. […] Je n’ai pas besoin de dire qu’on ne peut guère comprendre comment un esprit grave, un philosophe habitué à combiner ses idées d’une manière raisonnable, se serait occupé à imaginer ces contes de vieilles, bons pour amuser les enfants, et dont Homère a rempli l’Odyssée.

2117. (1930) Le roman français pp. 1-197

Ford Maddox Ford, il est presque certain que je n’aurais jamais eu l’idée d’écrire à mon tour ce petit livre. […] Pour lui, les idées sont toujours incarnées en quelque personnage : et les personnages sont mus par les idées, alors que chez Proust les personnages étaient mus par les sensations et les mouvements instinctifs de leur “moi”. Ici les personnages réfléchissent et sentent battre leurs idées comme leur cœur. […] Il y avait une idée intelligente, fondamentale, sous ces nouveautés d’écriture — et sans ces nouveautés, l’auteur aurait-il pu l’extraire ? […] Idée de leur supériorité sur les autres, à cause de l’erreur que ceux-ci commettent.

2118. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DE LA MÉDÉE D’APOLLONIUS. » pp. 359-406

Elles restent court quelque temps et en silence ; tout d’un coup Junon se fixe à l’idée d’aller trouver Vénus et de lui demander qu’elle engage son fils à blesser Médée d’une flèche au cœur pour Jason. […] Les compagnes, à l’unanimité, applaudissent à une idée si heureuse, et se promettent d’en profiter. […] Nous pourrions prolonger encore ; l’entretien n’en reste pas là ; Jason s’efforce de démentir les éloquents présages et de chasser ces idées de tempêtes et d’oiseau messager : qu’elle vienne seulement en Grèce, et elle verra comme elle y sera honorée. […] En n’arrêtant pas à temps son plus aimable personnage, et en manquant (du moins d’après nos idées modernes) cette fin de son poëme, Apollonius a-t-il mérité de rester si peu avant dans la mémoire des hommes, d’être si peu lu ou si rarement cité ? […] Ces contrastes ne sont pas hors de propos et ils servent à mieux graver l’idée.

2119. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre I. De l’action »

Cela allait si loin que, dans le plus simple et le plus rude de tous, Corneille, le personnage disparaissait souvent, ne laissant à sa place qu’une idée abstraite et morte, sans âme ni figure d’homme, et qu’en changeant les pronoms on pouvait faire de ses plus belles scènes des dissertations philosophiques. […] La Fontaine trouve plus d’idées que Rabelais, et dit moins de paroles qu’Esope. […] Enfin, voici une idée.) […] Ce barbare doit être un héros, un juge, et non un compère, un confident de pot-au-feu. — Bien, le voilà maintenant qui se répète et piétine en place sur une idée qu’il a déjà dix fois usée. […] Il a mis la narration hors de sa place, il n’a point donné de confirmation ; son exorde n’a point procédé par insinuation ; il a fini par une digression ; il a écourté sa péroraison, toutes ses idées ont chevauché les unes sur les autres.

2120. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIIe entretien. Madame de Staël. Suite. »

« La veille du jour où Benjamin Constant devait prononcer son discours, j’avais chez moi Lucien Bonaparte, MM… et plusieurs autres encore, dont la conversation, dans des degrés différents, a cet intérêt toujours nouveau qu’excitent et la force des idées et la grâce de l’expression. […] On sait seulement que le premier consul, en sortant de cet entretien, témoigna son étonnement du vide d’idées qu’il avait reconnu sous l’emphase de ce caractère. […] L’idée de la mort, qui décourage les esprits vulgaires, rend le génie plus audacieux, et le mélange des beautés de la nature et des terreurs de la destruction excite je ne sais quel délire de bonheur et d’effroi, sans lequel l’on ne peut ni comprendre ni décrire le spectacle de ce monde. […] Les modernes ne peuvent se passer d’une certaine profondeur d’idées dont une religion spiritualiste leur a donné l’habitude ; et si cependant cette profondeur n’était point revêtue d’images, ce ne serait pas de la poésie ; il faut donc que la nature grandisse aux yeux de l’homme pour qu’il puisse s’en servir comme de l’emblème de ses pensées. […] Les Allemands ont beaucoup d’audace dans les idées et dans le style, et peu d’invention dans le fond du sujet ; leurs essais épiques se rapprochent presque toujours du genre lyrique.

2121. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre premier. La sensation, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. La sensation »

C’est par l’idée du continu qu’il faut, avec Leibniz, débuter. […] C’est dans cette conscience que je puise l’idée d’intensité, lorsque se produit un conflit entre mon vouloir et un obstacle. […] « Nous n’admettons pas d’abord, dit-il, des idées d’où sortent des jugements, puis des raisonnements ; mais la pensée pour nous commence par des raisonnements, qui conduisent aux jugements, qui eux-mêmes forment des idées. » La seule forme d’activité mentale, ajoute Wundt, qui ait le pouvoir de lier, d’unifier, c’est le raisonnement ; il est l’origine de toute synthèse, conséquemment de toute pensée ; c’est le raisonnement qui établit l’unité de composition de la pensée : la sensation est donc un composé d’états inconscients réunis par une synthèse inconsciente. […] Si on veut former la sensation même avec des raisonnements, on poursuit une chimère, comme Platon qui avait fini par faire de la sensation un « mélange d’idées » ; on recule la difficulté sans la résoudre, car ce n’est pas le raisonnement même qui fournira les termes entre lesquels il établit un lien, soit logique, soit mécanique. […] On a pourtant essayé de réduire à une contradiction formelle toute idée d’une synthèse mentale des sensations.

2122. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — I. Faculté des arts. Premier cours d’études. » pp. 453-488

Rien de ce qui est obscur ne peut satisfaire une tête géométrique  ; le désordre des idées lui déplaît et l’inconséquence la blesse. […] Et puisque l’idée qui suit se présente à ma pensée, il vaut encore mieux que je l’indique que de l’omettre. […] Souvent la beauté ou la nouveauté des idées couvre les vices du style. […] Adulateurs des grands, ils altéreront, par leurs éloges mal placés, toute idée de vertu : plus ils seront séduisants, plus on les lira, plus ils feront de mal. […] Ce que j’attribue au petit nombre d’idées qui les absorbent et bornent l’esprit au lieu de l’étendre, comme on l’imagine. » LA METTRIE, Histoire naturelle de l’âme.

2123. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le Roman de Renart. Histoire littéraire de la France, t. XXII. (Fin.) » pp. 308-324

; Renart y fut pris cette fois ; l’idée lui parut heureuse, et, au premier cri que lança Costant, il lâcha ce mot d’ironie : « Oui, malgré vous ! […] Ce vaisseau, dont chaque partie et chaque agrès est un vice et une méchante pensée, est décrit d’une façon ingénieuse et pédantesque qui rentre déjà tout à fait dans le genre faux du xive  siècle, et qui signale une véritable décadence dégoût en même temps qu’un raffinement très habile dans les idées. […] L’un d’eux, Charuel, change de couleur à cette idée, et déclare honni celui qui ne maintiendra pas la cause du duc légitime (Charles de Blois)e, et qui s’en ira sans donner de coups d’épée. — « Cette chose m’agrée, dit Beaumanoir ; allons à la bataille, ainsi qu’elle est jurée. » Il revient à Bombourg, qui lui représente encore que c’est folie à lui d’exposer ainsi à la mort la fleur de la duché ; car, une fois morts, on ne trouvera jamais à les remplacer. — « Gardez-vous de croire, répond Beaumanoir, que j’aie amené ici toute la chevalerie de Bretagne, car ni Laval, ni Rochefort, ni Rohan et bien d’autres n’y sont ; mais il est bien vrai que j’ai avec moi une part de cette chevalerie et la fleur des écuyers… » Bombourg reprend la bravade et l’invective. […] Quant à l’idée que j’ai eue dans ce petit chapitre de vieille littérature, elle pourrait se résumer en ces mots ; le Roman de Renart et son correctif46.

2124. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — III. (Fin.) » pp. 162-179

La crainte de Henri IV, en apprenant ces ouvertures faites sans lui et sans son conseil, c’était que les Hollandais ne se laissassent leurrer par l’Espagne, qu’une fois amorcés à cette idée de paix, ils ne la voulussent à tout prix et ne s’y précipitassent sans conditions suffisantes ; il y aurait perdu un allié utile qui occupait puissamment les forces de l’Espagne, en même temps que sa réputation politique en Europe eût grandement souffert d’un traité d’où il aurait été exclu. […] En un mot, et pour marquer son effort aussi brièvement que possible, je dirai qu’il travaillait à la fois sur Henri IV pour le disposer d’avance à consentir à une longue trêve dont ce monarque rejetait l’idée, et sur les Hollandais pour les contenir à n’accepter une paix que moyennant les conditions essentielles et sans y courir à bride abattue. […] Le président Jeannin, qui prévoyait qu’on n’aboutirait point par cette voie, fit en juin un voyage en France, dans lequel il se fixa avec Henri IV sur la conduite à tenir ; il avait amené le roi à son idée de conclure une longue trêve au lieu d’une paix, et de retour en Hollande, trouvant le projet de paix rompu, il y substitua heureusement et à temps sa proposition moyenne pour laquelle, avec un peu d’effort de son côté, tout le monde bientôt s’accorda. […] Il se peut qu’il y ait en France des gens très bons Français, et même instruits, et qui n’aient jamais eu une idée nette du président Jeannin.

2125. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — I. » pp. 180-197

De même qu’il y eut dans l’Antiquité un peuple à part, qui, sous l’inspiration et la conduite de Moïse, garda nette et distincte l’idée d’un Dieu créateur et toujours présent, gouvernant directement le monde, tandis que tous les peuples alentour égaraient cette idée, pour eux confuse, dans les nuages de la fantaisie, ou l’étouffaient sous les fantômes de l’imagination et la noyaient dans le luxe exubérant de la nature, de même Bossuet entre les modernes a ressaisi plus qu’aucun cette pensée simple d’ordre, d’autorité, d’unité, de gouvernement continuel de la Providence, et il l’applique à tous sans effort et comme par une déduction invincible. […] J’essaierai de donner idée de cette première manière par quelques exemples. […] Il suffit de considérer le portrait de Bossuet, peint dans sa vieillesse par le célèbre Rigaud, pour se faire une idée de ce qu’il avait dû être dans sa jeunesse.

2126. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. (Tome XII) » pp. 157-172

Je ne veux pas dire que d’autres écrivains ayant les mêmes pièces sous les yeux n’en tireraient pas d’autres idées, une autre conclusion ; mais, dans l’Histoire de M.  […] Au moment le plus critique de l’expédition, et lorsqu’il s’agit de savoir si après des mois d’attente au fond du Portugal devant les lignes inexpugnables de Torrès-Vedras, sans secours reçus, on passera ou non le Tage, et à quel parti on s’arrêtera, il y a un déjeuner chez le général Loison à Golgao, où, dans une sorte de conseil de guerre amical, on a en présence et en action la physionomie, le caractère et les idées des principaux chefs consultés par Masséna : c’est un récit des plus piquants, et qu’il n’eût tenu qu’à l’historien de rendre plus piquant encore ; mais M.  […] On a l’idée du ton des deux côtés : or ce ton est très adouci chez M.  […] Cela est vrai des idées, cela est vrai même des événements et des faits en histoire.

2127. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — III » pp. 476-491

Elle revient en maint endroit sur cette peu flatteuse idée, qu’on ne peut plus vivre avec le monde tel qu’il est, « que tous les jours elle trouve le monde plus bête ». […] Mais, en revanche et aux belles heures, on se fait aussi près d’elles l’idée d’une certaine perfection, d’un certain atticisme, de quelque chose de net, de bien dit, de définitivement pensé, et qui ne se reverra plus. […] Tous les esprits s’y montraient sous un jour imprévu… La vicomtesse de Noailles est fidèle encore au salon de la maréchale de Beauvau et de ses grands-parents, en nous le montrant ainsi, aux approches de 89, traversé en bien des sens et agité de ces courants d’opinion qui rafraîchissaient si agréablement les esprits et y remuaient les idées avant qu’on eût la tempête. […] Ce sont les idées qui me venaient à l’esprit en lisant les lettres de Mme de Créqui à M. de Meilhan, et en réfléchissant sur cette ancienne société dont elles nous rendent un moment la note rapide et précise, le dernier mot aigu et arrêté.

2128. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — I » pp. 107-125

Enfin, au nombre des ouvrages de toutes sortes qu’il laissait couler chaque année de sa plume facile, il eut la bonne idée, un jour, d’écrire ses mémoires, et s’il les écrivit de ce style médiocre et, pour tout dire, un peu plat, qui était le sien, il y mit tout son naturel aussi, sa naïveté d’impressions, sa curiosité, la variété de ses goûts et de ses humeurs. […] On aurait tort de se faire de la philosophie de Marolles une trop haute idée. […] Le mariage royal de la princesse Marie apporta un changement notable dans le genre de vie et dans les idées de Marolles. […] Taschereau, et sans ce secours unique, sans l’ensemble de notes manuscrites qui y sont jointes, je n’aurais pas eu le moyen, je l’avoue, de me faire une juste idée de Marolles, de l’œuvre de Marolles, si l’οn peut employer le mot sans rire ; je n’en aurais pu parler tout à fait pertinemment.

2129. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance diplomatique du comte Joseph de Maistre, recueillie et publiée par M. Albert Blanc » pp. 67-83

il pense, il fermente, il s’exalte, il prend feu, il amasse des mondes d’idées, le projets, des vues, des conceptions de toutes sortes sur les événements, sur les hommes et les choses ; et quand il lui vient un interlocuteur ou un écouteur, il déborde, il lance ses feux et ses flammes, ou quand il prend la plume, il se répand. […] L’absence même d’un secrétaire est chose heureuse ; il n’a ni le temps, ni l’idée de se corriger, de se modérer, et nous avons à tout coup le premier jet du volcan. […] Quant au fond de ses idées, on en tient peu compte avec lui, qui est un homme de parti pris, un écrivain tout de montre et de parade, et qui nous offre le plus singulier assemblage de toutes les prétentions et de toutes les boîtes à onguent de style mêlées on ne sait comment à d’heureuses et très heureuses finesses qu’on en voudrait détacher. Mais du fond des idées avec lui, je le répète, et de la solidité du jugement, il en faut peu parler.

2130. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — II » pp. 231-245

N’est-ce qu’une répétition nouvelle, une reprise, sous forme poétique, des idées exposées dans la profession de foi du vicaire savoyard ? Est-ce, au contraire, une preuve que l’auteur a varié dans ses idées, et qu’il a fait un pas, au-delà de la profession du vicaire, vers un christianisme plus positif ? […] Un nouvel univers s’offrit, pour ainsi dire, à sa contemplation : il aperçut la chaîne invisible qui lie entre eux tous les êtres ; il vit une main puissante étendue sur tout ce qui existe ; le sanctuaire de la nature fut ouvert à son entendement, comme il l’est aux intelligences célestes, et toutes les plus sublimes idées que nous attachons à ce mot Dieu se présentèrent à son esprit. […] Il voudrait bien pouvoir ne le reléguer que dans les dehors de la place, dans ce qu’on appelle humeur : « Mes malheurs, mon cher Coindet, n’ont point altéré mon caractère, mais ils ont altéré mon humeur et y ont mis une inégalité dont mes amis ont encore moins à souffrir que moi-même. » Avant d’en venir à se croire l’objet de cette conspiration générale qui paraît avoir été son idée fixe depuis 1764-1766, il avait passé par bien des degrés.

2131. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Sainte-Hélène, par M. Thiers »

Ceux (et j’en ai connu) qui, nourris dans les idées opposantes, croyaient à Napoléon moins d’estime pour la nature humaine, sont heureusement combattus et en partie réfutés par de telles pages, par de telles paroles empreintes à la fois de sérieux et d’indulgence. […] Il y a, dans ce tableau complet de la captivité et des travaux de Sainte-Hélène, de quoi confirmer et transporter tous ceux qui croient surtout au génie et qui l’idolâtrent ; de quoi ramener et réconcilier ces autres esprits, moins enthousiastes, qui étaient restés surtout sensibles aux dernières fautes d’un règne où tout fut immense ; de quoi émouvoir enfin et confondre en réflexions salutaires ces âmes délicates qui mêlent au spectacle de toute grande infortune humaine une idée religieuse d’expiation. Napoléon avait achevé, ou à peu près, de dicter à bâtons rompus ce qui concernait son histoire, celle de ses campagnes, lorsqu’en 1819, des livres qui traitaient des grands capitaines de tous les temps tombèrent sous sa main, et il s’en saisit avec avidité ; il eut, à l’instant, l’idée de devenir historien et critique des autres. […] II J’ai pu à peine donner idée de ce chapitre élevé et pathétique qui couronne dignement la plus sérieuse histoire.

2132. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

Elle a d’elle-même l’idée de dresser, à un endroit du parc d’où l’on voit l’Océan, une espèce d’autel ; ou, du moins, une table de pierre celtique au pied d’un chêne lui en tient lieu. […] J’en sais déjà assez, et quand je me demande ce qu’a voulu l’auteur, je trouve bien de l’indécision dans son idée. […] Je sais qu’il y a en tout ceci bien du jeu, que l’art est une chose fort différente de la nature, que ce qui s’appelle roman en particulier est fait pour plaire et amuser à tout prix, et le plus souvent moyennant illusion : je ne voudrais pourtant pas qu’on y mentît par trop, qu’on y donnât des idées par trop fausses et chimériques. et j’ai présent à l’esprit en ce moment la boutade d’un moraliste un peu misanthrope, qui écrivait pour lui seul après la lecture de quelqu’un de ces romans à la Sibylle ou à la Scudéry : « Quand je me reporte en idée aux débuts de l’espèce humaine sur cette terre, à cette longue vie sauvage dans les forêts, à ces siècles de misère et de dureté de l’âge de pierre qui précéda l’âge de bronze et l’âge même de fer ; quand je vois, avant l’arrivée même des Celtes, les habitants des Gaules, nos ancêtres les plus anciens, rabougris, affamés et anthropophages à leurs jours de fête le long des fleuves, dans le creux des rochers ou dans les rares clairières ; — puis, quand je me transporte à l’autre extrémité de la civilisation raffinée, dans le salon de l’hôtel de Rambouillet ou des précieuses spiritualistes de nos jours, chez Mme de Longneville ou chez Mme de…, où l’on parle comme si l’on était descendu de la race des anges, je me dis : L’humanité n’est qu’une parvenue qui rougit de ses origines et qui les renie.

2133. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Poésies, par Charles Monselet »

Fréron, dans cette grande lutte et ce mouvement d’idées qui partageait le xviiie  siècle, avait choisi le rôle de défenseur de l’autel et des saines doctrines contre les philosophes : quand on se donne une telle mission, il faut être deux fois irréprochable. […] C’est un bon vivant, qui a fait de bonnes études et qui a ce qu’on appelle en rhétorique du goût, mais fermé ou indifférent à toute idée de progrès, à toute vue élevée, neuve, et qui sort de la routine. […] C’était Dorat qui avait eu cette idée de les réunir à table avec Colardeau et Dudoyer, un auteur dramatique oublié ; La Harpe en était à ses tout premiers débuts, et Fréron déjà établi et en renom : « Fréron, nous dit l’amphitryon Dorât, y fut aimable et bonhomme ; son antagoniste, au contraire, y fut tranchant, disputeur, criard et ennuyeux…, un mauvais convive. […] Les mouvements lyriques qui viennent par intermèdes y font comme la symphonie entre deux services : « Suspendez au plafond les jambons de Bayonne et de Westphalie, couronnés de lauriers, etc. » La vision finale où le gastronome, transporté en idée sur son Thabor, ou sur sa montagne de Nébo, comme Moïse, voit de là tout le matériel et le personnel d’animaux, gibiers et végétaux, qu’il a consommés durant sa vie, ferait un digne couronnement des noces de Gamache.

2134. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

L’œuvre de Veyrat laisse fort à désirer ; mais son existence, sa destinée, sont bien celles d’un poëte, d’un des blessés du temps dans la lutte des idées, et aujourd’hui que Savoie et France ne font qu’un et que sa patrie est nôtre, il mérite d’être visité et honoré de nous dans sa tombe. […] Ses idées religieuses se réveillèrent, mais supérieures, épurées et transfigurées par la méditation et la souffrance. […] Les idées de mon enfance, les souvenirs du premier âge se réveillaient en moi, peu à peu, au spectacle des scènes qui les avaient fait naître. […] On n’eut pas l’idée de l’y chercher.

2135. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre premier. De l’amour de la gloire »

On ne trouvera peut-être pas que ce siècle donne encore l’idée d’aucun progrès en ce genre ; mais il faut dans l’effet actuel voir la cause future, pour juger un événement tout entier. […] Une idée peut se composer des réflexions de plusieurs ; un sentiment sort tout entier de l’âme qui l’éprouve ; la multitude, qui l’adopte, a pour opinion l’injustice d’un homme exercée par l’audace de tous ; par cette audace qui se fonde et sur la force, et plus encore sur l’impossibilité d’être atteint par aucun genre de responsabilité individuelle. […] Par une sorte d’abstraction métaphysique, on dit souvent que la gloire vaut mieux que le bonheur ; mais cette assertion ne peut s’entendre que par les idées accessoires qu’on y attache ; on met alors en opposition les jouissances de la vie privée avec l’éclat d’une grande existence ; mais donner à quelque chose la préférence sur le bonheur, serait un contresens moral absolu. […] L’homme, jadis comblé de gloire, qui veut abdiquer ses souvenirs, et se vouer aux relations particulières, ne saurait y accoutumer ni lui, ni les autres ; on ne jouit point par effort des idées simples, il faut, pour être heureux par elles, un concours de circonstances qui éloigne naturellement tout autre désir.

2136. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre III. Inconvénients de la vie de salon. »

. — D’abord le naturel en est exclu ; tout y est arrangé, apprêté, le décor, le costume, l’attitude, le son de voix, les paroles, les idées et jusqu’aux sentiments. « La rareté d’un sentiment vrai est si grande, disait M. de V., que, lorsque je reviens de Versailles, je m’arrête quelquefois dans les rues à regarder un chien ronger un os297. » L’homme, s’étant livré tout entier au monde, n’avait gardé pour soi aucune portion de sa personne, et les convenances, comme autant de lianes, avaient enlacé toute la substance de son être et tout le détail de son action. Il y avait alors, dit une personne qui a subi cette éducation298, une manière de marcher, de s’asseoir, de saluer, de ramasser son gant, de tenir sa fourchette, de présenter un objet, enfin une mimique complète qu’on devait enseigner aux enfants de très bonne heure, afin qu’elle leur devînt par l’habitude une seconde nature, et cette convention était un article de si haute importance dans la vie des hommes et des femmes de l’ancien beau monde que les acteurs ont peine aujourd’hui, malgré toutes leurs études, à nous en donner une idée ». — Non seulement le dehors, mais encore le dedans était factice ; il y avait une façon obligée de sentir, de penser, de vivre et de mourir. […] Enfermés dans leurs châteaux et leurs hôtels, ils n’y voient que les gens de leur monde, ils n’entendent que l’écho de leurs propres idées, ils n’imaginent rien au-delà ; deux cents personnes leur semblent le public  D’ailleurs, dans un salon, les vérités désagréables ne sont point admises, surtout quand elles sont personnelles, et une chimère y devient un dogme parce qu’elle y devient une convention. […] Il ne leur vient pas à l’idée d’y avoir recours ; ils ne savent ni ne veulent se servir de leurs mains, surtout pour cette besogne323.

2137. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Légendes françaises. Rabelais par M. Eugène Noël. (1850.) » pp. 1-18

Sous ce titre, un écrivain peu connu encore, et que je crois jeune d’après la nature de quelques-unes de ses idées, vient de publier un petit travail assez agréable sur Rabelais, qu’il range dans une espèce de galerie de Légendes françaises. […] Je dirai tout à l’heure un mot de l’esprit dans lequel a été composée cette petite brochure, quand j’aurai moi-même causé un moment avec le maître, et essayé de m’en rafraîchir l’idée. […] Mais Rabelais ne voulait que jeter à l’avance quelques idées de grand sens et d’à-propos dans un rire immense : ne lui en demandez pas davantage. […] Eugène Noël, suit un peu cette dernière méthode, en l’appliquant selon les idées et les données de notre temps, c’est à dire en l’exagérant encore.

2138. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Les regrets. » pp. 397-413

Hommes de la génération de 1830, tombés en 1848, désormais évincés et très ajournés, vous qui vous êtes toujours piqués de tout comprendre dans l’histoire, et qui, par l’étude, par les idées, par une habituelle et libre ouverture de l’intelligence, vous êtes crus et êtes, en effet, si supérieurs aux plus hommes d’esprit de cette race de 1815, n’admettez en vous trop longtemps aucun grain d’aigreur et d’amertume, aucun levain pareil au leur et qui est de nature à se loger si aisément au cœur de l’homme. […] Mais plutôt mettez votre honneur et votre supériorité à n’avoir ni dépit ni colère, à garder de vos idées ce que vous en croyez juste et durable, sauf à les confronter perpétuellement avec l’état de la société, à les corriger sans cesse par l’observation de ce monde qui marche et qui change, et qui de nos jours tourne si vite à l’indifférence du passé. […] La plus belle disgrâce ministérielle que l’on puisse citer est celle du duc de Choiseul à Chanteloup ; elle fut triomphante d’abord comme une faveur ; l’idée de popularité commençait à naître. […] rien de moi ne le touche plus. » Ces idées le poursuivaient ; et, pour peu qu’il fût livré à lui-même, il tombait comme abîmé dans sa douleur.

2139. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre I. Le Bovarysme de l’individu et des collectivités »

Par le fait du malaise ou de la douleur qui fixent sur eux notre attention, nos états pathologiques ainsi qu’on l’a noté déjà, nous sont mieux connus que les autres, en sorte qu’ils évoquent des idées plus claires et qui nous font mieux pénétrer dans la nature des choses. […] C’est sous le jour de cette idée qu’il a été considéré naguère, et qu’on en a fait l’application à un cas de littérature, en une étude consacrée aux Goncourt et à l’idée d’art16. […] La mieux appropriée tient dans cet impératif : « Sois en harmonie avec toi-même. » Flaubert, qui se crut peut-être attiré vers l’action et qui se confina dans l’idée, sut conclure vers sa vingtième année à ce précepte dont il livre le talisman dans une lettre à son ami Le Poittevin : « Sibi constat », tel est, dit-il, citant Horace, l’état du sage.

2140. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « J. K. Huysmans » pp. 186-212

Toute leur activité vitale aboutit à emmagasiner des visions et à en dégorger d’anciennes, à noter des aspects, à percevoir des colorations et des scintillements, et à évoquer, dans les périodes languissantes, d’anciennes vibrations lumineuses, entassées, endormies dans l’arrière-fonds de la mémoire, mais vivaces et aptes à reparaître à la suite d’une association d’idées, comme les altérations d’un papier sensibilisé, sous l’action d’un réactif. […] Le peintre Cyprien n’est à l’aise que devant certains spectacles douloureux et minables ; il préfère « la tristesse des giroflées séchant dans un pot, au rire ensoleillé des roses ouvertes en pleine terre » ; à la Vénus de Médicis, « le trottin, le petit trognon pâle, au nez un peu canaille, dont les reins branlent sur des hanches qui bougent » ; formule son idéal de paysage en ces termes : « Il avouait d’exultantes allégresses, alors qu’assis sur le talus des remparts, il plongeait au loin… Dans cette campagne, dont l’épiderme meurtri se bossèle comme de hideuses croûtes, dans ces roules écorchées où des traînées de plâtre semblent la farine détachée d’une peau malade, il voyait une plaintive accordance avec les douleurs du malheureux, rentrant de sa fabrique éreinté, suant, moulu, trébuchant sur les gravats, glissant dans les ornières, traînant les pieds, étranglé par des quintes de toux, courbé sous le cinglement de la pluie, sous le fouet du vent, tirant résigné sur son brûle-gueule. » Et sur ce dolent idéal, des Esseintes renchérit encore : « Il ne s’intéressait réellement qu’aux œuvres mal portantes, minées et irritées par la fièvre » « … se disant que parmi tous ces volumes qu’il venait de ranger, les œuvres de Barbey d’Aurevilly étaient encore les seules dont les idées et le style présentassent ces faisandages, ces taches morbides, ces épidermes talés, et cegoût blet, qu’il aimait tant à savourer parmi les écrivains décadents ». Cette phrase est précédée d’une intéressante liste d’auteurs latins de l’agonie de l’empire, et d’une énumération d’auteurs français dans laquelle se coudoient curieusement des écrivains catholiques qui n’ont d’intérêt que pour des antiquaires en idées et en style, quelques poètes réellement décadents comme Paul Verlaine dont certains volumes ont les subtilités métriques et le niais bavardage des derniers hymnographes byzantins, et une bonne partie de ce que la littérature contemporaine a produit de supérieur et de raffiné. […] Par la lecture de certains livres de théologie, de certains volumes de poésie savante, par de justes inventions, il enrichit et pare son langage, de vocables assoupis, longuement harmonieux et doux ; il les sertit et les associe en de lentes phrases, qui joignent le poli soyeux des mots, à la suavité de l’idée : « Sous cette robe tout abbatiale signée d’une croix et des initiales ecclésiastiques : P.

2141. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Du Rameau » pp. 288-298

La justice est raide, elle tient ses balances d’une manière apprêtée, on dirait qu’elle les montre ; la position de ses bras est comme d’une danseuse de corde qui va faire le tour du cerceau ; idée ridicule fortifiée par ce cercle verdâtre qu’elle tient de la main gauche et dont l’artiste a voulu faire une couronne. […] Mais je prétends que celui qui se jette dans l’allégorie s’impose la nécessité de trouver des idées si fortes, si neuves, si frappantes, si sublimes, que sans cette ressource, avec Pallas, Minerve, les grâces, l’amour, la discorde, les furies, tournés et retournés en cent façons diverses, on est froid, obscur, plat et commun. […] Qu’est-ce que le plus faire sans idée ? […] Qu’est-ce qu’une belle idée, sans le faire ?

2142. (1912) L’art de lire « Chapitre IV. Les pièces de théâtre »

C’est à la lecture que l’on ne peut plus prendre la fausse monnaie pour la bonne, et des sonorités plus ou moins savantes pour une idée ou un sentiment. « Certains poètes sont sujets, dans le dramatique, à de longues suites de vers pompeux qui semblent fort élevés et remplis de grands sentiments. […] Dans le second cas, même raison avec cette particularité qu’Œnone ayant nommé Hippolyte, ce nom réveille dans l’esprit de Phèdre l’idée de la nécessité de parler à Œnone confidentiellement et de très près. […] Peut-être ; mais il me semble que jamais la lecture ne donnerait l’idée de cette façon de présenter les choses. « Oui », est une réponse à une parole et non pas à un geste. […] Le personnage, par exemple, qui raille le personnage ridicule représente approximativement l’auteur, et il n’y a pas à douter beaucoup que ce que dit la Dorine de Tartuffe ne soit ce que Molière pense lui-même ; le personnage, dans les pièces à thèse, qui « raisonne », qui fait une dissertation, qui exprime des idées générales et à qui, cela est important, l’adversaire n’a rien à répondre peut être considéré comme exprimant, à très peu près, la pensée de l’auteur.

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